Les Classes sociales au point de vue de l’évolution zoologique
XI. — Puériculture. — Conclusion.
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XI — PUÉRICULTURE. — CONCLUSION.


C’est surtout par l’éducation de l’enfant qu’on peut préparer l’avenir. Tous ceux qui prétendent diriger les peuples l’ont compris : aussi voit-on les ministres des religions s’efforcer d’atrophier les jeunes intelligences en leur inculquant la croyance à l’absurde, tandis que l’État, église laïque, enseigne aux fils des déshérités qu’il est beau de respecter la loi et de tuer ou mourir pour la Patrie.

La loi, c’est-à-dire la sanction d’un ordre social qui les écrase ; la patrie, c’est-à-dire le sol dont ils ne possèdent point une parcelle ou les intérêts financiers des dirigeants ! Deux grands mots sous lesquels se masque la domination de la classe possédante et que les prolétaires respectent encore avec un reste de cette foi tremblante qui agenouillait leurs aïeux devant la religion. D’ailleurs, le prolétaire n’a pas l’esprit analytique.

Aux catéchismes enseignant l’aveugle foi aux mystères ont succédé des manuels civiques, moins absurdes en apparence et peut-être plus dangereux, car l’absurdité des premiers était telle qu’à un certain âge, beaucoup se révoltaient à l’idée d’avoir pu y croire. Tandis que les manuels civiques ne contiennent pas de bourdes aussi grossièrement apparentes : ils enseignent seulement à ceux qui seront plus tard des hommes et des femmes, des pères et des mères, à se dépouiller de leur caractère humain pour devenir plus tard bons citoyens, c’est-à-dire troupeau soumis d’électeurs, de soldats, de contribuables et à élever leurs enfants comme eux-mêmes ont été élevés.

Les anarchistes, qui ont une activité à déployer en dehors de la politique parlementaire, se sont préoccupés beaucoup plus que les socialistes, engagés dans les luttes électorales, du problème de l’éducation. Des écoles libertaires se sont fondées çà et là ; quelques-unes subsistent et fonctionnent même de façon remarquable, donnant une idée de ce que pourra être l’enseignement dans une société économiquement et moralement affranchie. Mais celles-là ne peuvent être que l’exception : l’école actuelle est évidemment créée par le milieu, obligée d’employer les livres et suivre les systèmes adoptés par l’enseignement officiel pour conduire les élèves aux examens qui ne prouvent rien, mais qui ouvrent les carrières libérales et administratives.

De même, les Universités Populaires, où s’affine l’éducation primaire des prolétaires, demeurent plutôt une ébauche qu’une création définitive. L’enseignement qu’on y donne et qui comprend des matières très variées, manque encore, le plus souvent, de méthode et de continuité ; bien des fois, il demeure absolument inintelligible pour les ouvriers qui, armés seulement de leur mince bagage d’instruction primaire, voient s’évanouir leur espoir naïf de s’assimiler la haute science et finissent par s’endormir pendant les conférences ou ne plus revenir. Enfin, à côté d’éducateurs sérieux et dévoués, on compte plus d’un réclamier sans valeur, cherchant à préparer une candidature ou récolter une décoration.

Quant à l’éducation morale, plus importante encore que l’enseignement des arts et des sciences, c’est elle surtout qui se ressent de l’influence du milieu. Confiée exclusivement aux prêtres et aux moines jusqu’à la Révolution française, elle fit pendant des siècles des générations d’ignares fanatiques, applaudissant aux grillades d’hérétiques, à la Saint-Barthélemy et aux Dragonnades. Puis, sous l’influence de l’État, elle devint de plus en plus civique et patriotique, amalgamant les vieilles fables religieuses avec les fictions de liberté bourgeoise, prétendant concilier, selon la formule positiviste, l’ordre, c’est-à-dire l’immobilité, avec le progrès, c’est-à-dire la marche en avant. Aujourd’hui, l’éducation se laïcisant peu à peu dans sa partie morale, comme dans sa partie pédagogique, élimine en France les dogmes religieux, d’une absurdité trop manifeste pour pouvoir, à notre époque d’épanouissement scientifique, subsister ailleurs que parmi des collectivités arriérées, capables de tout croire parce qu’elles ne savent rien. Mais, si l’enfant cesse peu à peu de trembler à la pensée de l’enfer ou du purgatoire, l’adulte se prosterne devant l’autorité qui, incarnée dans la personne du policier, du gendarme, du juge, du fonctionnaire, le guette à toute minute de la vie ; la Patrie, la Propriété, la Loi, au nom desquelles les dirigeants font du prolétaire une machine à tuer, un miséreux et un esclave, sont venues remplacer le mystère de la Sainte Trinité et celui de la Transsubstantiation.

Ce qui permet d’inculquer de pareilles croyances sans soulever la révolte du bon sens, c’est l’état véritablement maladif des cerveaux, arrêtés dans leur développement et faussés par les mensonges de l’éducation officielle et les préjugés en vogue dans les diverses classes sociales. La plupart des individus sont des malades.

