Les Veillées du couvent, ou le Noviciat d’amour/Texte entier

A MON LIVRE,

BAVARDAGE COUTUMIER,

Pour suppléer aux Avis du Libraire, Lettres à l’Auteur, Discours préliminaires, Introduction, Avertissemens, Préfaces de l’Éditeur, etc. etc., qu’on ne lit jamais.

Ecoute, mon Livre, et songe à profiter de mes avis. Doux fruit des lectures cyniques, je te griffonnai bien ou mal dans ces momens d’ivresse où l’on est tout entier au désir. N’ayant à 15 ans que le don d’aimer avec fureur (et c’est si peu sans celui de plaire) il fallait que le vain phantôme de la Volupté que mes soupirs imploraient, berçant agréablement mon imagination échauffée par les tableaux voluptueux de Dorat et de Bernard, suppléât aux charmes si puissans de la réalité.

Plus sage aujourd’hui, je ne m’aveugle pas sur tes défauts ; je sais que tu ne vaux rien ; la foiblesse qu’un père a pour son enfant, bien qu’il soit laid, t’a seule conservé l’existence, et plaise à Dieu que tous les auteurs puissent se rendre autant de justice. Tout se lit pourtant, jusqu’aux feuilles du cousin Jacques ; j’en excepte pourtant les Odes sacrées de l’abbé Pichenot ; et je ne désespère pas de te voir couru des jeunes filles et des jeunes écoliers de toute la France, pour peu que l’adroit libraire qui t’achetera, s’il en existe un qui le fasse, t’embellisse de dix à douze estampes analogues au Meursius français et gravées par les Cochin, les Marillier, les Desrais, les Eisen, les Saint.-Aubin, les Queverdo, les Moreau le jeune, les Monnet, les Marcenay, &c. &c.

Il ne fallait rien moins que la complaisance aveugle d’un père idolâtre de ses productions chétives, pour m’engager à te décorer du nom de l’auteur de l’Erotika biblion ; mais je sais que l’enseigne fait beaucoup pour achalander une taverne. J’ai donc menti, heureux si ce mensonge te procure quelque renommée ! Va courir les ruelles, les boudoirs et les bosquets inaccessibles au Soleil et aux regards des êtres dégradés qui sont morts pour les tendres mystères ; c’est là qu’il te faut glisser sur des roses ; n’éveille pas la sequelle des Cagots qui te proscriront et croiront faire œuvre pie en te condamnant à allumer les fourneaux de leurs saintes et sensuelles cuisines. Les Duchesses aux dents et aux têtons postiches, les antiques Vestales du couvent de Vénus, qui, ne pouvant plus être instrumens du Diable, ont bien voulu se donner à Dieu, parceque, dit-on, il n’est pas difficile, aime tout, pardonne tout, voit tout et prend tout, te regarderont et soupireront de regret et de souvenir, jusqu’à ce qu’elles se rappellent qu’un directeur caffard le leur a défendu ; et la bonne Maman qui éléve sa fille dans les sentiers épineux de la sagesse, te retranchera de la bibliothèque de sa fille chérie.

Il serait pourtant bien agréable d’être dans les belles mains d’une Eucharis qui loin des cent yeux d’un Argus femelle, contemplerait et semerait de tems à autre des pleurs balsamiques du desir, les gravures voluptueuses dont tu serais embelli, qui te tenant d’une main, toucherait légèrement de l’autre les bords vermeils de cette jolie conque, ombragée d’un ébène flexible et délié, et se pénétrant de tes leçons, les pratiquerait, en faisant la gimblette, caressant un toutou, et se retournant sans cesse pour se tripler dans des glaces disposées par les combinaisons de l’amour-même et dont tous les rayons ont pour centre un lit d’édredon ou un sopha jonché de roses.

Nos yeux accoutumés par l’influence des beaux arts, à ne se repaître que de sujets indecens, ne s’eloigneront pas de toi ; je ne me repentirai pas d’avoir levé peut être un peu trop brusquement le voile déjà transparent qui nous dérobait Vénus Anadyomene, Vénus sans ceinture et sans voiles, Vénus sortant de la mer, Cypris in naturalibus, et exprimant l’onde amère de ses blonds cheveux, au milieu des Divinités marines qui se pressent autour d’elle, honorent sa naissance par des chants et des jeux, et la toisent ou plutôt la dévorent d’un œil aussi avide que le vieux Mondor devant qui l’habile appareilleuse fait l’inventaire et le panégyrique des formes et des talens d’une Laïs encore intacte.

Dieux ! quel triomphe, ô mon livre ! quelle gloire t’est réservée ! quel heureux événement me tranquillise sur ton avenir ! Didot t’accueille ; Fournier fond déjà les caractères qui doivent te transmettre à la postérité et faire de toi l’idole et l’amour des Bibliomanes ! Moreau le jeune taille son crayon. O bonheur que je n’espérois pas ! Le Vélin et l’Annonay s’applanissent sous le cylindre et tu vas sortir d’une des plus belles presses de l’Univers et avec tout le faste nécessaire couvrir les sottises et la barbarie du stile.

A MANON.

Galimathias Dédicatoire.


Beauté friponne, toi qu’en conscience, je dois suivant les us et coutumes de mes confrères les auteurs, appeler digne du ciseau des Praxiteles, des Phidias, des Pigalle et des Pajou, à qui je dois donner la douce haleine de Zéphyr, la langueur intéressante de deux yeux bien grands, bien azurés, la taille svelte et le sourire de la charmante Cithérée, enfin les 36 points qui constituent la beauté d’une femme, suivant les Docteurs Venette, et de Lignac : L’amour se plut à dessiner ton sein, lui-même modela le contour ferme et poli de ces tétons plus blancs que de l’albâtre et les orna de deux boutons de rose volés sur les consoles et les vases de porcelaine du boudoir de sa mère. Adorable Manon, élixir de mon cœur, Reine de mes pensées, Souveraine de mes affections, cher joujou de mon ame, incomparable Dulcinée, prototype des pucelles de mon pays, j’irais, nouveau Dom Quichotte, courir les champs comme Oreste et Roland, pourfendre les lions, abattre des moulins et faire avouer à tous les chevaliers possibles, passés, présens et à venir, que tu vaux mieux dans ton petit doigt, que tout ce troupeau des Tribades insolentes et lubriques, dont les excès, la paillardise, la soif crapuleuse de l’or et des molecules organiques, infectent et épuisent les bourses de la Capitale, sous les noms avilis de Chouchou, de Raucour, de Dugazon, de Contat, de Renard, de Viriville, &c. &c. &c.

C’est à toi que je dédie cet enfant de mes loisirs. Tu es ma Laure, si je suis Pétrarque ; mon Angélique, si je suis Roland ; ma Corinne, si je suis Ovide ; mon Éléorore, si je suis Parny ; mon Eliza, si comme Sterne, je suis Yorick ; ma Vanessa, si je suis le docteur Swift ; mon Héloïse, si je suis Abailard ; ma reine enfin, si, comme je le crois, tu n’as pas les goûts incestueux l’amour des Héiduques et la dépravation des Messalines, Faustines et Julies.

Daigne caresser, apprivoiser ce mien enfant timide qui n’a pas encore été en présence de la Beauté. Souris à son approche, comme tu souris à la mienne. Puisse-t-il te désennuyer. Quand le Soleil, tout simplement, pour ne pas dire du Phébus, aura éteint ses rayons brulans sur l’humide sein de Thétis et aura fait succéder le souffle rafraîchissant du Zéphyr aux ardeurs insupportables du Midi : Lorsque tout qui respire se délassera des fatigues du jour, en fêtant son oreiller, toi, aimable paresseuse, mollement couchée entre deux beaux draps fins, lis cet ouvrage, il servira à allumer tes désirs et te procurera l’avant-goût de ces plaisirs qui seroient plus vifs, si j’avois moi même le bonheur d’arroser des pleurs de l’amour, ce jardin planté des mains de la Nature.

