Les bases de l’histoire d’Yamachiche/08

C. O. Beauchemin et Fils (p. 50-58).


CHAPITRE IV

FIEF GATINEAU.


Après avoir eu de M. Lauzon la concession du fief de Grosbois en 1653, M. Pierre Boucher obtint de ce même gouverneur de la Nouvelle-France, pour son fils aîné, Pierre Boucher, en 1656, le 5 août, un fief « consistant en dix arpents de terre de front sur le fleuve Saint-Laurent, et vingt arpents de profondeur, dans les terres au-dessous de la cinquième rivière, environ trois cents pas en remontant le fleuve, pour en jouir par le dit Pierre Boucher, fils, ses hoirs et ayants cause par un seul hommage, relevant de Québec, etc., etc., etc.

Ce petit fief n’était pas dans les limites d’Yamachiche ; il était en bas de la Pointe-du-Lac. Nous le mentionnons parce qu’il a déjà été confondu avec celui dont nous allons parler.

Le fief Gatineau, consistant en trois quarts de lieue de front sur le lac Saint-Pierre, par une lieue de profondeur, touchant au côté Nord-Est du fief de Grosbois, fut concédé par Jean Talon, intendant, au sieur Boucher, fils, le 3 nov. 1672, en même temps que le fief Grosbois le fut à son père, sans autre nom que celui du concessionnaire.

M. Pierre Boucher, fils, ne fit aucun établissement sur cette seigneurie. Il la vendit à M. Gatineau, son parent, par acte passé le 28 juillet 1712, devant Lepailleur, notaire, à Montréal, sous le nom de fief Gatineau qu’il a toujours porté depuis comme s’il n’en avait jamais eu d’autre.

Nous n’avons pas le contrat de vente, mais dans son acte de foi et hommage et son aveu et dénombrement faits devant l’intendant Bégon, le 23 février 1723, Louis Gatineau, sieur Duplessis, en produisant ce contrat, déclare avoir acquis ce fief du Sieur Boucher de Boucherville, auquel il avait été concédé par l’intendant Talon, en 1672. Cette déclaration atteste que le premier propriétaire du fief Gatineau, comme le premier propriétaire du fief de Grosbois, était alors devenu seigneur de Boucherville, succédant à son père.

Dans ce même dénombrement de 1723, Louis Gatineau, sieur Duplessis, avoue n’avoir pas encore d’habitants dans sa seigneurie, déclarant cependant qu’il a déterminé d’y établir son domaine sur le bord du lac, d’environ six arpents de front sur toute la profondeur et d’y faire bâtir incessamment ; qu’il a concédé trois terres, chacune de trois arpents de front sur quarante de profondeur, au côté nord-est, près le fief de Tonnancour, savoir : une à la veuve de Pierre Lemaître, une autre à Claude Crevier et une troisième à Pierre Lemaître, fils, toutes sans bâtiments d’aucune sorte.

Après onze ans de possession, ce résultat n’est pas brillant.

Il faut tenir compte des circonstances d’alors. La rivière aux Glaises n’était pas un cours d’eau assez important, assez volumineux pour attirer des colons dans le fief Gatineau. Les fiefs voisins, mieux partagés sous ce rapport, n’avaient encore que de petits groupes d’habitants, et cela suffisait pourtant pour engager les jeunes gens à la recherche d’un établissement à se porter de préférence vers ces groupes.

Peut-être même avons-nous, dans l’extrait suivant du registre de baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Saint-François-Xavier de Batiscan, pour l’année 1710, la principale cause de l’abandon dans lequel est resté le fief Gatineau d’Yamachiche pendant cette période de temps.

« L’an mil sept cent dix, le vingt-deuxième jour du mois de janvier, après avoir publié aux messes paroissiales célébrées le premier jour de l’an et le cinquième et sixième jour de la dite année, les trois bans de mariage entre Louis Gatineau, fils des feu Nicolas Gatineau et Marie Crevier, ses père et mère, de la paroisse du Cap-de-la-Magdeleine, d’une part, et Jeanne LeMoine, fille de feu Jean LeMoine et de Marie-Magdeleine de Chavigny, ses père et mère, de cette paroisse de Batiscan, d’autre part, vu le certificat de messire Paul Vachon, curé du Cap-de-la-Magdeleine, qui certifie qu’il a publié les trois bans de mariage sans qu’il se soit trouvé aucun empêchement au dit mariage, je soussigné, prêtre curé du d. Batiscan, ay reçu leur mutuel consentement de mariage et leur ay donné la bénédiction nuptiale avec les cérémonies prescrites par l’Église, en présence de Monsieur le Baron de Bécancourt, de Monr de la Pérade, officier dans les troupes de la Marine, du Sr. Duplessis, frère de l’époux, du Sr Marchand, du Sr Jacque LeMoine, frère de l’épouse, du Sr de Lachevrotière, son oncle, des Srs Rivard et Duclos, et plusieurs autres parents et amis, tous soussignés

(Signé) Louis Gatineau, Marie Jeanne LeMoine, Robineau de Bécancour, de la Pérade, L. de Chavigny, LeMoyne, Alexis Marchand, Nicolas Duclos.
P. Roy, ptre.

certifié conforme à l’original

par Mr P. A. A. Bellemare, ptre,
9 Févr. 1901. curé de Batiscan.

