Les anciens couvents de Lyon/04. Grands-Augustins

Emmanuel Vitte (p. 71-84).

LES GRANDS AUGUSTINS



L’ORDRE des Augustins est un de ceux dont l’origine est le plus difficile à établir. Aussi cette question a-t-elle soulevé de nombreux débats : les uns prétendent que le grand docteur d’Hippone, saint Augustin, fut leur fondateur ; les autres assurent que rien n’est moins prouvé. Cependant, sans faire une étude de critique que ce modeste travail ne comporte pas, il nous semble bien difficile de ne pas reconnaître saint Augustin comme fondateur d’un ordre monastique. Voici, en effet, ce qu’il dit dans sa quatre-vingt-neuvième épître aux Pélagiens : « J’ai été, moi qui vous écris, touché de l’amour de cette perfection, que Jésus-Christ conseillait à ce jeune homme riche, à qui il dit : Allez, vendez ce que vous avez et donnez-en tout le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et me suivez ; et ce n’est pas par ma propre force que j’ai exécuté ce conseil, mais par la grâce de Dieu. Quoique je ne sois pas riche, Dieu ne m’en tiendra pas moins de compte, car les apôtres, dont j’ai suivi l’exemple, n’étaient pas plus riches que moi. Celui-là quitte tout en quittant ce qu’il a et ce qu’il pourrait désirer avoir. J’exhorte les autres, autant que je le puis, à faire la même chose ; et par la miséricorde de Dieu, j’ai des compagnons de ce genre de vie, à qui je l’ai inspiré par mon ministère. » « Vous savez, dit-il encore aux habitants d’Hippone dans un de ses sermons, que, venu jeune dans votre ville, je cherchais où je pourrais établir un monastère, afin de vivre avec mes frères, et que le vieillard Valère, me voyant dans cette pensée, nous donna le jardin dans lequel est maintenant le monastère. » Ces passages ne sont-ils pas aussi clairs que possible ? Ces monastères allèrent se multipliant, car Possidius dit que saint Augustin laissa en mourant plusieurs monastères d’hommes et de femmes. Plusieurs disciples de saint Augustin devinrent évêques et fondèrent à leur tour des monastères sur le modèle de celui qu’ils quittèrent. La vie conventuelle se multiplia. L’invasion des Vandales dispersa ces religieux qui allèrent ailleurs fonder d’autres maisons.

L’ordre des Augustins se divise en deux grandes familles : les chanoines réguliers de Saint-Augustin et les ermites de Saint-Augustin ; les uns et les autres prétendent être les fils spirituels de l’évêque d’Hippone : les plus grands savants n’ont pu résoudre la question. Il s’agit ici des ermites de Saint-Augustin, qu’on appela à Lyon les Grands-Augustins, quand les Augustins réformés ou Petits-Pères vinrent, en 1624, s’établir en notre ville.

Ces ermites se rassemblaient en communautés séparées, distinctes, indépendantes, sans règles générales, sans uniformité de costume ; bientôt ils formèrent diverses congrégations très nombreuses. Mais en 1256, quand le pape Alexandre IV fut monté sur le trône pontifical, cette variété disparate prit fin ; une assemblée générale des supérieurs des diverses congrégations fut convoquée à Rome pour établir l’unité et élire un supérieur général. Un Milanais, Lanfranc Septala, déjà supérieur de la congrégation dite des Jean-Bonites, fut élevé à cette dignité. L’ordre fut divisé en quatre provinces : France, Allemagne, Espagne et Italie. Le pape leur prescrivit un habit qui devait les distinguer des frères Mineurs, et voulut que leur coule fût noire ; il les délivra de l’obligation que leur avait imposée un de ses prédécesseurs, de porter toujours à la main un bâton haut de cinq palmes et terminé à l’extrémité supérieure en manière de béquille.