Ces malades peuvent-ils guérir dans un milieu social différent ? Certes, les résultats obtenus, même en la société actuelle, dans des colonies rurales et sur des concessions agricoles, où de redoutables malfaiteurs sont devenus des individus inoffensifs et où des fous dangereux ont pu recouvrer le calme d’esprit, montrent que le cerveau de l’adulte est susceptible de s’assainir. À plus forte raison celui de l’enfant, victime d’une hérédité défectueuse, mais placé dans un milieu réparateur où pourront se cicatriser ses plaies physiologiques.

Et à ce sujet, nous ne pouvons mieux faire que citer le docteur Roubinovitch :

« Ce qui m’a toujours profondément impressionné, écrit-il, c’est l’état dans lequel se trouvent ces malheureux au moment où ils sont arrachés à leur milieu malfaisant. Dans une proportion de 90 pour 100, ils sont maigres, faibles et anémiés au plus haut degré ; ils personnifient la misère physiologique dans son expression la plus lamentable. Eh bien ! chose curieuse, il suffit souvent à la grande majorité de ces enfants de vivre pendant huit à quinze jours dans une maison où ils sont convenablement nourris, vêtus et logés pour qu’une transformation surprenante s’opère. En une semaine ou deux, ces enfants gagnent en poids huit à dix fois plus que les enfants normalement élevés ayant le même âge. Il semble que l’organisme de ces petits malheureux, arrêté pendant longtemps dans son besoin de se développer, se précipite sur l’air et la nourriture pour rattraper le temps perdu…

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« L’histoire de la petite X…, rachitique par privation de nourriture et de soins, est un exemple frappant de ce que peut faire la bienfaisance en faveur des enfants maltraités, gravement atteints dans leur santé physique.

« Imaginez un petit être au visage contracté par la douleur et la crainte, sale, couvert de vermine ; ses cheveux, en paquet inextricable, étaient habités par des poux ; sa peau étaient parsemée de zébrures et d’ecchymoses provenant de coups ; son ventre était énorme ; ses membres, faibles, contractures, présentaient des nodosités rachitiques. Quand on essayait d’allonger les jambes, on arrachait à l’enfant des cris de douleur. La température du corps n’était que de 35°9, au lieu de 37°.

« Tout indiquait la misère extrême de l’organisme, conséquence de négligences coupables et de tortures criminelles…

« Enlevée de l’enfer où elle devait infailliblement périr, cette petite fille fut envoyée pour de longs mois dans un sanatorium marin… Un an après, elle était méconnaissable : non seulement son poids et sa taille avaient considérablement augmenté, mais les membres, autrefois grêles et noués, étaient devenus pleins et déliés ; l’enfant se tenait fièrement sur ses jambes ; échappée au martyre et à la mort qui l’attendaient chez ses monstrueux parents, toute son apparence exprime aujourd’hui la santé, la vigueur et le bonheur de vivre…

« Tous arrivent au port du sauvetage avec une âme meurtrie, comme éreintée de douleur et de fatigue… Au premier interrogatoire, ils produisent l’impression d’êtres mentalement débiles, tellement leur air est hébété, leurs réponses nulles et leur altitude stupide…

« Or, de même que nous avons vus se transformer rapidement leur état de misère physique, de même se transforme leur manière d’être intellectuelle, sous la simple influence de quelques bons soins élémentaires : en quelques jours leur masque d’hébétude et de stupidité tombe, leurs yeux s’animent, leur langue se délie, et tels de ces êtres sur lesquels on était tout d’abord tenté de porter un diagnostic de faiblesse mentale ou d’imbécilité, se révèlent souvent comme ayant une intelligence morale. C’est là un des points les plus curieux de la psychologie des enfants martyrs. »

Ce sauvetage physique et moral ne se limitera plus à quelques petits êtres mais s’étendra à la masse immense des déshérités actuels, guérissables et transformables sous l’action bienfaisante d’un nouveau milieu. Sans la moindre exagération comme sans prétendre prophétiser à l’instar des voyantes, exploitrices de la crédulité publique, on peut affirmer que l’humanité est à même de faire peau neuve.

Pour cela, il faut que l’élite pensante et active du prolétariat, entraînant la masse des déshérités et attirant à elle les transfuges de la bourgeoisie, mais sans leur livrer la direction suprême du mouvement ouvrier, entre en scène. Sans s’attarder aux leurres du parlementarisme comme sans se nourrir d’espoirs mystiques, cette avant-garde doit incessamment travailler par tous les moyens pacifiques ou révolutionnaires à désorganiser la société capitaliste et les rouages de l’État qui la défendent, en même temps qu’à accélérer la formation des organes vitaux de la future société.

Ces organes sont les associations de producteurs qui, se fédérant et se ramifiant, marchant toujours, à travers les vicissitudes de succès et d’échecs, à ce but fixe : la prise de possession du sol et des moyens de production, finiront en profitant des événements et en sachant les faire naître, par exproprier la bourgeoisie capitaliste.

Ce jour-là, la liberté, l’égalité et la fraternité deviendront autre chose qu’une formule menteuse ; la république du travail affranchi, sans religions, sans codes, sans armées, ouvrira dans l’histoire de l’humanité une ère absolument nouvelle.