Les advis ou Les présens de la demoiselle de Gournay/Des diminutifs françois

DES DIMINVTIFS.
FRANCOIS.

Ce Traicté comme deux autres precedens du Langage & des Metaphores, r’apporte ſon deſſein, à la Deffence de la Poëſie, lequel ſe verra cy-apres en un petit Auant-propos qui la precede.


SI Xenocrates ce graue Philoſophe, ne dedaigna point de rechercher par ſimple paſſe temps, iuſques à quel nombre de ſyllabes pouuoit monter l’aſſemblage des lettres de l’Alphabet, ny Pontanus de faire vn Liure entier de la ſeule aſpiration, Ah ! pourquoy mépriſerois-ie de nombrer en l’eſtendue d’vne feuille, les Diminutifs vſitez en noſtre Langue ? portée que ie ſuis d’vne neceſſité de les maintenir, par le reſpect de la reputation de tous les Poëtes excellans de la France, nos tres-honnorez maiſtres, qui les ont cheris, reſpect auſſi de leur quantité & de leur ancien & commode vſage, contre aucuns qui les veulent quereller en nos iours. Ils pretendent que ces façons de parler ſoient pueriles, & que ces Ouuriers celebres qu’ils brocardent à plaiſir, ne les ayent employées que pour ayder & pour aiuſter leurs Rymes : laſches ! qui font trophée de trouuer ſans ayde vne choſe de ſi facile queſte, que l’addreſſe de rymer des Vers, & non moins impertinens eſtimateurs d’vne ayde ſi feible. Car quel grand ſecours a rencontré Ronſard aux Diminutifs en rymant, luy qui dans cette foreſt immenſe de ſon Tome, les a faict tomber cinq ou ſix fois ſeulement en la cadance des rymes ? ou le Cardinal du Perron, qui parmy la foule de plus de ſix mille Vers n’a rymé qu’vne fois ſur arbriſſeaux, l’autrefois ſur mains tendrelettes ? ou moy, ſans comparaiſon, qui ſur vn nombre peu moindre, ay faict deux ou trois ſeules fois, quadrer ma ryme ſur la terminaiſon diminutiue ? Noſtradamus cependant pourra deuiner : & nous apprendre, ſi ces gens-là croyent retrancher peu de choſe en cet article des Diminutifs : n’aperceuans pas ſoubs le voile d’vne longue accouſtumance de les prononcer ſans les conſiderer, qu’ils occupent vn quart du langage François : ou bien, il ſera prié de nous informer, ſi ces meſmes perſonnes connoiſſent leur eſtenduë & leur conſequence, & neantmoins ſe piquent à les abolir en les nous arrachant par auctorité ſouueraine, comme tant d’autres pieces de noſtre langage. Veritablement ils ſe deuroient contenter de cette impudence, qui ne tomba iamais en la teſte d’aucun auant eux, de vouloir tronquer par cy, par là, deux ou trois cents mots de la Langue natale, ſans paſſer iuſques à telle manie que de pretendre outre cela de luy retrancher des membres entiers : & non ſeulement les petits ou les doigts, comme la moitié des aduerbes, des conionctions, des prepoſitions, &c. mais encore vn bras ou vne iambe, comme cette ample maſſe des Diminutifs : leſquels n’ayans iamais deffailly à Langue aucune morte ny viuante, montrent aſſez de quelle neceſſité preciſe ils ſont fondez, & qu’ils ſont nez auec les hommes. Cela n’eſt-ce pas ſe mocquer ? n’eſt-ce pas fouler aux pieds la pudeur publique, la Nature, & deſaduoüer noſtre Eſtre en quelque ſorte ; puiſque la vie n’eſt pas plus naturelle à l’homme que la parolle, portée auſſi loin que la dexterité, la grace & le beſoin du parlant ſe peuuent eſtendre ? Ce bon perſonnage qui transforme en Catule les flots Ioniques, en flots Hioniques, par vn ſeul mot de ſa bouche miraculeuſe, ne feit pas ſi grand merueille que ces Docteurs. Ny ce nuntius horibilis, qui en porta la nouuelle à Rome, ne merita pas de tant effarer le monde, que celuy qui nous vient aduertir aujourd’huy ; que l’vſage vniuerſel, vtile, commode, abreuiateur de babil, neceſſaire, principalement ſi l’on veut exprimer le fond des penſées douces & tendres, cét vſage de toutes les Nations vieilles & nouuelles, leur conſentement general & partant les concluſions vnanimes de la Raiſon, ergo celles de la Loy des Gents en effect, & les ſuffrages de la Nature : que toutes ces choſes, diſie, s’en vont vn beau matin à vau l’eauë, parce qu’il plaiſt à la ſuffiſance d’vn nouueau Rabin de prononcer l’arreſt de leur condemnation. Cela n’eſt pas corriger la Langue, de par tous les Dieux, c’eſt corriger l’ediffice de l’homme & ſon Ouurier ; qui ne l’a pas creé, pour eſtre pluſtoſt graue que tendre aux occaſions. Le temps à venir pourra-t’il croire, que le noſtre ait eſté capable d’enfanter des ſottiſes de ſi haute game, & qu’il ait porté des monſtres que la Nature effarouche ?