religieux augustin

Ce ne fut qu’en 1287 que les constitutions de l’ordre furent définitivement établies, et approuvées en 1290. Les Chapitres généraux doivent se tenir tous les six ans ; si les vocaux le jugent à propos, ils y peuvent obliger le général à déposer les sceaux de l’ordre, et ils sont toujours en droit d’élire un nouveau général. Les religieux ne doivent porter que des chemises de laine, et ne coucher que dans des linceuls de laine. Ils font maigre tous les mercredis, et jeûnent tous les vendredis. Aux jeûnes de l’Église ils doivent ajouter ceux de certaines vigiles, ceux du lundi et mardi après la Quinquagésime, et un autre jeûne, qu’on pourrait appeler un second Carême, qui s étend de la fête de tous les Saints jusqu’à Noël. L’ordre prospéra tellement qu’il arriva à être divisé en quarante-deux provinces, et à compter deux mille monastères et trente mille religieux. Un des privilèges des ermites de Saint-Augustin est celui paf lequel le sacriste de la chapelle dû pape est toujours choisi parmi ces religieux. Dans la suite, cet ordre se subdivisa en plusieurs réformes, et si l’une d’elles, celle de Saxe, eut la triste fortune de produire Martin Luther, en revanche les autres donnèrent de grands saints à l’Église : Thomas de Villeneuve, Jean de Saint-Facondez, Nicolas de Tolentin, et des hommes remarquables en grand nombre, parmi lesquels se distinguent Onuphre Panvini, Christia Lupus et le cardinal Henri Noris, qui fut bibliothécaire du Vatican.

L’habillement de ces religieux consiste en une robe et un scapulaire blancs quand ils sont dans la maison ; au chœur et quand ils sortent, ils mettent une espèce de coule noire et par-dessus un grand capuce, se terminant en rond par-devant et en-pointe par derrière, jusqu’à la ceinture, qui est de cuir noir.

Ce sont ces moines qui vinrent s’établir à Lyon. Mais à quelle époque ? Il serait téméraire de fixer une date. Certains auteurs disent que ce fut autour de l’an 1000, pendant que Burchard était archevêque : des Augustins se seraient fixés d’abord à Villeurbanne, puis à la Guillotière. Mais cette opinion ne peut guère se soutenir, puisque, d’après l’historique qui précède, les Augustins, autour de l’an 1000, n’étaient pas constitués en ordre, comme ceux que nous allons étudier. Ce n’est que dans la seconde moitié du treizième siècle, ou au commencement du quatorzième, que les Augustins vinrent à Lyon. L’année exacte ne peut être fixée, et voici pourquoi : Le 12 mai 1319, les Augustins passèrent un acte avec le Chapitre de Saint-Jean. Cet acte devrait faire cesser toute incertitude, s’il portait en entier le nom de l’archevêque qui donna aux religieux mansionem, oratorium et coemeterium, une demeure, une chapelle et un cimetière. Malheureusement cet archevêque n’est désigné dans l’acte que par la première lettre de son nom, P. de Sabaudiâ, P. de Savoie. Or, à un demi-siècle de distance, il y eut Philippe de Savoie en 1246, et Pierre de Savoie en 1308. Voici le texte : Cùm olim R. in Christo P. de Sabaudiâ, etc. Cet olim semble parler d’un temps lointain, il est de nature à faire pencher en faveur de Philippe ; mais d’autre part, au temps de Philippe de Savoie, les Carmes n’existaient pas à Lyon, et les Augustins ne sont venus qu’après les Carmes ; donc tout nous fait conclure à Pierre de Savoie. Donc les Augustins ne sont venus qu’au commencement du quatorzième siècle, sur le territoire de Chenevières, au bourg de Saint-Vincent. C’était un endroit situé en dehors de la ville, par delà les fossés et la porte de la Lanterne ; un grand canal, qui allait du Rhône à la Saône, traversait les terrains occupés aujourd’hui parle Grand-Théâtre, l’hôtel de ville, la place des Terreaux, se terminait à la Feuillée et limitait la ville de ce côté-là ; ce ne fut qu’en 1628 qu’on ouvrit à travers l’enclos du monastère les rues de Saint-Augustin et de Sainte-Monique, dont les dénominations s’expliquent d’elles-mêmes. Dans ce quartier, les seigneurs de Beaujeu possédaient de grandes propriétés seigneuriales ; ils complétèrent les libéralités de l’archevêque en cédant aux religieux Augustins un emplacement considérable ; leur hôtel même, l’almanach de 1755 dit leur palais, fut aménagé pour en faire un monastère.

Ce ne fut pas sans opposition que les Augustins s’établirent sur ce territoire de Chenevières ; le couvent des Carmes était voisin, et ceux-ci ne virent pas arriver ceux-là avec plaisir. Il est triste de constater ces rivalités religieuses, mais les faiblesses de l’esprit humain se retrouvent partout. Les Carmes prétendirent qu’on ne pouvait bâtir qu’à cent quarante cannes de leur couvent. Le différend dura de longues années, il ne fut terminé qu’en 1343 ou 1345 — je trouve ces deux dates — par une transaction passée à Avignon. Les Augustins durent payer trois cents florins d’or de bon poids. Ils purent dès lors achever et agrandir leur local, avec cette réserve cependant que ce ne serait pas du côté des Carmes. Ils achetèrent dans ce but la vigne de Saint-Hippolyte, dont ils vendirent plus tard une partie à des particuliers, qui y construisirent des maisons.

