Les Violettes du Crâne (Léon Montenaeken)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 224-225).


Les Violettes du crâne


Le crâne que j’ai sur ma table
Est celui, dit-on, d’un bandit
Que pour un meurtre épouvantable
L’an mil huit cent trente on pendit.

Chose étrange ! dans sa structure
Ce crâne n’a rien d’anormal,
Rien de saillant dans l’ossature,
Et son rictus même est banal…
 
C’est une simple boîte osseuse
Comme tous les crânes le sont :
Son existence aventureuse
N’est pas écrite sur son front.

Mon Dieu ! je n’en suis pas plus triste,
N’étant pas assez Allemand
Pour jouer au phrénologiste,
J’en fais mon deuil tout simplement.


Un beau jour j’ai fait cette emplette
— Sur mon honneur — sans autre but
Que d’y semer la violette
Qu’on voit fleurir sur l’occiput.

Ce n’est pas que j’eusse l’envie,
Par là, de narguer le trépas…
Je crois au néant de la vie,
Au néant de la mort, non pas !

Mais l’antithèse est mon délice :
Et, sans poser pour l’esprit fort,
Je cultive par pur caprice
Des fleurs dans la tête d’un mort.