De les repreſenter tous & deduire combien de choſes employent & font ſonner égallement le Primitif & le Diminutif, ce labeur ſembleroit faſcheux par ſa longueur : car en ſomme tous les mots dont la terminaiſon a peu commodement porter le Diminutif, ne l’ont point refuſé. Montrons ſeulement par quelque quantité d’exemples, quel meurtre il faudroit commettre en noſtre Langue pour la deſtituer & la ſeurer de telles dictions : pendant que leur douceur bien ſonnante, obmettant pour ce coup leurs autres aduantages, feront voir d’autrepart, que ſi elles n’eſtoient venues il les faudroit aller querir, ainſi que tous les Peuples, les ont amenées chez eux auec faueur, s’il n’eſt aſſez exprimé : dont auſſi ces Docteurs qui défauoriſent cét vſage n’alleguent, ſuiuant leur mode, autre raiſon de deffaueur, que leur bon plaiſir. Les Hebreux nous aduiſent dés l’entrée des Liures Sacrez ; qu’Abraham donna ſept brebiettes à Abimelech pour ſceau d’alliance. Iob apres nous parle de dormir in lectulo : & dit qu’il veut mourir, in nidulo ſuo. Et l’on peut aiſément iuger ſi les Grecs abondent en vne telle gentilleſſe, puis que le graue Epicurus meſme, appelloit, Colotarion, le Philoſophe Colotes ſon fauory. Comme encores Plutarque nous en apprendra tantoſt d’autres, de ces genereux Lacedemoniens. Ouy meſmes ces graues Latins deſquels la Langue eſt mere de la noſtre, & partant ſon plus iuſte exemplaire, (ſans plus parler de la Grecque pour cette heure,) ont inuenté les Diminutifs doubles, blandulus blandiculus, ocellus ocellulus. Que ſi leurs Poëtes ſe ſont à l’aduanture reſeruez ces doubles Diminutifs, du moins le Prince de leurs Orateurs n’a-t’il point eſpargné dans ſes plus ſerieux Eſcrits, Pulchellus puer, pulchelli, at pulchællæ ſunt, belluli, aſſentatiuncula, adoleſcentulus gloriola : ny de repeter infinies fois le cher nom de ſa Tulliola, ſi cherie. Il me ſuffira de l’alleguer à ce coup pour l’Empire Romain : encore que cét autre grand Ouurier Quinctilien, vſe librement de ces manieres de parler, iuſques à coucher en meſme page, celebrant l’eſprit de ſon fils deffunct, igniculi & floſculi : & que leur Ville Reine de l’Vniuers, appelaſt Corculum par excellence, Scipion Naſica. Quand à leurs ſucceſſeurs modernes, de qui la Langue reluyt en l’Europe, comme leurs eſprits, s’ils donnent dix ou douze Diminutifs à leurs chapeaux, deuinez le reſte : & i’apprends que les Eſpagnols nonobſtant la grauité qu’ils affectent particulierement, ne ſont non plus auares de cette marchandiſe. Les ennemis de ces voix diminutiues alleguent, qu’elles n’ont pas meſme grace en François qu’en Latin, ou en ces autres Langues : ce qu’on leur nie bien fort, pourueu qu’ils ſe daignent abſtenir d’vne couſtume qu’ils ont eſpouſée, de nous vouloir obliger auec eux, de raſer vne Abbaye pour vn Moyne. C’eſt à dire, qu’encore que nous accordiõs, que feüet & gayet, pour exẽple, n’auroient peut-eſtre pas meſme bien ſceance ou agréemẽt de prononciation en Frãçois, qu’en Latin, ou qu’en Italien & en Eſpagnol, ſi le cas y eſchet, à tenir lieu des Diminutifs, de feu & de gay, à cauſe des trois voyelles qui ſe rencontrent en fin de ces deux mots ; il ne faut pas conclure pourtãt, que fleurette, bellote, grassette ; & mille autres, ne ſonnent auſſi doux à l’oreille que floſculus, pulchella, ſucci plenula. Et puis les Latins ou autres Peuples en fin, pour auoir vne dizaine de Diminutifs hors noſtre vſage, nous peuuent-ils enuier cette piece de la Grammaire, non plus que nous à eux, à cauſe que nous en trouuerions autant en France hors du leur ?

Apres tout, ie n’ignore pas de quelle ioyeuſeté ces nouueaux Correcteurs de langage & certains eſprits leurs emiſſaires, ont traicté ce Chapitre par mer & par terre. Les vns ont publié que i’inuentois vne partie de mes Diminutifs : & ie leur offre vne gageure de ma quenouïlle contre l’honneur de leurs bonnes graces, ſi ie ne leur fay voir leur bec iaune en ce point-là par bons témoins, quant il leur plaira de le permettre, & ſi ie ne leur prouue encore ; que ie ne ſuis pas coupable de leur balourdiſe, qui ne cognoiſt que la moitié d’vne Langue en laquelle ils babillent iour & nuict. Les autres m’ont drapée de ce que mon loiſir s’amuſoit à ſi peu de cas : appellans peu de cas pour l’homme, ſi de telles ſottiſes meritent reſponſe, la cognoiſſance des choſes dont il vſe tous les iours, & par leſquelles il montre la differance d’entre luy & les beſtes, & d’entre luy-meſme & ſes compagnons, ainſi nommé-ie, le langage & ſes circonſtances. Iules Cæſar, ce dit Suetonne, auoit faict vn Liure de l’Analogie, qui eſt l’vne des moindres parties de la Grammaire : & ces deux grandes Lumieres des Lettres Varro & Sainct Auguſtin, s’eſtoient amplement esbattus auſſi ſur diuerſes matieres de cét Art. Quiconque ſçaura de plus illuſtres exemples du rebut de la mercerie Grãmaticale, que ceux-cy ne le ſont de ſon eſtime & faueur, me fera plaiſir de m’en donner aduis : Quand nous leur accorderons toutesfois que noſtre ſuiet preſent ſoit peu de choſeș & la plus baſſe de toutes ; cettuy-là n’eſt-il pas deſia rauallé plus bas que la baſſeſſe, & ne doibt-il pas eſtre reputé ſon eſclaue, qui n’oſe deſcendre bas quand il luy plaiſt ? Si l’on oſtoit à l’vſage d’vne Langue quelqu’vn de ces droicts cy, le haut le bas, l’humble l’altier, l’enioüé le ſerieux, le doux l’aſpre, le delicat le maieſtueux, le mignard & le graue ; la reduiroit à n’eſtre plus bõne qu’à beer aux corneilles : car qu’eſt-ce autre choſe beer aux corneilles, ſinon manquer de la faculté d’exprimer ſes penſées. Diſons mieux, s’il y a des mouuements en ce nombre, de moindre & de plus exquiſe importance, elle ne tient peut-eſtre ceux-cy, que par le cõtreluſtre de ceux-là : & la perte d’vn ſeul & des moindres de cette troupe, la feroit clocher. Mais quoy s’il y a des ſentiments ou des mouuements de moindre importance, en tout cet amas que ie viens de cotter ; ſeront-ce ceux qui touchent la partie de l’ame que les Philoſophes nomment tendre & amoureuſe : qui ſont les liens de la ſocieté particuliere & publique, les arcs-boutans de la charité & de l’equité meſme, que nous rendons rarement aſſez entiere à noſtre Prochain, ſi quelque tendreſſe de bienueillance ou de pitié ne la ſolicite ?