O mon aimable amie, quand ma romanesque et complaisamment brulante imagination me retrace les plaisirs que je puis te procurer, si moins sévère, tu ne craignais de prendre du fruit en ne voulant que des fleurs ; ce qui s’augmenterait alors, s’augmente ; mon ame se fond dans un torrent de desirs et de voluptés, mon sein palpite, ma vue se trouble, mes genoux tremblent, mon corps s’affaisse sous la main de l’amour, je brave le phantôme hideux et menaçant de la goutte qui promet sa société à ceux qui osent ainsi rêver seuls, aimer et jouir debout, et ma langue desséchée balbutie ces mots : ah ! Manon ! c’est pour offrir un holocauste à tes charmes que cette liqueur précieuse, ce fluide dont Toinette et mainte autre louve de la même trempe n’ont jamais assez, s’échappe à grands flots de ses réservoirs. Reçois cet encens ; il est digne de ton autel ; puisses-tu être toi même la Prêtresse immédiate de ce sacrifice, le recevoir de mes mains et le renfermer soigneusement dans le bassin qui doit en être le sacré dépositaire.

Si vous l’vouliez, (bis) Mamzell’ Lisette,
J’vous, j’vous f’rais plaisir et j’s’rait heureux.

Daigne donc aussi me pardonner d’avoir intercalé mon pompeux galimathias dédicatoire de ce dégoûtant refrein d’un Pont-neuf, du maigre et vain petit poëte de la loge du grand Orient de la Cour ; je l’ai fait pour t’instruire en passant, en te donnant par là l’occasion de lire pour pénitence au lieu des sept pseaumes du vaillant et tendre David, le fond du sac du décharné rimeur Xanferligote : Tout est beau dans son volume, papier, figures, caractères, format, hormis les vers qu’il fallait laisser faire à Lafontaine.

En attendant que tu déployes à mes regards surpris et sous mes doigts actifs et laborieux, tous les trésors que renferme le ciel invisible, je m’entends (tout autre que moi ne le croira pas.) laisse-moi prendre sur tes lèvres un long, bruyant et savoureux baiser, puisque c’est le nec plus ultra de tes bontés, et le salaire de la tendresse la mieux sentie, la plus verbeusement exprimée, comme la moins récompensée. Adieu, tout à toi, comme les procureurs sont au Diable.

Je suis ton bouclier
Le Bâtard de MIRABEAU.
fils inconnu d’un si glorieux père.

Et Membre Charnu des Académies

des Discordanti de Venise,
des Affidati de Pavie,
des Animosi de Crémone,
des Infocati de Florence,
des Lunatici de Naples,
des Mélancolici de Rome,
des Immaturi de Padoue,
des Humorodi de Cortone,
des Muti de Reggio,
des 25 Académies de Milan,
Enfin des Orgueilleux de Paris.


LES VEILLÉES DU COUVENT,
OU
LE NOVICIAT D’AMOUR.

Livre premier.

C’est toi seule que j’invoque, ô Vénus, mère et consolatrice de tout ce qui respire, seul objet du culte d’Epicure, fille aimable de Neptune et d’Amphytrite, toi qui donnes le sentiment, la vie et le bonheur suprême, toi qui dans les bras du Dieu Mars que tes charmes ont désarmé, le couronnes de douze guirlandes de myrthe en un quart d’heure, et jouis de ses tendres embrassemens sans crainte et satiété. Inspire-moi, donne à ma muse timide le talent de peindre la Volupté, telle que tu la ressens quand le Dieu des armées, quittant le panache ensanglanté qui guidoit ses bataillons au combat, et prenant celui d’Adonis, couvre du feu de ses baisers la neige brûlante de ton sein, et dévoré de désirs éternels travaille sans relâche à couvrir de cornes toujours répullulantes le front enfumé de ton hideux époux dont la démarche clopinante, la stupidité et la jalouse laideur font fuir les amours, les ris et les jeux folâtres qui te servent de Pages.

Cette bagatelle n’exige pas que j’embouche l’héroïque trompette, que j’invoque, dans un fatras de grands mots ridiculement pompeux, le blond monarque du Pinde et les neuf habitantes édentées de l’Hélicon ; que je prenne, vil imitateur des Orphées, les élans du Tasse et de Milton. Le son bruyant des clairons effarouche les Grâces ; je ne chante pas, je raconte.

Prête-moi seulement un grain de ta cynique gaîté, séduisant auteur de l’ode à P..... aimable Piron, toi dont les tableaux érotiques me firent si souvent sacrifier à Vénus sans autel et sans prêtresse.

Toi qui veloutas les têtons rebondis de Manon, qui imprégnes de ton souffle embaumé et colores du plus brillant incarnat ses lèvres et les deux roses qui jaillissent de l’albâtre élastique de sa gorge palpitante ; enfant charmant, aussi vieux que le monde et plus redoutable que Jupiter, Amour, embrâse-moi de tes feux, c’est avec une de tes flêches d’or que je veux tracer les prodiges qui signalent ton pouvoir ; je vais, au lieu d’encre, employer à écrire sur des feuilles de roses, ce fluide régénérateur qu’irrite et fait jaillir dans son extase, l’adolescent qui te sacrifie pour la premiere fois.

Guide mes pas dans les frais bocages d’Idalie, dans ces charmilles silencieuses où, au murmure des ruisseaux, et l’image du plaisir de toutes parts offerte à leurs yeux, les Pétrone, les Tibulle, les Catulle, les Anacréon, les Tressan, les Lafontaine, les Dorat, les Muret, les Ausonne, Ovide, Lacase, Beze, Beverland et le sublime chantre de Jeanne, ont célébré la douceur de tes lois, les avantures et les ruses de tes adorateurs.

Le sein de Manon sera mon pupitre, novice en l’art d’écrire, la passion me tiendra lieu de génie. Sur un pupître aussi beau, que mes accens devraient être harmonieux ! mais craignons aussi que le pupître n’égare l’écrivain. N’importe, racontons.

Non loin de cette ville arrosée par l’Oise, et fameuse par sa forêt, ses eaux, son château qui de tout tems fit les délices de nos Rois, par la paresse, la gourmandise, la stupidité et la méchanceté de ses habitans endormis, près de C.... enfin, vers le couchant et dans une plaine immense, est une riche Abbaye agréablement située. La beauté de ses jardins, l’air pur qu’on y respire, les eaux limpides qui serpentent dans les prairies, les arbres touffus qui l’environnent et qui ont inspiré le Chevalier Vatan, l’imposante perspective des montagnes formant un amphithéâtre en fer-à-cheval et couvert des dons jaunissans du vainqueur de l’Inde, le voisinage de la ville, et la fréquentation des voitures qui de la capitale passent sur ce chemin pour se rendre en Flandres, tout concourt à rendre ce séjour intéressant et gracieux. Mais hélas ! un sîte pittoresque et délicieux brille envain de mille attraits divers, aux yeux du philosophe, une jolie fille est peu sensible à cette magnifique décoration, lorsque le cœur (la modestie me défend de dire plus,) commence à lui parler.