La première église de cette communauté fut une chapelle de Saint-Michel, que lui céda la ville. En 1454, on bâtit une église, mais elle était petite et insuffisante ; on éleva, grâce à la munificence de Mgr François de Rohan et aux libéralités du Chapitre de Saint-Jean, une seconde église en 1506. Cette seconde église avait un caractère spécial : outre que plusieurs familles illustres y avaient leur lieu de sépulture, comme les Bonvisi, les Guinigi, les Samminiati, les de la Pape, les Gros, elle était le centre d’un grand nombre de confréries d’arts et métiers ; les marchands de blé, les poissonniers, les pelletiers, les orfèvres, les crocheteurs, les gantiers, les serruriers, y avaient leur chapelle et y célébraient leurs fêtes. Au nombre de ces différentes chapelles se trouvait Notre-Dame de Consolance, qui rappelle la Consolata de Turin, et dont on pourrait ressusciterle souvenir.

Cette église passa par les épreuves du feu et de l’eau : le 8 juillet 1596, la foudre tomba sur le clocher et entra dans l’église, et le 28 septembre 1602, la Saône ayant débordé, ce elle entra dans l’église jusqu’au premier degré des deux qui sont dessous la lampe qui est devant le grand autel. Les tombeaux et caveaux s’enfoncèrent dedans terre. »

En 1755, cette seconde église, mal construite, tombait de vétusté ; elle fut démolie, et l’on démolit en même temps l’église du bourg Saint-Vincent. Cette dernière avait été bâtie au douzième siècle et détruite par les calvinistes en 1562. Le Chapitre de Saint-Paul l’avait fait reconstruire à ses frais ; mais comme elle était située dans un quartier excessivement malpropre, on la rasa et on vendit l’emplacement pour consacrer le prix de cette vente à l’édification d’une nouvelle église qui allait être élevée sous le patronage de saint Louis. Pendant ce temps, les religieux ouvrirent une grande chapelle au bout de la première allée de leur cloître. Cette église est celle qui existe encore. La première pierre y fut posée en 1759, au nom du Dauphin, fils de Louis XV, par M. de Montjouvent, doyen des chanoines-comtes de Lyon. Elle fut consacrée en 1789, à la veille de la Révolution, qui allait vider les monastères et les églises.

Les Augustins jouèrent un rôle important dans l’Église de Lyon, les deux faits suivants en sont les preuves : c’est parmi les Augustins que l’archevêque François de Rohan choisit un suffragant (nous disons aujourd’hui un auxiliaire), et son choix tomba sur Guichard de Lessart, Lyonnais de naissance et évêque d’Hiéropolis ; c’est dans le couvent des Augustins que se tint le concile national de 1512, à l’époque des démêlés de Louis XII et de Jules II. Louis XII avait des prétentions sur Milan et sur Naples ; après des fortunes diverses, Louis XII se trouva un jour allié à Jules II contre Venise, la seule amie qui nous restât en Italie. Après avoir arraché aux Vénitiens certains avantages, Jules II se retira de l’alliance ; de là l’irritation

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de Louis XII, qui transporta à Lyon, malgré les remontrances du clergé et du consulat, l’assemblée des prélats convoquée à Milan. Les officiers du roi jugèrent que le couvent des Augustins était le lieu le plus convenable pour cette réunion. La ville fit tapisser et parqueter à ses frais le réfectoire des religieux ; on fit, en outre, ouvrir une grande porte sur les fossés de la Lanterne pour procurer une entrée commode à la salle d’assemblée. Quel fut le résultat du concile ? La haine du roi et du pape s’envenima, et Jules II mit le royaume en interdit. Du moins les Augustins y gagnèrent, par l’influence de Mgr Guichard de Lessart, suffragant, les bonnes grâces et les libéralités du cardinal de Rohan, qui fit réparer le couvent et le monastère. Par reconnaissance, les Pères firent sculpter sur la principale porte du monastère les armes des Rohan, qui sont de gueules à neuf macles d’or.

Les Grands-Augustins rappellent encore deux grands souvenirs, l’inauguration de l’imprimerie et du théâtre en notre ville.

