Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Troisième Ciel/Chapitre IV

CHAPITRE IV.

Suite des amours de Pétulant.


Le prince, dont l’amour augmentoit tous les jours par la conduite que Monime gardoit avec lui, se détermina enfin de supplier la reine de consentir à leur mariage. Rien ne sembloit s’opposer à une union qui paroissoit si bien assortie. La naissance de Taymuras ne cédoit en rien à celle du prince ; cependant la reine s’y opposa formellement, quoique Pétulant employât tout ce qu’il crut capable de toucher cette princesse : il lui peignit avec beaucoup de vivacité l’excès de son amour, fit valoir les brillantes qualités de l’objet de ses feux, protesta qu’il mourroit de douleur, si sa majesté persistoit à lui refuser une grace dont dépendoit le bonheur de sa vie, & ajouta que, comme la naissance de la princesse Taymuras n’étoit point inférieure à la sienne, il avait pu se flatter de ne rencontrer aucun obstacle à ses desirs.

L’éloquence du prince ne servit qu’à manifester son amour. La reine fut inflexible ; mais, pour adoucir en quelque sorte un refus qui pouvait blesser la princesse, elle assura Pétulant que, sans l’invincible opposition qui se rencontroit dans cette alliance, par une des principales loix de l’état, qui défendoit à toute personne, de quelque condition qu’elle fût, de contracter aucune alliance étrangère ; que cette loi ne tendant qu’au bien de ses sujets, elle ne permettroit jamais qu’on osât l’enfreindre sous son règne ; que Pétulant, comme premier prince de son sang, devoit être aussi le premier à la maintenir par son exemple ; qu’au surplus la défense qu’elle lui faisoit de s’unir à la princesse de Taymuras, ne diminueroit jamais rien de l’estime qu’elle avoit conçue pour sa personne ; qu’elle auroit toujours pour elle tous les égards qu’on devoit à son rang, & ceux encore qu’on ne pouvoit refuser aux éminentes qualités dont elle étoit douée. Cet éloge que la reine donna à la princesse, adoucit un peu la douleur que Pétulant ressentit d’un refus si absolu, & en habile courtisan, il eut l’adresse de dissimuler son chagrin. Il feignit de goûter les raisons de la reine, & l’assura qu’il ne lui en parleroit plus.

Le prince, pour ne point donner de soupçons à la cour, crut qu’il étoit de la politique de feindre d’aller passer son chagrin dans une de ses maisons ; il partit dans l’instant sans voir Taymuras, ce qui donna lieu à une infinité de discours que tinrent les femmes intéressées à la conquête de ce prince ; plusieurs courtisans le suivirent ; mais il eut le secret de s’en débarrasser, & de ne conserver auprès de sa personne que ses favoris les plus familiers, à qui il fit part de son chagrin & de la résolution qu’il avoit prise de se rendre le soir même auprès de l’objet de son amour.

On sait qu’il n’est guères de favoris qui osent résister aux volontés d’un prince ; ceux-ci applaudirent comme de raison ; ils se chargèrent même de dérober aux yeux curieux & attentifs sur ses actions toutes les démarches qu’il pourroit faire. Cette assurance tranquillisa le prince, & la vivacité de son amour ne lui permettant pas de différer de se rendre auprès de Monime, afin de prendre avec elle des mesures certaines pour assurer son bonheur, il sortit par une porte secrette de son château, & se rendit incognito la nuit même auprès de Taymuras.

Monime n’étoit point encore couchée lorsqu’il arriva ; inquiette du départ précipité du prince, sans en pouvoir deviner la cause, elle prit le parti, pour dissiper ses ennuis, de se faire apporter une cassette qui renfermoit les lettres & les billets qu’il lui avoit écrits : occupée à les relire, cet agréable passe-tems, loin de la provoquer au sommeil, n’avoit fait au contraire qu’à ranimer ses esprits, & répandre dans son ame une douce volupté, excitée par les vives expressions d’amour & de tendresse, dont ses lettres étoient remplies.

Taupette, confidente de Monime, vint interrompre cette lecture, pour lui annoncer l’arrivée du prince, qui demandoit à l’entretenir sur une affaire de conséquence. Monime surprise hésita un instant : je ne puis, dit-elle, après avoir réfléchi un moment, recevoir sa visite ; pourquoi ne lui avoir pas dit que je n’étois pas visible ? Cela est vrai, madame ; mais le prince me paroît si inquiet, que je n’ai pu m’y résoudre. Je vais donc le renvoyer ? Que dis-tu, ma chere Taupette ? Arrête, le prince est inquiet, & demande avec empressement à me voir. Hélas ! que peut-il être arrivé ? Ciel ! comment lui refuser un quart-d’heure ? Non, je veux éviter tout ce qui sent le manège, cela est trop opposé à ma candeur.

