Les Voyages et les voyageurs en chemins de fer

LES VOYAGEURS
ET
LES CHEMINS DE FER EN FRANCE

I. Document statistiques sur les chemins de fer, etc. Paris 1856, — II. Enquête sur les moyens d’assurer la régularité et la sûreté de l’exploitation des chemins de fer, etc. Paris 1858.



Jusqu’à ce jour, on manquait de travaux statistiques exécutés à un point de vue d’ensemble sur l’exploitation des chemins de fer en France. L’administration publique était seule en état de réunir ces curieux et utiles documens. À deux années de distance, on a vu enfin paraître des publications officielles conçues dans le genre de ces enquêtes au moyen desquelles nos voisins d’outre-Manche savent depuis longtemps jeter la lumière sur les difficiles problèmes de l’économie sociale. Dès le début, il faut le reconnaître, l’administration française avait songé à recueillir tous les élémens de ces publications. Une ordonnance royale, réorganisant le ministère des travaux publics en 1844, portait création d’un bureau central de statistique, qui a toujours été maintenu depuis avec les attributions qui lui étaient dévolues. C’est par les soins de ce bureau qu’ont été recherchés et réunis les matériaux nombreux du premier des deux ouvrages officiels qui ont récemment paru sur nos chemins de fer. Ce n’est toutefois qu’au commencement de 1855 qu’un arrêté ministériel institua une commission pour préparer, la publication d’une statistique de nos voies ferrées ; avant la fin de l’année, ce travail considérable était terminé. Il fait complètement connaître, au point de vue financier, l’histoire chronologique de notre réseau ; il donne tous les détails qui ont rapport, pour l’année 1853, à l’établissement et à l’exploitation des lignes qui composent ce réseau ; en un mot, il se prête à toutes les formes d’investigation. Un texte explicatif, qui occupe la moitié du volume, précède une centaine de tableaux statistiques où l’on peut suivre pas à pas l’histoire de chacune de nos différentes lignes.

Il y avait cependant un sujet d’un intérêt très général à coup sûr que les Documens statistiques laissaient de côté ; nous voulons parler des accidens de chemins de fer. La série d’événemens graves qui se succédèrent pendant l’automne de 1853 ayant vivement préoccupé l’opinion publique, une commission fut chargée d’étudier les mesures propres à assurer, au double point de vue de la régularité et de la sécurité, le service de l’exploitation des voies ferrées. Elle devait entendre les ingénieurs chargés de la surveillance administrative des diverses lignes, les compagnies, les inventeurs des systèmes proposés pour prévenir les accidens, examiner dans le plus grand détail le mode d’exploitation de notre réseau au point de vue du personnel, du matériel, de la voie et des règlemens de service. Cette enquête si complète, en partie orale, en partie écrite, comprend une multitude de notes, de documens, de tableaux, d’annexés de tout genre, parmi lesquelles je dois citer les réponses des compagnies, dont la réunion sous une forme simple et méthodique constitue un véritable traité d’exploitation technique. Le recueil de ces diverses informations, précédées d’un remarquable rapport du secrétaire de la commission, M. Tourneux, forme un important volume, récemment paru. Cette curieuse publication se complète par un projet de règlement d’administration publique destiné à remplacer l’ordonnance du 15 novembre 1846, qui régit actuellement tout ce qui concerne la sûreté, la police et l’exploitation des chemins de fer en France. Le moment est donc propice pour jeter un coup d’œil en arrière et pour étudier, au point de vue des résultats, la grande industrie des voies ferrées. L’historique en a été retracé ici même[1] avec tous les développemens qu’il réclame, et je n’ai pas à m’y arrêter. Je veux seulement m’occuper de ce qui regarde exclusivement le transport des personnes, examiner la triple question de la cherté, de la célérité et de la sécurité, montrer enfin que le troisième de ces élémens essentiels de la circulation publique, quelque paradoxale que puisse sembler cette assertion au premier abord, mérite à peine qu’on le prenne en considération. Je voudrais aussi, dans une analyse rapide des relations des compagnies de chemins de fer français avec le public voyageur, donner une idée des droits et des devoirs réciproques, dont la connaissance, trop peu vulgarisée encore, est si utile pour apprécier avec équité le rôle de ces grandes associations qui ont atteint, par la force des choses, les proportions des administrations de l’état elles-mêmes.


I. — CIRCULATION DES VOYAGEURS SUR LES CHEMINS DE FER.

Au risque d’être accusé de remonter au déluge, je ne puis me dispenser de rappeler succinctement les conditions dans lesquelles s’effectuaient autrefois les voyages. Il me faudra même les considérer sous le rapport de la cherté, de la célérité et de la sécurité, pour que le lecteur puisse juger en parfaite connaissance de cause s’il a gagné ou perdu à l’avènement du dernier mode de transport, mode destiné peut-être, — du moins l’allure incessamment progressive de l’humanité permet de le prédire, — à être remplacé ultérieurement lui-même par un autre plus perfectionné.

On peut voir dans l’Almanach royal de 1774 comment s’opérait, il y a moins d’un siècle, le trajet de Paris aux principales villes de France. La distance de Paris à Lyon ne se franchissait qu’en cinq ou six jours, suivant la saison ; on allait de Paris à Châlon par terre et de Châlon à Lyon par la Saône ; le prix du voyage était de 100 livres, y compris la nourriture du voyageur. Vingt ans auparavant, les conditions étaient les mêmes : il y avait pendant toute l’année une voiture partant alternativement, tous les deux jours, de Paris ou de Lyon, « ce qui fait, lit-on dans l’Almanach du citoyen (1754), auquel on peut emprunter de curieux détails sur l’industrie des transports sous le règne de Louis XV, qu’elle arrive régulièrement la veille de son départ dans les deux villes. » Maintenant en trains omnibus on parcourt les 507 kilomètres qui séparent Paris de Lyon en 19 h. au plus, pour un prix moyen de 43 francs. Le voyage de Paris à Bordeaux s’effectuait à peu près dans le même temps ; mais la diligence ne partait que deux fois par semaine, et le voyageur, qui, dans les momens d’affluence, attendait souvent un mois que son tour d’inscription arrivât, payait 140 livres. Aujourd’hui, indépendamment de la multiplicité si commode des convois des chemins de fer, il ne faut que vingt heures environ pour faire le voyage de Paris à Bordeaux, et la dépense n’est en moyenne que de 48 fr. 55 c.

L’appréciation du prix de revient du transport des personnes par les voitures publiques de terre ou les bateaux à vapeur a été faite avec beaucoup de soin dans un ouvrage dû, dit-on, à l’auteur du Manuel du spéculateur à la Bourse[2]. Ce prix, pour la diligence classique, contenant 16 places dans le coupé, l’intérieur, la rotonde et sur l’impériale, n’atteindrait pas 0 fr. 07 c. par voyageur et par kilomètre ; il ne dépasserait pas 0 fr. 01 c. pour les bateaux à vapeur. Le premier de ces résultats est conforme à celui qui est donné dans les Documens statistiques, mais le second serait, suivant le rapporteur officiel, quintuple dans les meilleures conditions. Quoi qu’il en soit du dernier de ces points, il reste avéré que les voies navigables sont particulièrement avantageuses sous le rapport pécuniaire, lorsqu’on ne tient pas compte de l’axiome économique de nos voisins d’outre-Manche : time is money. En effet, la vitesse des bateaux varie seulement de 10 à 20 kilomètres à l’heure, et la limite supérieure n’est pas atteinte par la vitesse des voitures de terre, qui n’excède jamais 16 kilomètres. Tels ne sont pas d’ailleurs les prix effectifs de transport par ces deux voies de communication, sur lesquelles on paie de 0 fr. 10 c. à 0 fr. 12 c, et de 0 fr. 03 c. à 0 fr. 05 c, suivant qu’il s’agit de la voie de terre ou de la voie d’eau. « Si l’établissement des chemins de fer, remarque justement l’auteur du texte des Documens statistiques, n’avait eu pour conséquence que le déplacement des transports en les enlevant aux routes de terre et en partie aux voies navigables, les services rendus n’auraient eu qu’une faible importance, et d’ailleurs ils eussent été acquis au prix de la gêne et des souffrances qui surgissent toujours de la suppression d’une industrie. » Il n’en a point été ainsi du reste, notamment pour ce qui concerne le transport des voyageurs par les voies de terre ordinaires, lequel n’a pas décru, autant qu’on serait tenté de le croire, par suite de la quantité innombrable d’omnibus et de voitures de correspondance qu’ont fait créer les voies ferrées. Ainsi ce transport comprenait un parcours de 520,000,000 kilomètres en 1841, de 556,000,000 en 1847, de 445,000,000 en 1853, de 428,000,000 en 1854. Durant cette même période partout où une voie navigable ne s’est pas trouvée en rivalité avec un chemin de fer, le transport des voyageurs s’y est accru.