La belle Agnès, l’héroïne de mon Roman, étoit dans ce cas, et confinée depuis trois ans dans le couvent de M... R.... par de riches négocians de Paris qui n’avaient pas le tems de l’aimer, parce que la maman n’aimait pas son mari et que le mari ne trouvait pas qu’il fût du bon ton de s’en tenir à sa femme. Agnès avait été plantée là pour s’instruire, pour devenir polie, honnête, et savoir toutes les grimaces du cloître. On n’était pas alors persuadé qu’un cloître est une mauvaise école pour les jeunes demoiselles ; on ne savait point encore que des victimes de la contrainte, du désespoir, d’un amour du monde contre lequel elles ont sans cesse à lutter, sont de bien mauvaises institutrices ; on n’est pas encore bien convenu des dangers que court la pudeur de ces jolies élèves dans un saint sérail, où le saint Pater est le centre de leurs desirs, le but de leurs recherches curieuses, leur premier amant, leur Dieu et leur tout, c’est un homme enfin et on n’a que lui ; où l’habitude d’être ensemble à toute heure lie ces jeunes odalisques et les promène sans cesse de la salutation aux questions, des questions aux confidences réciproques, des confidences aux amitiés, des amitiés aux passions, des passions aux rendez-vous nocturnes, des rendez-vous à leur instruction et de leur instruction aux attouchemens criminels qui rendent les couvens la premiere école peut-être des impures Tribades. Les scènes que je vais offrir au lecteur et qui m’ont été communiquées par l’héroïne elle même, justifieront pleinement ce que je viens d’avancer.

Or, en attendant que la nécessité d’élever chez soi ces créatures dont les premiers pas sont si susceptibles de précautions, dont les premières sensations ont tant d’influence sur le reste de leur vie, en attendant, dis-je, que cette nécessité soit bien démontrée, et qu’on ne mette plus les filles au Couvent et les jeunes gens dans les Collèges, la pauvre Agnès rongeait son frein, soupirait après ses parens, après la Foire St. Germain, les bonbons de la rue des Lombards, les spectacles de Janot, les voltiges de Nicolet et les différens passe-tems de Curtius, Audinot et Torré. Je ne m’amuserai pas à faire le portrait de notre belle recluse. Rien n’est si fade, si soporatif, et plus exagéré que ces êtres fantastiques tracés d’imagination et auxquels un auteur prodigue à pleines mains des Perles d’Orient, du Corail aux lèvres, des Roses aux joues et tous les dons merveilleux dont nos insignes menteurs de la haute antiquité ont jugé à propos de gratifier la fabuleuse Pandore. Il est plus difficile de trouver de la ressemblance à ces images idéales, que de l’humilité dans un Jésuite, de la sobriété dans un Cordelier, de la franchise dans un Courtisan, de la justice dans un Juge et de l’argent chez un Poëte. Grace à Messieurs les beaux esprits de tous les tems, qui trouvent l’impossible dans leur féconde imagination, ils ont l’impudence de métamorphoser en déesse, en houris, la plus hideuse servante de cabaret, mais tout le monde n’est pas Santeuil, et je n’ai pas cet honneur-là. On ne peut plus compter sur rien, je flotte sur un océan d’incertitudes et je suis forcé, faute de tradition authentique, de croire, pour approcher de la vérité, que Laure était une petite bourgeoise, Vanessa une vivandière, Angélique une gourgandine, &c. &c. &c. Je dis donc sans figures de Rhétorique, sans tropes, antithèse, similitude, catachrèse et métaphore, qu’elle était belle comme toi. N’en sois pas jalouse, toutes les blondes et brunes de l’Univers me feraient vainement les yeux doux, ne crains pas que je sois volage, je n’ai plus de cœur, c’est toi, aimable vautour, qui me l’as dévoré, c’est toi qui me l’as volé, nulle autre ne peut s’en emparer, tant que tu me plairas.

Tu gémis avec moi sans doute de voir Agnès, ensevelie dans un triste et fastidieux Couvent, tombeau magnifique d’où l’on voit comme à travers une gaze, les plaisirs et le bonheur que goûte le reste des hommes dans le sein de la liberté et où on se damne de désespoir à chaque seconde du jour ; où la seule consolation que l’on puisse se procurer est de cabaler, de médire et de railler ; où d’un côté l’amour-propre et la vanité des vieilles béguines fait continuellement enrager les jeunes colombes, tandis que celles ci de l’autre côté fomentent sans cesse une guerre intestine qui accroît leur supplice ; mais est-ce d’aujourd’hui que les pères et mères, vrais tyrans et marâtres, se sont impunément arrogé le droit de disposer de leurs enfans ? Le fabuliste a dit avec raison : la raison du plus fort est toujours la meilleure. Il faut donc plier sous des êtres qui n’ont d’autres avantages réels sur leurs victimes, que d’être nés avant elles et qui les ont formées machinalement, plutôt en songeant à la délectation particulière de leur petit individu qu’à la propagation de l’espèce et aux voluptés pures et sacrées de la paternité, comme l’a fort plaisamment démontré le père Du Laurent dans son roman philosophique du Compère Mathieu ou les bigarrures de l’esprit humain.

Trois lustres complets, et rien de plus, donnaient aux yeux d’Agnès une nouvelle vie ; on y lisait à quelle époque les flux et reflux de la mer rouge avaient pour la première fois offert leur tribut à l’ordre naturel des choses ; ses formes se développaient, on voyait croître à vue d’œil sur l’horizon de son estomach deux petits astres plus intéressans que ceux que Gassendi, Galilée, Copernic et Cassini observèrent dans les espaces éthérés. Agnès commençant à naître pour l’Amour, et montrant les plus heureuses dispositions à s’acquiter des devoirs prescrits à la race humaine depuis l’imperceptible ciron jusqu’à l’éléphant, gémissait dans cet asyle de la cagoterie la plus insuportable. Est-il en effet un sort plus affreux pour une jeune beauté qui promettait de donner peut-être un jour des leçons à Vénus, même dans l’art de jouir et de faire des heureux, si les destins l’avaient réservée à faire les essais de ses rares talens avec les aimables farfadets dont fourmille la plus belle et la plus libertine ville de l’univers, Un financier se fût ruiné, un archevêque eût mangé son archevêché, tous les poètes auraient exténué leurs verves doucereuses en madrigaux, et nouveau Farnèze, le souverain pontife lui même quittant la Thiare, eût soupiré à ses genoux, couronné de myrthes et vêtu en petit maître pour savourer les joies du Paradis dans la possession de cet incomparable pucelage. Quoi ! ces joues où les lys le disputent aux roses, vont être effacées par l’ennui compagnon inséparable des moûtiers ? Ces yeux qui lancent des traits de feu et foudroient la raison, vont se creuser et se cerner sous le doigt corrosif de la mélancolie érotique ? Peut-on enterrer ainsi toute vive une Vestale encore immaculée, qui loin d’avoir laissé éteindre le feu sacré, est elle-même le foyer le plus ardent et le plus actif où l’Amour doit forger ses plus dangereuses flêches ? — Ah ! Manon, quand cette idée s’offre à mon esprit, mon œil est couvert de pleurs, je verse des larmes de sang sur le sort d’Agnès et de ses compagnes d’infortune, et nouvel Erostrate, je ne sais qui me retient d’aller porter le fer et la flamme dans tous les Couvens de l’Univers, d’Augustines, d’Ursulines, de Visitandines, de Bernardines et de Carmelites &c. &c. &c.

