Les anciens couvents de Lyon/14.1. Saint Bruno

LES CHARTREUX


LA CHARTREUSE DU LYS-SAINT-ESPRIT
I
vie de saint bruno


L’ORDRE des Chartreux qui, depuis huit siècles, fait la joie de l’Église, a eu pour berceau le désert de la Chartreuse, près Grenoble, et pour fondateur le glorieux patriarche saint Bruno.

Saint Bruno naquit à Cologne, vers l’an 1035. Ses parents étaient nobles ; on croit qu’ils descendaient d’illustres ancêtres, la famille d’Harrefast, issue des patrices romains, établis par Trajan, sur la fin du premier siècle. Il était doux, studieux, déjà grave, et même un peu austère. Son intelligence était si vive, il s’appliquait à l’étude avec tant d’ardeur, qu’on songea bientôt à lui donner d’excellents maîtres. Il y avait alors, à Reims, une école célèbre, où se pressaient en foule des disciples désireux d’apprendre. Un maître alors fameux, le docteur Hérimann, captivait autour de sa chaire, par la supériorité de son enseignement, ces jeunes intelligences.

Bruno n’avait que vingt et un ans quand son maître Hérimann se retira. Malgré sa jeunesse, il s’était déjà fait une large place dans le savoir humain. Aussi l’archevêque de Reims, Gervais de Château du Loir, l’appela-t-il, et en cela il céda au vœu de tous, à recueillir l’héritage professoral du pieux docteur Hérimann. C’était avoir la main heureuse : la célèbre école de Reims ne fit que grandir en gloire, et, de toutes parts, accouraient des disciples qui, formés sous cette habile direction, devaient en grand nombre plus tard se rendre illustres à leur tour ; je ne cite que Hugues de Châteauneuf, qui devait devenir évêque de Grenoble, et Odon de Lagery, qui devait devenir le grand Pape Urbain II. Nous les retrouverons tous les deux : lorsque Dieu veut faire un homme qui doit exercer une grande action à travers les hommes, dès longtemps il dispose et prépare les voies.

C’est à ce moment de sa vie que l’illustre écolâtre de Reims conquiert les plus beaux titres de gloire, en produisant deux œuvres magistrales, l’Exposition des Psaumes et le Commentaire des Épîtres de saint Paul. Rien de plus solide ni de plus lumineux, rien de plus concis ni de plus clair.

Mais voici que la vie de saint Bruno va changer : le vénérable archevêque Gervais vient à mourir, et un parent du roi de France, Manassès de Gournay, monte sur le siège de saint Remy. Homme de cour et homme de guerre, il n’a d’épiscopal que le titre ; ses désordres et ses scandales deviennent si notoires qu’il est déposé et interdit par un concile de Lyon. Cette sentence fut confirmée par Rome, et Manassès porta à Henri IV d’Allemagne tous les trésors de haine que son cœur avait accumulés contre le souverain Pontife Grégoire VIL

Bruno, qui était alors chancelier archiépiscopal, fut une des premières victimes des fureurs de Manassès ; mais avec quelques compagnons, il s’enfuit chez le comte Ebol de Roncy, qui lui offrit l’hospitalité de sa forteresse. Il resta quatre ans dans cet asile protecteur, et c’est là qu’après de longues méditations devant Dieu, l’idée lui vint de renoncer au monde. Il différa quelque temps encore d’ exécuter son dessein, car la vocation religieuse n’est pas l’affaire d’un jour ; l’œuvre voulue par Dieu n’était cependant pas loin.

Sur le conseil de saint Robert de Molesmes, le futur fondateur des Cisterciens, Bruno part demandera Hugues de Châteauneuf, alors évêque de Grenoble et son ancien élève, son paternel concours à la réalisation des projets qu’il caresse. Six compagnons le suivent : Maître Landuin, qui devait succéder à Bruno comme prieur de la Chartreuse ; Étienne de Bourg et Étienne de Die, tous deux anciens chanoines réguliers de Saint-Ruf ; un prêtre nommé Hugues, et surnommé Le Chapelain, paixe que, seul d’entre eux, il avait le caractère sacerdotal ; enfin deux laïques, André et Guarin.

Hugues de Châteauneuf était un grand évêque et un saint. À vingt-sept ans, il ceignait la mitre épiscopale et Grégoire VII le sacrait de sa main. Et voici qu’une nuit il eut un songe : il vit sept étoiles radieuses qui le précédaient dans un désert, et dans le désert un temple s’élevait. Le lendemain, Bruno et ses compagnons, les sept étoiles de ce songe mystérieux ; se présentaient devant lui. Si jamais vous allez à Grenoble, visitez l’église de Saint-Hugues, juxtaposée à la Cathédrale, vous y verrez un ancien vitrail qui représente cette sainte entrevue, et vous lirez sur les traits des personnages toute la charité, toute la tendresse, qui animaient ces saints.

Le saint évêque conduisit lui-même ses hôtes religieux dans ce désert que Dieu lui avait-désigné, le désert de la Chartreuse, qui donna son nom à cet ordre naissant. Dans cette solitude, les nouveaux religieux commencèrent à mener cette vie angélique de contemplation, de travail, de prière, dont l’austérité rappela celle des thébaïdes, et dont le renom attira bientôt des disciples nombreux.

Depuis cinq années, saint Bruno était enseveli dans son désert, quand il se passa dans le monde chrétien un événement considérable, qui eut un lointain contre-coup jusque dans la solitude monastique de la Chartreuse : Urbain II, l’ancien élève de l’écolâtre de Reims, montait sur le trône pontifical ; il voulait avoir près de lui son ancien maître pour s’aider de ses conseils. Bruno dut quitter sa solitude et partir pour Rome, où il fut, pendant trois ans, la lumière d’Urbain et son conseiller le plus intime. Enfin, en 1092, après avoir obstinément refusé le siège métropolitain de Reggio, il obtint la permission de se retirer, non pas en France, mais en Calabre, où il fonda une nouvelle Chartreuse, à la Torre, près de Squillace. Il passa sept années dans le monastère, et le 6 octobre 1101, à l’âge de 66 ans, il rendit sa belle âme à Dieu.

Cette mort fut un deuil pour l’Église, et Pascal II, qui avait succédé à Urbain II, pleura le grand homme et chanta sa gloire. Léon X et Grégoire XV renouvelèrent ces pompeux éloges. Enfin, en 1674, Clément X inscrivit le célèbre fondateur des Chartreux au catalogue des Saints.