C’est le 1er octobre 1828 qu’a été ouvert le premier chemin de fer français, sur une longueur de 18 kilomètres, double seulement de celle du petit chemin de fer qui va être construit en Grèce. L’Angleterre possédait déjà 119 kilomètres de rail-ways. Ce n’est point à cette date toutefois qu’il faut reporter l’inauguration du nouveau mode de transport des personnes : les trois premiers chemins de fer concédés, — ceux de Saint-Étienne à la Loire (1823) et à Lyon (1826), et d’Andrezieux à Roanne (1828), dont la longueur totale n’était que de 102 kilomètres, — n’avaient été construits que pour joindre nos riches bassins houillers de Saint-Étienne et de Rive-de-Gier au Rhône et à la Loire. Ce n’est qu’au mois de juillet 1832 que s’opéra, sur la seconde de ces petites lignes, le transport des voyageurs. Trois ans plus tard, on concédait le chemin de fer de Saint-Germain, le premier qui ait eu spécialement cette destination ; les deux lignes rivales de Versailles furent entreprises immédiatement après. Il n’y a point à rappeler avec quelle lenteur a été trop longtemps menée cette grande question des chemins de fer[3]. Je n’ai à m’occuper que de ce qui regarde la circulation des voyageurs ; mais il convient d’abord d’énoncer un détail curieux sur la répartition des deux grandes catégories de produits dont se compose le trafic de nos voies ferrées, à savoir, la proportion continuellement moindre suivant laquelle le transport des personnes concourt au revenu des compagnies. Ainsi le produit des marchandises, qui ne formait en 1841 que 37 pour 100 du produit total, y est successivement entré pour 42 pour 100 en 1847, 47 pour 100 en 1853, 52 pour 100 en 1854, et y entre peut-être maintenant pour 60 pour 100. Le rapporteur des Documens statistiques remarque avec raison que l’augmentation incessante du trafic des marchandises s’explique parce que l’augmentation du réseau réalise de plus en plus la condition indispensable du rapprochement entre le chemin de fer et les points de provenance ou de destination. Les voyageurs au contraire sont acquis aux voies ferrées dès que celles-ci abrègent le parcours total qu’ils se proposent d’effectuer, et toutes les nouvelles lignes sont d’ordinaire des prolongemens ou des embranchemens de lignes principales que suivaient déjà ces voyageurs. La comparaison des nombres de kilomètres moyennement exploités et de billets délivrés d’une année à l’autre prouve du reste que l’habitude des voyages en chemins de fer commence à se répandre : par exemple, tandis que notre réseau ne s’est pas accru de 1853 à 1854 de 10 pour 100, le nombre des voyageurs a augmenté de 14 pour 100.

Le chiffre des voyageurs est presque devenu sept fois plus élevé en 1857[4] qu’en 1841, première des années examinées isolément dans les publications officielles, et la quotité des recettes, qui croissent beaucoup plus rapidement, en raison de la longueur plus considérable du parcours de chaque voyageur pris individuellement, a crû durant la même période dans la proportion de 1 à 16 à peu près[5]. On doit pressentir que le nombre des voyageurs ne peut être considéré indépendamment de leur parcours. Le voyageur allant de Paris à Bordeaux ne figure évidemment pas dans le trafic au même titre que le voyageur se rendant seulement de Paris à Orléans. Il faut donc nécessairement introduire une unité complexe, qui permette de tenir compte tout à la fois du nombre des voyageurs et de la distance parcourue par chacun d’eux : cette unité, qu’on appelle le voyageur-kilomètre, est le voyageur transporté à 1 kilomètre de distance ; elle s’obtient en multipliant le nombre des voyageurs qui ont parcouru une distance quelconque par cette distance, et en additionnant ensemble tous les nombres ainsi obtenus. On comprend par exemple que, sous le rapport du produit, 100 voyageurs de Paris à Orléans, c’est-à-dire parcourant 121 kilomètres, équivalent à 12,100 voyageurs qui ne parcourent que 1 kilomètre ; mais par ce dernier procédé on obtient des nombres homogènes qui se prêtent à toute sorte de combinaisons intéressantes et utiles. Le chiffre des voyageurs-kilomètres était en 1841 de 112,602,286, et en 1854 de 1,375,440,419. Ce dernier nombre, divisé par celui des kilomètres du réseau à la même époque, montre que le nombre fictif des voyageurs ayant parcouru ce réseau était de 316,339.

Le parcours moyen d’un voyageur quelconque est de 47 kilomètres en 1853 : comme on le devine, ce nombre varie beaucoup avec la classe à laquelle appartient le voyageur, et, si j’ajoute que les chiffres relatifs aux trois classes sont 82 pour la première, 34 pour la deuxième et 47 pour la troisième, on aura immédiatement, par l’identité complète de ce dernier nombre avec le nombre moyen, une idée de l’influence énorme que va exercer le voyageur de troisième classe. Ce n’est point en effet le promeneur riche qui s’en va à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Strasbourg, qui traverse la France pour aller faire une excursion à l’étranger, ou qui vient de l’étranger pour voiries merveilles parisiennes ; ce n’est point, dis-je, ce voyageur qui contribue le plus à la prospérité de nos chemins de fer ; il cède le pas au voyageur de troisième classe, qui vient peser dans la balance par la supériorité numérique. Examinons donc comment se répartit le public suivant la nature des places. Nous trouvons que les proportions afférentes aux voyageurs de première, deuxième et troisième classe sont, en 1854, sur les lignes les plus importantes, de 10, 21 et 69 pour 100 quant au nombre, de 19, 20 et 61 pour 100 quant au parcours, de 30, 24 et 46 pour 100 quant à la recette. Considérables au point de vue de la quantité des billets délivrés, les différences entre les trois classes diminuent lorsque l’on considère le mouvement, et surtout lorsqu’on ne fait attention qu’à la recette ; toujours cependant la supériorité reste acquise à la troisième classe.

En laissant momentanément de côté les voyageurs à prix réduit, c’est-à-dire ceux des trains de plaisir, les enfans, les émigrans, etc., on voit que sur 100 voyageurs, 9,38 appartiennent à la première classe, 24,25 à la deuxième, et 66,47 à la troisième. Cette dernière comprend donc les deux tiers du nombre total des voyageurs, et ces moyennes, bien que relatives à 1854, peuvent être encore aujourd’hui considérées comme exactes. Ces résultats, il importe de le remarquer, sont obtenus sans qu’on tienne compte des chemins placés dans des conditions exceptionnelles, tels que ceux de Rhône et Loire et ceux de la banlieue parisienne, sur lesquels il n’existe que des places de deuxième classe. Les lignes du Havre et de Dieppe sont celles où la quantité des voyageurs de première classe est la plus grande, et le fait est attribué aux bains de mer ; cette quantité est plus faible sur les réseaux du Nord et de l’Est, malgré l’affluence des étrangers qu’amènent les pays limitrophes, et nonobstant le voisinage de la mer pour le premier de ces deux réseaux.

La proportion des voyageurs à prix réduit était seulement, en 1853, de 3 pour 100 dans le nombre total des voyageurs en chemins de fer comme.dans la recette. Tandis que le parcours moyen d’un voyageur à prix complet n’est que de 45 kilomètres, celui d’un voyageur à prix réduit est de 86 ; en 1854, les deux nombres étaient 54 et 94. À cette catégorie spéciale de voyageurs, dont le rôle est vraiment insignifiant, se rattache un détail pratique que je ne puis passer ici sous silence. Tant que l’administration n’avait pu imposer aux compagnies de chemins de fer le type de cahier des charges qui en régit actuellement la grande majorité et qui est destiné à les régir toutes, le transport des enfans, objet d’une regrettable lacune dans les concessions primitives, était une source de plaintes continuelles pour le public, par suite de l’arbitraire et de l’hétérogénéité des règles adoptées sur les diverses lignes. Aujourd’hui les enfans paient demi-place au-dessous de sept ans, et ne paient rien s’ils ont moins de trois ans : dans le premier cas seulement, ils ont droit à une place distincte, sans que deux enfans voyageant dans un même compartiment puissent occuper plus d’une place.

Il est curieux d’étudier, dans les Documens statistiques, l’influence que peuvent exercer les saisons, les jours, les circonstances atmosphériques sur les voyages en chemins de fer. On y voit que le semestre de novembre à avril ne correspond qu’à 41 pour 100 du mouvement général de notre réseau, tandis que le semestre de mai à octobre en comprend 59 pour 100 ; que la circulation publique, est moins considérable le vendredi, par suite peut-être du préjugé populaire dont ce jour est l’objet ; que les grands parcours diminuent les dimanches et jours de fêtes, tandis que les petits augmentent ; que la pluie et le beau temps agissent dans le sens prévu sur le nombre des voyageurs de la banlieue parisienne. À l’égard de cette banlieue, on trouve que sur 36,807 billets délivrés quotidiennement en moyenne aux gares de Paris ou à divers points du réseau pour ces gares, 26,775 appartiennent aux stations comprises dans les environs de Paris. On sait que, contrairement à ce qui a lieu pour le transport des marchandises, le transport des voyageurs se répartit sensiblement avec égalité dans les deux sens pour une ligne donnée, lorsque l’on considère le mouvement annuel de cette ligne et qu’on ne tient pas compte des circonstances qui déplacent successivement l’affluence des voyageurs dans un sens ou dans l’autre pour une époque déterminée. Telle est, par exemple, sur tout le réseau, la période des vacances, qui occasionne alternativement un grand mouvement de Paris vers la province au commencement, et de la province vers Paris à la fin ; telle est, spécialement sur les chemins de Versailles et de Saint-Germain, cette affluence qui se produit, à certains jours, au départ de Paris dans la matinée, et en sens contraire dans la soirée. Ces chemins et celui d’Auteuil ont transporté parfois, dans un seul beau dimanche d’été, plus de quatre-vingt mille personnes[6]. En appréciant le fait général que je viens d’indiquer, il faut conclure que, le quart du nombre total des billets de chemins de fer se délivrant dans les gares parisiennes, la moitié des voyageurs vont à Paris ou en viennent, et que, ces gares apportant plus du tiers de la recette totale des voyageurs (du moins sur les lignes du Nord, d’Orléans et de Lyon), les deux tiers environ de cette recette sont dus au public qui quitte Paris ou y arrive incessamment.