D’autres encore affin de retourner chez nous, n’ont peu ſouffrir en mon Livre la quantité ramaſſée de ces mots diminués, qui comme ils auroient grace chacun à part, repreſantent de vray quelque ſon fantaſque par leur aſſemblage & par leur foule. Mais certainement, puis que toutes ſortes de dictions ainſi recueillies en bloc, tomberoient au meſme inconuenient ; ſi le plaiſant reproche qu’on me faict en cecy a lieu, il ne faut plus eſcrire de Dictionnaires, ny aucun Liure de Grammaire : & c’eſt merueille que les autres Eſcrits de ce genre-là, particulierement ſur les Diminutifs, comme ie feray voir à cette heure, n’ayent peu reueiller, iuſques icy, la Sapience critique de ces perſonnes : & que le mien ſeul leur ayt appris que le bel eſprit n’eſtoit pas encore arriué chez eux, quand ils les traictoient de ſilence par le paſſé. Dauantage ces diſcoureurs ſont plaiſans, alors qu’ils veulent que ie fraude mon entrepriſe, de contredire par preuues actuelles cét attentat qui penſe faire accroire à noſtre Langue, qu’elle ne porte point de Diminutifs legitimes, faiſans vne farce du parleur & de l’Eſcriuain qui les employent, comme de quelques Barbares, & que ie manque de plus à les eſclaircir eux-meſmes, quelle eſt la condition & l’eſtenduë de l’inſtrument principal du commerce de la vie humaine, i’appelle ainſi pour chaqu’vn le dialecte de ſa Patrie : tout cela, certes, pour ne tomber en cét acceſſoire, de leur preſanter dans vn gros Liure 8. ou 10. pages mal pignées : meſmement ayant aſſez faict voir en autre lieu, que ie puis meriter qu’on me liſe auec quelque ſatiſfaction : leur temerité me force de tenir ce propos contre ma couſtume. Noſtre Muſique n’oſeroit-elle quitter le hault ton par fois ? Nous faudra-t’il attiſſer encores les pieds d’vne Dame d’vne moiſſon de perles, d’une ondée de friſons, & des fleurs exquiſes du blanc & du vermillon d’Eſpagne ; pource que nous en ajoliuons ſa teſte & ſon viſage ? ou ſes pieds auront-ils meilleure grace auec de tels attours, que dans vne ſimple paire de patins ? Les Liures comme les Dames ont des pieds : c’eſt à dire des parties qui ne ſont faictes que pour aſſiſter les autres : mon Traicté des Diminutifs eſt de ce genre. Ie deuois trier, diſent-ils, cinq ou ſix Diminutifs de châque eſpece & rien plus, pour éuiter d’eſtre importune : oubliants d’adiouſter, que ie deuois en ſuyte me faire Reyne, affin d’attacher vn Edict au bout, qui commandaſt de croire le ſurplus ſans le voir. Mais bon Dieu le gentil conſeil ! & le bruit qu’ont faict ces niaiſeries me pourra-t’il rendre excuſable ſi ie les daigne releuer ? mais ie le daigne & le doibts, pour faire voir à la poſterité ſi ie la puis atteindre, de quels caprices & de quelles maladies d’eſprit noſtre ſaiſon eſtoit capable. Le gentil conſeil, ie vous prie, de manquer à prouuer mon dire pour diaprer & polir mon Ouurage, qui n’eſt pas ourdy ny deſigné pour perſuader, pour delecter, ny en vn mot pour faire le ſuffiſant ou l’aggreable, ouy bien ſeulement pour vne preuue ? que ſi elle conſiſte au nombre d’exemples, & que le nombre enlaidiſſe mon Labeur ; il ſeroit fort laid d’eſtre beau : ne pouuant auoir aucune vraye laideur que ce qui l’empeſche de paruenir à ſon but. Laiſſons aux garſes corporelles le ſoin de preferer les aioliuemens du corps, aux ornemens de la Vertu, & reſignons aux ſpirituelles, ainſi dois-ie appeller les ames qui ſe coiffent de ces viſions de ſcrupules par ſuffiſance poupine ; la charge de mettre en eſcriuant ou liſant, la politeſſe ou le fard d’vn Oeuure, à plus haut prix que le couronnement du ſuccez pour lequel il eſt entrepris. Telles exceptions, de n’eſcrire que le quart de ce qui ſeruiroit à mon deſſein & à deffendre la reputation de ces excellens Poetes alleguez cy-deuant, affin de faire la polie & la mignarde ; s’appelleroient-elles point en moy, vne ſotte eſclauitude, née de la crainte qu’vn Lecteur ſe puſt offencer que mon eſprit fuſt capable de ſecouër le ioug de la niaiſerie en eſcriuant, parce que ie iugerois que le ſien ne pourroit le ſecouër en liſant ? Quiquonque ſe gouuerne par la ſottiſe de ſon voiſin, eſtoit digne de naiſtre plus ſot que luy : c’eſt pourquoy ie m’en abſtiendray ſi ie puis. Sans doute auſſi, ie n’aurois pas moins bonne grace en vne reſtriction ſi bien fondée, que ces douïllettes, qui n’oſent manger, de peur d’effacer le rouge d’Eſpagne qui farde leurs tendres lévres. Eh quoy ! lors que les Eſſais nous content des nouuelles de la garderobe & du baſſin de leur Autheur, cela eſt-il plus delicat qu’vne traiſnée de Diminutifs ? ou bien y a-t’il rien en tout ce Liure-là, qui montre plus clairement la grandeur & la force du iugement de celuy qui l’a conceu, que d’auoir oſé iuger ce traict neceſſaire, nonobſtant ſa ſaleté, veu le deſſein general du meſme Liure, qui eſt vne peinture de ſon Autheur ? ou certes y a-t’il lieu qui declare mieux la cognoiſſance & la iuſte confiance que cét Ouurier auoit du merite de ſon Ouurage, que la hardieſſe d’inſerer ce recit en ſes papiers, à la barbe d’vn Siecle ignorant, & gros du vent d’vne temeraire vanité de cenſurer les traicts meſmes les plus ſobres dans les Eſcrits ? Ce que les vns font pour ſe percher à caualier ſur le faiſte de la reputation des eſprits d’importance, les autres, pour ſeruir à la mode des vielleux vn plat de leur meſtier aux bonnes tables qu’ils veulent reſioüir, affin d’attraper vn autre plat de ſouppe graſſe. Et le mal eſt, que depuis qu’vn Ioyeux s’aduiſe meſmement à la Cour, de faire vne piece de riſée, pour impertinente qu’elle ſoit, ce n’eſt pas merueille ſi cinq cens teſtes de ce Climat, qui croyent qu’il y a de la ſuffiſance à draper, ſuiuent ſa piſte : ces gens-là n’eſtans pas d’ailleurs, ſi fins communément, qu’ils puiſſent diſcerner s’il les meine par le nez ou non, ſoit pour quelque ſien intereſt, ou pour faire parler de luy. Nous adiouſterons vn traict de Xenophon apres celuy des Eſſais. Ce grand Philoſophe & grand general d’Armée nous enſeigne, en quelle ſymetrie il faut ranger les marmites & les autres vaiſſeaux d’vne cuiſine, ſoit en rond, en cœur ou autrement : affin que cét ordre rande la face de la batterie plus aggreable à l’œil, pour l’honneur de la Menagere. Ces deux Autheurs & ces deux contes, dont le dernier ſe faict aux oreilles de Socrates meſme en l’Oeconomie, me releueront ayſement du beſoin de leur adiouſter des compagnons en leur eſpece : ſi Viuez & Sainct Auguſtin ne veulent eſtre ouys à leur tour, ſur l’hiſtoire des pets organiſez. Mais enfin reprenant mon theſme, i’aurois tort de m’offencer, ſi des cerueaux qui s’entretiennent de tant d’autres impertinances, & dont aucuns des plus huppez de la trouppe, proumenans leurs diſcours ſur l’examen des Eſcrits diuers, ne craignent nullement de paſſer iuſques au meſpris des Eſſais comme ils feroient de Xenophon encores, ſi l’authorité des Siecles ne le ſouſtenoit ; i’aurois tort, veux-ie dire, de m’eſtonner ou de m’offencer dequoy telles gens décrient le mien. Sont-ce pas auſſi les meſmes bouches, qui font piaffe & triomphe ſolennel, de ne lire plus qu’auec dédain Ronſard & ſa volée, appelans leurs Poëſies, Ouurages du Pont-neuf ? Cependant venons au poinct, c’eſt trop perdre de temps à debeller des badineries. Et de vray, ie n’euſſe pas daigné pouſſer ſi auant cette chetiue deffence, quoy que leur inſolence ſoit paſſée iuſques hors de toutes bornes, ſi ie n’euſſe pretendu la porter de ma cauſe particuliere à la generalle de tous ceux qui ne meſpriſent pas en temps & lieu d’occuper leur plume aux ſujets familiers & bas meſmes, s’il vient à propos : ou de ceux apres, deſquels le iugement altier & vigoureux, meſpriſe l’approbation de ces pigmées : d’eſprits vulgaires, qui veulent qu’on meſure leur capacité en cette ſpeculation des dons de la Muſe, ſur l’aulne de leurs rentes, de leurs qualitez, ou de leur audace à les blaſonner. Ce ſeroit peu d’aduertir cette eſpece de monde, qu’ils ne voyent goutte à telle ou telle chose dont ils le meſlent de diſcourir, ſi l’on ne leur faiſoit comprendre en ſuitte ; que quiconque parle de ce qu’il n’entend pas, n’entend rien hors de là.

