Texte établi par Montréal Impr. populaire, Édouard Garant (p. 192-194).

XXVII

LA CHASSE AUX NOISETTES : À L’AFFUT

Tout à coup, Roger sentit qu’on le secouait :

— Qu’y a-t-il ? fut la question qui lui vint aux lèvres.

— Allons ! Debout, et vite !… si nous voulons être à nos postes avant que le jour ne commence à poindre, fit Le Suisse.

— Mais nous ne venons que de nous coucher !

— Il est près de trois heures ! Nous n’avons donc pas de temps à perdre, car, à la saison où nous sommes, il fait clair avant quatre heures.

À moitié éveillé, Roger se leva, s’étira, se secoua puis suivit Le Suisse en silence. Celui-ci lui fit d’abord remonter le cours de la rivière jusqu’au pied du rapide ; puis, escaladant un rocher escarpé, ils s’engagèrent sous bois.

Tant qu’ils avaient été près de la rivière, ils avaient vu suffisamment clair pour se diriger. Mais, maintenant qu’ils étaient sous bois, les ténèbres étaient si épaisses qu’il leur fallait de temps en temps, le grondement du rapide les empêchant de s’entendre parler, étendre le bras et se toucher pour savoir qu’ils étaient tout près l’un de l’autre. Ils gravirent, pendant une dizaine de minutes, dans cette obscurité, une côte assez raide ; puis, parvenus au sommet, ils redescendirent sur une courte distance de l’autre côté. Alors, Le Suisse, s’arrêtant brusquement, prit Roger par les épaules et le poussa dans un fourré épais. Le jeune homme obéit à l’impulsion et, se faufilant parmi les branches, les bras tendus en avant afin de tâter son chemin, ses mains rencontrèrent une surface dure et rude, qu’il reconnut pour être de la pierre. Le Suisse lui demandait en même temps, lui parlant à l’oreille :

— Es-tu rendu au caillou ?

— Oui !

— Assieds-toi dessus et attends, sans remuer ni faire de bruit. En face de toi, il y a une clairière entourée de noisetiers. Cette clairière est très fréquentée par les écureuils. Aussitôt qu’il fera clair, rappelle-toi les instructions que je t’ai données hier au soir et tâche de découvrir autant de caches que tu le pourras. Pour moi, je vais m’installer de l’autre côté de cette même clairière. Quand il sera temps de retourner au camp, je t’appellerai. D’ici là, bonne chance !… Et Le Suisse s’éloigna sans bruit, comme une ombre.

Une fois seul, Roger se hissa sur le bloc de pierre, s’y assit et attendit, comme le lui avait recommandé Le Suisse. Il était là depuis quelques temps et il s’était assoupi et éveillé en sursauts une couple de fois déjà quand, s’éveillant pour la troisième ou quatrième fois, il s’aperçut qu’il commençait à distinguer les objets autour de lui. Alors il ne dormit plus.

Bientôt, il fit assez clair pour qu’il vît à une certaine distance. Le jour grandit peu à peu, la lumière augmenta, se répandit partout et, quelques instants plus tard, Roger, sans qu’il eût eu connaissance du changement, s’aperçut qu’il était grand jour. Alors, s’éveillant tout à fait, il se mit à examiner son entourage.

Il était assis sur un énorme bloc de pierre, que Le Suisse avait appelé un caillou. Ce bloc de pierre était assez large pour qu’il eût pu se coucher dessus, et assez haut pour que, assis au bord les jambes pendantes, ses pieds ne touchassent point le sol. Une épaisse frondaison de jeunes plaines entourait ce rocher et le cachait presque complètement.

En face du jeune homme, une clairière de forme ovale presque parfaite, d’une centaine de pas de longueur sur une soixantaine de largeur, probablement le site d’un étang desséché, étendait son gai tapis d’herbe et de mousse, parsemé de trèfle blanc fleuri, ainsi que d’une multitude d’autres fleurs, jaunes, rouges, blanches ou bleues. On eût dit que toutes les fleurs sauvages canadiennes s’étaient données rendez-vous dans cette paisible retraite. Une ceinture de noisetiers, d’une largeur variant de deux à cinq pas, entourait complètement la clairière et paraissait lui servir de rempart, empêchant la forêt environnante de l’envahir.

Le grondement du rapide ne parvenait dans cette retraite que très assourdi et ne constituant plus qu’un bourdonnement confus.

Le rocher sur lequel Roger était assis était à cinq ou six pas et en dehors du buisson de noisetiers. Le Suisse avait donc choisi un endroit on ne peut plus propice pour commencer l’apprentissage de son élève.