Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Cinquième Ciel/Chapitre IV

CHAPITRE IV.

Remarque sur l’Astronomie.


Lorsque Paracelse nous eut quittés, nous fûmes rejoindre Zachiel, qui s’étoit avancé à la rencontre de plusieurs astronomes. Instruits de son arrivée par les divers mouvemens qu’ils avoient remarqués dans les signes du zodiaque, tous ces savans venoient au-devant du génie, comme députés de la ville des philosophes. Les principaux étoient Thalès, Anaxagore, Pitagore, Démocrite, Aristarque, Hiparque, Ptolomée, Copernic, Galilée, Gassendi, Limberge, Vilkius, Tichobrahée, Kepler, Cassini, Descartes & Newton. Ce dernier s’adressant au génie, le complimenta au nom de tous les autres.

La harangue de ce philosophe finie, Zachiel nous fit approcher de ces grands hommes, afin de nous donner une teinture de l’astronomie. Ces philosophes nous saluèrent avec gravité, en marquant néanmoins beaucoup de surprise, & nous regardant attentivement. J’avoue que leur examen se fixa sur Monime ; je fus même d’abord tenté de croire que quelques-uns de ces savans la prirent pour un des signes du zodiaque, qu’on nomme Virgo ; car je les vis à l’instant s’armer de leurs télescopes, pour examiner si ce signe brilloit encore dans le ciel avec autant d'éclat qu’ils en avoient remarqué dans les yeux de Monime.

Pour prévenir les intentions du génie qui vous conduit dans cette sphère, dit l’un de ces savans, je vais vous apprendre à connoître, avec le secours d’un de nos télescopes, plusieurs étoiles nouvellement découvertes par nos plus habiles astronomes. Depuis long-tems nous sommes à l’affût de ces étoiles, qui semblent se plaire à nous donner de l’exercice, par leurs fréquentes disparutions.

Je m’armai donc, à l’exemple de ces philosophes, de l’instrument qui devoit diriger ma vue, & me faire distinguer dans cette prodigieuse quantité d’étoiles les différentes formes de celles qui intéressoient tous ces savans, avec les noms des signes auxquels elles devoient être attachées. Messieurs, s’écria l’un d’eux avec une sorte d’enthousiasme, mais toujours l’œil collé sur son télescope, voici l’étoile que nous cherchons depuis si long-tems ; elle se montre au col du signe.

Je ne puis concevoir, dit Monime en nous interrompant, comment vous pouvez reconnoître dans l’immensité d’un ciel parsemé de tant d’étoiles, dont le brillant & l’éclat me paroissent presque égaux, les noms & les attributs de chacune de ces étoiles. Vous n’avez, à ce que je vois, répliqua le savant, aucune teinture de l’astronomie. Il est vrai, dit Monime, que cette science m’a toujours paru un peu trop abstraite pour m’y appliquer. Soyez persuadée, madame, que l’étude de la philosophie ne diminue rien de la beauté : ici toutes nos dames s’y appliquent ; & il semble que les lumières qu’elles acquièrent par cette étude, donnent encore plus de brillant à leurs yeux, & qu’elles animent en même tems toutes leurs actions, sans néanmoins altérer la douceur de leurs caractères, ni cette gaieté qui les rend si aimables. Comme je ne fais nul doute que vous ne desiriez de les surpasser en science autant que vous les surpassez en beauté, je vais vous donner une petite leçon ; nous ne pouvons choisir un endroit plus commode.

Apprenez, poursuivit l’astronome, que tous les corps sont susceptibles de différentes modifications : le mouvement en est une des principales. Galilée a instruit plus d’un monde, des loix que suivent les corps en tombant vers la terre. Newton a reconnu que la cause qui fait tomber les corps vers la terre, sans pouvoir en expliquer la nature, faisoit aussi graviter les corps célestes, les uns contre les autres. Mais le bruit vient de se répandre parmi nous, qu’un génie élémentaire, de ceux qui président aux mouvemens de la terre & de la lune, venoit de découvrir la nature de cette fameuse cause à un physicien de votre planète, qui n’est point encore connu ; & l’on assure qu’il n’est pas peu embarrassé, comment il pourra faire comprendre aux autres ce secret admirable, quoique le génie lui en ait donné une idée très-claire. Cela n’est pas étonnant, dit Monime ; les génies instruisent par inspiration ; ils impriment directement dans l’ame, par une opération simple & toute spirituelle, les connoissances qu’ils veulent lui communiquer, au lieu que les hommes ont besoin du ministère de leurs sens, qui sont matériels & grossiers, pour manifester leurs idées aux autres hommes, qui, de leur côté, ne peuvent les saisir que par le même moyen ; ce qui rend la communication des connoissances d'homme à homme, souvent très-difficile & presque toujours imparfaite. Vos réflexions sont justes, répliqua le savant : il est aisé de reconnoître, à la netteté & à la solidité de votre raisonnement, que vous avez été instruite par un géni du premier ordre ; mais soyez persuadée que le nouveau physicien dont nous parlons possède bien cette connoissance, il parviendra tôt ou tard à la faire comprendre. On vient à bout des plus grandes entreprises, lorsqu’on ne se rebute point du travail & des soins nécessaires pour la réussite ; & l’on ne s’en rebute jamais, quand ils peuvent conduire l’immortalité. Vous apprendrez dans nos écoles les détails de l’astronomie. On vous dira que tout astronome doit savoir distinguer les constellations, & le mouvement que chaque étoile emploie pour faire ces révolutions, de même que celui des comètes. Un esprit aussi pénétrant que le vôtre peut à présent écouter sans ennui les instructions que je vais donner.

