Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Septième Ciel/Chapitre II

CHAPITRE II.

Mœurs des Habitans.


Ce n’est que dans ce monde charmant où l’art simple se prête avec docilité à seconder les agréables caprices de la nature ; jamais on ne les voit, comme dans les autres mondes, se révolter contre elle, ni regarder ses productions comme une matière servile, pour les plier à des formes bisarres & grotesques. Un mur de noisetiers forme des haies qui entourent leurs jardins, des berceaux de vigne leur servent de terrasses, & les garantissent des rayons du soleil.

En admirant toutes ces beautés de la nature, je crus être dans la jeunesse du monde, c’est-à-dire, lorsque les hommes n’étoient point encore corrompus, & lorsque les premiers germes des arts naissoient de la nature ou des besoins peu nombreux de l’innocence. Cette magnificence des campagnes, ces cabanes entourées d’animaux de toutes espèces, que l’appât de leur nourriture attire ; les oiseaux qui habitent auprès, sous d’épais feuillages, égayent par leurs chants mélodieux ces lieux champêtres.

Hommes audacieux ! comment osez-vous entreprendre d’orner la nature par des arts qui ne peuvent que l’imiter de très-loin ? Vous construisez des labyrinthes, vous formez des boulingrins, vous taillez vos arbres en magots, vous ornez vos parterres de corbeilles, & vous méprisez les prés rustiques & les bois sauvages, où la nature fait régner par de confuses variétés un ordre caché, conforme aux règles secrètes de l’harmonie & du beau, dont l’effet se fait sentir à notre ame par le plus doux ravissement.

Nous quittâmes avec peine notre vieillard & sa famille pour poursuivre notre route, pendant laquelle Zachiel nous fit observer que ces peuples, accoutumés dès l’enfance au travail, ont le corps beaucoup plus agile ; ils ont aussi plus de sérénité dans l’esprit ; leurs plaisirs sont moins vifs, mais leurs passions sont plus modérées ; ils jouissent d’une volupté tranquille qui n’a rien de sensuel, & d’une pureté inaltérable ; la frugalité augmente leur force, la tempérance les entretient, & la vertu les conduit dans toutes leurs actions : ils ont pour maxime de préparer d’avance la jeunesse à tous les accidens fâcheux du climat ; c’est, disent-ils, en diminuer l’intensité, & les préserver des impressions funestes que causent les élémens sur les constitutions foibles : c’est les sauver de mille accidens auxquels le corps est sujet, plus par mollesse d’éducation que de tempérament. Il est certain que la nature a construit tous les êtres pour vivre dans le fluide qui les environne ; c’est une sottise de les en retirer par des précautions dont on peut éviter la nécessité.

Vous devez remarquer, poursuivit Zachiel, que dans cette planète on suit presque toujours l’impulsion simple de la nature, le mensonge y est en horreur & puni sévérement, & vous devez déjà vous être apperçu que leur jugement brut est supérieur à la politique des autres mondes : on rencontre toujours dans leur conduite le modèle d’une félicité parfaite ; éloignés d’imiter les habitans des mondes que nous venons de quitter, qui ne s’attachent qu’à défigurer la nature en voulant la réformer. Qu’en est-il arrivé ? Ils ont travesti les sentimens d’humanité qu’elle nous inspire, & donné, par un rafinement étranger à la simplicité de ses principes, l’entrée à tous les vices capables de troubler, corrompre & deshonorer l’état de société.

Ici les peuples sont naturellement graves, mais cette gravité est sans mélancolie, sans être privée de cette aimable gaieté qui n’est point incompatible avec la raison ; paisibles sans indolence, la vivacité de leurs desirs perd cette pointe aiguë, & ne laisse au fond de leurs cœurs qu’une émotion legère & douce. Les passions des hommes qui font ailleurs leurs tourmens, ne servent ici qu’à leur félicité, ils n’éprouvent presque jamais aucune agitation violente, ni aucune de ces maladies d’esprit connues dans votre monde sous le nom de vapeurs.

Vous verrez régner par-tout le goût de l’agriculture & celui du commerce, qui sont regardés comme deux colonnes sur lesquelles ils posent tout l’édifice de leur politique ; ce sont aussi les seuls qui les occupent le plus. Ces peuples ne sont point entichés de ce fatal préjugé qu’on voit régner dans les autres mondes, & qui tient ceux qui cultivent des talens si nécessaires au bien public, dans une honteuse obscurité : mais loin d’avilir ces talens, ils y attachent une marque de distinction, & l’humanité est chez eux une vertu naturelle. Ils regardent leur prince comme l’image de l’intelligence souveraine & comme leur père commun ; ils ont pour lui un respect & une entière soumission à ses ordres ; liés par le serment de fidélité, ils lui obéissent par un sentiment d’amour & de reconnoissance.