Ie me ſuis aduiſée de commencer par les Diminutifs de feu Monſieur de la Nouë, puis qu’il a deuant moy pris la peine de trauailler ſur cette taſche : affin de luy reſtituer de bonne foy par ce moyen, ceux que ie ne m’eſtois peu garder d’vſurper auec luy conioinctement, en ma premiere Impreſſion, peſchant en plein canal de noſtre Langue, ainſi qu’il auoit faict. Que ſi ces meſſieurs nos Syndicqs ont fait ſi rudement le procés aux Diminutifs en mon Liure ; nos Lecteurs pourront apprendre en ce lieu par le iuſte credit du ſien, ſi ces perſonnes ont eu bonne grace de s’eſcarmoucher ſur tels diſcours : c’eſt à dire, de luy donner vn ſoufflet ſur mon nés : vſons en pareille ou voiſine occaſion, de la metaphore des Eſſais. Mais i’appris n’agueres vn plaiſant & nouuel aſſaut qu’on me gardoit pour l’anchre ſacrée : Monſieur de la Nouë, faiſant vn Liure de Grammaire, pouuoit à leur comte, traiter des Diminutifs, non pas moy, qui en produicts vn d’autre ſubſtance. Quoy vrayment, chaque Traicté d’vn Liure n’eſt-il pas vn Liure luy-meſme ? ſans adiouſter que preſques le quart dụ mien eſt compoſé de Chapitres qui regardent la Grãmaire ou ſes dependances. Voicy donc comme ce Seigneur couche les Diminutifs, & meſmes auec les apoſtilles qui ſe voyent en quelques lieux, pour le ſoin qu’il a daigné prendre de les mieux eſclaircir. Perſonnage veritablement à qui la qualité, l’eſprit, les Lettres, & l’habitude des Cours, preſtoient autant de moyen de practiquer les Loix de la bien-ſceance, & de cognoiſtre & parler la Langue pertinemment, que ces gens en peuuent auoir. Que s’il eſt plus hardy que moy en debittant cette marchandiſe ; ſe faut-il eſtonner qu’il ait plus d’aſſeurance qu’vne femme ſur le papier, puis qu’il en auoit aux combats, plus que n’en ont communément les hommes ? Les voicy au meſme ordre qu’il les preſante par colomnes, ſelon la couſtume des Dictionnaires : pource qu’ils font part du ſien des Rymes. C’eſt en l’Impreſſion de la derniere main & de l’année 1624. faite à Geneue : Et le trouuay vn iour, chez Madame la Mareſchale de Temines tres-digne fille d’vn ſi bon & vertueux pere. Les gens d’importance, tels qu’il eſtoit, ne ſont pas obligez de demeurer touſiours bandez ſur les diſcours ſerieux, ou ſur les grandes affaires : mais tandis que les autres perſonnes ſe vont relaſcher de leurs occupations à diuers ieux, de cartes, detz, dances & autres de cét air, ceux-cy ſe relaſchent volontiers auec les Muſes, comme en ce lieu.