Pendant cette conversation, j’avois quitté mon télescope. En avois-je besoin pour admirer le feu qui brilloit dans les yeux de Monime ? J’avoue que j’aurois bien voulu borner à ces deux astres toutes mes observations ; mais je fus obligé de reprendre le télescope pour suivre mon savant dans ses nouvelles recherches.

Remarquez, me dit-il, l’éclat de cette étoile, qui approche du brillant de celle de Vénus : l’endroit où vous la voyez est reconnu parmi nous pour la chaise de Cassiopée. Celle qui paroît un peu plus loin, qui a l’éclat d’une étoile de la troisième grandeur, paroît & disparoît périodiquement : elle fait, à peu de choses près, ses révolutions en six ans. Cette étoile ne s’éteint jamais entièrement, elle est au col de la baleine. En voici une autre que nous avons perdue pendant quelque tems, & qui nous a causé beaucoup d’inquiétudes, parce qu’elle est extrêmement diminuée. On la voit à présent paroître entre la poitrine & le col du signe. Mais nous en avons perdu une qui surpasse par son éclat celui de Jupiter : elle étoit d’une espèce toute différente des autres : on n’en a point encore découvert de semblable depuis qu’elle est disparue : on la voyoit proche de l’écliptique : elle suivoit la jambe droite du serpentaire.

Ce fameux astronome m’en fit remarquer encore une autre nouvellement découverte, qu’il m’assura faire sa révolution en quatre cens quatre jours deux heures dix minutes & quinze secondes, & qui, quoiqu’elle surpasse rarement la cinquième grandeur, ne laisse pas de revenir très-régulièrement. On la découvre avec un télescope de six pieds.

Le savant me fit ensuite observer quelques taches lumineuses qu’il avoit découvertes parmi les étoiles fixes. C’est, poursuivit-il, une lumière qui vient d’un très-grand espace dans l’éther, au travers duquel est répandu un milieu lucide, qui brille par lui-même. On ne voit aucune apparence d’étoile dans ces taches brillantes : la forme irrégulière de celles qui en ont, fait voir que leur éclat ne vient pas d'un centre lumineux. Ces taches brillantes sont au nombre de six. La plus considérable paroît au milieu de l’épée d’Orion : elle passe pour une seule étoile de la troisième grandeur. On en voit une autre dans la ceinture d’Andromède, qui ressemble à un nuage pâle, & darde un rayon vers le nord-est. La troisième tache est proche de l’écliptique, entre la tête & l’arc du Sagittaire. J’ai découvert la quatrième en travaillant au catalogue des étoiles méridionales : elle est dans le Centaure, & ne donne que peu de lumière. Par rapport à sa longueur, cette tache n’a point de rayons. La cinquième paroît devant le pied droit d’Antinoüs. C’est une petite tache obscure d’elle-même ; mais l’étoile qui brille au travers, la rend lumineuse. La sixième a été découverte par hasard dans la constellation d’Hercule : on la peut voir sans télescope. Je ne fais aucun doute, ajouta l’astronome, qu’il n’y ait encore plusieurs autres taches lumineuses qui ont sans doute échappé à nos observations, & qui doivent cependant occuper d’immenses espaces, puisqu’elles sont parmi les étoiles fixes : car il semble qu’il y ait une lumière perpétuelle dans ces vastes espaces ; ce qui peut fournir matière de spéculations aux naturalistes, aussi bien qu’aux astronomes.

Apprenez-moi, je vous supplie, demandai-je à ce savant, ce que c’est qu’une comète. Une comète, reprit cet astronome, est un corps solide, à peu près de la grandeur de la terre, & qui paroît tout en feu. Nous avons observé que sa ligne de mouvement tombe toujours vers le soleil. On en a vues qui après avoir paru tomber dans cet astre, en sortoient ensuite tout enflammées, & remontoient beaucoup plus vîte qu’elles n’étoient tombées, jusqu’à ce qu’on les perdît entièrement de vue. Leur exhalaison & leur fumée, pendant qu’elles descendent ou qu’elles remontent, forment la queue ou la chevelure qu’on leur voit. Mais si une de ces comètes se retrouve de nouveau assez loin du soleil, cette queue ou cette chevelure peut retomber sur la croute du corps de la comète, & par ce moyen la faire devenir une plus belle planète qu’elle n’étoit auparavant. Mais depuis plus de trois mille ans qu’il y a des astronomes qui s’occupent à observer le mouvement des étoiles & celui des planètes, on n’a point remarqué qu’aucune de ces planètes connues soit encore tombée dans le soleil. Au surplus, si vous voulez apprendre la véritable théorie du mouvement des corps célestes, & en avoir un calcul conforme à ses mouvemens, lorsque vous serez arrivé dans la ville des philosophes, vous n’aurez qu’à consulter Kepler & l’illustre Newton ; ce sont ces deux grands hommes qui l’ont démontrée avec le plus de netteté.