Continuellement sous les yeux de la dégoûtante sœur Tout-œil, elle apprenait comme un ange un long fatras d’ennuyeuses conversations, elle faisait au mieux une profonde révérence et baissait avec la modestie et la dévotion la mieux imitée, sa clignotante prunelle devant la respectable et antique Abbesse qui, la félicitant de l’air hautain d’un noble protecteur, et lui barbouillant d’un ton grasseyant un compliment laconique, collait ses lèvres octogénaires sur le front d’ivoire de notre Magdeleine en herbe. Agnès était unique pour réciter d’un ton papelard la fastidieuse litanie des complimens usités aux fêtes de Dame Prieure, Dame St. Nicolas, sœur Ste. Scholastique, Ste. Genevieve et Ste. Thérèse. Agnès, en un mot, était un Phœnix pour ces hypocrites guimpifères, mais ne vous y trompez pas, ce n’était pas que la captive eût beaucoup de goût pour toutes ces rapsodies ascétiques et ces niaiseries de cloître ; non n’ayant rien de mieux à faire, elle l’apprenait machinalement, par devoir et pour ne pas indisposer contr’elle la cohorte austère des mentors de son enfance ; mais il est aisé de se faire une idée de sa joie lorsqu’elle trouvait parmi ses compagnes un joli livre de contes.

C’est l’Oiseau bleu, l’Anguille dorée, le petit Serpentin verd, l’Ananas, le Prince charmant[1] et mille autre féeries inventées, je crois, pour gâter et séduire l’esprit des enfans qui ne sont pas assez prémunis contre des mensonges qui les amusent, et donnent souvent à leur petite imaginative une teinte romanesque, le goût de l’idéal, et de fausses notions sur ce qui se passe réellement autour d’eux. Prenons donc un milieu : et si l’école des jeunes filles, et le fidèle disciple de J. C. leur donnent de l’ennui, s’il faut pour se distraire des études de la Géographie, de la Chronologie du père Buffier, du Cathéchisme de Fleury, leur donner des histoires, qu’elles joignent au moins l’intérêt à l’instruction, l’utilité à l’agrément, et la vérité aux détails du sentiment ; nous avons, sinon le Magasin des enfans et des adolescentes que je proscris comme féeries, au moins Adèle et Théodore, par une dame qui voulant donner ce qu’elle n’a pas, a travaillé cependant efficacement à donner des mœurs à l’enfance. Nous avons des Anecdotes curieuses et les Annales de la Vertu. — La maîtresse de classe arrive-t-elle à l’improviste, on serre promptement sous le tablier le livre corrupteur auquel on substitue le livre pieux. Tout le monde connoît par expérience tous les tours, toutes les ruses de collège qui sont la politique de la jeunesse. Manon, raconte-moi toi-même tout ce que tu fis à cet âge heureux, ce que tu pensas, ce que tu sentis, tes espiégleries, tes conversations, tes confidences, et si tu ne crains pas de déchaîner contre toi tout le beau sexe, mon histoire sera complette.

N’est-il pas vrai que, si par hasard on trouve dans un livre un passage tendre, on le relit deux et trois fois, on soupçonne un mystère qu’il faut éclairer ; on interroge sa compagne ; on examine son cœur ; la petite imagination exaltée fermente et travaille ; on se dit à soi-même tout ce que le délicat Gessner nous dit là dessus dans son charmant poëme de Daphnis ou du premier Navigateur. Que font ces tourtereaux ? pourquoi ce coq monte-t-il sur cette poule docile ? pourquoi ce cheval hennit-il ? pourquoi ce limaçon est-il collé sur une limace ? pourquoi ces hannetons que je viens d’attraper sont-ils queue à queue, étroitement liés ? pourquoi ces colombes se becquent-elles ? pourquoi ce chat fait-il crier sa femelle ? &c. &c. &c. &c. &c. : ils s’aiment ! Qu’est-ce que s’aimer ? c’est s’accoupler. Qu’est-ce que s’accoupler ? c’est faire l’amour… Mais comment le fait-on ?… alte là… ma belle Agnès, un moment ; il n’est pas tems encore : bientôt, et trop tôt pour ton bonheur, ton cœur va recevoir les impulsions de la volupté, puis la connoissance, puis la jouissance elle-même. Trop tôt l’Amour, du bout de sa flêche de rose, au Signal de la nature, ouvrira ce bouton qu’elle a formé pour un heureux vainqueur.

Agnès, s’ignorant elle-même, ignorait ceux qu’elle voyait vêtus de costumes différens du sien ; elle avait des desirs, sans lumieres ; il n’existe plus de filles aussi ignorantes qu’elle à quinze ans ; Agnès était rêveuse, triste, inquiette, soupiroit souvent : cœur qui soupire, n’a pas ce qu’il desire… ses yeux s’animaient d’un feu plus vif ; son corset suffisait à peine pour retenir les gonflemens de son sein ; son poulx battait avec plus de violence ; ses veines voituraient du feu fluide et subtil ; et lorsque la nuit, un joli rêve se mêlait aux charmes du repos, Agnès plus fortunée qu’une reine prolongeait le songe jusques bien avant dans le jour, et se levait avec tristesse, parce qu’elle avait rêvé que le prince charmant avait dormi près d’elle. Ainsi, souvent plus d’une fille a taché le psautier de David, en s’imaginant être Bethsabé ; ainsi souvent je songeai être Endymion ou Marc-Antoine.

Agnès a une amie, Louise lui est chère ; elle est belle, Agnès n’en est pas jalouse ; Louise n’est pas plus savante ; mais Louise est plus adroite et plus curieuse encore : Agnès sera donc bientôt instruite. Ces liaisons tendent toujours vers une plus grande connoissance des qualités et des pensées ; l’heure est venue, leurs yeux vont être désillés, et dans peu, nos jeunes cloîtrées goûteront à longs traits les plaisirs des dieux, ce nectar qui donne la vie à tout ce qui respire.

Louise est comme Agnès, cloîtrée pour toute sa vie peut-être, parce que des casaniers ambitieux, ayant à choisir entre un fils et une fille, doivent tuer et sacrifier la dernière à la fortune du premier. Leurs cœurs n’en font qu’un ; mêmes goûts, même penchant, mêmes chagrins et mêmes motifs, l’ennui du cloître ; et l’attente impatiente des plaisirs de l’amour, même ignorance, même desir de s’y soustraire, tout concourt à les unir, jusqu’au vêtement, la grandeur, l’âge, la couleur des cheveux, et les graces de l’esprit, douceur de caractère, langueur intéressante, et traits charmans. Belle Manon, si tu avais été leur compagne, j’aurais fait faire un carton et un errata à toutes les mythologies ; et Chompré, par mon conseil, aurait substitué dans son Dictionnaire de la fable, les noms d’Agnès, de Louise et de Manon, à ceux d’Aglaë, Euphrosine et Thalie. A la prière, à la classe, à la promenade, à l’église, au dortoir, au parloir, elles étaient toujours inséparables comme deux étourneaux, lisaient, veillaient, priaient, dansaient, jouaient, dormaient, chantaient, psalmodiaient et pissaient même ensemble ; on les eût cru les deux sœurs ; elles se seraient même donné ce doux nom, si les religieuses qui probablement avaient lu l’Atlantis de madame Manley, dans le chapitre qui parle de la Cabale ou de la secte des tribades, ou les mémoires secrets de la république des lettres, par M. de Bachaumont, à l’article des impures Raucoux et Sophie, ne s’y fussent opposées.