Il est des touristes arriérés, qui, prenant tout à fait de travers la question des transports par chemins de fer, dont le résultat doit être la prompte arrivée à destination, affectent de se plaindre de la vitesse avec laquelle ils parcourent ces voies perfectionnées, où ils prétendent ne pouvoir admirer à loisir le paysage dans toute sa variété. La grande majorité du public au contraire, par suite d’une impatience déraisonnable, commence à trouver que la vitesse de nos chemins de fer est inférieure à ce qu’elle devrait être. Pouvoir aller de Paris à Strasbourg (502 kil.) ou à Lyon (507 kil.) en seize heures environ, à Bordeaux (578 kil.) en vingt heures, à Marseille (862 kil.) en vingt-quatre heures, semble aujourd’hui insuffisant. Les trains omnibus, que je considère seuls en ce moment, sont à quelques partisans trop pressés du progrès véritablement odieux, par suite de ces arrêts fréquens dont la durée totale forme, il est vrai, une fraction importante du temps employé à faire le trajet[7]. Les trains express, qui parcourent les distances que j’ai prises pour exemples en dix heures, dix heures et demie, treize heures et dix-neuf heures et demie environ, les contentent à peine. Il leur faudrait presque la vélocité exceptionnelle de cette malle de l’Inde qui, dans un cas urgent, a franchi la distance de Marseille à Paris en neuf heures à peu près, ayant fait ainsi une centaine de kilomètres à l’heure, un pareil emploi des chemins de fer ne peut être l’objet d’aucune comparaison avec l’installation d’un service régulier ; mais l’exemple était bon à citer, pour montrer quel maximum de vitesse pouvait être produit à un moment donné. Du reste, on peut se rendre actuellement de Paris à Londres en moins de onze heures, à Turin en trente-cinq heures, à Milan en quarante heures, à Venise en cinquante heures, et une semblable célérité dans les communications régulières entre des points aussi éloignés est certainement un résultat admirable.

La compagnie du Nord a été autorisée par l’administration à donner à ses trains de voyageurs une vitesse de 120 kilomètres à l’heure. Toutes les autres compagnies françaises ont proposé un maximum inférieur. Il importe à ce sujet de bien préciser ce qu’on doit entendre par la vitesse d’un train. Pour le voyageur qui prend le train express de Paris à Strasbourg, et parcourt en dix heures les 502 k. qui séparent ces deux villes, la vitesse qu’il obtient est évidemment de 50 kilomètres à l’heure. Si maintenant on défalque la durée des temps d’arrêt de celle du trajet, on voit que la vitesse moyenne du train que nous considérons est de 56 kilomètres à l’heure ; mais si en outre on tient compte de là perte de temps qui est la conséquence forcée de ces arrêts, du ralentissement par exemple qui précède l’arrivée à chacune des stations que dessert le train et la mise en marche progressive de ce train, lorsqu’il quitte une station ; si l’on tient compte encore de l’irrégularité inévitable de l’allure suivant les conditions du profil de la ligne parcourue, on sera conduit à comprendra comment s’introduit une troisième sorte de vitesse, supérieure aux deux autres, et assez difficile à calculer avec exactitude. On peut admettre toutefois que ce maximum excède à peu près de moitié, pour un train d’une nature quelconque, la vitesse moyenne, et celle-ci varie, sur les diverses lignes du réseau français, entre 30 et 40 kilomètres à l’heure pour les trains mixtes de voyageurs et de marchandises, entre 40 et 45 pour les trains omnibus purs, et entre 55 et 72 pour les trains express. Ce dernier chiffre est relatif au chemin de fer du Nord, où la marche des trains à grande vitesse, rendue progressivement plus rapide, ainsi d’ailleurs que sur les autres lignes, a toujours été supérieure : la diminution de la durée primitive des trajets n’y est pas moindre de 40 pour 100.

Aux termes des cahiers des charges des concessions de chemins de fer, les compagnies sont autorisées à percevoir, par voyageur et par kilomètre, 0 fr. 10 dans les voitures de première classe, 0 fr. 075 dans celles de deuxième, 0 fr. 055 dans celles de troisième, sans tenir compte de l’impôt dû à l’état, qui augmente d’autant le prix à payer par les voyageurs ; les places des trois classes reviennent donc respectivement à 0 fr. 112, 0 fr. 084 et 0 fr. 0616[8]. La perception de ce tarif est faite d’après le nombre de kilomètres parcourus ; mais tout kilomètre entamé est payé en entier, et si la distance parcourue est inférieure à 6 kilomètres, elle est comptée néanmoins pour 6 kilomètres. À la suite de quelques réductions faites, pour diverses causes, sur un certain nombre de points, le tarif kilométrique moyen des voyageurs à prix complet était en 1854, pour la première classe, de 0 fr. 0967, pour la deuxième de 0 fr. 0710, pour la troisième de 0 fr. 0417, soit en général de 0 fr. 0632. Ce chiffre permet d’apprécier l’avantage pécuniaire réalisé en moyenne par la substitution du mode nouveau de locomotion au mode ancien, et montre qu’il n’est pas très considérable. Les billets économiques d’aller et de retour, les cartes d’abonnement, les billets communs à plusieurs lignes, les trains de plaisir à prix réduits, — qui ont notamment fait participer en 1855 toute la province à la grande fête universelle de l’exposition parisienne des beaux-arts et de l’industrie, — ne donnent qu’une très faible idée des procédés par lesquels les compagnies de chemins de fer peuvent provoquer le public au déplacement. D’autre part, il semble bien juste qu’elles tiennent compte de la vitesse dans la perception du prix des places, et qu’au moins, si.elles appliquent le maximum du tarif légal aux voyageurs des trains express, elles ne le perçoivent pas intégralement pour les trains omnibus. La place du voyageur de première classe n’a évidemment pas pour une même distance, dès qu’elle est un peu longue, la même valeur dans les deux cas. On peut dire en outre que les compagnies ne semblent pas se rendre compte du puissant moyen qu’elles auraient de développer la circulation publique par un abaissement de tarifs. Il est bien certain qu’avec le temps il arriverait quelque chose d’analogue à ce qui s’est passé pour les omnibus de Paris, dont le nombre des voyageurs a presque doublé durant les trois dernières années. Le rapport présenté, au nom du conseil d’administration de la société générale du crédit mobilier, dans la dernière assemblée des actionnaires, constate que ces omnibus avaient transporté 34 millions de voyageurs en 1854, année qui a précédé la fusion des anciennes entreprises, et qu’ils en ont transporté en 1857 plus de 60 millions. Or la cause de cet accroissement réside principalement dans la diminution du prix des places qu’a permise l’addition d’impériales aux voitures primitives, car les places à 0 fr. 15, fort recherchées, comme on sait, offrent un notable avantage à toute personne qui a le temps de mettre à profit le mode si populaire de locomotion que procurent les omnibus. Jusqu’à présent, les compagnies de chemins de fer n’ont cherché l’accroissement de la circulation que dans une organisation de service offrant un nombre de trains très supérieur aux besoins, et elles appliquent d’ordinaire le maximum des tarifs qui leur ont été concédés. L’auteur des Réformes économiques se demande quelque part s’il ne serait pas plus sage de diminuer la fréquence des trains en vue de leur plénitude : je crois qu’il fait trop bon marché de l’un des plus précieux avantages des nouvelles voies de communication et certainement de l’un des plus grands stimulans de mouvement. Après avoir examiné, dans la plupart des développemens qu’elle comporte, la question intéressante de la circulation publique en chemins de fer au point de vue des conditions multiples dont il faut tenir compte pour en mesurer avec certitude la puissance économique, il importe de compléter cette étude en faisant connaître les chiffres qui permettent d’apprécier le degré de sécurité dont jouissent les voyageurs.


II. — SECURITE DES VOYAGEURS SUR LES CHEMINS DE FER.

Le rapport entre le nombre des voyageurs transportés par chemins de fer et le nombre des victimes est de nature à faire cesser les préoccupations exagérées qui se manifestent chaque fois que la régularité normale du nouveau mode de communication vient à être troublée de loin en loin par un fâcheux incident. Ces préoccupations sont malheureusement ravivées en ce moment même par un fait douloureux, qui rompt cet équilibre de tranquillité dans lequel on vivait en France depuis plus de trois ans,et demi. En présence du regrettable accident du Vésinet, c’est un devoir plus impérieux encore de montrer que la sécurité des transports par les voies ferrées est infiniment supérieure à la sécurité des transports par les routes de terre ordinaires, et de prouver par des chiffres incontestables que les accidens de chemins de fer n’ont pas la gravité qui leur est généralement attribuée par le public.

Du 7 septembre 1835 (date de l’inauguration du service dés voyageurs sur le chemin de fer, de Saint-Etienne à Lyon) au 31 décembre 1856, époque à laquelle s’arrête la statistique officielle qui nous fournit ces chiffres, il a été transporté 224,345,769 voyageurs. À ce nombre énorme correspond le nombre relativement faible de 513 voyageurs tués ou blessés, ce qui donne 1 victime sur 437,321 voyageurs transportés. Sur ces 513 victimes, 111 (ce nombre n’a pas varié de 1855 à 1856) ont été tuées, soit 1 sur 2,021,133, et 402 ont été blessées, soit 1 sur 558,074. On doit reconnaître tout d’abord, d’une manière absolue, que le calcul des probabilités, en présence de semblables résultats, apporte à chacun la preuve que sa sécurité personnelle est réellement protégée par des garanties sérieuses, et qu’il peut prendre place sans crainte dans une voiture de chemin de fer, en même temps que les soixante-douze compagnons de voyage que lui donne la statistique[9]. Cette absence de crainte sera d’autant plus légitime que personne n’a songé, en montant dans une diligence, aux chances d’accidens qu’on pouvait courir, et cependant ces chances étaient bien autrement défavorables lorsqu’on se confiait aux messageries. Nous trouvons en effet dans le curieux et substantiel rapport de M. Tourneux un tableau des accidens arrivés pendant dix années (1846-1855) aux voitures des deux grandes entreprises de messageries, qui met cette assertion hors de doute. On voit que, durant la période décennale considérée, 7,109,276 voyageurs ont été transportés, en diligences, sur lesquels 20 ont été tués et 238 blessés ; la proportion est donc de 1 tué sur 355,463, de 1 blessé sur 29,871, et de 1 victime sur 27,555 voyageurs transportés. Il est donc parfaitement exact de dire que la diligence ne supporte pas plus la comparaison avec la voiture de chemin de fer sous le rapport de la sécurité que SQUS celui de la rapidité et du comfortable.

