Les asiles d’aliénés de la province de Québec et leurs détracteurs/1

NOS ASILES D’ALIÉNÉS


Nos excellents asiles d’aliénés de Beauport et de la Longue Pointe sont, depuis quelques mois, le but d’attaques aussi injustes que violentes : il n’y a guère à s’étonner de cela, car presque partout les institutions publiques sont périodiquement l’objet de ces sortes de critiques, le plus souvent dictées par la malveillance. Aux causes communes qui soumettent les établissements de ce genre à ces tracasseries, allant parfois jusqu’à la persécution, s’ajoute, dans la Province de Québec, un animus particulier produit par les antipathies de race et par le fanatisme d’une certaine catégorie de sectaires.

Pour montrer que nos asiles ne sont pas les seuls qui soient exposés aux traits de la calomnie, je me contenterai de reproduire quelques passages des écrits d’aliénistes américains sur ce sujet, après quoi, afin de faire voir de quelles odieuses machinations peuvent être victimes les administrations des établissements de la Province de Québec en particulier, je citerai un cas qui s’est produit, à l’époque où j’étais un des inspecteurs des institutions publiques de l’ancienne province du Haut et du Bas Canada réunis.

M. le Dr Gale, surintendant du Central Kentucky Lunatic Asylum, sorti victorieux d’une lutte de cette espèce, au cours de laquelle on l’avait accusé de cruauté et d’impéritie, disait, dans son rapport annuel de 1882 : — "The troubles here are but a repetition of those had by almost every institution in this country and Europe. Such asylums as have had none are exceedingly fortunate, and are the exceptions to the rule."

M. le Dr Everts, traitant la même question devant l’association des Surintendants des asiles des États-Unis (voir le numéro d’octobre 1881, de l’American Journal of Insanity), dit, entre autres choses : — "To accuse managing boards of dishonesty, and medical superintendents and subordinates of incompetency, or criminal neglect of duty and abuse of authority, towards helpless prisoners is a common feature of public scandal… …Born agitators and professional reformers, who live and move upon the borderland of insanity, who are ever intent upon turning this world upside down, and having things done some other way no matter what the present way be — have appropriated all such suspicion, imputation, accusation and scandal as valuable contribution to their magazine of munitions, to be used in a general crusade against whatever appears to be established. Professed neurologists and flippant neurospasts of the medical profession, arrogating to themselves all knowledge of psychology and psychiatry, have by sneers, innuendo and direct assaults upon the character and qualification of medical officers serving in American hospitals for the insane, done what they could do toward the disparagement of hospital reputation. Hungry politicians of a low order have in notable instances, unscrupulously manufactured and promulgated accusations and reports as testimony against incumbents of hospital places, calculated to disquiet and abuse the public mind respecting the management of those great charities. Foreign hospitals and their methods have been extolled and contrasted as in every respect superior to our own."

M. le Dr Workman, qui a longtemps occupé la situation de surintendant de l’asile de Toronto, dans un article sur le sujet (numéro de Juillet 1881 de l’American Journal of Insanity) disait : — "The pernicious accusations here complained of, rarely, if ever, have their origin among the uneducated portion of the population. They are trumped up by persons professing more intelligence than moral honesty, and they are cherished into pestilant vigor by those who have had but too much education."

Dans un de ses rapports, M. le Dr Rogers de l’asile de l’État d’Indiana, dit : — "Institutions have been assailed in this manner often before, and the results always have been, and always will be, direful, as far at least as regards the general effect on those most interested — the immediate friends of the insane."

Je vais maintenant citer le cas de la Prison de Réforme de l’Île-aux-Noix (1861), pour donner une idée de ce que peuvent faire les préjugés nationaux et religieux, de ce que produit souvent ici la haine qui en découle, quand il s’agit de l’administration des établissements publics de la Province de Québec.

La Prison de Réforme du Bas-Canada, localisée d’abord à l’Île-aux-Noix, fut établie en Octobre 1858. Le premier Préfet de cette institution, un anglais protestant, ne rencontra point d’opposition dans la prise de possession de ses fonctions, bien qu’il ne fut pas un ami de la majorité de notre section de la province, bien qu’il n’appartint pas au Bas-Canada : il eut au contraire, ses coudées franches et ruina si parfaitement cet établissement qu’à la suite d’une enquête juridique, qui fut suscitée par des faits patents et non par des criailleries, il fut démis de ses fonctions, en mai 1860. M. le docteur Nelson fut nommé Préfet par intérim, et à la fin de l’année 1860. M. F. X. Prieur fut appelé à prendre la direction de l’institution. Dès qu’on apprit la nouvelle de cette nomination, avant même l’entrée en fonction du nouveau préfet, on se mit à l’attaquer publiquement et à ourdir contre lui des trames, au sein de la prison même et au dehors. La première semaine du séjour de M. Prieur à l’Île-aux-Noix n’était point terminée qu’une révolte éclata parmi les prisonniers protestants et de langue anglaise, révolte que le nouveau préfet maîtrisa au péril de sa vie. Un mois plus tard, un second soulèvement eut lieu à la suite duquel M. Prieur fit punir sévèrement quatre des principaux conspirateurs, parmi les condamnés, et démit un des employés de l’institution, le maître d’hôtel, pour participation dans ces complots. Ces deux révoltes, suivies de ces punitions et de cette démission méritées, qui toutes inévitablement s’étaient exercées sur des protestants et des individus de langue anglaise, furent le signal d’un tollé général contre M. Prieur, de la part d’une notable partie de la presse anglaise du pays.

