George E. Desbarats, éditeur (p. 86-92).


UN MÉDECIN-POÈTE.
ou
HISTOIRE D’UNE ANNONCE.


Les personnes qui ont voyagé aux États-Unis savent à quelles extravagances se livre la réclame dans cette heureuse République. Je me souviens, entr’autres, de cet industriel qui fit placarder dans toutes les rues de New-York une immense affiche commençant par ces mots, imprimés en lettres colossales :

LE PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS
EST DEVENU FOU !

puis, au moyen d’une transition bien ménagée, finissait par offrir aux passants un « Nouveau système breveté de boutons à trois trous. » Il y a quelques années, je fus bien surpris de trouver une réclame de ce genre dans un journal du Bas-Canada. Ce n’était plus une plaisanterie, mais, pour employer le vrai mot, une tartufferie. Un Monsieur, se disant diplômé de la Faculté de Médecine de Paris, publiait, dans un journal, une annonce des plus pompeuses, contenant des détails qu’un médecin honorable n’affiche point. Or on lui avait dit, paraît-il, que, la population Canadienne étant très-religieuse, certains dehors de bon apôtre ne nuiraient point à son petit commerce, et voilà qu’en portant son annonce à l’éditeur, il lui remit une pièce de vers intitulée : « L’Amour divin. » Les deux factums parurent le même jouir et signés du même nom. Le contraste était si choquant, je dirai même tellement hideux, que je crus devoir infliger à notre Hippocrate un léger châtiment, de par le sens commun et Apollon, sous la forme d’une parodie. On lira plus loin les deux pièces de ce court procès. Le « médecin-poète » ne répliqua mot, et, peu de temps après, il voguait vers d’autres rivages.


L’AMOUR DIVIN.


Je veux être bien simple et vous dire, au hasard,
Ou du moins essayer et sans ruse et sans fard,
De dire en peu de mots, et c’est un bon système,
Que nous devons aimer ! Et puis le Dieu Suprême,
(Faut-il donc l’oublier ?) Lui qui, le Tout-Puissant,
Nous surveille de loin, nous commande et, tonnant,

Rappelle aux habitants de ce lieu de misère[1]
Que les foudres d’en haut ne sont pas de la terre !
Donc, il faut le bénir, y penser et prier,
Et lui, sans aucun doute, il peut nous consoler.
Si les champs sont fleuris, qui donc en est la cause ?
Est-il en ce bas-monde, est-il donc une chose
Qui ne dérive pas de ce maître absolu ?
Courbons, courbons la tête, et voilà la vertu !
Quand viendra le malheur nous avons la ressource,
Comme un pauvre altéré qui va boire à la source,
De parler au Seigneur, qui toujours répondra :
Puis, frappez à la porte et l’on vous ouvrira.
L’Homme est faible, à coup sûr, il lui faut un refuge,
Le refuge c’est Dieu, notre ami, notre juge.
Nous allons, nous marchons et, par sa volonté,
Comme par l’ouragan un vaisseau transporté,
S’il le veut, le Seigneur, notre âme est courageuse,
Et, s’il ne le veut pas, la nature oublieuse
Entraînant l’animal l’abandonne au néant.
L’homme, sans Dieu, n’est pas, certes, même[2] un enfant

L’amour divin allège une charge pesante,
Les ennuis, les chagrins et quand l’âme est souffrante
Il faut directement s’adresser à Jésus !
On lui dit ses douleurs, c’est un ami de plus.
Rien, avec cet amour, ne sera bas ni vile,
« Sois humble, » a dit le Christ, il n’a pas dit servile.
Le courage, à grands flots, se répand de l’amour,
J’ai dit l’Amour divin qui dure plus d’un jour.
Il inspire aux élus la charité discrète
Car, pour être béni, il la faudrait secrète.
L’AMOUR DIVIN :
Il est vif, il est fort, il brûle, il est violent.
Il dit toujours : « mon Dieu, mon amour et ma vie, »
Oh ! dilate mon âme, et ta force infinie
Saura bien m’enseigner les devoirs les plus Saints.
Ne croyons pas, amis, que nous sommes des Saints.
Dieu puissant ! je voudrais t’aimer plus que moi-même,
Te rester bien fidèle et qu’un malheur extrême,
En pensant à Jésus n’abattît pas mon cœur,
Oh ! priez dans la joie et puis dans la douleur,
Pensez à Jésus-Christ mourant sur le Calvaire,
Il ne pensait qu’à nous à son heure dernière.[3]