O douce amitié ! doux lien des cœurs, le soutien et la consolation des malheureux mortels que ta chaîne vivifie ! toi qui doubles les êtres, et qui peut seule semer de fleurs l’aride chemin de cette vie ; toi qui, blanche comme un cigne, diaphane comme le crystal, pure comme l’eau de roche, ingénue comme l’enfant qui naît, et éternelle autant qu’indivisible, marches à côté de la fidélité, pour visiter dans les ombres de la nuit et dans l’horreur des cachots, le malheureux que tu consoles, toi que devait connaître le marquis de Saint-Aulaire, lorsqu’il a dit :

Divinité, dont les traits délicats
Font reconnoître l’air de ton aveugle frère ;
Mais qui joins à tous ses appas
Les yeux clairs et sereins de ta céleste mère ;
Tendre amitié, doux asyle des cœurs,
C’est à toi que je sacrifie :
Si l’Amour nous donne la vie,
Toi seule en donnes les douceurs.
Qu’un insensé porte à ce Dieu cruel
Le sacrifice de ses larmes ;
Que d’un cœur déchiré de chagrins et d’alarmes,
Il aille parer son autel ;
S’il en obtient une couronne
Il ignore quel prix elle doit lui coûter.
Ta libéralité nous donne
Les biens que ce tyran nous fait trop acheter.
Quand les appas d’une douce union
Nous engagent sous ton empire,
Ils ne viennent pas nous séduire
Par une courte illusion.
Chez toi la vertu, le mérite,

Nous découvrent toujours mille nouveaux attraits
Chez toi les vrais plaisirs sont toujours à la suite
De l’innocence et de la paix.

En amour tout est imposture,
Jusqu’au silence, tout y ment ;

Ce qui pour l’un est siècle, est pour l’autre, moment ;

Tout s’y donne à fausse mesure.
Chez toi la vérité fait entendre sa voix ;
Sa lumière nous sert de guide,
Sur nos goûts la raison décide,
Et le tems respecte son choix.
Au joug d’airain deux cœurs assujettis
Font l’un de l’autre le supplice ;
Quand par un bizarre caprice,
Amour les a mal assortis.
Sous les aimables loix dont l’amitié nous lie
Et les biens et les maux tout doit se partager :
Mais quel partage heureux ! Le bien s’y multiplie,
Et le mal y devient léger.

Le plaisir même perdrait tout son prix si tu n’en étais pas l’économe et le premier assaisonnement. Puissent l’intérêt, l’amour, la rivalité, la jalousie, la distance des lieux et des calculs de fortune, ne jamais étouffer en moi le sentiment tendre et délicat que j’ai voué aux amis de mon enfance, et lorsque la vieillesse aux doigts décharnés, entr’ouvrant notre tombeau, nous avertira d’y descendre, puissé-je voir autour de mon lit, trois ou quatre mortels amis de mon cœur et dont je serai chéri, verser des larmes sur ma perte et m’assurer de leur éternel souvenir ! Puissé-je, après avoir glissé sur la vie sans bruit et sans chagrin, sans renommée, mais sans ennemis, glisser sans aucun sentiment pénible au fond du sépulchre, en laissant heureux tout ce qui m’entoure ! Puissions-nous avant de reposer ensemble, comme Du Breuil et Peckméja, nous rappeler, ô mon cher Moreau, les instans de notre félicité passée, où l’amour des beaux arts, le goût du travail, l’union de nos cœurs, la conformité de nos malheurs, nos sentimens et notre enthousiasme faisoient notre fortune et nos plaisirs ; et si le commerce des muses, la gloire d’éclairer les hommes, de les amuser et de leur faire du bien, ne nous immortalise pas également, puissions-nous l’être au moins pour avoir aimé bien tendrement et avoir renouvellé, par cinquante à soixante ans d’une amitié sans nuages, le siècle attendrissant des Oreste, des Pilade, des Nisus, et des Euryales, des Castor et des Pollux, des David et des Jonathas &c.

Viens donc, compagne chaste et pure,
Fille du Ciel, objet vainqueur,
Viens sous mon toît, viens dans mon cœur,
Habiter avec la Nature.
Du fond de mon obscurité
Je t’appèle sans imposture ;
J’ignore la cupidité.
Ah ! si dans mon indifférence,
Par toi je me laisse charmer,
C’est sans projets, sans espérance ;
J’aime pour le plaisir d’aimer.
Qu’au-dessus des folles tendresses,
A la raison je sois soumis,
Le sentiment fait les maîtresses,
Et la raison fait les amis.

Mais le sentiment m’égare, revenons à nos pensionnaires. Agnès et Louise s’aimaient sans savoir comment, mais il est aisé de juger que l’amour, sans qu’elles le veuillent, y sera pour beaucoup. Louise collait quelquefois sur les lèvres de son amie un baiser dont la flamme augmentait le vif incarnat des siennes, et ce baiser les mettait dans un état qu’elles ne pouvaient définir. Un feu plus actif et plus pénétrant que celui qui dans le sein de l’Etna dévore et liquéfie les entrailles de la terre, se glissait et pétillait en elles de veine en veine. « Dis-moi donc, Louise, disait Agnès, pourquoi tes embrassemens me font brûler ainsi ? Comme tu sais embrasser ! Qui t’a donc appris à donner de ces baisers qui vont jusqu’à l’ame et qui l’embrasent. Ceux de maman, ceux de mon papa, ceux de madame l’abbesse, de nos dames et de mes parentes ne me procurent rien d’égal, je me meurs de plaisir ; que tu es aimable » ! — Et en même tems Agnès serrait contre sa gorge Louise sa bonne amie, avec une force extraordinaire, pour la payer de retour : — « Je ne sais, dit Louise, pourquoi j’applique plutôt mes lèvres sur ta jolie bouche que sur tes joues, qui pourtant sont aussi belles, je crois que c’est la nature et un sentiment extraordinaire et surnaturel qui me dictent cela. L’amitié m’enseigne qu’on ne sauroit mettre trop de feu dans les baisers qu’elle donne ; elle ne choisit pas la place, et selon moi, le front est le siège du baiser respectueux et civil, ou celui de l’amour maternel ; la main est pour le baiser de protection ; les joues sont pour l’amitié, le cou pour l’amour et les lèvres pour ces deux sentimens. Mais, écoutes ce qui m’a donné quelques notions sur ce baiser ».

« Tandis que mon papa faisait enrager ses paysans allait tuer du gibier, ou dîner chez le Curé de son village avec lequel il est ami, parceque tous deux s’ennuyent et ne peuvent se désennuyer qu’un verre, un fusil, ou des papiers de chicanne dans les mains, maman passait les après-dîners seule dans un petit cabinet sombre et environné d’arbres bien touffus, et assez bien orné de figures, de tableaux, et de jolis meubles, qu’elle nomme boudoir, mais où l’on n’a jamais voulu me laisser entrer ; maman n’en sortait jamais, et tous les jours après avoir querellé mon papa pendant une heure au moins, sur son amour pour les procès, la chasse et le vin, sur le peu de zèle qu’il a de lui faire compagnie, et la promener, elle se retire avec humeur dans ce petit endroit où elle ne veut voir personne, qu’un petit abbé, vicaire du village, et qu’elle a pris pour son directeur, pour se mettre à la mode des Dames de qualité. Je crois même qu’elle ne se fâche régulierement contre mon papa, chaque jour après que le dîner est desservi, qu’afin de le forcer à prendre de l’humeur et s’en aller ; car il n’est pas plutôt sorti que M. le vicaire entre par une porte du jardin, cachée dans les charmilles qui avoisinent le petit cabinet ; et lorsqu’il est avec maman, elle n’est visible pour personne et je reste seule avec une vieille dégoûtante qui gronde sans cesse. Si je cueille une fleur, elle me frappe ; si je joue au volan, elle me dit que je gagnerai une pleurésie et que j’en mourrai ; si je me promène dans une allée et que j’approche trop près du gason, elle me menace de dire à mon papa, que j’ai foulé les bordures, gâté les couches, arraché les fleurs des arbres fruitiers, ou éparpillé les roses ; de sorte que je n’ai un peu de tranquillité que quand cette maudite grogneuse s’est aussi enfermée dans sa cuisine, pour y boire à son aise, tandis que les autres domestiques sont dispersés dans le village, St.-Louis pour faire sa cour à la fille du fermier, et la femme de chambre pour causer avec la nièce du Curé qui est très-jolie.

