Les Villes à pignons/Vanniers

Deman (p. 63-65).


Vanniers


Dès le matin, au seuil des bouges,
Sous une tente ouverte à l’air,
S’assoient les gais vanniers
Mêlant les osiers rouges
Aux osiers clairs
De leurs paniers.

Les nasses et les clisses,
Par lots égaux se répartissent ;
On fait toilette nette
Aux vannettes et aux bannettes ;

Et de leur tas d’osier tressé
Et disposé en pyramides,
S’épand la bonne odeur humide
Des rivières et des fossés.

Les gais vanniers chantants
Fument, de temps en temps,
À large lippe,
Leur pipe.
Et c’est alors qu’entre les doigts,
Avec le plus d’adresse et de prestige,
Se recourbent les tiges
Des osiers droits ;
Le panier souple et robuste
Vire plus follement au creux de leurs genoux ;
Le marteau frappe et tous ses coups
Ajustent
Une nouvelle couronne de liens
Aux couronnes de liens anciens.

Les paniers clairs des ouvriers flamands,
Comme une solennelle escorte,
Attendent tous, au seuil des portes
— Ils sont pareils à des ventres gourmands —

Que les bateaux arrivent
Qui les emporteront là-bas, de rive en rive.
Un jour, ils partiront pour Formose ou Ceylan,
Sans que cède leur dos ou que crève leur flanc.
Ils seront fiers et lourds du poids de leurs richesses,
Puis ils s’étaleront sur les grands quais vermeils,
Avec l’or même du soleil
En fusion parmi leurs tresses.

En attendant dès le matin,
Sous une tente, au seuil des bouges,
Les gais vanniers
Mêlent les blancs et serpentins
Osiers aux osiers francs et rouges
De leurs paniers.
Et le brouillard qui se dissipe
Et chasse au loin sa brume envenimée
Laisse monter la petite fumée
Bleue et joyeuse de leurs pipes.