La typographie lyonnaise a joui longtemps et jouit encore d’une réputation glorieuse ; les Gryphes, les Estienne, les Jean de Tournes, les Rouville, n’ont été que les prédécesseurs de leurs dignes successeurs, les Louis Perrin, les Pitrat, les Mougin-Rusand, les Vitte, etc. : c’est qu’en effet, dès l’origine de l’imprimerie, cette industrie était établie à Lyon, dans le voisinage du couvent des Augustins, et ces religieux furent les auteurs des premiers livres que les presses lyonnaises mirent au jour. Plus de cinquante ans avant Luther, Julien Macho, religieux Augustin de Lyon, fit paraître une exposition de la Bible en langue vulgaire. Il donna ensuite le Miroir de la Vie humaine, les Fables d’Ésope, la Légende des Saints nouveaux. Barthélémy Buyer fut le créateur de la typographie lyonnaise ; il n’était pas imprimeur, mais Guillaume Régis travaillait sous sa direction.

Ces moines étaient donc, comme on peut le voir, des hommes d’étude ; aussi possédaient-ils la plus belle bibliothèque de la ville. Je ne résiste pas au plaisir de citer la belle inscription qu’on lisait sur la porte de cette salle réservée aux livres et aux manuscrits :

hic homines vivunt superstites sibi,
hic tacent et adsunt,
hic loquuntur et absunt.

Ici les hommes se survivent à eux-mêmes,
Ils sont présents et ils se taisent,
Ils sont absents et ils parlent.

Les Augustins présidèrent aussi à la naissance de l’art dramatique parmi nous. Ils eurent, eux aussi, leurs confrères de la Passion, qui jouaient les beaux mystères. En 1493, Charles VIII et Anne de Bretagne, son épouse, passèrent à Lyon ; les confrères jouèrent devant les augustes personnages la Vie de sainte Madeleine. Plus tard, en 1506, un acte consulaire rapporte que Mgr l’évêque suffragant de Lyon présenta requête au Consulat par deux religieux du couvent des Augustins, afin de leur prêter la place des Terreaux, aux fossés de la Lanterne, pour jouer le Jeu de saint Nicolas de Tolentin, que ledit couvent voulait faire représenter. Le Consulat permit et prêta la place.

Or, il est dans le tempérament lyonnais d’aimer peut-être plus qu’ailleurs ces sortes de divertissements. Ils donnèrent l’idée à un citoyen de notre ville, Jean Neyron, d’élever un peu plus tard un vaste théâtre entre l’église des Augustins et celle de la Déserte. On y continua à jouer des mystères et-des vies de saints. Je me demande si la Crèche, ce divertissement si exclusivement lyonnais, la joie de nos jours d’enfant, presque inconnu aujourd’hui ; la Crèche, où l’on voyait la naissance de l’Enfant-Dieu, agrémentée du père et de la mère Coquart, avec leur rhume et leur lanterne, n’est pas un reste de ces beaux mystères, que jouaient autrefois, au couvent des Augustins, les confrères de la Passion. Qu’on était loin du réalisme d’aujourd’hui !

Les Augustins furent mis au nombre des quatre ordres mendiants par le pape Pie V, en 1567, quoiqu’ils possédassent des rentes et des biens-fonds. Ils n’étaient pas riches cependant ; leurs trésors, c’étaient leurs livres et leurs manuscrits ; leur pauvreté ne les sauva pas des bandes calvinistes qui leur enlevèrent leurs titres et leurs trésors littéraires.

À la fin du dix-septième siècle survint un singulier épisode dans la vie conventuelle de nos religieux. Il y avait en France six provinces augustines, celles de Bourges, de France, de Toulouse, de Provence, de Bourgogne et Narbonne, et après la conquête de la Flandre, celle de Flandre française. Les Augustins de Lyon faisaient partie de la province de Bourgogne et Narbonne, qui comprenait vingt-trois couvents, treize pour la partie de Bourgogne, dix pour la partie de Narbonne. Les religieux de Lyon demandèrent la division de cette province, dans une requête adressée à Mgr de Saint-Georges, archevêque de Lyon, le 13 juillet 1695, et signée de dix-sept moines.