Cette tranquillité d’esprit avec laquelle un voyageur peut se confier aux voies ferrées ressortira encore mieux, si l’on pousse plus loin les calculs, comme l’a fait avec une intelligente sagacité le rapporteur officiel que je viens de nommer. Sur les 111 voyageurs qui ont perdu la vie par le fait de l’exploitation des chemins de fer, 97 ont été tués par les accidens de Bellevue (1842), Fampoux (1846), Orsay (1854), Vaugirard, Moret et Peltre (1855), et 14 seulement l’ont été dans les accidens autres que ces catastrophes à jamais déplorables. Les six accidens exceptionnels que je viens de rappeler donnent une proportion analogue à celle qui résulte du calcul opéré sans distinction, tandis que les autres ne donnent que celle de 1 mort pour 13,500,000 voyageurs. C’est là réellement le seul chiffre dont on doive garder la mémoire, comme correspondant aux conditions normales de la sécurité qu’offrent au public nos voies ferrées. Ajouterai-je que, sur les 97 morts dues à ces six accidens anormaux, 52 constituent la part afférente au seul sinistre de Bellevue, arrivé précisément au moment où notre réseau était encore dans l’enfance ? La génération présente se souvient encore de la stupeur produite à Paris par un fait qui s’élevait à la hauteur d’un désastre public, et que rendait encore plus émouvant la triste fin d’un amiral, qui, après avoir promené glorieusement son pavillon autour du globe, venait périr misérablement, avec toute sa famille, à la suite d’un voyage de plaisir et d’un trajet de quelques kilomètres. Dans cette terrible catastrophe, neuf voyageurs en outre avaient été blessés. Les cinq autres accidens apportent un contingent de cinquante victimes qui n’ont pas perdu la vie. On voit dès lors que le nombre des voyageurs blessés à Bellevue, Fampoux, Orsay, Vaugirard, Moret et Peltre n’est pas de nature à exercer, comme cela avait lieu pour les voyageurs tués, une influence notable sur la proportion qui résulte de la comparaison du nombre total des blessés au nombre des voyageurs transportés depuis 1835 jusqu’à la fin de 1856.

L’administration n’avait point attendu que les trop nombreux accidens de 1853 appelassent brusquement son attention sur la question capitale de la sécurité des voyages en chemins de fer. Aucune lacune n’existe dans cette branche si importante de la statistique des chemins de fer français. Antérieurement à 1850, les préfets des départemens traversés par les lignes de fer avaient adressé au ministre des travaux publics des renseignemens relatifs aux accidens arrivés sur ces lignes depuis la mise en exploitation jusqu’au 31 décembre 1847. En 1852, les ingénieurs de l’état avaient été invités à réunir des documens semblables pour la période qui s’étend du 1er janvier 1848 au 31 décembre 1851 et pour le premier semestre de 1852. Depuis cette époque, une statistique périodique, primitivement trimestrielle, maintenant mensuelle, tient régulièrement l’administration supérieure au courant des accidens de toute nature qui se produisent sur notre réseau, alors même qu’aucune conséquence n’en est résultée pour les personnes. L’uniformité, si nécessaire pour fondre dans un travail récapitulatif des états partiels provenant de sources diverses, si difficile aussi à atteindre par suite de la multiplicité et surtout de la variété des circonstances qui peuvent se présenter en pareille matière, a bientôt été obtenue. Pour chaque compagnie, un registre, dont le cadre a pu être arrêté grâce aux enseignemens d’une expérience déjà longue, est tenu constamment à jour ; il fait connaître avec détails les causes et les effets de. chaque accident, et se prête à l’étude de toutes les mesures propres à augmenter incessamment la sécurité, déjà suffisante, ainsi qu’on doit en être maintenant convaincu, de nos voies ferrées.

La commission d’enquête, pour la période antérieure au 31 décembre 1853, s’est en outre fait remettre par les compagnies, comme moyen de contrôle des renseignemens qu’elle possédait par l’entremise de l’administration, le relevé détaillé de tous les accidens arrivés depuis l’origine des chemins qui ont été concédés. Elle a chargé son rapporteur, M. Tourneux, de grouper méthodiquement les nombreux documens qu’elle avait reçus. Celui-ci a eu recours à un système aussi ingénieux que précis pour faire connaître avec les détails suffisans les accidens survenus dans l’exploitation de notre réseau ferré. Chaque chemin est l’objet de quatre tableaux fournissant par année jusqu’au 31 décembre 1854 : le premier, le chiffre des kilomètres exploités en moyenne, le nombre des accidens de tout genre constatés dans les stations ou en pleine voie, les résultats concernant les personnes ; — le deuxième, la désignation des accidens suivant leur nature (déraillemens, collisions, etc.) ; — le troisième, celle des accidens groupés par catégories, avec l’indication des causes constatées et des effets quant aux personnes ; — le quatrième enfin est une nomenclature des accidens individuels dus principalement à l’imprudence des victimes elles-mêmes, et que j’ai jusqu’à présent passés sous silence, en m’attachant uniquement à la statistique des victimes proprement dites de l’exploitation des chemins de fer. Il ne serait point équitable en effet de mettre au nombre des dangers inhérens à ce précieux instrument de travail la mort ou les blessures des voyageurs qui commettent l’insigne imprudence de descendre de voiture ou d’y monter pendant que le train est en mouvement, qui sautent des trains en marche, qui en tombent par suite d’une mauvaise fermeture des portières (dont ils sont le plus souvent les auteurs volontaires ou involontaires), qui se penchent hors des voitures de manière à se heurter la tête contre les ouvrages d’art, qui font des chutes dans les gares en y circulant maladroitement ou avec précipitation, qui, en un mot, doivent seuls être regardés comme responsables de semblables événemens. Bien que notablement inférieur à celui des accidens survenus par le fait même de l’exploitation, le nombre des accidens de cette nature et de ceux qui proviennent de causes tout à fait indépendantes de l’exploitation est encore assez considérable. Du 7 septembre 1835 au 31 décembre 1856, 49 voyageurs ont trouvé la mort dans des circonstances de ce genre, et 107 y ont été blessés. Il n’y aurait évidemment aucun intérêt à établir une comparaison entre ces chiffres et celui des voyageurs transportés.

En continuant l’examen de la méthode suivie par M. Tourneux pour dresser la statistique des accidens arrivés sur tout le réseau français, nous trouvons des relevés généraux faits au moyen des troisième et quatrième tableaux relatifs à chaque chemin de fer. La désignation des accidens d’après leurs causes et leurs effets, quant aux personnes, est particulièrement instructive, mais demande, comme tous les documens de cette nature, à être appréciée avec beaucoup de circonspection, sous peine de ne pas conduire à des conséquences exactes et générales. Ainsi, pour n’en donner qu’un exemple, les déraillemens avaient fait, au 31 décembre 1854, 110 victimes parmi les voyageurs (66 tués, 44 blessés), tandis que les collisions de convois en avaient fait 289, dont 15 seulement auraient perdu la vie. Il est juste de dire que de ces deux causes la seconde est la plus redoutable ; mais il serait complètement faux d’ajouter qu’elle est moins meurtrière que la première, car la vérité, c’est précisément tout le contraire de ce qu’indique en apparence la comparaison des nombres de morts. En effet, il est indispensable d’observer que, sur les 66 morts dues à des déraillemens, 64 constituent le funèbre bilan des seuls accidens de Bellevue et de Fampoux, de telle sorte qu’en les mettant à part, il ne reste plus qu’un chiffre réellement insignifiant. On sait que les quatre autres catastrophes d’Orsay, de Vaugirard, Moret et Peltre sont précisément des collisions. Je ne crains pas d’affirmer, d’après l’expérience qui nous montre des trains de grande vitesse sortis brusquement de la voie sans qu’il en résultât aucune conséquence pour les personnes, que les déraillemens sont infiniment peu dangereux, pourvu qu’aucune circonstance particulière ne vienne compliquer un fait qui sans cela se borne à des avaries de matériel. Je ne puis malheureusement point émettre la même assertion au sujet des collisions, qui, eu égard.au poids et à la vitesse des masses choquantes, peuvent difficilement ne point être graves, et qui doivent particulièrement attirer l’attention de l’administration publique et des compagnies. Il n’est même pas besoin de nommer les autres causes d’accidens provenant du fait de l’exploitation proprement -dite, tant elles sont rares et peu importantes.

Le relevé général des accidens individuels de personnes tuées ou blessées durant la période qui se termine au 31 décembre 1854, permet également d’avoir une idée de la répartition approximative des causes de ces accidens, généralement accompagnées d’une violation des règlemens. Le nombre des victimes afférent à ce relevé général n’était que de 96 ; il présente, au 31 décembre 1856, l’augmentation considérable de 60. Sur ces 96 voyageurs, 36 avaient été tués ; 29, dont 15 sont morts, avaient été victimes de leur imprudence, en descendant des trains en mouvement ou en y montant ; 21, dont 5 seulement (ce qui est vraiment miraculeux) ont trouvé la mort dans leur chute, avaient sauté en bas d’un train en marche ; 13 en étaient tombés par divers motifs, et 7 avaient été tués sur le coup ; le même nombre 13 représente la quantité de voyageurs tombés dans les stations, et dont 10 n’ont reçu que des blessures ou même des contusions. Le chiffre total des victimes se compléterait au moyen d’accidens provenant de causes diverses. Parmi ces derniers, je ne relèverai que la mort d’un voyageur brûlé dans le compartiment d’une diligence transportée sur un truck, à laquelle il avait mis le feu par mégarde avec des allumettes chimiques.

