Les Vivants et les Morts/Je suis fière de tout

Les Vivants et les MortsArthème Fayard et Cie (p. 281-282).


JE SUIS FIÈRE DE TOUT…


Je suis fière de tout ce que je vous fis faire,
Pauvre âme et pauvre esprit au faible corps liés.
J’ai veillé, dans la morne ou brûlante atmosphère,
À ce que rien de vous ne fût humilié.

Ah ! s’il n’avait tenu qu’à mon penchant délire,
Qu’à mon rêve incliné vers le plaintif amour,
J’aurais suivi la route où tout effort expire,
Mais je vous ai sauvés en m’immolant toujours !

Ma part fut abondante, aride, ténébreuse ;
J’ai combattu l’orage et divisé le vent,
Et j’ai su m’enivrer, dans les jours éprouvants,
Du sombre enchantement des larmes courageuses.


Déjà mon temps décline, et le vent dans les palmes
Ne répand plus pour moi son parfum vaste, amer.
Peut-être vais-je atteindre, ayant de tout souffert,
La région sereine où la douleur est calme ;

Et je vous remercie, orage, ardeur, souffrance,
Et vous, déception au jeu continuel,
De m’avoir accordé la sombre indifférence
Qui prépare le corps au repos éternel…