Monime sortit à l’instant de son cabinet pour recevoir le prince. Pardonnez, cher Taymuras, si j’ose paroître à cette heure devant vous. Pénétré du plus violent chagrin, je ne puis différer plus long-tems à vous faire part de mon désespoir : la reine s’oppose à mon bonheur ; elle me défend de m’unir à vous ; votre qualité d’étrangère en est seule la cause : mais si vous m’aimez, si votre tendresse égale la mienne, & si les assurances que vous m’en avez données ne m’ont point trop flatté, refuserez-vous de couronner mes feux ? Consentez, divine princesse, que je vous donne ma foi, & que je reçoive la vôtre à la face des autels. Pourquoi hésiter ? L’amour n’a rien qui doive vous faire rougir ; sa flamme est dans la nature, tous les cœurs lui doivent un tribut.

Monime, surprise & embarrassée, ne répondit rien. Objet digne des dieux, poursuivit le prince, vous ne devez pas redouter la proposition que j’ose vous faire : le ciel qui vous protege, doit vous être garant de ma bonne foi & de la pureté de mes desseins ; vous devez les reconnoître à des sentimens que vous-même avez pris soin d’épurer. Vous ne répondez point, dit le prince attendri ; se peut-il que l’amour ne vous dicte rien en ma faveur ?

Il est vrai, dit Monime d’un ton très-sérieux, que j’ai tout lieu d’être étonnée du refus de la reine ; j’avoue même que je n’ai pas dû m’y attendre ; mais, malgré ses refus qui doivent nous séparer pour toujours, soyez persuadé, cher prince, que le souvenir de votre tendresse, & celui de votre générosité, ne pourront jamais s’effacer de mon cœur, & qu’il n’y a que ma reconnoissance qui les puisse égaler. Hélas, reprit Pétulant, que vous lisez mal dans mon ame ! Est-ce donc de la reconnoissance que je vous demande ? Ah ! vous savez trop bien que c’est un tribut qui n’est pas fait pour vous, puisque la nature ne vous a créée si parfaite que pour accorder des faveurs. Le prince, en s’exprimant ainsi, regardoit Monime d’un air si tendre & si sincère, ses regards peignoient si bien ses craintes & la pureté de ses sentimens, que Monime, qui n’étoit retenue que par l’idée qu’elle se formoit qu’une union secrette pourroit ternir sa gloire, ne répondit alors que par un silence animé. Il faut convenir que l’esprit sert toujours mal un cœur tendre ; mais en récompense, lorsque l’on a commencé à se plaire, il semble qu’on se soit donné le mot ; l’esprit, le cœur & les yeux, tout part à la fois pour former l’intelligence de l’ame, & ce concert délicieux renferme toutes les déclarations, tous les sermens & toutes les certitudes de l’amour.

Le prince s’appercevant du trouble & de l’embarras de Monime, s’efforça de la rassurer par tout ce que l’amour put lui inspirer de plus séduisant. Ah ! divine princesse, ajouta Pétulant avec une espèce de transport, ce feu que je vois briller dans vos yeux doit être dans votre cœur ; il m’est un sûr garant que, sensible à mes maux, vous consentez enfin de les finir, & que l’amour lui-même sera votre guide, pour vous conduire demain au lever de l’aurore dans le temple, où l’on conserve le feu sacré. Oui, ma princesse, c’est-là que je veux vous assurer par les sermens les plus solemnels, que mes feux seront toujours aussi purs & aussi durables que celui qu’on y conserve avec soin.