Enfin l’annexe relative aux accidens qui se trouve dans l’Enquête se termine par deux doubles tableaux relatifs, l’un à l’année 1854, l’autre à l’année 1855 ; l’Enquête ne renferme que quelques totaux généraux pour 1856. On a donc, pour chacune des années 1854 et 1855, la classification des accidens de chemins de fer suivant leur nature, leurs causes et leurs effets, non-seulement quant aux personnes, mais encore quant à la régularité de la marche des trains. Ces tableaux donnent d’ailleurs des renseignemens précieux, qui n’avaient pu être obtenus antérieurement : je veux parler du nombre de trains mis en circulation et du nombre de kilomètres qu’ils ont parcourus. Ces chiffres offrent encore une preuve de la sécurité des voyages en chemins de fer. L’année 1856, par exemple, est fort rassurante, et contraste heureusement avec l’année précédente, qui avait été exceptionnellement néfaste : sur 35,299,293 voyageurs, transportés dans 332,501 trains et ayant parcouru ensemble 27,416,234 kilomètres, aucun n’a été tué et 9 seulement ont été blessés, ce qui correspond à 1 voyageur sur près de 4 millions pour 37,000 trains et plus de 3 millions de kilomètres parcourus. Sur 4 millions de voyageurs, un seul sera blessé : la vie humaine est-elle dans toutes les conditions aussi bien partagée sous le rapport de la sécurité ? M. Tourneux a sans doute fait cette réflexion lorsqu’il a cru devoir donner le nombre des individus tués en France par des voitures, charrettes et chevaux pour une période de quatorze ans (1840-1853) ; mais ce chiffre, qui est de 10,324 (soit annuellement 737), n’a qu’une signification incomplète. Le rapporteur officiel a été mieux inspiré lorsqu’il a cherché dans le Wreck Register une statistique des sinistres maritimes arrivés à des navires anglais le long des côtes et sur les mers de la Grande-Bretagne ; toutefois le chiffre de 4,348 décès, correspondant à la période de 1852 à 1856, est également insuffisant, puisqu’on ne peut le considérer qu’indépendamment du nombre des marins exposés. Cependant il n’est pas douteux qu’il n’y ait une certaine analogie entre la navigation maritime et le parcours d’un chemin de fer. Des deux côtés, on trouve parmi les causes d’accidens les brouillards, les fautes du personnel, les erreurs de signaux ; les collisions y jouent aussi un grand rôle. La justesse du rapprochement apparaît mieux encore, si l’on jette les yeux sur ces cartes de la Géographie physique de la mer, où le lieutenant Maury[10] trace, à l’aide des conquêtes de cette expérience nautique à laquelle il convie toutes les marines du globe, les routes les plus avantageuses pour les navires à vapeur qui voyagent entre l’Europe et l’Amérique. On y trouve, comme sur les chemins de fer à double voie, une route spécialement affectée, par la force des choses, à chacun des grands parcours,, de telle sorte que les collisions entre deux navires marchant en sens contraire deviennent impossibles.

Je ne me suis occupé à dessein, pour bien isoler la question de la sécurité des voyageurs, que des accidens arrivés à ceux-ci tant par le fait de l’exploitation que par, des causes qui en sont totalement indépendantes, et notamment par l’imprudence des victimes. Il est cependant deux autres grandes catégories d’individus qui perdent la vie ou se font blesser sur les chemins de fer. La première, qui ne peut trouver place ici, c’est le personnel des compagnies elles-mêmes, qui, par le nombre, les fonctions qu’il remplit, les attributions légales qui lui sont conférées, les questions de salaire, d’épargne, de recrutement, d’hygiène, de travail, etc., qu’il soulève, je dirais presque par le rôle social qu’il joue aujourd’hui, mérite une étude spéciale. La seconde comprend les autres personnes, — pour emprunter l’expression même dont se sert la commission d’enquête, attentive à distinguer les résultats donnés par la statistique en ce qui concerne ces individus, qui ne sont ni des voyageurs, ni des agens des compagnies. Pour citer un exemple qui montre nettement la nécessité d’introduire cette distinction, je mentionnerai un fait qui peut intéresser particulièrement le moraliste : depuis l’origine du réseau français, 45 suicides ont eu lieu sur nos chemins de fer. Le nombre total des autres personnes victimes de leur imprudence ou de faits indépendans de l’exploitation s’élève au 31 décembre 1856 à 82, dont 34 tués et 48 blessés. Il doit être complété par le nombre, beaucoup plus considérable, des victimes de l’exploitation proprement dite, qui comprenait à la même époque 168 morts et 84 blessés, soit en tout 252 personnes, — heurtées sur la voie ou dans les stations par des machines locomotives, tombées en voulant s’introduire frauduleusement dans un train en marche, ayant payé de leur vie ou tout au moins de blessures graves une immixtion inutile ou maladroite dans des manœuvres de gare, etc. La circulation sur la voie est la cause la plus fréquente de ces accidens ; il en a surtout été ainsi au chemin de fer de Rhône-et-Loire, qui, n’étant primitivement pas clôturé et servant réellement de rue à quelques-uns des villages qu’il traversait, offre à lui seul 113 victimes pour les premières années d’exploitation.

Après avoir traité la question de la circulation publique sous le triple rapport de la cherté, de la célérité et de la sécurité, il ne me reste plus qu’à examiner quelques questions accessoires, qui sont de nature à éclairer le public dans ses relations avec les compagnies concessionnaires. Auparavant je voudrais dire un mot d’un sujet qui se rattache directement à cette partie de mon travail, les assurances contre les accidens de chemins de fer. À coup sûr, elles eussent été blâmées par le docte Émerigon, qui écrivait, en 1783, dans son Traité des Assurances, etc. : « La vie de l’homme n’est pas un objet de commerce, et il est odieux que sa mort devienne la matière d’une spéculation mercantile. » Cependant on doit convenir qu’un contrat d’assurance qui intéresse en définitive l’assureur à la sécurité de l’assuré, et qui ne peut faire bénéficier que celui-ci ou ses héritiers naturels, n’a en soi rien d’immoral. Je serais plutôt disposé à repousser cette combinaison par un argument tiré du calcul des probabilités qui lui sert de base, et consistant dans la proportion infime des éventualités auxquelles elle doit faire face, si le rapport de la prime à payer par le voyageur et de l’indemnité à recevoir par lui, en cas de sinistre, n’était pas extrêmement avantageux pour le public. Quoi qu’il en soit, des compagnies d’assurance contre les accidens de chemins de fer ont été constituées en France, en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne[11]. On ne s’étonnera pas sans doute de nous voir devancés en semblable matière par la Grande-Bretagne, où ce système est en vigueur depuis 1849 ; mais je ne crois pas que jamais on trouve en France une victime assez convaincue de l’utilité de ce mode particulier de réparation pour prendre un accident qui doit lui coûter la vie aussi philosophiquement que ce pasteur presbytérien qui, gisant par terre à la suite d’un funeste déraillement arrivé sur le chemin de fer de Londres à Manchester, s’écriait en mourant : « Grâce au ciel, je suis assuré ! » Ce n’est qu’en 1856 qu’un décret impérial a autorisé une société anonyme d’assurances générales sur la vie humaine à comprendre dans ses combinaisons les accidens de chemins de fer. Le résultat de cette opération, pour l’année dernière, ne montre pas qu’elle soit encore très populaire en France, car le rapport lu dans l’assemblée générale des actionnaires n’évalue qu’à 382 le nombre des voyageurs assurés, et à 3,082 fr. 50 c. le montant total des primes d’assurance. Aux termes de l’article 10 des statuts de la compagnie à laquelle je fais allusion, le tarif des primes à payer et des indemnités à recevoir correspond à trois catégories, d’ailleurs indépendantes de la catégorie des places occupées par les voyageurs dans les voitures de chemins de fer ; il se trouve en relation avec la longueur des parcours, avec la durée de l’incapacité de travail occasionnée par le sinistre, avec la gravité de la mutilation qu’il peut avoir entraînée. En cas de décès par exemple, un voyageur qui, pour un parcours de plus de 400 kilomètres, aura payé une prime de 0 fr. 60, laisserait à ses héritiers une somme de 25,000 fr. Il obtiendrait le même résultat, si, ayant pris une police d’abonnement, il avait payé pour l’année une somme de 25 francs.


III. — LES COMPAGNIES DE CHEMINS DE FER ET LE PUBLIC VOYAGEUR.

Chacun a pu remarquer, en prenant place dans une voiture de chemin de fer, une petite affiche mise dans chaque compartiment et portant en substance que, par ordre supérieur, il est interdit de monter en voiture sans être muni d’un billet, de prendre une place de classe supérieure à celle qui est indiquée sur le billet, d’entrer dans la voiture ou d’en sortir par les portières situées du côté de l’entre-voie, de se pencher au dehors, de changer de wagon pendant que le train est en marche, d’en sortir[12] ailleurs qu’aux stations et après l’arrêt complet du train, de fumer dans l’enceinte du chemin de fer. Parmi ces dispositions d’ordre et de police, quelques-unes ont pour but évident la sécurité des voyageurs, d’autres sont destinées à sauvegarder les intérêts dés compagnies de chemins de fer contre des abus qui ne manqueraient pas de se produire, et qui se produisent trop souvent malgré de légitimes précautions. Si j’ajoute que toutes ces mesures sont prescrites par un règlement d’administration publique, on sera en droit de s’étonner que toutes les compagnies n’aient pas adopté le parti, beaucoup plus rationnel et plus convenable à tous égards, de les transcrire purement et simplement, en indiquant qu’elles sont extraites de l’ordonnance royale de 1846, dont un article mentionne positivement l’extrait à placer dans chaque caisse de voiture. N’est-il pas évident que cette sorte de code des règles à observer par le voyageur durant le trajet aurait beaucoup plus de prestige, si, au lieu de la formule vague « par ordre supérieur, » qui semble empruntée à quelque annonce foraine, le public avait sous les yeux le texte même du règlement, qui serait utilement accompagné d’une indication de la sanction pénale attribuée à ce règlement par la loi spéciale du 21 juillet 1845 ? Cette modification de l’usage suivi à cet égard par quelques compagnies de chemins de fer n’est-elle pas d’autant plus essentielle que, suivant le pouvoir qui leur est conféré, elles mentionnent, à la suite des dispositions qu’on vient de rappeler, que le public est tenu d’obtempérer aux injonctions de leurs agens, chargés de faire observer ces dispositions ?

