Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Avertissement

AVERTISSEMENT
DE L’ÉDITEUR
DES VOYAGES IMAGINAIRES


Il est difficile de croire comme quelques-uns l’ont prétendu, que les Mondes de Fontenelle aient donné l’idée de l’Ouvrage que nous imprimons dans ce volume & dans le suivant. On avoit imaginé, avant cet illustre Académicien, de peupler les planettes, & ce systême avoit donné lieu à des dissertations sérieuses de la part des Physiciens, & à des plaisanteries de la part de quelques gens d’esprit, qui y trouvoient matière à exercer leur imagination. En 1656, près de trente ans avant que Fontenelle fit imprimer ses Mondes, Bergerac avoit donné la première édition de son voyage de la lune. Nous connoissons un ouvrage plus ancien encore traduit de l’Espagnol, & imprimé en 1654, intitulé l’Homme dans la Lune, ou le Voyage chimérique fait au monde de la Lune, nouvellement découvert par Dominique Gonzalez, aventurier espagnol, autrement dit le Courier volant. Il seroit possible que cet Ouvrage, connu en France peu d’années avant celui de Bergerac, eût donné à ce dernier l’idée de son voyage dans la lune ; en tout cas il l’a bien embellie, & il a fait oublier entièrement son modèle. Au surplus le public a goûté dans tous les tems l’idée de peupler les planettes, & d’y créer des royaumes imaginaires. Le Voyage de Cyrano, comme nous l’avons observé précédemment, a eu le plus grand succès. Cette espèce de plaisanterie s’est produite jusques sur la scène. En 1684 les Comédiens Italiens ont joué leur Arlequin Empereur dans la Lune, & cette pièce attiroit tout Paris : les gazettes du tems font mention d’un succès qui a peu d’exemples, & qui n’est pas toujours une marque assurée du mérite d’un ouvrage.

Les Voyages de Milord Céton, qui ont paru près d’un siècle après toutes ces productions, sont d’un genre plus estimable : nous ne croyons pas que l’Auteur en doive l’idée à des ouvrages passés de mode, & d’un ton bien différent de celui qu’il a adopté : c’est plutôt par une critique fine & délicate qu’il cherche à plaire, que par des images merveilleuses, par des caricatures burlesques, qui surprennent, par la hardiesse avec laquelle elles choquent les règles les plus connues de la vraisemblance. L’Auteur tire du nom de chacune des planettes, le caractère des habitans dont il la peuple. On trouvera donc dans la Lune des habitans légers & frivoles ; dans Mercure un peuple d’avares, qui s’occupent à entasser toute leur vie des trésors inutiles. Vénus offrira une espèce d’île de Cythère où l’on ne songe qu’à faire l’amour & satisfaire ses passions. Dans Mars nous ne verrons que guerre & carnage. On peuple cette planette de héros dont l’unique souci est de s’entre-détruire. Le Soleil est le séjour de la lumière & de la raison. Tous les habitans y cultivent les hautes sciences, & y font les plus grands progrès. Dans la planette de Jupiter, le tableau est bien différent & plus singulier : c’est le séjour du faste & de l’orgueil ; tous les habitans sont nobles, & se croyent plus les uns que les autres. Enfin, on retrouve dans la planette de Saturne, les anciens tems de Saturne & de Rhée. L’Auteur y donne une nouvelle peinture des beaux siècles appellés l’âge d’or. Notre projet n’étant pas de donner ici un extrait de l’Ouvrage que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs, nous nous bornons à ce que nous venons d’en dire ; nous nous contentons d’ajouter que ce cadre heureux est bien rempli.

L’Auteur de cet estimable Ouvrage se nommoit Marie-Anne de Roumier, épouse de M. Robert : comme elle cultivoit les lettres dans le silence & qu’elle vivoit très-retirée, se bornant à un très-petit cercle d’amis, nous ne pouvons donner aucuns renseignemens sur sa vie : nous savons seulement qu’elle est morte à Paris en 1771, âgée d’environ soixante ans. Elle a composé plusieurs romans, entr’autres la Paysanne Philosophe ; la Voix de la Nature ; Nicole de Beauvais & les Ondins : ce dernier Ouvrage trouvera place dans notre recueil parmi les Romans Cabalistiques.