Louis Gatineau était donc marié depuis deux ans lorsqu’il acheta de M. Pierre Boucher, fils, le fief Gatineau d’Yamachiche. En 1723, il n’y résidait pas encore. Ses enfants ont été baptisés à Batiscan, et il est mort à Sainte-Anne de la Pérade.

Le fief de son beau-père, Jean LeMoine, à Batiscan, est ainsi décrit dans le registre de l’intendance, sous le nom de Sainte-Marie :

« Concession du 3 novembre 1672, faite par Jean Talon, intendant au sieur Lemoine, de trois quarts de lieue de terre sur demie lieue de profondeur, à prendre sur le fleuve Saint-Laurent, depuis l’habitation des Jésuites, jusqu’à la rivière Sainte-Anne, supposé que cette quantité y soit. »

Ce fief n’est séparé du village de Sainte-Anne que par la rivière de ce nom. C’est sans doute pour cette raison que Gatineau avait pris résidence à Sainte-Anne.

Son fils Louis-Joseph y résidait encore en 1766. Celui-ci vendit, le 26 mars 1766, le fief Gatineau d’Yamachiche, au sieur Joseph Godefroy de Tonnancour, par contrat passé devant Mtre Pillard, notaire royal des Trois-Rivières, et, dans cet acte, il se dit « demeurant en la rivière et paroisse de Sainte-Anne. » Il vend ce fief à M. de Tonnancour en paiement d’un constitut et des arrérages qui lui sont dus. Il l’avait eu par succession de son père, Louis Gatineau Duplessis. Le premier avait acheté le fief en 1712, et le second l’a vendu en 1766. Il y avait cependant des concessions importantes de faites à la rivière aux Glaises avant cette vente.

Jean-Baptiste Gatineau Duplessis, fils de Nicolas Gatineau, et frère du premier Louis, demeurait à Yamachiche et devait s’occuper du défrichement de l’arrière-fief de la grande rivière dont ils étaient tous les deux propriétaires, chacun pour moitié, comme héritiers de Nicolas Gatineau. Celui-ci a laissé des descendants plus souvent nommés Duplessis que Gatineau.

Après avoir acheté le fief Gatineau, M. Joseph Godefroy de Tonnancour était cinq fois seigneur. En 1781, il rendait foi et hommage à Sa Majesté George IV, au château Saint-Louis de Québec, entre les mains de sir Frederic Haldimand pour cinq fiefs dont il était propriétaire en titre, ceux d’Yamaska, de Gatineau, de Roquetaillade, de LaBadie et de Tonnancour !

Le poids de tant de propriétés devint un fardeau trop lourd pour lui et ses héritiers, en peu d’années. En 1795, les fiefs Gatineau et Tonnancour échappèrent des mains de sa famille de la façon suivante : il existe un contrat de vente en langue « et forme anglaise, en date du 25 octobre 1795, fait par A. Badeaux, écuyer, shérif du district des Trois-Rivières, en faveur du d. Nicolas Montour, écuyer, des fiefs et seigneuries de Tonnancour et Gatineau, saisis et pris en exécution en vertu d’un writ émané de la cour du Banc du Roy, pour le dit district des Trois-Rivières, daté le dix de juin alors dernier, à la poursuite de Robert Grant, assignee de Suzannah Grant, tant en son propre nom comme veuve James Grant, que comme tutrice de ses enfants mineurs, contre les terres et possessions de Thomas Coffin, écuyer « (madame Coffin était une demoiselle de Tonnancour), » et adjugés au dit Nicolas Montour, écuyer, le 12 du dit mois d’octobre 1795, pour la somme de trois mille sept cent quarante livres courant de cette province, etc., etc., etc. »

M. Nicolas Montour avait épousé mademoiselle Geneviève Wills, et le 13 avril 1805, il lui donna et légua par testament la jouissance et l’usufruit de tous les biens meubles, effets immeubles, tant nobles que roturiers, qu’il délaisserait au jour et heure de son décès. Cette seigneurie de Gatineau est restée la propriété de cette famille Montour jusqu’à l’abolition du régime féodal.

En 1830, M. Pierre-Benjamin Dumoulin, avocat, à Trois-Rivières, au nom et comme fondé de la procuration spéciale de cette dame Geneviève Wills, veuve de feu Nicolas Montour, rendit pour elle foi et hommage à Sa Majesté, au château Saint-Louis de Québec, pour les fiefs et seigneuries de Tonnancour et Gatineau, entre les mains de sir James Kempt, gouverneur.