Il importe de remarquer, au sujet de ce droit attribué aux agens des compagnies de chemins de fer, droit qui peut aller jusqu’à contraindre un voyageur à descendre de voiture, qu’il est indispensable que les mesures coërcitives qu’ils peuvent ainsi se trouver obligés de prendre vis-à-vis du public soient justifiées par des motifs plausibles. Ces mesures nécessaires, il faut en convenir, sont d’ailleurs strictement limitées à ce qui est indispensable : elles ne donnent point, par exemple, le pouvoir aux agens d’une compagnie de s’emparer, ce qui est arrivé une fois, du manteau et du chapeau d’un voyageur trouvé dans une voiture de deuxième classe avec un billet de troisième et refusant de payer la différence du prix qui lui était réclamée. Néanmoins ce voyageur, pour rentrer en possession de ses effets, a dû en demander la restitution aux tribunaux, qui ont rappelé à cette occasion ce principe sacré, que les compagnies des chemins de fer ne doivent jamais perdre de vue : elles ne peuvent se faire justice elles-mêmes, leur droit se borne à une constatation régulière du fait illégal et à une action par les voies régulières en recouvrement de la somme à laquelle peut être évalué le préjudice.

À cette question des billets des chemins de fer se rattachent quelques détails qu’ils n’est pas inutile de faire connaître. Par suite d’une de ces interprétations abusivement littérales que n’excuse pas suffisamment le respect profond que la justice doit avoir pour le texte de la loi, un tribunal avait décidé que la disposition réglementaire qui défend d’entrer dans une voiture sans avoir pris un billet ne pouvait s’appliquer à un voyageur qui reste volontairement dans cette voiture au-delà de la station marquée sur le billet. La cour d’appel a fait justice de ce système erroné, qui aurait pour conséquence directe d’encourager une indélicatesse, consistant à prendre un billet pour un point voisin du lieu du départ et à tenter de prolonger frauduleusement le parcours. L’intention bien certaine du législateur a été de protéger les compagnies contre tout acte de cette nature, qu’on ne peut laisser impuni. Il est bien entendu, du reste, qu’il n’y a aucune assimilation à établir entre un fait de cet ordre et l’erreur d’un voyageur qui, par exemple, à la suite d’un sommeil au moins imprudent lorsqu’il ne doit pas suivre le train jusqu’à complète destination, dépassé involontairement la station extrême marquée sur son billet. Le cas se présente très-fréquemment, surtout pendant la nuit, et les chefs de station ne manquent jamais, lorsqu’aucun soupçon de fraude n’atteint ce voyageur, déjà suffisamment puni de son oubli, de le renvoyer gratuitement à destination par le premier train en sens contraire ; mais, usant de leur droit, ils lui interdisent de sortir de la gare, et déjouent ainsi la fraude qui consisterait à tromper la bonne foi de la compagnie au moyen d’un semblable prétexte, pour passer quelque temps dans une ville avec un prix de parcours inférieur au prix exigible. Il est cependant arrivé qu’une compagnie de chemin de fer, imbue, paraît-il, d’idées moins libérales que celles que je viens d’indiquer, prétendait être en droit de forcer un voyageur, — monté par mégarde dans une voiture d’une classe supérieure à celle indiquée par le billet, reconnaissant son erreur au départ même et se disposant à descendre, — à payer un supplément de prix qui n’est réellement dû qu’en échange d’un transport effectué. L’administration a dû intervenir et rappeler à la compagnie qu’une semblable exigence, qui n’est légale que lorsque la constatation du parcours irrégulier a lieu à l’arrivée, transformait la perception supplémentaire en une véritable pénalité qui excède positivement les droits des compagnies.

Le seul moyen pour les concessionnaires de réprimer les actes de mauvaise foi dont le public les rend trop souvent victimes est la fréquence du contrôle des billets en route ; or ce contrôle est généralement mal accepté par les voyageurs. Il importe donc qu’ils sachent que leur mauvaise humeur, concevable en cas d’abus, surtout pendant les trajets de nuit, ne peut aller jusqu’au refus d’exhiber leurs billets, sans les constituer en état de contravention au règlement et sans les rendre passibles d’une amende que des magistrats sévères pourraient rendre très forte. À la sévérité près, car le tribunal n’avait voulu que donner une leçon au coupable et poser un principe qu’il faut regarder comme incontestable, un voyageur a appris à ses dépens que les compagnies ne font en pareille circonstance qu’user d’un droit légitime, auquel ne manque même plus la consécration judiciaire. Ce voyageur dormait ; désagréablement réveillé à une station intermédiaire par un employé qui le prie de montrer son billet de place, il refuse de le faire. Traduit pour ce fait en police correctionnelle, il a essayé, par l’organe de son avocat, de contester la légitimité de la poursuite, objectant qu’il avait pris son billet avant de monter en voiture, et que, comme il s’agissait d’un train express (uniquement composé, on le sait, de voitures de première classe), il ne pouvait être dans une voiture déclasse supérieure à celle de son billet. Il a même demandé, ce qui était plus spirituel que juste, pourquoi les voyageurs seraient moins bien traités que les colis, qui ne sont en contact avec les agens du chemin de fer qu’au départ et à l’arrivée. Ce système n’a point été admis, comme on doit le pressentir d’après ce que je viens de dire, et l’accès de mauvaise humeur a été taxé à 25 francs d’amende et aux dépens. Il est donc permis, pour me résumer en donnant à dessein au principe une forme un peu exagérée, aux employés d’une compagnie de venir, même la nuit, réclamer l’exhibition du billet autant de fois qu’ils le jugent nécessaire. C’est assez dire qu’à côté de leur droit strict, conféré par le législateur pour empêcher une fraude dont elles sont, malgré tout, je le répète, assez souvent victimes, les compagnies ont un devoir sérieux à remplir, celui de donner à leurs agens des instructions telles que le contrôle de route soit maintenu dans de justes limites, et ne devienne pas un prétexte pour molester abusivement le public. On doit reconnaître que ce devoir est généralement rempli.

Il est également un point sur lequel je demande la permission d’insister dans le même sens, parce qu’il est un des grands sujets de contestation entre le public et les agens des stations ou des trains : je veux parler de la convenance des places. La question est maintenant résolue d’une manière unanime par l’autorité judiciaire ; elle a décidé que les voyageurs n’ont absolument le droit de réclamer qu’un nombre de places égal au nombre des billets délivrés dans les voitures de la classe à laquelle ces billets correspondent. Il y a d’ailleurs, à côté de la considération de droit, des considérations de convenance que les compagnies ne peuvent raisonnablement songer à enfreindre, et il faut leur rendre cette justice, qu’on trouve généralement chez leurs agens la complaisance la plus entière à ce point de vue. On sait, par exemple, qu’aucune compagnie de chemins de fer ne refuse un compartiment spécial aux dames voyageant seules ; mais je me propose ici de faire connaître les droits et les devoirs de chacun, et c’est sur ce terrain solide que je veux rester. Je dirai donc que, si de deux voitures de première classe entrant dans la composition d’un train, l’une est complètement vide et les trois compartimens de l’autre à moitié pleins, un voyageur n’a pas le droit d’exiger qu’il lui soit ouvert un des compartimens vides et de se refuser à entrer dans l’un des compartimens incomplètement remplis. Il est bien entendu que, d’autre part, c’est aux compagnies de veiller avec soin à ce que cette mesure strictement équitable soit prise de manière à ne pas froisser le public, et je n’hésite point à dire que, si un voyageur monté dans une voiture vide était sommé de l’abandonner, il aurait le droit de refuser, et que, si, comme le cas s’est présenté, on se permettait de le faire descendre de force, il pourrait faire condamner la compagnie à une réparation pécuniaire. — Dans une des espèces soumises à l’appréciation de la justice, un voyageur, accompagné de sa femme et de ses deux filles, voulait qu’il lui fût donné quatre places dans un seul compartiment. La répartition des voyageurs installés ne le permettait pas, et les tentatives du chef de station pour déterminer quelques-uns d’entre eux à faire par complaisance le vide nécessaire n’ayant point abouti, le voyageur réclama l’addition d’une voiture au train. Ne pouvant l’obtenir, il se refusa à partir et assigna la compagnie devant le juge de paix en remboursement, non-seulement du prix de ses billets, que la compagnie, dans un louable esprit de conciliation, voulait bien lui restituer, mais encore du prix de ses bulletins de correspondance. La gracieuseté de la compagnie ne pouvait aller jusque-là sans porter atteinte aux principes que je viens de poser, et elle laissa la contestation suivre son cours devant le tribunal de paix, qui lui donna gain de cause. Bien que le public veuille rarement en convenir, les compagnies n’ont donc pas toujours tort. Je suis même disposé à croire qu’au fond elles connaissent parfaitement l’étendue des droits du public, mais qu’elles ont constamment peur d’être débordées, et qu’elles préfèrent se tenir systématiquement sur la défensive.