Un jour que je jouais au volan dans le corridor, tandis que maman et son petit abbé étaient dans le boudoir, j’entendis soupirer et crier : et voici ce que maman disoit : « Abreuve-moi, mon cher abbé, remplis-moi de cette manne céleste ; donne-moi un de ces baisers brulans, savoureux comme le meilleur baume ; baise-moi des baisers de ta bouche ; demeure entre mes mammelles, comme un bouquet de myrthe ; mets ta main gauche sur ma tête que ta droite m’embrasse ; ô mon bien aimé, pose, comme le Chaton, ta main par le trou et vois, comme mon ventre tressaillit à ce tact » ! Et l’abbé riait de toutes ses forces de tout cela, pour moi, je ne comprenais rien à tout cela et n’y comprends rien encore, et l’abbé lui répondit : « Je te remercie du nom de Chaton dont tu m’honores trop généreusement, mais, malgré la dose d’amour-propre dont on nous accuse, je me rends pourtant la justice de croire que je ne suis pas blanc et rouge et choisi entre mille ; mes cheveux ne sont pas comme des feuilles de palmiers, (parceque ce n’est pas assez délié), et noirs comme un Corbeau, mais châtains. Mes yeux ne sont pas comme des pigeons sur le bord des eaux, lavés dans du lait : mes joues ne sont pas comme des parterres d’aromates et ma poitrine n’est pas comme un ivoire marqueté de Saphyrs ; je ne puis donc te donner par la même raison, le nom de Sulamith parce que tu n’es pas comparable aux chevaux attelés au char de Pharaon, parce que tes yeux ne sont pas comme des yeux de colombe, ils sont moins ronds, plus grands et plus fendus ; tu es belle, mais tu n’es pas noire, tu ne t’es pas hâlée, en gardant les vignes et sur-tout la tienne ; tu n’es pas belle comme les tabernacles de Cédar et les pelisses de Salomon, et dussé-je être envoyé paître les moutons et les chevreaux de maître Eustache, le fermier de ton époux, je dirai que si les reines et les concubines ne t’ont pas admirée, au nombre de cent quarante et autres jeunes filles sans nombre, tu n’en es pas moins ma seule colombe, une jolie blonde aux yeux bleus, aux têtons d’albâtre, à la taille plus svelte et plus fine qu’un palmier. Ton nez n’est pas non plus, comme la tour du Mont-Liban, qui regarde vers Damas. Tes têtons n’ont pas la couleur jaune ou verte des raisins, quoique j’aie le plus grand plaisir à les sucer amoureusement, et si c’est boire mon vin avec mon lait, enivrons-nous, allons aux vignes, et donne-moi tes mammelles ».[2]

Quel est donc ce galimatias, dit Agnès ? Comment as-tu pu retenir tout cela, puisque moi-même je n’ai pu retenir un seul mot de tout ce que tu viens de dire ? « Oh ! oh ! tu ne sais pas combien une petite fille, dit Louise, est curieuse, combien elle saisit avidement tout ce qui lui paraît extraordinaire, comme un mot la fait réfléchir, comme ensuite sa petite tête travaille, mais laisse moi continuer. « Maman pria l’abbé de lui donner sa langue, et je crois qu’il la lui donna, car elle ne dit plus rien pendant quelques momens. J’avais quitté mon jeu, et marchant sur la pointe du pied, je m’étais collée contre la porte du cabinet et je regardais par le trou de la serrure pour mieux voir et mieux entendre. Il se fit alors un silence qui n’était interrompu que par des soupirs et une respiration plus pressée. Je vis maman couchée sur le sopha, de tout de son long, ne remuant pas plus que si elle eût été morte ou endormie ; l’abbé me la cachait en partie, je ne voyais que sa tête penchée sur le bras de l’abbé qui la serrait beaucoup, et se remuait comme le battant d’une pendule ; sa main entourait la cuisse nue et fort blanche de maman. « Mon ame se liquefie dans un volcan de Voluptés, s’écria à son tour l’abbé, couronnez moi de fleurs, car je languis, je me meurs, je… je… sa voix fut ici si éteinte et si pénible que je ne pus entendre ce qui suivit ce Je… et je gagnai le jardin pour continuer mon jeu. Je me plaçai comme par hazard à la porte du jardin par laquelle devait sortir l’abbé, il était tard, et je savais que c’était son heure ordinaire de partir ; il ne tarda pas à le faire et sitôt que je le vis, j’allai au devant de lui et le priai avec beaucoup de caresses de vouloir bien me dire ce que c’était qu’une Sulamith et un Chaton ; ce que c’était que se liquéfier… mais l’abbé partit comme un éclair, ou plutôt comme un voleur, en faisant une grimace pour toute réponse, de sorte que je ne sçus rien de tout ce que je voulais sçavoir. Le lendemain maman me signifia que j’allais aller au Couvent ; cette nouvelle ne me déplut pas parce que je ne savais pas ce que c’était qu’un Couvent. Il suffisait que ce fût une nouveauté, une diversion aux chagrins que me faisait ma bonne, pour que j’en fusse bien aise ; mais je ne puis m’empêcher d’attribuer l’exécution de ce projet à M. l’abbé qui n’aimant pas les curieuses, en a rendu compte à Maman qui n’aimant pas les questions, et voulant n’avoir plus d’espion dans les occupations de son boudoir, a jugé à propos de se débarrasser de moi en me logeant ici. Je m’y plus un instant, mais je m’ennuyai bientôt ; et je mourrais de chagrin, si je n’avais pas trouvé une bonne amie comme toi. Je te vis et je t’aimai tout de suite ; tu me vis et tu m’aimas, nous nous aimâmes toutes deux, et nous nous aimerons toujours, n’est-il pas vrai ? C’est le moyen de se désennuyer. Tiens, il me vient une idée, aussitôt que tout le monde dormira, j’irai te trouver, laisse ta porte entr’ouverte, je m’y rendrai sans bruit et nous coucherons ensemble, mais n’en parle à personne, et tu verras que nous aurons du plaisir ; tu seras ma Sulamith et je serai ton Chaton. La partie fut acceptée. On s’aimait trop pour s’y refuser, on se jura de ne pas manquer au rendez-vous. On se rendit ensuite au réfectoire où la cloche appellait les nones. On n’y mangea pas beaucoup, grace à l’impatience qu’avoit le Chaton des plaisirs qu’il promettait de faire goûter à la Sulamith, et l’on se sépara pour la priere, afin d’éviter tout soupçon de connivence.

Innocentes créatures, vous cherchez en vain le plaisir, ces embrassemens et ces efforts seront vains ; laissez au tems le soin de remédier à vos maux. Les plaisirs qu’on achete par une continuité de desirs sont toujours les plus vifs ; vous en perdriez tout le sel, et toute la saveur, en les cueillant avant le tems ; reposez vous sur la nature, sur l’être puissant qui vous forma et sur l’amour.

Laissons nos pensionnaires marmoter en baillant des prieres latines et des ora pro nobis dégoutans, et voyons ailleurs ce qui se passe. Voyons par quel enchaînement de circonstances la Providence leur prépare à toutes deux la jouissance de leurs plus doux desirs. Ainsi soit-il.


LIVRE SECOND.