Robette,
Iambette, petite iambe.
Barbette, petite barbe.
Herberte,
Courbette, petite courbe.
Courbette, d’un cheual.
Piecette,
Garcette,
Bourcette,
Doucette,
Coeffette,
Sagette,
Logette,
Bougette,
Baguette, petite bague.
Languette,
Longuette,
Casherte, à ſe cacher.
Tachette, petite tache.
Pochette,
Hachette,
Planchette, petite planche.
Planchette, pour les Dames à cheval.
Blanchette,
Buſchette,
Bouchette, petite bouche.
Couchettes,
Sallette,
Brebiette,
Miette,
Malette,
Amelette, petite ame.
Gallette, tourteau.
Coſtelette,
Sellette,

Vilette,
Ioliette,
Folette,
Molette,
Parollette,
Salette, un peu salle.
Toillette,
Gaulette.
Eſpaulette,
Boulette,
Poulette,
Oulette, petite oule ou marmite.
Seulette,
Gallette, petite galle.
Tablette, à eſcrire.
Tablette, à manger.
Bouclette,
Fillette,
Oreillette,
Feuillette, petite feuille.
Douïllette,
Quenouïllette,
Simplette,
Bandelette, petite bande d’hommes ou d’autres animaux.
Blondelette,
Rondelette,
Verdelette,
Cordelette,
Fermette,
Minette, petite mine de quelqu’vn.
Vignette, d’Imprimerie.
Chopinette,
Finette,
Brunette,
Chainette,
Marionnette,
Nonnette,
Campagnette,
Montagnette,
Capette, petite cappe.
Serpette,
Houpette,
Braquette,
Barquette,
Gorgerette,
Durette,
Noirette,
Amourette,
Fleurette,
Pierrette,
Burette,
Chambrette,
Antichambrette,
Tendrette,
Aygrette,
Maigrette,
Safrette,
Proprette,
Cheurette,
Pauurette,
Caſſette,
Boſſette, petite boffe.
Foſſette,
Groſſette,
Chauſſette,
Roſette, petite roſe.
Camuſette,
Paſquerette, marguerite de Paſques.

Cordelle,
Parcelle,
Gratelle,
Tourelle,
Roüelle.

Enfançon,
Maiſtrillon,
Paſtrillon, foubs paftre.
Oyſillon,
Chaiſnon,
Aſnon,
Aiſleron,
Fleuron,
Tendron,
Chaton,
Raton, petit rat.
Caneton, petit canard.
Teton,

Lacet,
Doucet,
Muſcadet,
Sachet,
Crochet,
Cochet,
Ioliet,
Longuet,
Grandelet,
Blondelet,
Verdelet,
Hommelet,
Aygnelet,
Enfantelet,
Martellet,
Oyſelet,
Fillet,
Roſſignolet,
Chapelet, de fleurs.
Nouuelet,
Nouellet, petit nouël.
Sçauantelet,
Ruiſſelet,
Seulet,
Oeillet, petit œil.
Simplet,
Moulinet,
Couſſinet,
Finet,
Badinet,
Iardinet,
Coignet,
Iurongnet,
Boſquet,
Aygret,
Coffret,
Camufet.

Bachot,
Cachot,
Petiot,
Bellot,
Mercerot,
Archerot,
Courſerot.

Iuuenceau,
Brigandeau,
Marchandeau,
Friandeau.
Truandeau,
Pigeonneau,

Villonneau,
Larronneau,
Chantereau,
Dancereau,
Paſtoureau,
Louueteau,
Caueau,
Soliueau,
Cuueau,
Bouueau.

Petiotte,
Vieillotte.

Caualin,
Cheurottin.

Quoy que i’aye eſtallé tout du long les Diminutifs de ce genereux Caualier, ie ne lairray pas d’eſtendre tout du long auſſi preſantement, ceux de ma premiere Impreſſion, bien qu’il y en ait aucuns des ſiens, comme i’ay dit, ſi communs que ie n’auois peu les obmettre : telles redites d’entreluy & moy ne peuuent eſtre fort importunes, nommément à ces eſprits de haute leçon, qui prennent la quantité des miens pour ſuiet de paſſe-temps à rire.

Il n’eſt aucun beſoin de reciter en ce lieu quelle profonde racine ont priſe ces Diminutifs & leurs pareils : villette, maiſonnette, chambrette, ſalette, iſlette, herbette, logette, cachette, pochette, brochette, fourchette, planchette, cordelette, couchette. Oublirons-nous boulette, chaperonnette, ſergette, gouttellette, clochette, perlette : & ceux qui manient les medailles connoiſſent-ils pas auſſi la medaillette, les Serruriers la targette de feneſtre, & la gachette d’vne ſerrure auec la gache ? comme les Imprimeurs ont ouy parler, de la caſſe & du caſſetin, du quadrat & du cadratin, & des Lettres majuscules, à differance des grandes : les guerriers & les chaſſeurs, de la trompe & de la trompette. Ces autres de plus, ne ſont pas moins fondez de droict eſcrit : coffret, ſcachet, liuret, piſtolet, iardinet, chappelet, (i’entends de fleurs) boſquet, ruiſſelet, oſſelet : ny ceux-cy, cornichon, fourchon, aiſleron, bourſeron, ſayon, iuppon, grappillon, ſerpillon, chambrillon, valeton, tourdion, fleuron : ny ces autres, rouëlle, tourelle, parcelle, que particule ſuit. Dit-on pas encores, ce vin eſt verdelet, cette iouë vermeillette : ce garçon eſt ioliet eſt propret, eſt foiblet, eſt doucet, eſt bellot : cette fille de meſme, eſt bellotte, &c. ce viſage eſt longuet ou rondelet : ce muſequin eſt ioly, ce bouïllon ou ce temps eſt froidelet, eſt chaudelet ? Or ces deux-cy de fortune ont eſté des plus drapez, ainſi que i’ay ſceu, par cette ſuffiſance nouuelle, comme inuentez par moy. Toutesfois quand ce reproche ſeroit auſſi vray qu’il eſt faux, & ſi faux que ie les ay peu faire ouyr de la bouche d’vn Prince meſme bien parlant, outre que ie les ay leus, & feray voir frequemment ſi l’on veut en des Liures Imprimez depuis deux & trois années, & nottez, Liures du meſtier exprés de parler des temps, c’eſt à dire, d’Aſtrologie ; ie croirois commettre vne ſottiſe, d’auoir honte qu’on me reputaſt mere de l’vn & de l’autre ; & de cent apres, s’ils auoient vn ſemblable rapport que ces deux cy à la cadence de tant d’autres, auſquels noſtre Langue applique le neuf de la diminution. Ie puis ſans tache de beſtiſe m’abſtenir d’inuenter en ces matieres : mais ie ne pourrois pas ſans beſtiſe & faute de iugement, auoir honte que l’on m’imputaſt d’oſer ſelon les occurences inuenter des choſes que l’Analogie authoriſeroit ſi franchement qu’elle authoriſe ces termes là. Quiconque n’oſe faire vne demarche de ſoy-meſme, retombe en l’enfantillage de ſon maillot, affin de meriter, qu’on luy recoiffe le beguin. Et nous dirons plus, puiſque ce lieu le permet ; que par tout où l’vſage n’eſt point dirrectement contre l’Analogie (comme il eſt particulierement en aucuns de nos verbes, qu’il a charpantez à la poſte) il eſt pour elle : & qu’elle doibt, non pas le ſuyure ou luy ceder, mais l’amplifier hardiment, lors qu’elle ne trouue rien qui s’y oppose, que l’inaccouſtumance & la timidité d’innouer, quand l’innouation eſt vtile.