Il est encore, dans le règlement de 1846, une disposition, reproduite du reste dans tous les cahiers des charges des concessions de chemins de fer, qui intéresse particulièrement le public et les compagnies ; c’est l’obligation pour celles-ci, — à moins d’une autorisation administrative dont le bénéfice est de droit acquis aux trains rapides, qui ne peuvent atteindre leur mesure de vitesse qu’en restant dans des limites de poids assez restreintes, — d’offrir aux voyageurs un nombre suffisant de places de chacune des trois classes. On conçoit la prudence du législateur, qui a voulu, avant tout, prémunir les voyageurs contre le surcroît de dépenses auquel ils pourraient être exposés par l’absence des places de la classe qu’ils veulent choisir et la nécessité où ils se trouveraient de prendre des billets de la classe supérieure. Les compagnies admettent ce point, mais elles ne veulent pas accorder que l’intention du législateur a dû également être d’assurer à chacun, par suite de répugnances qui n’ont en somme rien de commun avec ce qu’on pourrait appeler des sentimens aristocratiques, les avantages de la classe qu’il préfère. Elles objectent toujours, lorsqu’elles sont poursuivies pour avoir abusivement mélangé des voyageurs des trois classes, qu’il n’y a de lésion pour personne, et qu’au contraire il y a une faveur accordée aux voyageurs qui sont placés sans payer de prix supplémentaire dans une voiture de la classe supérieure à celle de leurs billets. Je n’ai pas besoin d’indiquer en quoi pèche ce raisonnement, à peine juste lorsque des voyageurs de troisième classe, par exemple, sont simplement placés dans des voitures d’une classe supérieure qui sont vides, et tout à fait faux quand ces voitures contiennent déjà des voyageurs. La même question peut encore être considérée à un autre point de vue, mais alors elle ne donne plus lieu à aucune discussion : si un voyageur muni d’un billet de première ou de deuxième classe est obligé de monter dans une voiture de deuxième ou de troisième classe par suite d’une composition vicieuse du train, la compagnie concessionnaire se trouve en contravention au règlement, même si le fait a lieu à une station d’embranchement. La cour de cassation n’admet d’excuse que dans le cas où le train se trouve composé du nombre maximum de vingt-quatre voitures prescrit par le règlement (il est à remarquer que les nombres de voitures de chaque classe pourraient parfois donner matière à critique), et où la compagnie peut arguer d’un événement de force majeure. Elle ne regarde pas les compagnies de chemins de fer comme ayant accompli les obligations légales, alors même qu’elles ont organisé le service de manière à répondre aux besoins présumés du public, c’est-à-dire de telle sorte qu’il présente, suivant la proportion accusée par la statistique de la circulation, un nombre de places triple de celui des places généralement occupées. Cette stricte jurisprudence est combattue dans une note émanée de M. Dumon, ancien ministre des travaux publics, aujourd’hui président du conseil d’administration du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée, et reproduite dans l’Enquête. Il est certain qu’en droit, c’est aux compagnies de prévoir les nécessités quotidiennes du parcours ; mais en fait il y a certainement lieu d’introduire des distinctions que les autorités administrative et judiciaire doivent apprécier de concert.

On se rappelle l’hétérogénéité qui avait primitivement présidé à la fixation du poids maximum des bagages qu’un voyageur peut transporter gratuitement avec lui, et qui gênait si désagréablement le public dans le passage d’une ligne à une autre. Ce poids, qui n’était que de 15 kilog. pour les concessions faites en 1843, et qui avait été d’abord élevé à 20 kilog., est actuellement de 30 kilog. sur la presque totalité des chemins de fer français. La franchise est limitée à 20 kilog. pour les enfans qui paient demi-place, et ne s’applique point aux enfans qui ne paient rien. Le transport dans ces bagages des valeurs en or, en argent ou en billets a donné lieu, tant de la part de l’autorité administrative que de la part de l’autorité judiciaire, à plusieurs décisions fort intéressantes à connaître, par suite du tarif exceptionnel, annuellement réglé par le ministre des travaux publics, auquel sont soumises les valeurs de toute sorte, et des prétentions vraiment exorbitantes que les compagnies n’ont pas craint de manifester au sujet de cette classe précieuse de colis.

Tout d’abord le transport des billets de la Banque de France a été l’objet d’une décision administrative, rendue à la suite d’une difficulté soulevée par une de nos compagnies de chemins de fer, et portant qu’elles ne peuvent faire aucune recherche sur la personne des voyageurs ou dans leurs paquets, sauf cependant pour l’exécution de la mesure qui défend, comme pour toute voiture publique, l’introduction « de paquets qui, par leur nature, leur volume ou leur odeur, pourraient gêner ou incommoder les voyageurs. » Ensuite, à l’occasion de nouvelles contestations, une autre décision a fixé à 25 kilog. le poids maximum des espèces que les voyageurs peuvent garder avec eux dans les voitures, sans être obligés de payer la taxe spéciale dont je viens de parler ; le volume, dont il est sans doute inutile de se préoccuper, ne serait limité que par la considération de gêne. Il est bien entendu que les compagnies n’encourent pas plus de responsabilité en cas de perte de ces espèces que pour les objets dont les voyageurs ne se séparent pas.

Une autre question, grave et réellement délicate, est celle de la responsabilité des compagnies de chemins de fer en cas de perte des bagages dont le transport leur est confié. Elles auraient voulu qu’à l’instar de ce qui était prescrit par une loi de 1793, uniquement promulguée dans l’intérêt de l’état, alors qu’il avait le monopole des messageries, cette responsabilité fût limitée à une somme de 150 fr. Cette prétention avait déjà été repoussée par les tribunaux chez des entrepreneurs ordinaires de transport, et elle ne pouvait sérieusement être mise en avant par les compagnies de chemins de fer. Abandonnant cette exhumation malencontreuse d’une loi abrogée en droit et en fait, elles ont néanmoins tenté de limiter l’étendue de leur responsabilité, en mettant au dos du bulletin d’enregistrement des bagages une mention également repoussée par l’autorité judiciaire, depuis un demi-siècle, pour les entreprises de transport autres que les compagnies de chemins de fer, et depuis plus de dix ans pour ces dernières nominativement. Foulant aux pieds cet axiome juridique, que nul ne peut stipuler qu’il ne répondra pas de ses propres fautes, elles ont mis et plusieurs mettent encore sur ce bulletin « qu’en cas de perte des bagages enregistrés, elles ne donnent pour ceux-ci qu’une somme déterminée, et que, pour pouvoir prétendre à la valeur intégrale des effets perdus, les voyageurs sont tenus de faire, au moment de la remise de ces effets, la déclaration de cette valeur. » La vérité est qu’elles ne peuvent en rien se prévaloir d’une semblable annotation, et que leur responsabilité s’étend, conformément aux dispositions très précises du code de commerce et du code Napoléon, à la valeur dûment justifiée des objets à elles confiés et par elles perdus, sans qu’elles puissent la réduire sous quelque prétexte que ce soit. « Les compagnies de chemins de fer, dit à ce sujet l’auteur d’un ouvrage sur l’exploitation des chemins de fer, feraient donc tout à la fois preuve de bon goût et de respect de la loi en supprimant, sur les bulletins qu’elles délivrent, cette mention désormais complètement inutile et même ridicule. » J’irai plus loin ; je dirai qu’il y a dans ce fait une sorte d’attentat à la probité publique, et qu’il est fort inconvenant que certaines compagnies continuent à imprimer une clause semblable qu’elles savent ne lier en rien les tiers, alors qu’ils sont obligés de subir leurs exigences, et se trouvent conséquemment dans l’impossibilité absolue de donner cette adhésion motivée qui pourrait seule transformer la clause en un contrat légal.

Dans l’annotation que je critique en me fondant sur une jurisprudence consacrée, les compagnies écrivent encore qu’elles ne sont en aucun cas responsables des bagages non enregistrés. Les tribunaux me sembleraient aller trop loin, s’ils méconnaissaient la légitimité de cet avertissement. Du reste, dans deux cas où elles ont paru adopter ce système, les contestations toutes particulières qui avaient déterminé leurs décisions ne sont pas de nature à infirmer cette opinion. Il s’agissait en effet de voyageurs qui avaient, en attendant le départ d’un train, remis à la gare leurs bagages à des agens en uniforme qui leur proposaient de les garder en dépôt, et se les étaient laissé voler. La question d’enregistrement n’était, à proprement parler, point en cause, et la responsabilité de la compagnie résultait de la remise des bagages à des agens authentiquement désignés comme siens au public, et de la négligence desquels elle devait naturellement subir les conséquences. Il convient d’ajouter que les compagnies ont, pour les cas analogues, un lieu spécial où, pour une très modique rétribution, les voyageurs peuvent déposer régulièrement et en toute sécurité leurs bagages, en attendant que le bureau de distribution des billets soit ouvert.

S’il était utile d’établir une distinction entre les bagages enregistrés et les bagages non enregistrés, pour ne pas imposer injustement aux compagnies une responsabilité dont aucune circonstance ne leur ferait connaître l’étendue ; s’il était impossible d’obliger les voyageurs à faire au sujet de la valeur de leurs effets une déclaration dont la vérification contradictoire par la compagnie serait irréalisable en pratique, il est d’autre part indispensable d’exiger cette déclaration, lorsque parmi ces effets se trouvent des objets d’une grande valeur, notamment des sommes d’argent considérables. La question a été posée mainte fois devant les tribunaux, et ils en ont donné trois solutions différentes. Les uns s’appuient sur une disposition du cahier des charges déjà mentionnée, et qui ne fait aucune distinction entre les valeurs expédiées isolément et celles renfermées dans un colis ; ils donnent tort au voyageur qui, en s’abstenant de toute déclaration et faute d’acquitter le droit exceptionnel de transport pour une somme d’argent contenue dans sa malle, quelque minime qu’elle soit, ne met pas la compagnie en mesure de prendre des soins proportionnés à l’importance du dépôt, et la prive du bénéfice légitime auquel elle a droit : ils décident que ce voyageur agit alors à ses risques et périls. — Les autres, ne s’attachant qu’aux obligations des entrepreneurs de transport à l’égard des objets qui leur sont confiés et à l’impossibilité pour le voyageur d’exercer une surveillance personnelle sur ses bagages, admettent la responsabilité entière des compagnies en cas de perte des valeurs qu’ils renferment. C’est ainsi que, tout récemment, un voyageur réclamait à une compagnie qui avait égaré son sac de nuit une trentaine de mille francs, à titre de dommages-intérêts et de restitution d’une somme de 25,000 francs en or qu’il avait eu l’imprudence de mettre dans ce sac, sans aucun avertissement. La compagnie offrait, suivant l’usage, une centaine de francs. Un pareil écart entre ces prétentions réciproques devait amener les parties devant la justice. Le tribunal de première instance avait décidé d’abord en faveur du voyageur ; mais en appel la compagnie du chemin de fer a eu gain de cause. — À mon avis, les deux systèmes contraires sont également inadmissibles ; il vaut mieux chercher la vérité dans un arrêt très longuement motivé de la cour d’Angers, à laquelle il appartient d’avoir dernièrement, dans un cas fort net, posé les vrais principes de la matière. Le supérieur d’un collège de l’un de nos départemens de l’ouest, allant passer ses vacances scolaires dans une ville du midi, emportait dans sa malle une somme de 1,300 fr. pour subvenir à ses frais de voyage et de séjour, sans avoir fait de déclaration à cet égard lors de l’enregistrement de ses bagages. La malle ayant été perdue, la compagnie déclinait toute responsabilité en se fondant sur l’absence de déclaration et de paiement du droit de transport des matières d’or ou d’argent. La décision du tribunal de première instance avait cette fois été rendue en faveur de la compagnie. C’est alors que, sur l’appel du voyageur, est intervenu l’arrêt auquel je fais allusion. Déjà le tribunal de commerce de la Seine avait eu l’occasion de poser ce principe éminemment vrai que, « si la raison interdit de rendre une compagnie indéfiniment responsable de la valeur des espèces qu’un voyageur aurait accumulées,, contre toutes les règles de la prudence, dans une malle ou dans un sac de nuit, elle doit répondre tout au moins de ce que celui-ci a pu raisonnablement y placer eu égard à son état, à sa fortune et aux circonstances de son voyage. » C’est ce principe que développe la cour d’Angers, en ajoutant qu’il est conforme à la raison de « comprendre dans les bagages d’un voyageur non-seulement, les effets à son usage personnel, mais la somme qui lui est indispensable pour les besoins de son voyage, et qui doit en être considérée comme accessoire. » Aucune objection ne me semble pouvoir être faite à ce système intermédiaire.


