Les aveugles, par un aveugle, par Maurice de la Sizeranne

H. D. attribué par Persée à
Les aveugles, par un aveugle, par Maurice de la Sizeranne
Revue pédagogique, premier semestre 1889 (p. 274).

Les aveugles, par un aveugle, par Maurice de la Sizeranne, avec une préface de M. d’Haussonville, de l’Académie française. Un volume in-12, Hachette, 1889. — L’originalité du livre de M. Maurice de la Sizeranne consiste dans ce fait que c’est un aveugle qui nous raconte les aveugles, nous introduit dans des ménages d’aveugles, nous les fait connaître sous leurs divers aspects. Point d’hypothèses, pas de conjectures, des faits réels, sûrs et positifs ; la nature parlant elle-même, sans traducteur ni interprète.

Vous vous attendez à un livre sombre, empreint de tristesse et de mélancolie : erreur. Le livre respire le calme, la sérénité de l’âme, la bonne humeur. Le trait spirituel et fin n’y est pas rare ; pas plus que l’allusion littéraire et l’ingénieuse réminiscence. L’auteur serait envié de plus d’un voyant pour son art de causer, de raisonner et de conclure.

Cette conclusion, dont chaque page du livre fournit un élément, c’est que l’aveugle n’est pas autant qu’on se le figure un membre à part de la commune famille, une victime condamnée au rôle passif, à l’absolue dépendance, objet d’une pitié impuissante. L’auteur revendique pour lui une large part d’activité, d’initiative ; il le veut et il le montre à sa place dans la ruche humaine, aux postes divers que lui assigne la nature secondée par l’éducation. N’a-t-il pas en partage une somme de facultés égales à celles des autres hommes ? Au physique, le sens qui lui manque est suppléé dans une large mesure par l’énergie plus grande communiquée aux autres sens. Au moral, même intelligence, conscience identique.

Cette vérité se fonde dans le livre de M. de la Sizeranne sur des preuves dont aucune n’est plus forte que le livre lui-même. Œuvre d’une âme élevée et fière, il se fait lire, il se fait aimer. Il ravive des sympathies pour toute une classe de nos semblables, il sert leur cause, il favorise un mouvement de justice et de sympathie bien entendues. « Ce n’est pas seulement un bon livre, c’est encore une bonne action », affirme M. d’Haussonville au début de sa préface ; nous adhérons de tout cour à ce jugement.

H. D.