Je vous dirais bien tout simplement et sans colifichets poëtiques qu’il était nuit et qu’il était huit heures du soir, si je ne voulais pas me conformer à l’usage de mes confreres qui ne voulant pas perdre l’occasion de montrer de l’esprit et des connoissances en mythologie, croyent qu’il y en a beaucoup à se rendre inintelligible aux trois quarts de leurs lecteurs. La mode étant un tyran impérieux qui dans ce siècle-ci soumet à son joug et le petit-maître et le philosophe, je suis forcé de les imiter, pour montrer que j’ai autant d’esprit et que je sais coudre des descriptions, aussi bien qu’eux, à des mots emphatiques, vuides de sens et rebattus. Je dis donc ou plutôt j’ouvre la bouche avec emphase et dignité, pour dire en style élocutoire, oratoire et poëtique : « La pâle Phébé quittait avec regret le sein brulant d’Endymion, son berger favori, et s’arrachant à neuf politesses successives dont il l’avait généreusement enivrée, parcourait le vaste horizon sur son char d’argent, attelé de deux coursiers noirs comme l’encre qui trace les sottises avec lesquelles je vous endors. Chemin faisant, elle regrettait de n’avoir pu rendre immortelle une politesse aussi grande, et sa main libertine, en essuyant les résultats de sa lubrique séance, en créait de nouveaux. Pleine de souvenirs délicieux, elle se mouillait sans cesse en travaillant à se sécher ; ainsi Pénélope défaisait la nuit ce qu’elle avait fait le jour ; ainsi plus d’une Agnès que je connais et que je pourrais nommer défait le jour avec des lavemens, de la rhüe, et des bains de pieds, ce qu’elle a fait pendant la nuit. C’était l’heure où le badaut va promener son inutilité sous les arcades du Palais Royal et dans la grande allée des Thuileries ; c’était l’heure où une foule d’ouvriers court au boulevard du Temple, écouter les équivoques, les pointes et les vaudevilles prosaïques de Deduit, lutiner les Viéleuses, et se battre les flancs d’ivresse et d’admiration au bruit des voix aigrelettes ou cassées des cantatrices des caffés Yon et Goda. C’était l’heure où un essaim de grisettes et de nymphes vénales fourmillant dans les allées du Palais Royal, dans celles de leurs maisons, à la place Louis XV, et dans la rue St. Honoré, habillent la mort d’une pelisse rose ou céleste, cachent leurs turpitudes sous les ajustemens de Flore, et vendent à beaux deniers comptant le poison mortel qu’elles recèlent, aux imbécilles amateurs des triomphes faciles. C’était l’heure où, dans ma patrie, l’avenue des soupirs est foulée par une infinité de couturieres, de petites marchandes et de femmes de chambre qui, la tête chaude comme l’ont toutes les Picardes et le reste un peu plus encore, vont chacune avec son Adonis serrurier, menuisier, cordonnier, soldat ou commis, coucher le gason, voir la Lune perpendiculairement, et se faire carresser en bourgeoise, les unes pour donner des cornes à leurs maris, comme Madame Etave et Madame P....., les jeunes filles pour anticiper sur les prérogatives de l’hymen et forcer ainsi la main de leurs parens, lorsqu’ils osent contrarier leurs amours, les autres enfin pour l’amour de l’Amour. C’était en un mot, le moment le plus favorable pour la promenade, les rendez-vous, les jeux de la main chaude, les concerts, les vielles, les orgues d’Arabie et les flûtes mélancoliques ; la Lune se répétait partout sur la superficie limpide des ruisseaux ; le frémissement des feuilles agitées par le Zéphyr invitait à la rêverie ; l’œil pouvait se perdre à travers le vaste Océan des Cieux, reconnaître partout un Etre suprême dans chaque Astre qui domine sur les montagnes, dans chaque flot et chaque ardoise qui sous les accidens et les reflêts de la Lune, ressemblent à une rose de diamant. O Dieux ! direz-vous que d’inutilités, que de verbiage ! quoi, trois pages pour dire qu’il étoit huit heures ; cela ressemble à des roles de Procureurs ; allons, ne vous fâchez pas, j’ai fini, et je vais parier d’Agnès et Louise.

Elles ont soupé, la priere a suivi le souper qu’ont suivi les graces répétées par nos deux Graces, ensuite une lecture pieuse dont elles se seraient fort bien passées. On s’achemine vers le dortoir, sous la conduite d’une vieille sorciere embéguinée, d’une vieille furie honorée du nom de religieuse et dont la tête eût pu servir de modèle à Rembrand Van-Ryn, dans la composition de ses grotesques, ou au facétieux Callot. On a soin de leur rebattre les oreilles d’un vieux sermon qu’on leur a repété tous les jours, de prendre garde en se déshabillant de ne se pas complaire à regarder le nud, de ne pas se toucher complaisamment la gorge et les autres parties du corps, de penser aux plaies de notre Seigneur et de dire un pater et un ave maria en leur honneur, toutes les fois que le malin esprit les tentera, et d’avoir attention en dormant de ne pas reposer leurs mains sur cet endroit deshonnête qui est la niche du Démon qui, si elles n’y prennent garde, viendra sous la forme d’un serpent, les piquer, et sur-tout de ne pas causer la nuit avec leurs compagnes… Finis, vieille sempiternelle, cesse d’étaler la morale usée de ton insigne cagoterie, et réfléchis qu’en défendant ces gestes et ces regards dont nos colombes ne connoissent pas le prix, tu vas leur donner l’envie de profiter du peu de lumières que leur donne ton indiscret sermon. Il y a donc du mal puisque tu le défends ? Pourquoi y a t-il du mal ? Parce qu’il y a du plaisir, et que ce plaisir est un crime : eh bien, c’est assez que ce soit un plaisir défendu, pour qu’il leur paroisse plus piquant, elles prendront le plaisir et laisseront le crime, qui est ton ouvrage. Eh ! de quel droit prétends-tu usurper un empire despotique sur les appas secrets de nos Graces, toi qui as soixante quinze ans, ne rougis pas d’employer ces cylindres consolateurs dans lesquels un tube artistement placé contient une liqueur chaude qu’à l’aide d’un piston, tu lances en grimaçant de plaisir dans les parois décrépits et décolorés de ta conque papillotée ? Si tu n’as pas à ton âge de pouvoir sur tes sens, pourras-tu en exiger de ces timides mais brulantes enfans ? et quand tu appeles niche du Démon et du Serpent qui les piquera bientôt, cette jolie coquille qu’un duvet des plus légers commence à velouter, ne leur laisses-tu pas à entendre sous quelle forme doit leur paroître ce joli Serpent dont ton god..... n’est qu’une insuffisante copie et de l’original de laquelle ta laideur te sèvre pour jamais. Va, ne discutons pas sur le faux ou le vrai de ce crime et laissons à la nature plus forte que notre morale humaine, le soin de donner l’impulsion à ces faibles créatures.

Mais, que vois-je ? et quel est le fruit de tes sermons ? Déjà pour se dédommager de l’ennui qu’il leur a causé, Louise gagne à pas comptés la cellule d’Agnès qui a laissé sa porte entr’ouverte. Je la vois, ses souliers à la main, l’œil aux aguets, la main étendue, le corps balancé sur la pointe du pied, et frissonnante au moindre bruit, le désir dans l’ame, et la crainte dans le cœur, tremblante d’être surprise, et guidée seulement par la voix du plaisir et de l’amitié, s’avancer en tâtonnant vers l’asyle solitaire qui va être le temple de ses premiers, de ses plus doux plaisirs. La Lune qui dans le corridor réfléchit les vitrages sur la muraille nue et blanchie, éclaire faiblement sa marche incertaine et semble participer à son effroi, en se cachant par intervalles sous un nuage dont l’ombre enveloppant Louise, la cachera aux yeux des Argus femelles, mais chaque nuage qui passe, est pris par Louise pour un objet animé, et la remplit d’épouvante. L’œil de notre voyageuse nocturne étincelle dans l’obscurité comme le ver-luisant sous les fleurs des prairies humides. Ouf !… Je respire : la porte s’ouvre et se referme sans bruit et Louise est enfin arrivée à bon port ; j’entre avec elle, rien de plus aisé, et je vais peindre la scène charmante que j’ai sous les yeux.