Dans ces circonstances, nous avons toujours eu le malheur de compter des nôtres parmi les insulteurs et les persécuteurs : cette fois, ce fut le juge Mondelet qui joua ce rôle odieux. Aux assises criminelles de Mars 1861, ce zélateur des mauvaises causes, dans une adresse faite aux Grands Jurés, fit une charge à fond contre l’administration de M. Prieur, et pour conclusion de ses remarques, dit de la Réforme de l’Île-aux-Noix : — « On ne devrait pas laisser un seul instant subsister un état de choses semblable à celui qui s’y voit. » Il faut noter que ce magistrat n’avait rien vu autre chose que les mensonges et les calomnies de certains journaux et de leurs correspondants.

On accusait M. Prieur d’incapacité, de tyrannie, d’injustice et surtout d’une partialité révoltante exercée contre les protestants, contre les officiers et les détenus d’origine britannique, à l’avantage des catholiques et des Canadiens-français. Le principal fabricateur de ces calomnies écrivait dans le Commercial Advertiser, de Montréal, et, avec cette hypocrisie pharisaïque qui caractérise le genre, il signait "Justice." 

Le Bureau des Inspecteurs des établissements publics, alors composé de cinq membres, dont trois étaient protestants et un seul Canadien-français, fut chargé de faire une enquête. On donna avis aux gens du Commercial Advertiser, en invitant les accusateurs à formuler leurs plaintes et à produire leurs témoins ; sommation à laquelle on ne fit aucune réponse. L’enquête eut lieu et ne fut close qu’après avoir mis le tout au clair : la décision du Bureau des Inspecteurs fut rendue à l’unanimité de tous ses membres, parmi lesquels il ne s’éleva ni le moindre doute, ni la moindre hésitation. Voici les trois principaux paragraphes du rapport, dont les motivés défient toute critique :

« Le Bureau est encore d’avis que cet esprit de malaise et de révolte, né des causes assignées ci-dessus, a été fomenté et excité par certains officiers de l’institution qui s’étaient pris d’inimitié contre M. Prieur, personnellement, avant son arrivée à l’Île-aux-Noix, à cause de sa nationalité et de sa religion. Ces officiers, ainsi prévenus contre le préfet, ont essayé par leurs discours et leur conduite, à exciter contre le préfet, les préjugés nationaux et religieux d’une partie des prisonniers. La preuve démontre qu’ils ont eu un trop malheureux succès et que beaucoup des prisonniers, d’origine britannique et de croyance protestante, ne voyaient le préfet qu’avec un œil de haine et de mépris, parcequ’il était Canadien-français et Catholique.

… « Le Bureau est encore d’opinion que la sévérité opportune du préfet était absolument nécessaire et qu’elle a eu un effet admirable sur la discipline de l’institution, laquelle est aujourd’hui dans un meilleur état et dans des conditions supérieures à celles qu’on a pu observer, à aucune époque de son existence.

« Le Bureau, pour terminer, déclare, à l’unanimité de ses membres, qu’il n’y a aucune espèce de vérité dans les accusations de sévérité, outrée et d’injustice proférées contre le préfet actuel de la prison de réforme du Bas-Canada : que, bien au contraire, M. Prieur s’est acquitté de ses devoirs, dans des circonstances singulièrement difficiles, avec conscience, diligence, impartialité et humanité, et qu’il est, par son intelligence, sa bonté et sa fermeté admirablement propre à remplir les fonctions laborieuses et importantes qui lui sont confiées. »

J’ai tenu à raconter cette histoire, parcequ’elle est caractéristique de la manière dont sont souvent traitées les administrations qui ont à leur tête des Canadiens-Français, à la moindre machination qu’il plait à quelqu’intriguant d’ourdir : cela s’est vu cent fois et cela se voit encore aujourd’hui.

On peut diviser en quatre chapitres les élucubrations qu’on a récemment publiées contre nos asiles d’aliénés de la Province de Québec : 1o. Le chapitre des diatribes, 2o Le chapitre de la discipline intérieure, 3o Le chapitre du mode de maintien des asiles, 4o Le chapitre de l’internement des aliénés.