Les Vivants et les Morts/Tel l’arbre de corail
TEL L’ARBRE DE CORAIL…
Tel l’arbre de corail dans les mers pacifiques,
Le rose crépuscule, en l’azur transparent
Jette un feu vaporeux, et mes regards errants
Boivent ce vin rêveur des soirs mélancoliques !
Un oiseau printanier, comme un fifre enchanté
Gaspille de gais cris, acides, brefs, suaves.
L’univers vit en lui, son ardeur sans entrave
Hèle, et semble attirer le vaisseau de l’été !
— Qui veux-tu fasciner, oiseau de douce augure ?
Les morts restent des morts, et les vivants sont las
D’avoir tant de fois vu, sur de froides figures,
Le destin qui les guette et qui les accabla !
Je sens bien que le ciel est tiède ; l’étendue
Balance sur son lac la promesse et l’espoir.
Une étoile, incitant l’hirondelle éperdue,
Fait briller son céleste et liquide abreuvoir.
Et tout est orageux, furtif, païen, mystique ;
Les rêves des humains, aussi vieux que le temps,
Groupent leur frénésie, hésitante ou panique,
Dans la vasque odorante et moite du printemps !
Les nuages pourprés traînent comme un orage
Dont on a dispersé la foudre et le chaos ;
Tout se dilue et luit. Ciel au calme visage,
Tu viens séduire l’homme et les yeux des oiseaux !
— Pauvre oiseau, est-ce donc ces trompeuses coutumes,
Renaissant chaque fois que s’étend la tiédeur,
Qui te font oublier l’incessante amertume
D’un monde qui transmet la ciguë et les pleurs ?
Ton délire est le mien ; je sais qu’on recommence
À rêver, à vouloir, d’un cœur naïf et plein,
Chaque fois qu’apparaît le ciel d’un bleu de lin ;
Et que le courage est une longue espérance…
Oui, l’espace est joyeux, le vent, dans l’arbrisseau,
D’un doigt aérien creuse une flûte antique.
L’univers est plus vif qu’un bondissant cantique ;
Les fleuves, mollement, gonflent sous les vaisseaux ;
Les torrents, les brebis viennent d’un même saut
Écumer dans la plaine, où l’hiver léthargique
Fond, et suspend sa brume aux hampes des roseaux.
L’eau s’arrache du gel, le lait emplit la cruche,
Les abeilles, ainsi que des fuseaux pansus,
Vont composer le miel au liquide tissu,
Blond soleil familier de l’écorce et des ruches !
C’est cet allègre éveil que tes yeux ont perçu :
Oiseau plein de grelots, ô hochet des Ménades,
Héros bardé d’azur, calice rugissant,
Je t’entends divaguer ! Tes montantes roulades
Ont l’invincible élan des jets d’eau bondissants.
Matelot enivré dans la vergue des arbres,
Tu mens en désignant de tes cris éblouis
Des terres de délice et des golfes de marbre,
Et tout ce que l’espoir a de plus inouï ;
Mais c’est par ce sublime et candide mensonge,
Par ce goût de vanter ce qu’on ne peut saisir,
Que l’esclavage humain peut tirer sur sa longe,
Et que parfois nos jours ressemblent au désir !