Les bases de l’histoire d’Yamachiche/06

C. O. Beauchemin et Fils (p. 37-43).


CHAPITRE II

DIVISION DU FIEF DE GROSBOIS.


Grosbois-Ouest.


Par le contrat de l’intendant Talon, 3 novembre 1672, M. Boucher restait en possession d’une seigneurie encore en bois debout, de deux lieues de profondeur par une lieue et demie de front sur le lac Saint-Pierre.

Voyons comment il en a disposé. Il n’a pas entrepris d’y faire des défrichements, ayant résolu de ne pas y résider lui-même. Il avait préféré sa seigneurie de Boucherville ; il s’y était établi pour y attirer des habitants non seulement honnêtes, mais aussi religieux et d’une conduite exemplaire. C’est ce qu’il dit lui-même dans les motifs de sa retraite. Après une longue carrière consacrée au service de la colonie, avec honneur et distinction, mais sans autre richesse qu’une nombreuse famille et des terres inhabitées et sans culture, il se retira de la vie publique, voulant s’occuper des intérêts et des soins de ses enfants.

Nous n’avons pas la date précise de cette retraite, mais il était résidant à Boucherville depuis plusieurs années, lorsque, en 1693, il vendit à son fils Lambert Boucher, sieur de Grandpré, major de la ville des Trois-Rivières, la moitié moins sept arpents de front, de son fief de Grosbois. Cette transaction nous semble aussi oubliée dans l’histoire seigneuriale, que la concession du même fief par M. de Lauzon en 1653. Cependant, dans l’acte de foi et hommage rendu au Roi, entre les mains de l’intendant Bégon en 1723, Louis Boucher, sieur de Grandpré, l’un des héritiers de Lambert Boucher, son père, produit comme l’un de ses titres de propriété de la moitié moins sept arpents du fief de Grosbois, « Un contrat passé devant Adhérnar, Notaire à Montréal, le deux juillet, mil six cent quatre-vingt-treize, portant vente par le dit feu sieur Boucher et damoiselle Jeanne Crevier son épouse, au dit feu Lambert Boucher, écuyer, sieur de Grandpré, des dits trois quarts de lieue de terre de front, moins sept arpents sur le lac Saint-Pierre, à prendre à sept arpents au-dessus de la rivière Ouamachiche du côté du sud-ouest, sur deux lieues de profondeur, tenant sur le devant au fleuve Saint-Laurent, d’autre part, au haut des deux lieues de profondeur, aux terres non concédées, d’un côté, au nord-est, aux terres restantes aux dits sieur et damoiselle Boucher, et d’autre part, aux terres non concédées, comme leur appartenant, avec plus grande quantité, suivant le titre de concession de mon dit sieur Talon du dit jour, 3 novembre 1672, etc., etc., etc. »

L’acte du notaire Adhémar contenant cette citation se trouve au complet aux vieilles archives de Montréal.

La connaissance de ce contrat fait disparaître beaucoup de fausses impressions. On croyait que les premières terres concédées dans le fief Grosbois l’avaient été par les seigneurs Le Sieur, convaincu que tout le fief leur avait appartenu avant les premiers défrichements. On ne pouvait ignorer que le Sieur de Grandpré était devenu propriétaire de cette partie de Grosbois qu’on nomme Grosbois-Ouest, mais on ne savait ni quand, ni comment, ni de qui il l’avait acheté.

Ce contrat de vente à Lambert Boucher, sieur de Grandpré, prouve que celui-ci en était seigneur 9 ans plus tôt que les Le Sieur eussent acquis l’autre partie de ce fief, plus souvent nommé Yamachiche que Grosbois-Est. La ligne de division entre ces deux parties de Grosbois, prise à sept arpents au-dessus de la grande rivière Machiche, coupe la petite rivière au village actuel et se prolonge en ligne droite vers le nord (passant entre la terre de feu M. Odilon Bellemare et celle de M. Moïse Bellemare), allant aboutir au haut des terres de la grande Acadie, où commence le fief Dumontier.

Le bas de la petite rivière se trouvait ainsi dans Grosbois-Ouest, propriété du seigneur de Grandpré depuis 1693. C’est pourquoi, dans de vieux actes, on appelle cette section du fief Grosbois, seigneurie de la petite rivière Ouabmachiche, seigneurie de Saint-Lambert ou de Grandpré, de même qu’on appelait l’autre moitié, seigneurie de la grande rivière d’Ouabmachiche, ou de Grosbois. Quand cette ligne de division fut tirée, Yamachiche n’était qu’une forêt sans habitants, et, dans le dernier cadastre seigneurial de 1854, elle sert encore de démarcation entre Grosbois-Est et Grosbois-Ouest.

En 1695, Lambert Boucher, major de la ville des Trois-Rivières, obtint de MM. de Frontenac et de Champigny, gouverneur et intendant de la Nouvelle-France, la concession de toutes les terres alors non concédées entre le fief de la Rivière-du-Loup et le fief Grosbois, une lieue de front sur trois lieues de profondeur, en tous droits de fief, sous le nom de Seigneurie de Grandpré. Cet acte fut confirmé par le Roi en 1696. Cependant dans le contrat de vente et cession de la moitié moins sept arpents du fief Grosbois, à lui faites en 1693, Lambert Boucher était déjà qualifié du titre de « Sieur de Grandpré, » ce qui permet de croire qu’il avait eu promesse par billet de cette concession avant 1693.

Les concessions seigneuriales se faisaient alors souvent par billets ou lettres devant être plus tard ratifiées, après les arpentages.

Les seigneurs concédaient aussi par billets d’occupation pour la même raison. Ces billets avaient une valeur légale, tout comme les contrats, puisqu’on voit dans les jugements du Conseil supérieur que les habitants étaient condamnés à produire, sur demande du Seigneur, leurs contrats ou billets de concession sous peine de perdre leur droit de propriété.

Tous les fiefs voisins avaient chacun une rivière débouchant dans le lac Saint-Pierre. Le fief de Tonnancour avait la rivière aux Loutres, à la Pointe-du-Lac, le fief Gatineau, la rivière aux Glaises ; celui de la Rivière-du-Loup portait le nom de sa rivière ; le fief Grosbois en avait deux, la grande et la petite rivière Machiche. En adjoignant à Grandpré la moitié moins sept arpents du fief Grosbois on donnait à ce fief le bas de la petite rivière laissant la grande rivière à l’autre moitié de Grosbois. Tel paraît avoir été le motif de M. de Boucherville lorsqu’il mit son fils Lambert en possession de la partie ouest de son fief de Grosbois.

En effet, les premiers colons se groupaient, autant que possible, aussi près de l’embouchure des rivières que le permettait l’élévation ou la nature du terrain. C’est aussi ce que firent les premiers tenanciers de M. de Grandpré sur la petite rivière d’Yamachiche.

Cette portion de Grosbois, ou Grosbois-Ouest, fut vendue à M. Conrad Gugy en 1764, en même temps que la seigneurie de Grandpré. Nous dirons comment cette transaction s’est faite dans l’article sur les seigneurs Gugy. Ces biens étaient encore entre les mains de ses héritiers quand le régime féodal fut aboli par la loi de 1854.