Les Vivants et les Morts/Malgré mes bras tendus

Les Vivants et les MortsArthème Fayard et Cie (p. 342-343).


MALGRÉ MES BRAS TENDUS…


Il est humiliant d’expirer…
V. Hugo.


Malgré mes bras tendus, malgré mon cœur tenace,
Vous entrez avant moi, compagnons de mes jours,
Dans l’attirante terre, exclusive et vorace,
Qui resserre sur vous ses humides contours.

Voilà donc l’avenir, c’est donc cela qui dure :
La tombe, le caveau, le cloître souterrain !
Et nous, vantant toujours la trompeuse Nature,
Avec les yeux ravis du pâtre et du marin
Nous bénissions le jour luisant, le soir serein ;
— Vous seule êtes fidèle, ô secrète ossature !

Autrefois, je voyais se dérouler le temps
Comme une route blanche entourant la montagne,
Et que gravit, dans l’ombre où l’aigle l’accompagne,
Une foule au cœur gai, aux espoirs exultants ;


Mais cette sinueuse et noble perspective,
Ce haut pèlerinage au but ambitieux
Étaient un enfantin mirage de mes yeux.
L’humanité chantante, héroïque et pensive
Retombe dans la terre ayant rêvé des cieux !

— Hélas, mes disparus, mes archanges sans ailes,
Vous marchez devant moi pour m’éviter la peur ;
Et par vous je sens croître et brûler dans mon cœur,
Au milieu d’une calme et stupéfaite horreur,
Le sombre amour qu’on doit à la mort éternelle !

Déjà combien de mains ont délaissé mes mains…

— Du moins, battez plus fort, cœur empli de courage !
Entraînez avec vous vos morts sur les chemins.
Que leurs regards nombreux brûlent dans mon visage,
Que mon âme abondante abreuve les humains,
Et que je meure enfin comme on vit davantage !…