Les Vivants et les Morts/Il paraît que la mort

Les Vivants et les MortsArthème Fayard et Cie (p. 328-329).


IL PARAÎT QUE LA MORT…


Il paraît que la mort est naturelle et juste,
Que l’esprit s’y soumet, que des êtres, heureux,
Rient après avoir vu ces pâleurs auprès d’eux,
Et qu’ils ont accepté la loi sombre et vétuste.

Mais moi, portant la vie infinie en mon corps,
Je n’ai pas vraiment cru à cet inévitable,
J’ignorais que l’on pût subir l’inacceptable,
Je ne le saurais pas si vous n’étiez pas mort.

Ainsi ce soir est doux, l’ombre s’étend, respire,
Les arbres humectés savourent qu’il ait plu ;
Un train siffle, on entend des persiennes qu’on tire,
Tout l’air est bruissant, et tu ne l’entends plus !


Ai-je vraiment bien su, dès ma sensible enfance,
Que tout est vie et mort, échange fraternel ?
Je me sens tout à coup atteinte d’une offense
Dont je demande compte au destin éternel.

L’espace est bienveillant, les astres brillent, l’air
Répand de frais parfums que les arbres échangent ;
Mais je n’accepte pas cet horrible mélange
D’un soir épanoui et des morts recouverts.
— Ô mes jeunes amis, qui faisiez mes jours clairs,
Pourquoi sont-ce vos mains inertes qui dérangent
L’ordre imposant de l’univers ?