Les anciens livres scolaires

Anonyme, avec lettre de
Les anciens livres scolaires
Revue pédagogique, second semestre 1882n. s. 1 (p. 37-39).


LES ANCIENS LIVRES SCOLAIRES



C’est une question fort controversée que celle du nombre, de l’organisation, de la valeur pédagogique des anciennes écoles.

Les documents officiels manquent ou sont fort rares ; les programmes le sont encore plus.

N’est-il pas vrai qu’à défaut du reste, si l’on possédait une quantité suffisante des livres, des méthodes, du matériel scolaire qui était en usage dans ces écoles, on pourrait en tirer d’intéressantes conclusions sur l’esprit, sur la direction, sur les limites de l’enseignement que les enfants y pouvaient recevoir, et au moins jusqu’à un certain point faire revivre, dans leur vérité et leur réalité indiscutables, ces institutions disparues ?

Voici, par exemple, une lettre qui a été transmise au Musée pédagogique par M. le ministre de l’instruction publique. Elle émane d’un honorable notaire des Basses-Alpes, et elle accompagnait l’envoi de deux exemplaires d’un livre d’école, autrefois, paraît-il, fort répandu dans la contrée, et que l’on appelle le Livre de l’Oiseau.

Barcelonnette, 18 janvier 1880.


Monsieur le Ministre,

Veuillez bien excuser la liberté grande que je prends de vous offrir deux pièces que l’on pourrait appeler archéologiques, quoiqu’elles ne soient pas bien anciennes.

Depuis une dizaine d’années que je suis notaire, il m’est arrivé souvent que, faisant signer des personnes d’un certain âge, elles s’excusaient de signer si péniblement et si mal, en me disant : « Ah ! que voulez-vous ! je n’ai appris qu’au Livre de l’Oiseau. »

Je m’étais fait expliquer cette réponse, et toutes me disaient que, de leur temps, le seul livre qu’on eût dans les écoles primaires était le Livre de l’Oiseau. Jusqu’en 1835 ou 1840, il en était encore ainsi dans l’arrondissement de Barcelonnette.

Malgré mes recherches, je n’avais pu découvrir ce rara avis, lorsque, ces jours-ci, j’eus la bonne fortune d’en trouver deux exemplaires. L’un porte la date de 1815 ; l’autre, plus récent, à en juger par les caractères, ne porte pas de date.

J’ai pensé qu’au milieu des nobles efforts que vous faites pour développer, affranchir, laïciser l’instruction en France, il vous serait agréable de voir un spécimen de l’outillage de l’instruction primaire de nos ancêtres, et je me suis permis de vous les envoyer.

Veuillez agréer, etc,

F. Arnaud
Président de la commission cantonale de l’instruction primaire
pour le canton de Barcelonnette.

Image d'un oiseau dans un cadreLes deux exemplaires envoyés par M. Arnaud sont deux in-32 de 16 pages. Ils portent l’un et l’autre sur la première et la dernière page, qui forment couverture, l’image de l’Oiseau, d’où ils tirent leur nom ; nous avons fait reproduire en fac-similé l’un de ces oiseaux ; celui de l’autre exemplaire n’est pas absolument semblable. L’ouvrage est intitulé : Alphabet français ou Instruction de la jeunesse ; l’exemplaire de 1815 porte le nom d’un imprimeur-libraire d’Avignon ; l’autre, celui de deux imprimeurs d’Orange et de Nîmes. Tous deux contiennent l’alphabet, les consonnes mises devant les voyelles : ba, be, bi, bo, bu, etc., les principales prières catholiques en français, les huit béatitudes évangéliques, une invocation du saint nom de Jésus et les commandements de Dieu et de l’Église. Dans celui de 1815, il y a une page de syllabes qui manque à l’autre et qu’on a bien fait, effectivement, d’en ôter ; on y peut lire, par exemple, ces barbares assemblages de lettres :

xat, xet, xit, xot, xut :
zas, zes, zis, zos, zus.

Nous engageons nos lecteurs à faire chacun de leur côté les mêmes recherches qu’a faites M. Arnaud. Il doit évidemment se trouver encore dans les mairies, dans les greniers ou dans les armoires des maisons et des fermes, peut-être sur quelque rayon oublié des librairies tant soit peu anciennes, plusieurs de ces vieux livres scolaires, syllabaires, méthodes de calcul, d’histoire, de géographie, de grammaire, etc. Qu’ils veuillent bien adresser ces livres au Musée pédagogique : tel d’entre eux pourra peut-être nous éclairer plus exactement sur le régime des écoles, antérieurement à notre temps, que n’ont pu le faire jusqu’ici des conjectures plus ou moins fondées sur des données d’état civil qui n’ont jamais prouvé grand’chose et sur des documents statistiques d’où chacun conclut à sa façon.