L’AMOUR DE L’ARGENT.


(Parodie.)

Je vais vous parler franc : une fois, par hasard,
Ne sera pas de trop en ce siècle où le fard,
Jusque dans les écrits devenant un système,
Voudrait mettre en oubli cette règle suprême :
« Rimez avec raison ! » C’est un moyen puissant
De charmer le lecteur, ô poète étonnant !
Malheureux ! qui, cherchant une rime à « Misère, »
Nous dites que « Le ciel n’est pas sur cette terre ! »
La Palisse l’eût dit sans se faire prier.
Mais nous ! qui de ces vers pourra nous consoler ?
Vous fîtes, en rimant, une effroyable chose ;
Et pourquoi rimez-vous ? Tout effet à sa cause.
Est-ce une maladie, un besoin absolu ?
Vous taire, en pareil cas, serait une vertu.
Ah ! dans votre malheur, je vois peu de ressource,
Vite, guérissez-vous, buvez de l’eau de source ;
Phébus, à votre appel, peut-être répondra,
Et votre faible esprit à la fin s’ouvrira.
Non, pour ce rimailleur, il est un seul refuge,
Ici près à Beauport[4] : Apollon est son juge,
Et, s’il ose rimer contre sa volonté,

Comme par l’ouragan qu’il y soit transporté.
Vous avez, cher monsieur, la muse courageuse,
Mai » quand votre raison endormie, oublieuse,
Nous montre l’animal qui retourne au néant
C’est le fait d’un Athée ou d’un stupide enfant.
Pour votre faible dos la charge est trop pesante :
Vous voulez soulager l’humanité souffrante
Et, Docteur impuissant, vous blasphémez Jésus !
Un pareil défenseur est un Judas de plus.
Faible esprit pour vouloir commenter l’Évangile.
Il faudrait une voix plus forte, moins servile,
Pour l’impure réclame un moins hideux amour
Et des vers destinées à vivre plus d’un jour !
Pour professer d’Albert la science secrète
Votre muse, monsieur, n’est pas assez discrète !
L’AMOUR DE L’ARGENT :
Il est vif, il est fort, il brûle, il est violent.
« Pour gagner de l’argent, le charme de la vie
« Donnez moi de clients une troupe infinie,
« Et, sans vouloir prétendre en faire autant de saints,
« Par des remèdes sûrs j’en ferai des corps sains. »
Voilà, voilà comment j’aurais parlé moi-même,
Mais n’allez pas, poussant la folie à l’extrême,
Confondre, dans vos vers, la joie et la douleur,
La rime et la raison, la tête avec le cœur,
Le fas et le nefas, la Bourse et le Calvaire :
C’est mon dernier conseil en ma ligne dernière.

E. B.
Fin des Perce-neige.
  1. Je demande pardon au lecteur de lui présenter ici cet amas d’inepties, de contre-sens,… d’horreurs imbéciles… Cette pièce de vers fut publiée, par mégarde sans doute, dans un bon journal ; je crus bien faire en y appliquant un remède ; je suis encore persuadé que je n’ai pas tort de mettre MM. les éditeurs en garde contre les charlatans.
  2. Rien que cela de chevilles !
    E. B.
  3. Qu’on me cite quelque chose de plus bêtement hypocrite que ce factum et je nommerai l’auteur.
    E. B.
  4. L’asile des fous.