Dans cette étude, suffisamment étendue, de l’exploitation des chemins de fer au point de vue exclusif du transport des personnes, nous n’avons pas eu la prétention d’approfondir toutes les questions curieuses auxquelles le nouveau moyen de locomotion peut donner lieu ; mais nous osons espérer qu’en indiquant les principales, nous aurons contribué à rectifier quelques idées erronées qui sont trop facilement admises sans contrôle par le public, et à combler une sorte de lacune que présente son éducation. Il importe au plus haut degré que le public se familiarise rapidement avec les conditions d’exploitation et les résultats économiques des chemins de fer ; c’est pour lui le seul moyen d’assister sans surprise et sans déception aux phénomènes sociaux qu’ils sont destinés à produire, particulièrement en France. On ne sait plus en effet quelles limites assigner par la pensée aux conséquences de cette rapidité féconde que nous procurent les voies ferrées, au développement futur d’un phénomène social qui se traduit dès le début par des modifications générales d’une telle importance. Chaque jour, l’exploitation des chemins de fer fait surgir des questions nouvelles. Une commission du corps législatif, saisie, pendant sa dernière session, de la loi promulguée le 21 mai dernier, et ayant pour but de modifier plusieurs articles du code de procédure civile, émet le vœu d’une révision générale du code dans le sens d’une abréviation des délais et d’une simplification des formalités. « L’ère des chemins de fer, dit excellemment, le rapporteur de cette commission, veut en toutes choses plus de rapidité que l’époque du coche… Les lenteurs et les formalités en matière civile impatientent la génération actuelle. » Ces fléaux de toute, diversité sociale, comme M. de Rémusat appelle un peu sévèrement peut-être les voies de fer, donneront une solution plus rapide à tout problème international que les plus sages raisonnemens du monde ; , le réseau non interrompu de rails qui va incessamment sillonner l’Europe, en reliant entre elles toutes les nations, amènera tôt ou tard l’uniformité des mesures de tout genre, les délimitations rationnelles des territoires, la suppression des entraves que des nécessités d’un autre âge ont fait introduire dans les relations des peuples.

Le chemin de fer apparaît maintenant partout. Parmi les présens que les Américains adressaient aux Japonais, en 1852, par l’intermédiaire du commodore Perry, figurait un rail-way en miniature. Une petite machine, tournant dans un cercle de quelque étendue, remorquait, avec une vitesse d’une trentaine de kilomètres à l’heure, un petit wagon où un enfant aurait eu peine à entrer. Un témoin oculaire représente maint grave dignitaire du Japon assis sur le haut du véhicule, et s’y cramponnant, pendant que sa robe flotte au gré du vent, avec un mélange de stupeur et d’effroi tout à fait comique. À la fin de l’année dernière, le jour de la fête de la reine de Grèce, le roi Othon a inauguré l’avènement de l’ère industrielle dans laquelle va sans doute entrer cette nation classique des Hellènes, en signant l’acte qui concède à une compagnie française le premier chemin de fer grec. Le début est modeste, car il ne s’agit que d’une voie ferrée de neuf kilomètres destinée à relier Athènes au port du Pirée ; mais quelles réflexions ne suggère pas le parcours prochain d’une locomotive le long des côtes de l’Attique, là où se trouvaient les murs de Thémistocle et de Périclès, entre la ville de Minerve et son port naturel ! L’empire ottoman doit de son côté devenir tributaire de la nouvelle industrie par l’établissement projeté de deux chemins de fer partant de Constantinople, et se dirigeant l’un sur Belgrade pour relier la Turquie à l’Autriche, l’autre sur Bassora pour atteindre le Golfe-Persique. Depuis six mois déjà, le sifflet des machines anglaises retentit aux abords de Smyrne. L’Égypte est plus avancée, et le voyageur qui va d’Alexandrie au Caire peut, aux stations du chemin de fer qui relie ces deux points, voir en même temps les représentans du système primitif de locomotion et du système moderne, le chameau biblique et la locomotive. Sous cette nouvelle forme, le passé et l’avenir vont prochainement aussi se trouver en présence au pied des.murs de la ville éternelle. Enfin on sait que depuis un an l’exécution du réseau général des chemins de fer algériens est décrétée, et les premiers coups de pioche viennent d’être donnés. Il n’est donc pas un point du monde aujourd’hui où les voies ferrées ne pénètrent ou ne s’étendent, et plus que jamais aussi l’intérêt général doit se porter sur les publications propres à faire apprécier le nouveau mode de locomotion dans les résultats acquis, comme à faire pressentir les progrès qu’il lui reste à réaliser encore.


E. LAMÉ FLEURY.

  1. Voyez, dans les livraisons du 15 janvier, du 15 février, du 15 mars 1855 et du 15 août 1856, les Chemins de fer en Europe et en Amérique.
  2. Des Réformes à opérer dans l’exploitation des chemins de fer, etc. Paris 1855.
  3. En prenant des périodes triennales, on peut suivre les phases de notre réseau depuis 1832, époque à laquelle b4 kilomètres seulement étaient livrés à l’exploitation ; on en comptait en 1834 142, en 1837 161, en 1840 430, en 1843 827, en 1847 1,830, en 1850 3,013, en 1853 4,063, en 1856 5,800, et au 30 septembre 1858 8,500 environ.
  4. Ce chiffre n’était pas moindre de 41 millions ; en 1854, il n’avait été transporté sur les chemins de fer français que 28,070,458 voyageurs.
  5. Les nombres qui expriment les recettes afférentes au transport des voyageurs sont de 130 millions de francs pour 1857, et de 83,707,721 fr. pour 1854. Dans ces recettes est compris l’impôt prélevé sur le prix des places, de sorte qu’elles ne représentent pas les sommes réellement encaissées par les compagnies.
  6. Ce chiffre énorme n’est pas inutile à rappeler au moment où un triste accident a terminé précisément une de ces journées de fête qui donnent lieu à un mouvement si exorbitant de voyageurs par chemins de fer.
  7. La somme totale de ces arrêts prend, par exemple, dans un train de Paris à Strasbourg, suivant qu’il s’agit d’un train express ou d’un train omnibus, 1 heure 22 minutes et 3 h. 25 m. pour 8 h. 38 m. et 12 h. 55 m. de marche.
  8. Voici comment se calculent ces prix ; je prends pour exemple le prix de la place de première classe :
    Tarif légal 0 fr. 100
    Impôt du dixième 0 fr. 010
    Décime permaneut 0 fr. 001
    Décime provisoire 0 fr. 001
    Total 0 fr. 112
  9. Le nombre des voyageurs d’un train, obtenu par la comparaison du nombre annuel des trains mis en circulation avec le nombre correspondant de voyageurs transportés, était de 128 en 1853. En 1855 et 1856, la charge moyenne d’un train a été de 111 et 106 voyageurs seulement ; elle tend donc à diminuer par suite de la multiplication des trains de petit parcours. Le plus grand nombre de voyageurs transportés par un seul train varie de 800 à 1,000. Exceptionnellement, un train spécial de la ligue de Lyon a voiture à la fois 1,280 militaires.
  10. Voyez, sur le lieutenant Maury et son œuvre, la Revue du 1er et du 15 mai 1858.
  11. A un point de vue d’ensemble, l’exploitation des chemins de fer en Europe donne à peu près les mêmes résultats, ce qui montre bien, comme ne manque pas de l’observer le rapporteur officiel, que ce sont réellement là des voies de communication internationales. Les détails, qui seuls montreraient des différences essentielles, pourraient d’autant moins trouver place ici que les renseignemens fournis par les publications françaises au sujet des chemins de fer étrangers n’ont plus le caractère d’exactitude et de généralité, notamment en ce qui concerne la sécurité, qu’offrent à un si haut degré les documens relatifs à nos voies ferrées.
  12. Par une bizarre inadvertance, le législateur de 1846 a oublié de défendre aux voyageurs d’entrer dans les voitures d’un train en marche ; cette lacune sera comblée par le nouveau règlement, qui défend en outre aux voyageurs de monter ou de tenter de monter dans une voiture après la fermeture des portières et le signal du départ.