Après avoir quitté nos astronomes, Monime se trouvant fatiguée de tout ce fatras de science abstraite qui l’avoit horriblement ennuyée, pria le génie de lui donner un peu de relâche. Eh bien, dit Zachiel, pour vous dissiper ; entrons dans ce verger, on y respire un air champêtre qui chassera l’ennui qu’a produit en vous un discours un peu trop élevé ; le ramage des oiseaux, leurs petits gasouillemens rappelleront votre belle humeur. Savez-vous bien, mon cher petit papa, reprit Monime, que vous m’excédez par vos railleries, & qu’il me prend envie de vous quereller, mais très-sérieusement ; depuis quelque tems vous vous faites un jeu de m’en imposer ; car qu’est-ce que ces oiseaux ? Ce ne peut être encore que des savans ; je me rappelle ce que vous m’avez déjà dit de la métamorphose des premiers hommes, qui sûrement sont arrivés ici tout emplumés : n’importe, je veux bien vous suivre ; peut-être n’y entendrai-je plus parler de vos vilaines comètes. Le génie sourit, me fit un coup-d’œil, & nous entrâmes dans le verger.

Le premier objet qui se présenta à nos yeux fut un fameux théologien de l’Église anglicane, qui a fait un traité sur l’enfer qu’il avoit placé dans le soleil. Il faisoit de cet astre le séjour des démons & des méchans condamnés à souffrir d’éternels tourmens. Ce savant avoit sans doute formé son système sur ce que les saintes écritures ont nommé l’enfer la gêne du feu, en le comparant à un lac de feu qui brûle nuit & jour. Monime ne put s’empêcher d’éclater de rire, d’entendre parler d’un système aussi extravagant.

Nous abordâmes ce savant qui paroissoit plongé dans une profonde rêverie. Eh bien, lui dit Zachiel, que pensez-vous actuellement de l’empire du soleil ? Croyez-vous encore qu’il soit un séjour préparé pour les méchans ? Nos lumières sont si bornées sur la terre, reprit notre Anglois, qu’on ne doit pas être surpris si la plupart des prétendus savans tombent tous les jours dans de nouvelles erreurs ; je conviens que celle où je me suis laissé entraîner en étoit une des plus grossières : j’ignorois alors qu’il y eût plusieurs mondes, & que ces espaces immenses qui forment ce grand univers, en fût rempli ; que les étoiles fixes fussent autant de soleils qui éclairent un monde ou plusieurs autres ; mais depuis que j’habite le séjour de la lumière, mon esprit plus éclairé me fait actuellement placer l’enfer dans l’atmosphère, ou sur la surface d’une comète embrasée par les rayons du soleil : je suis donc très-persuadé que c’est dans quelques-uns de ces lieux que Lucifer & les anges de ténèbres, accompagnés des impies & des méchans qui doivent sortir des entrailles de la terre, c’est là dis-je, qu’ils souffriront les peines qui leur sont dues. Voilà encore de vos malices, dit Monime, à Zachiel ; toujours des comètes !

Le génie, sans lui répondre, s’adressa au savant : vous êtes encore dans l’erreur, lui dit-il, puisque vous ne sauriez nier qu’un être intelligent est l’auteur de tous les phénomènes de la nature ; douteriez-vous encore que l’air est habité par des êtres immatériels, dont les corps sont trop subtils & trop déliés pour être les objets de vos sens ? Apprenez donc que, quoique les comètes ne vous paroissent pas des lieux fort commodes pour servir d’habitation aux êtres intelligens qui ont des corps ou des véhicules corporels, parce que la chaleur y peut être trop sensible lorsqu’elles approchent du soleil, où le froid trop excessif lorsqu’elles s’en éloignent, cependant soyez certain que ces comètes n’ont point été faites pour produire seulement de grands changemens, exciter des embrasemens ou des déluges ; vous devez donc croire que les comètes, ainsi que les planètes, renferment de vastes campagnes, des lacs & des rivières, une multitude infinie d’hommes & d’animaux de toute espèce ; je puis encore vous assurer que tous les mondes sont, à peu de choses près, semblables à celui que vous avez quitté, c’est-à-dire, qu’ils renferment dans leurs tourbillons un soleil, plus ou moins de planètes qu’il n’y en a dans celui de la terre, dont la grosseur est proportionnée à celle de chaque monde.