----- licuit ſemperque licebit,
Signatum preſente nota producere verbum.

Bien eſt-il veritable qu’en tout ce Chapitre, ie renonce au droit d’inuention & d’innouation, ayant proteſté dés l’entrée de reciter nuëment, ſans aduancer rien de mon creu. Suiuons nos pas. Ie ne rememore plus icy ces autres Diminutifs, graſſette, ieunette, grandelette, brunette, & pluſieurs de ce genre, ſoient-ils maſculins ou feminins, que i’ay remarquez par occaſion au Traicté Sur le langage des deux Prelats rangé vers la fin de ce Volume. On void aſſez auſſi que miette de pain, morcelet, roollet, minot, auget, muſette, pincette, bougette, teton, poupon, iupon, cotillon, pelotton ; ſont voix diminuées de mie, morceau, roolle, mine, auge, cornemuſe, pince, bouge, tetin, poupée, iupe, cotte, & pellotte. Plus il eſt euident que poellon, chauderon, drageon, ballon, corbillon, le ſont auſſi de, poelle, chaudiere, dragée, balle & corbeille : maillet de mail, crochet de croq. eſchelon d’eſchelle, chauſſette & chauſſon de chauſſe, oreillettes d’oreilles, gallette de gaſteau, poinctilles de poinctes, carton de carte, noiſette de noix, ſerpillon de ſerpe. Ny n’eſt pas beſoin d’exprimer, que roulette à coucher eſt diminuée de rouleau, bachot & nacelle de barque & de nauire, galliotte de gallere, drapeau de drap : & que põceau, portereau, contereau, ſont Diminutifs encores de pont, port, cõte, & mille autres : Outre le vinet cogneu en la Maiſon Ruſtique. Adiouſtons, que ces deux mauuaiſes beſtes vn larron & vn Diable, ont auſſi trouué leur cas pour la terminaiſon diminutiue, en larronneau & Diablotin. Dauantage on void des noms propres de Rochette, Villette, Grangette, Boſquet, Sayette, Gardette, Sallettes, Ventelet, Menillet, diminuez de Roche, Ville, Grange, Bois, Soye, Garde, Salles, Vent, Meſnil, auec infinis autres de meſme eſpece : adiouſtons celuy de la Vallette, ſi fameux : ny valée dont il est tiré, ne ſe contente pas de ce ſeul Diminutif, celuy de valon le ſeconde. Or outre que la Cour, Eſtoile du Pole de ces correcteurs du Siecle à ce qu’ils pretendent, vſe auſſi bien que nous autres prophanes, de tous ces mots, de toutes ces façons de parler, & de tous ceux & celles qui ſuiuront en ce Chapitre ; elle nous forgea il y a quelques années vn fanfaron de fanfare : & nous a forgé depuis trois iours biſcottins de biſcuits : vne mymy de la coiffe migarde des Dames du Cours, par double Diminutif de m’amye, & ſa coeffeure à la garſette : ioinct qu’elle prononce fort couramment ces nouueaux nõs de Virginettes & Magdelainettes, demande ſouuent loyſelet de Cypre à parfumer les cabinets : & parfois encores, la boiſtellette des beautez : & le vermillon, fils mignard du vermeil. Qui plus eſt, les enfans de Paris non moins capables docteurs que les Courtiſans, en la ſcience de diminuer, ne voudroient pas eſtre priuez de tirer d’vne tarte vne tartelette, ny d’vne tourte vn tourteau, ny d’vn flan [nom Picard] vn flanet, autrement dariole. Et ces gens de bonne foy qui diſent particulierement que ie forge ce mot, à cauſe qu’ils ne le cognoiſſent pas, doiuent à l’aduenture quelque choſe au paſticier, deuant l’huys duquel ils n’oſent paſſer pour s’en eſclaircir : ou manquent d’orreilles vers Paſques, pour n’ouyr pas la chanſon qui celebre tous les ans par les ruës, l’eſpoir & la ioye que les drolles ont,

De manger des tartes.
Et flanets de vaches.