Cette requête est vraiment fort curieuse ; on y représente que l’étendue de la province force le provincial à faire cinq cents lieues par an pour visiter les monastères, ainsi qu’il y est tenu par la règle et les devoirs de sa charge ; que l’esprit intrigant des religieux nés dans le Midi les a rendus maîtres de toutes les dignités de l’ordre, de sorte qu’ils gouvernent à leur gré, envoyant les frères de Bourgogne dans les couvents de Narbonne et remplissant ceux de Bourgogne de leurs créatures, parce que la vie y est meilleure ; que les religieux de la partie de Bourgogne ont des répugnances mortelles d’aller demeurer dans les couvents de la partie de Narbonne, à cause des grandes chaleurs auxquelles ils ne sont pas accoutumés, et des huiles et autres aliments ; d’où il suit qu’ils sont presque toujours malades et vont là comme disgraciés du ciel et en exil, tandis qu’au contraire ceux de la partie de Narbonne sont ravis de demeurer dans les couvents de Bourgogne et s’y trouvent si bien qu’ils n’en voudraient jamais sortir, parce que notre air est plus tempéré, nos couvents et nos aliments meilleurs et le monde plus sociable. Cette requête, dont l’original existe aux archives municipales de la préfecture, resta sans résultat.

À part leur bibliothèque, la plus belle de Lyon après celle des Oratoriens, les Augustins n’avaient ni objets d’art précieux ni reliques célèbres. Leur église ne contenait pas plus de sept tableaux ; on remarquait parmi eux une Vierge avec saint Augustin, Sainte Monique et Saint Nicolas de Tolentin, par Stella, et un Saint Charles et Sainte Marguerite, par Perrier. Parmi les reliques, ils possédaient une épine de la sainte couronne et une relique de sainte Marguerite.

L’église actuelle est celle dont M. de Montjouvent, doyen des chanoines-comtes de Lyon, posa la première pierre. M. Léonard Roux en fut l’architecte, mais n’en dirigea pas l’exécution jusqu’à la fin. Il fut remplacé par un moine du couvent, le P. Joseph Janin, qui s’acquitta de sa tâche avec compétence et succès. Ce P. Janin était né à Lyon en 1715, et avait été vicaire provincial de son ordre ; il possédait à fond la connaissance de l’antiquité et les annales de notre ville ; on regrettera toujours l’histoire qu’il en avait composée, et qui s’est perdue dans nos temps de troubles. Son amour pour la science causa sa mort ; il était parvenu à se soustraire aux bourreaux pendant la Terreur ; réfugié chez un ouvrier en soie de la place des Minimes, au mois de décembre 1793, il apprit qu’un paysan avait découvert, près de Fourvière, un certain nombre de médailles d’une très belle conservation ; il ne put résister au désir de les étudier, et se rendit chez le propriétaire ; mais en chemin il fut reconnu et arrêté. Jeté sur la paille dans une chambre de l’hôtel de ville, il s’y trouva avec Delandine, qui plus tard devint bibliothécaire. Le P. Janin fut guillotiné le 15 mars 1794.

La Révolution chassa les Augustins de leur couvent, qui devint pendant le siège de Lyon une succursale de l’hôpital général pour les blessés.

Le 9 mars 1793, le jardin du couvent devint le théâtre d’une scène qui faillit devenir sanglante.

Exaspérés par les vexations de cet affreux tyran, qui s’appelait Chalier, huit cents citoyens lyonnais s’y assemblèrent pour signer une pétition adressée aux deux commissaires, Bazire et Legendre, envoyés par la Convention avec la mission apparente de calmer les Lyonnais, mais avec la mission secrète de soutenir les sans-culottes.

L’assemblée s’était formée en vertu d’une loi, portant que les citoyens avaient le droit de se réunir paisiblement et sans armes, en assemblées particulières, pour rédiger des adresses et des pétitions, sous la condition de donner avis du temps et du lieu aux officiers municipaux.

Toutes les formalités avaient été remplies, et cependant, par l’ordre secret des commissaires, deux municipaux vinrent, avec la force armée, pour disperser les citoyens réunis légalement. On acheva néanmoins de rédiger la pétition dans laquelle on demandait que les commissaires convoquassent les sections pour connaître, par leur organe, ce qu’ils refusaient de savoir, par des rapports particuliers, sur les actes de la municipalité.

Lorsque cette pétition fut présentée aux commissaires, Legendre demanda de combien de signatures elle était revêtue. — De huit cents, répondit-on. — La loi, dit-il, n’en veut que cent cinquante. — On lui fit observer que la loi, en fixant le minimum exigé, n’avait pas pu défendre le plus grand nombre. — Taisez-vous, s’écria Legendre furieux, vous n’êtes que des factieux ; la force armée est là, je marcherai à sa tête contre vous.