Monime pressée de répondre à l’ardeur du prince, se crut obligée de lui représenter la soumission qu’il devoit aux ordres de la reine ; le danger auquel elle seroit exposée, si cette princesse venoit à découvrir leur union ; la honte d’être peut-être renvoyée, en rendant de nulle valeur un mariage contraire aux loix de la nation, & enfin la douleur de le perdre pour jamais : elle ajouta encore quelques autres difficultés, c’est-à-dire, de celles qui ne servent qu’à nourrir & augmenter la passion. Le prince, dont l’ardeur étoit extrême, les éluda toutes par des raisons apparentes : rassurez-vous, charmante Taymuras, ajouta Pétulant ; content de mon rang, mon ambition se borne au seul desir de vous plaire ; convenez du moins que la nature a fait aux hommes des plaisirs simples, aisés & tranquilles ; ce n’est qu’à leur imagination déréglée qu’ils doivent ceux qui sont embarrassans, incertains & difficiles à acquérir. Vous voyez que la nature est bien plus habile que nous, c’est pourquoi nous devons nous reposer sur elle du soin de notre bonheur ; c’est cette bonne mère qui a introduit l’amour qui doit faire toutes nos délices ; sans lui le fade assoupissement d’une froide indifférence tiendroit toute la nature dans une espèce d’engourdissement universel, contraire au bonheur des humains. Laissons jouir à ces hommes vains de cette ambition qu’ils n’ont inventée que pour empoisonner leurs plaisirs & troubler le repos de la vie ; si ma princesse pense comme moi, nous goûterons sans aucun trouble la volupté la plus pure : il est une force communicative qui entraîne les grandes ames & les éleve au-dessus des autres.

Monime, animée des mêmes sentimens, ne répondit d’abord que par un sourire ; son teint s’anima d’un rouge de rose, vrai coloris de l’amour ; elle céda enfin aux empressemens du prince, mais elle lui fit comprendre qu’il étoit de la prudence de ne point précipiter leur bonheur, afin de le rendre plus sûr & plus durable. Pétulant eut peine a goûter ce conseil, il regardoit les jours qui devoient reculer sa félicité comme autant de siècles ; cependant il fut obligé de céder aux raisons de Monime, qui consentit à son tour de se rendre huit jours après à l’heure indiquée dans l’intérieur du temple de l’amour.

Le lendemain Monime fut invitée à un bal paré que la reine donna à toute la cour. Je ne la suivis point, désespéré des projets que j’avois entendus ; mon cœur flétri & anéanti me parut s’être séparé de moi ; abîmé dans une létargie la plus profonde, je n’avois aucun sentiment, aucune idée fixe, je promenois languissamment mes yeux sur-tout ce qui ornoit l’appartement de mon inconstante Monime ; je ne voyois rien, ce n’étoit que les yeux de la machine, ceux de l’ame étoient éteints, & j’aurois pu croire dans ce désordre extrême que j’avois deux ames, dont l’une triste & désespérée reprochoit à l’autre la perte & l’anéantissement de ses félicités passées.

Zachiel, qui prévoyoit les maux qui devoient m’accabler, vint me secourir ; il me trouva sans aucun mouvement & m’emporta sur une terrasse qui répondoit aux appartemens de la reine. Le génie, après m’avoir ranimé d’un souffle divin, me fit sentir avec force le peu de raison que j’avois de me rendre l’esclave de mes passions. Est-ce ainsi, me dit-il, que vous profitez de mes conseils ? N’auriez-vous pas dû vous rassurer sur la parole que je vous ai donnée que Monime conserveroit toujours ce goût de l’innocence qui ne s’éteindra jamais en elle ; c’est un esprit immortel que la divinité a placé dans son cœur pour n’en point sortir. Je conviens que l’épreuve est rude ; cependant vous voyez qu’elle la soutient sans mon secours. Mais vous, qu’auriez-vous fait, si je vous eusse laissé livré à vous-même, en bute à toute la véhémence de vos passions ? Hélas, m’écriai-je, en interrompant le génie, je n’ai jamais aimé qu’elle ; Monime paroissoit répondre à ma tendresse : j’ai tout perdu ; je ne puis à présent écouter que ma douleur ; la raison ne peut plus rien sur mon esprit. Pourquoi m’exposer à de si cruelles épreuves ? Je devrois, reprit le génie, pour vous punir de votre incrédulité, livrer Monime aux désirs du prince. Ces paroles me firent frémir. Ah ! mon cher Zachiel, pardonnez ma foiblesse, ou ôtez-moi la vie, je ne puis la passer sans Monime. Rassurez-vous ; dit le génie, je veux bien encore me prêter à calmer vos égaremens, parce que je suis convaincu que le cœur des hommes est susceptible de toutes sortes d’impressions, leur force ou leur vertu dépend presque toujours de la manière dont on leur présente les objets : votre raison égarée vient de céder la place à une passion violente ; mais après un retour sur vous-même, cette raison que vous venez de sacrifier à l’injuste jalousie, doit reprendre toute sa force. Si les lumières de votre esprit n’ont pu vous défendre contre ces désordres, du moins faut-il les regarder comme des ressources dont je dois espérer le ralentissement des passions tumultueuses qui vous ont agité jusqu’à présent. Pour achever de dissiper vos ennuis, je vais vous porter dans le temple de l’amour.