Si la ryme ne vaut guere, le flanet eſt bon. Ce n’eſt pas tout, ces meſmes enfans de Paris cognoiffent & mangent le pain biſet, ſi le blanc leur manque : ils fripent à plaiſir les andoüillettes de veau, le ſaulciſſon, les coſtelettes, la vinaigrette, l’œuf molet, le pain molet, le harang nouvellet, & l’oygnonnes de ſalade pour en faire la ſaulce : ſans oublier leur diuertiſſement à railler la trongne de maiſtre Pierre du Coignet leur Concitoyen, de qui le temps a rendu le nez auſſi diminutif que le nom : & ſans obmettre apres leurs jeux de clignemuſſette & de la foßette. D’ailleurs on cognoiſt par tout vn enfant en braſſerolles, vn papa, vne maman, l’adreſſe de ſe mettre à la rangette des vergettes à nettoyer, vne iambette, couſteau pliant, vne eſcuelle orillon, des barbillons d’epy, & les Capettes de Montaygu, ainſi nommez, à cauſe de leurs petites capes : nom qu’Amyot par meſme raiſon, & les Eſſais apres luy ſuyuans leur Plutarque, n’ont pas craint de donner aux Lacedemoniens : ny les Prelats ne craignent point d’appeller mantelet, vne piece de leur habit ſacerdotale. Sçachons des Aſtrologues & des gens de Mer, s’ils ont ouy parler d’vn ventolin. D’autre part tous les noms d’Animaux ont leurs Diminutifs, auſſi communs que les primitifs : poulet, pouſſin, poulette, cochet, chapponneau, pigeonneau perdreau, cailleteau, beccaſſine, gelinote : roſſignolet, oyſelet, ayglon, moucheron, dindon, canette. Ceux-cy demandent place en ſuyte, leuraut, lapereau, ſerpenteau, couleureau, vermiſſeau, ſouriſſeau, regnardeau, lionceau, cheureau, cheurotin, [teſmoins les gands qui s’en font] louueteau, ourſon, leuron, aſnon, bouuillon, cochon, qui vient de coche, chaton, barbichon, bichof, buffetin, agnelet, brebiette. Ces autres en ſont encores : lamproyon, brocheton, carpillon, barbillon, ſollette, beſtion, beſtiolle : & de plus, garçonnet, fillette : voire hommet & femmette, ſi on trouue à railler en la baſſeſſe de leur taille : n’oublions pas hommeau & femmelette ; ainſi baptiſez par vn autre biais de meſpris : comme à meſme deſſein de meſpris, les Eſſais parlent d’vne amette, non pas amelette ; qui ſonne en ſon iuſte lieu pour Diminutif tendre. Et le Spartiate ſe plaint au meſme Plutarque d’Amyot ; que leur Roy eſpouſant vne petite femme, leur vouloit engendrer, non des Roys, mais des Roytelets : & en ſuite, du meſme Diminutif de Roy, certain oyſeau s’appelle roytelet pour ſa beauté. Ayant au reſte ouy dire par fois, non ſeulement courſerots, mais caualins à gens d’ecurie ; chiennets à ceux qui font meſtier d’en nourrir, & cuyracine aux guerriers, en la ſignification d’vne cuyrace legere. Les arbres ne veulent pas eſtre comtez pour rien en cét endroict : arbriſſeau, ſauuageon, aulneau, cheſneau, freſneau, charmeau, ormeau, coudreau. D’autre part il eſt vray, que la façon d’vne fleur rapportant au baſſin caue, l’a faict nommer baßinet, & que la beauté d’vne herbe eſt cauſe qu’on l’a baptiſée du nom d’amourettes : de meſme que la ſaiſon de Paſques où croiſt vne autre fleur, la fait nommer paſquerette : & le preau qui la porte eſt diminutif de pré : de plus, on cognoiſt la febuelotte auſſi communément que la febue. Quelqu’vn encore fait-il la bouche ſucrée, pour n’oſer dire, qu’vne telle eſt accouchée n’aguere du plus bel enfançon, & qu’il ayme bien ſon petit frerot, & ſa petite ſœurette ? Dire auſſi qu’vn ieune enfant eſt le plus vray folet ou doucet, le plus vray fretillon, ou folion, & ceſte petite fille de meſme ? ſans eſpargner finet & finette, ſimplet & ſimplette, maigrelet & maigrelette : guilleret & guillerette en ſont encores, quoy que moins communs. Ny ie n’allegue plus icy, ſeulet, pauuret, tendrelet, graſſet, ou leurs feminins & leurs égaux, puisque ie les ay couchez au diſcours mentionné, Du Langage de nos deux Prelats. Suiuamment chacun donne aux Villes & aux Cours, ces diminutions de nom aux enfans par mignardiſe, Madelon, Catin, Margot, Ianon, Annichon ou Nanon, Manon, Claudine, Francine, Lyſette, Marthon : ouy parfois, Niſon, Babel, Elon & Suſon, pour Deniſe, Iſabelle, Helene & Suſanne : plus, Pierrot, Ianot, Carlin, & tant d’autres : outre celuy que le Cardinal du Perron a trouué dans le nom d’Aſcagne. Pour le regard de la Campagne, elle a ces meſmes Diminutifs de noms, & quelques autres pour la bonne meſure. Les champeſtres & les polis mondains, ſçauent dire, par fois, le Bergerot, la Bergerette. Apres tout les plus honneſtes perſonnes auſſi, proferent à tous coups, ſe marier par amourettes, aller aueuglettes, dire par épaulettes, mener au tabourinet : ils n’eſpargnent point vne fine-minette, vne humeur enfantine, vne camuzon, vne menon, vne pauure petiotte, vn peton, vne menotte : nomment en ſuitte leur incarnadin & leur camelotin, auſſi volontiers que leur incarnat & leur camelot : ny les Dames n’obmettent pas, le creſpon, qui ſonne éuidemment, creſpe leger, ou leur vertugadin & leur collerette, Diminutifs de vertugade & de colet. Les gens du monde diſent frioler & friolet, iſſus par diminution du verbe friander, & ſi diſent encores, tacheter, marqueter, grignotter & buuotter : ces deux tirez de grignon & de boire. Nous adiouſterons qu’ils employent, morſiller vne pomme, poinctiller vn homme, ſauteler, ſucçoter, machonner, viuotter, voletter, baiſoter, taſtonner : verbes comme les precedens, auſſi diminutifs que frequentatifs, & deſquels on void aſſez les ſources : dauantage, ils ſonnent par fois, qu’vn tel porte la mine d’vn compagnon à la taſſette, quand ils ſont en humeur comique. Ils diſent outre plus, qu’ils ne s’amuſeroient pas à telles & telles menuës choſettes : ny moy certes à celles-cy, qu’en mon corps deffendãt : quoy que tant de grãds perſonnages que j’ay tantoſt nommez, & de plus Ciceron & Quinctilian que i’auois oubliez d’alleguer, n’ayent pas dédaigné de faire des Liures, ſur les diverſes particularitez de la Grammaire. D’ailleurs, il eſt vray, que des plus hautes & polies Dames de la Cour, appelloient n’agueres, leur trongnette, vne fort belle peinture de ieune fille, rangée en leur cabinet où ie me trouuay.