La pétition, étant inutile, allait être rendue à ceux qui l’avaient présentée, lorsque Legendre, l’arrachant de leurs mains, leur dit : Je garde vos signatures, vous répondrez sur vos têtes des troubles qui arriveront. — Et aussitôt, il en donna la copie à Chalier, qui courut au Club central : Nous les tenons, s’écria-t-il, j’ai tous leurs noms ; au premier mouvement il faut qu’ils soient tous égorgés. — Il fit ensuite afficher une liste imprimée de ces noms, sous ce titre homicide : avis aux sans-culottesCopie sincère et véridique de la pétition contre-révolutionnaire, ensemble les signatures.

Après le siège de Lyon, l’église fut convertie en entrepôt et en magasin ; plus tard encore, le couvent devint une caserne, la gendarmerie y fut installée le 18 germinal an V. Il est aujourd’hui l’école de la Martinière, dont il faut dire un mot.

Claude Martin, fils d’un tonnelier, naquit à Lyon en 1732. Il s’enrôla très jeune dans les guides du général Lally, qui se rendait dans les Indes. Il se fit remarquer et devint successivement sous-lieutenant et capitaine. Plus tard il devint major-général, et fut l’ami et le confident du nabab d’Aoude. Cette situation lui fit faire une fortune considérable, qu’on a évaluée à douze millions. Il mourut à Luknow, dans le Bengale, en 1800. Il laissa à la ville de Lyon une somme de près d’un million, à la charge par elle de fonder une école professionnelle de filles et de garçons. Jusqu’à ces dernières années, l’école des filles n’avait pas été créée, aujourd’hui elle est fondée. L’école des garçons a été établie en 1833. Elle est très prospère et a acquis une certaine célébrité. La statue du bienfaiteur s’élève dans la cour de l’école.

Après la Révolution, le Concordat rendit les églises au culte catholique. Mais l’église paroissiale de la Platière se trouvant démolie, l’office paroissial fut transféré dans l’ancienne église des Augustins, sous le double titre de Notre-Dame Saint-Louis, qui faisait ainsi revivre un double souvenir. Lors de l’agglomération lyonnaise, l’église de la Guillotière portant déjà le nom de Saint-Louis, on donna à l’église des Augustins le nom de Saint-Vincent, qui était celui de l’ancienne paroisse sur laquelle était situé le couvent.

Je ne me permettrai pas d’apprécier cette église. Guillon dit en parlant d’elle : « Elle est remarquable par la noblesse et l’élégance de sa construction. » Les Archives du Rhône trouvent qu’elle manque de pureté, mais qu’elle a de la noblesse, que le dôme est d’une conception hardie, que le clocher est le monument de ce genre le plus remarquable qui soit à Lyon. Par contre, M. de Laprade dit que c’est un produit bâtard dont l’ensemble est froid et sans harmonie, que le dôme est défiguré par les ouvertures et que le clocher manque de dignité. Comment oser hasarder une appréciation après ces jugements si contraires ? J’accorde volontiers que cette église n’avait autrefois rien de remarquable, mais depuis que, par les soins intelligents de M. l’abbé Coudour, ancien curé de cette paroisse, elle a été agrandie d’une travée, les défauts signalés ont disparu, et l’ensemble ne manque ni de noblesse ni d’harmonie. C’est une des meilleures restaurations qui aient été faites de nos jours.

Nous retrouverons plus loin, quand nous parlerons des chanoines réguliers de Saint-Ruf, le souvenir de Notre-Dame de la Platière, aujourd’hui confondu avec celui de Notre-Dame-Saint-Vincent. Mais ce que nous devons remarquer avec un sentiment ému, c’est le soin pieux et jaloux avec lequel nos pères conservaient les témoignages du passé. L’église de Saint-Vincent disparaît, ils en conservent au moins le nom ; l’église de la Platière est démolie, on transfère dans l’église voisine ses privilèges, ses confréries, son culte séculaire au mystère de la Nativité de Marie. Cette religieuse attention de nos pères est, à mon avis, fort honorable, et nous devrions les imiter.

SOURCES :

Histoire des Ordres monastiques, par le P. Hélyot.

Almanachs de Lyon, 1755, 1838, 1845.

Tableau historique de la ville de Lyon, par Guillon.

Tableau des Prisons, par Deladine.

Archives du Rhône, VII, page 401.

Archives municipales.

Lyon ancien et moderne, article de M. Victor de Laprade.