Qui plus eſt, il y a des Diminutifs ſi fiers & ſi ſuperbes, qu’ils ſurpaſſent leurs Primitifs vrays & certains toutefois. Pour exemple, les Chaſtelets de Paris, vn corſelet, vn gantelet vn armet, viennent de Chaſteaux, corps à veſtir, gand, & armeure : car ceſte piece de teſte eft appellée armer, par diminutif de l’armure entiere, portant ce nom par excellance, d’autant qu’elle couure la plus digne partie de l’hõme. Et ceux qui pretendent comme i’ay ſceu, tirer ce nom, armet, d’elmo, Eſpagnol, feroient bien cette courtoiſie à leur Païs, s’il leur plaiſoit, de tirer pluſtoſt, elmo, d’armet : quant à ce qu’ils deſaduoüent auſſi gantelet pour diminutif de gand, alors qu’ils luy auront trouué quelque origine plus conuenable, ie quitteray celle-là : ce que ie dy pourtant ſans rebuter de tels aduis, qui peuuent eſtre donnez candidement. En ſuitte de nos Diminutifs, qui s’emancipent ſur leurs primitifs, ou qui n’en ont point en la choſe qu’ils denottent, poil folet & demon folet, ſe font ouyr par tout. Et pour eſpargner la peine de diſtinguer plus auant les diminutifs de ce genre, des autres communs, retournons à la maſſe. Il faudroit volontiers pour nous polir à la guiſe de ces Docteurs de nouuelle date, entonner petite ſelle de Iuges, affin de ne dire plus la ſellette, petite courbe d’vn cheual, en lieu de courbette, petite boſſe de ſon mords en lieu de boſſette, petite lance d’vn Chirurgien, pour ſa lancette, & petite poelle, pour ſa poellette : apres cela, petite ruë d’vn lict, petite toille à ſe deshabiller, petites dents de colet, auroient bonne grace en eſchange de ruelle, toillette, dentelle, & la palette à ioüer, ſe deueroit appeler petite paeſle, petite rouë, la rouelle de pommes, & la bandelette à coiffer, petite bande. Quoy plus ? petits chapeaux de table, petite cuue de ſalle, petite foſſe de iouë, deuroient gagner la place de chapelets, cuuette & foſſette : ſans oublier les burettes de l’Egliſe, qu’il faudroit nommer petites buyes en ſiecle de ſi haute refformation. Que dirons-nous de ces autres, boulet d’arquebuſe ou drageon, planchette de pont leuis, diamant taillé à facettes, vignette de brodeur ou de tapiſſier, & lunettes diminutif de Lunes, à cauſe qu’elles eſclairent noſtre obſcurité ? Paris auſſi deſ-aduoüe t’il, parmy cette foule de diminutifs, les enſeignes du Moulinet, Pourcelet, Barillet & des Canettes, ny la ruë encore des Canettes, du Iardinet, des Tourelles & de la Huchette ? dit-on pas hochet de grimace & d’enfant, deriuez ſans doubte du verbe hocher, buuette de Iuges tirée de boire, tournettes diminuées d’vn tour de Religion, œillets, & chaiſnette, d’vn habit, ferret d’ayguillettes, lacet, annelet, & filet, diminuez, d’œil, de chaiſne, de fer, de lacs, d’anneau, & de fil ? chaiſnons encore, ſont-ils pas iſſus de chaine, archet d’arc, camiſolle de chemiſe, manchon, de manche, allumettes d’allumer, tablettes de tables, cheualet de cheual, bottines de bottes, & coußinet de couſſin ? Quand aux Croiſettes de Lorraine elles ayment touſiours leur tiltre. A quoy i’adiouſteray pour concluſion, qu’on void bien que les Generaux d’Armées ſe ſont peu ſouciez de prendre pareatis des nouueaux Rauiſeurs, quand ils ont qualifié Fortins vne partie de leurs Forts. Certes ces gens d’auiourd’huy nous vendroient bien cher l’Almanach de leurs fantaiſies, s’ils nous priuoient de cette eſpece de mots, ſi naturels, ſi vſitez, ſi fondez de bienſeance & de douceur en toutes Langues & en la noſtre : diſons plus, ſi plaiſans en la bouche & en l’oreille de tous ceux qui portent ces deux parties compoſées de chair & de ſang, non de bois. Mots ou Diminutifs en fin, qui veritablement ne peuuent deſplaire qu’à des eſprits, qui par faute de grace & de delicateſſe ne les ſçauroient employer, ny gouſter leurs delices : ou bien à ceux, qui par vn excés d’orgueil rouïllé d’enuie, qui tend à ruiner les bons Livres François, parez de cette gentilleſſe ; nous veulent monſtrer qu’à l’imitation des Tyrans ils ont pour refrain : Mon plaiſir est la raiſon, ou pluſtoſt qu’à l’enuy des Dieux, ils peuuent faire & deffaire les Eſcrits, la Langue, les dictions qui la compoſent, & toutes choſes quand il leur plaiſt. Doutera-t’on, qu’ils ne les reiettent à faute d’eſtre capables de gouſter leurs delices, & de cette tendreſſe de Genie & de ſtile, requis à les employer ; puis que iamais aucun d’eux n’a compoſé de ces Pieces qu’on nomme, Mignardiſes : leſquelles ſont vn des principaux gibbiers de la Poeſie Lyrique ? Deſportes en diroit bien ſon aduis. N’oublions pas, qu’aucun d’eux encore, ne put iamais eſtre ſoupçonné d’auoir vn temperament d’eſprit propre à les compoſer, quand il voudroit. Vulcain fendit la teſte de Iupiter, affin d’en tirer Palas : n’a-t’il point fendu celle de ces perſonnes à deſſein d’en arracher la partie tendre & delicate de l’ame, par ce banniſſement des Diminutifs & des autres charmes delicieux, qui les peuuent aſſiſter : cõme il ſemble qu’il en ait arraché d’vne autre coſté la partie forte, l’ingenuë & la magnanime, ſi l’on cõſidere la feibleſſe que ce monopole nouueau veut appliquer par toute l’eſtenduë de noſtre langage ? En ſomme, qu’ils fulminent contre moy tout leur ſaoul : i’oſe maintenir qu’il n’y a teſte ſaine en France, qui reiettaſt aux occaſions vn ſeul exemple des Diminutifs que i’ay couchez en ce Recueil, ou qui ne tint pour ſonges de gens eſueillez, les exceptions qu’vn autre en voudroit faire. Car ſi c’eſt folie, comme ce l’est infailliblement, de pretendre corriger toutes les folies du monde, combien plus l’eſt-ce, d’aſpirer à corriger les ſageſſes ; & tout ce qui eſt authoriſé d’vſage, vtile à quelque choſe, & nuiſible à rien, s’appelle iuſtement de ce nom. Ie ſens bien que i’ay fort groſſi ce Cahyer, en ramaſſant aucuns des Diminutifs qui eſtoient eſchappez, à Monſieur de la Nouë, & à ma premiere impreſſion : quoy que la portion du glenneur reſte encore apres nous. Vn flus de caquet les emporte, ou la crainte, que celuy de ces meſſieurs les Critiques ne manque de ſujet à s’exercer.