Est-ce toi, Louise ? — Oui. Et la veilleuse est tirée de l’endroit où on l’avoit cachée pour se convaincre que c’est bien Agnès, ou plutôt pour jouir du plaisir de se bien voir. Elles se précipitent dans les bras l’une de l’autre ; leurs petits corps étroitement liés n’en forment plus qu’un, leurs lèvres brulantes se confondent avec leurs soupirs amoureux, les larmes du sentiment sortent involontairement de leurs prunelles humides, leurs bras souples sont serrés aussi fort que le lierre s’incorpore, pour ainsi dire, à l’arbre nourricier dont il embellit l’antique tronc par ses caresses dangereuses ; leurs joues colorées du plus beau carmin feraient pâlir le corail, et la blancheur de leurs gorges naissantes égale celle de l’albâtre. Que de baisers que de larmes expressives !

Déjà la soie et le lin ont disparu. Louise est la femme de chambre d’Agnès, et Agnès est à son tour celle de Louise. Les deux fichus se sont envolés au même instant, et ce geste offre deux seins dignes de Jupiter et de Mars. Louise se récrie sur la beauté des contours et la fermeté des têtons d’Agnès ; elle les presse et les pitchotte amoureusement. Sa langue se porte naturellement sur chaque bouton de rose et cette action en augmente l’incarnat. Finis, dit Agnès, tu es folle, quelle invention ! tu me fais tressaillir, je brûle, finis, tu me ferais mourir ; finis, ou je vais t’en faire autant. Oh ! dit Louise, tu crois que j’aurai, comme tout mon sexe, la sotte manie de refuser ce que je desire ? non, fais, et tâche de mieux déviner une autre fois. Si ce badinage te fait plaisir, paye-moi de retour et si mon sein ne vaut pas le tien, que l’amitié y supplée… — Petite coquine, tu sais bien qu’il vaut mieux. Alors chaque baiser d’être rendu avec usure aussitôt que donné, et leurs ames pompées par ces douces effusions, de voler sur leurs bouches entr’ouvertes. Elles soupirent pourtant, en appercevant un vuide dans leurs plaisirs, et semblable au tonneau des Danaïdes, leur cœur plein de désirs leur échappe sans cesse et ne peut se remplir ; leur imagination est à bout. Vénus qui dans ce moment traversait les airs sur son char traîné par des Cygnes et des Tourtereaux, rit de bon cœur à la vue de l’embarras de nos ignorantes prosélytes. Elle ordonne à l’Amour de faire un tour de son métier, d’enfanter un prodige pour les éclairer. Cupidon promet tout ; le cortège disparaît ; et les Grâces, les Jeux, les Ris et les transports amoureux épuisent en passant, sur nos élèves, la coupe de l’ivresse et des désirs fougueux. Bon voyage, Madame Vénus. Or ça, je m’intéresse à ces enfans, ne les oubliez pas ; et toi, petit fripon, dépêches-toi ; c’est à toi de guérir les maux que tu fais.

Dormez, pieuses Mégères, vieilles bégueules ; que votre fureur pour vos tristes images ne vous permette pas de faire votre ronde et de troubler nos naissantes et apprentives Tribades. Elles vont dans peu l’être autant que vous. La Nature le veut ; c’est le seul moyen d’être sage au Couvent, puisqu’on ne peut l’être sans se clitoriser ou se manuéliser.

Reste un dernier voile, et c’est celui qu’a plus de peine à ôter toute femme qui a encore un peu plus de pudeur que de lubricité ; on veut être nue ; l’amant prie, mais l’idée effarouche ; quelquefois l’amour-propre se met de la partie et telle femme ne refuse de se montrer dans le deshabillé d’Eve, que parceque n’étant pas aussi belle et aussi neuve que notre première mère, elle craint de montrer ses imperfections et de dégoûter un galant. C’est, je crois, la seule vertu d’une femme ; et celles qui ont partagé mon lit, m’ont au moins donné cette raison en confidence, pour la plus grande justification de leur sexe. Une femme belle dans toute la force du terme, gagne trop à se montrer digne des hommages d’un galant connoisseur, pour se refuser ce petit triomphe et je souhaite à mes lecteurs le plaisir de contempler comme moi, les beautés de la Dognon, qui a servi de modèle à tous les grands Peintres de l’Académie ! O nuit charmante ! formes divines ! préludes enchanteurs ! attitudes ravissantes ! tableaux voluptueux ! ingénieux rafinemens ! art d’alimenter une flamme dévorante, de la fixer pendant toute une nuit, je ne vous trouverai jamais dans une femme à principes et j’abhorre toute jouissance avec une Alcmène qui ne quitte pas sa chemise. Vive le nud ! vive la D..... mais voyez, pelottez, n’achevez pas ; pardon pour l’épisode et je continue.

Finiras-tu, dit Agnès, je meurs de sommeil, je suis abymée de fatigue, cette fatigue est, il est vrai, plus agréable que le sommeil, mais il faut se coucher enfin.

On est en chemise, comme je l’ai dit, et on voudroit être nue ; mais j’ai dit encore pourquoi on n’osoit. On balance, un regard de la bonne amie fait céder ; les voiles tombent, les mains viennent les remplacer, les mains ne suffisent pas pour tout cacher, la bonne amie est nue aussi, l’exemple encourage, on veut voir sa compagne nue, et en s’emparant de ses mains que l’on serre bien fort pour qu’elles ne puissent rien dérober à vos yeux libertins, on ne peut se cacher soi-même aux siens, et la partie devient égale. On dévore de l’œil, on regarde avec extase cette rose qui n’est point encore épanouie, on y porte un doigt qui cherchant à pénétrer plus avant dans le calice de cette sensitive, fait tressaillir Agnès, en lui faisant un mal dont elle est charmée. Je le crois bien, et je voudrois le lui faire, sans me croire barbare pour cela. Louise enfin, plus leste et plus hardie, saute sur le lit et Agnès n’a pu se refuser au plaisir de lui offrir encore un hommage, en lui donnant un petit coup sur le satin blanc de ses petites fesses. Oh ! tu me le payeras, et je te le rendrai. — Oui ! eh bien, je ne me couche plus… — Eh bien, moi, je vais me lever, et tu ne peux échapper à ma vengeance. — Tu me feras du mal, et moi, je ne t’en ai pas fait. — Je suis donc méchante c’est mal à vous de dire cela, Mademoiselle. — Allons, que de façons, tu n’en mourras pas, je t’aime trop, je ne veux pas perdre ma bonne amie. — Allons, je vois que cela ne finiroit pas, je me rends. Et Agnès monte en tremblant dans le lit. Louise ne perd pas une attitude, un mouvement et un regard. Ici, c’est une rose ; ici, c’est de l’ébène ; là, ce sont des lys et des charmes partout. Agnès est aussi-tôt punie que montée sur le lit. — Eh bien, t’ai-je fait du mal, petite sotte ? — Vas, dit Agnès, je te pardonne, te permets tout, et je me livre à toi. — Ah ! ah ! tu y prends goût. Oh nous ferons quelque chose de toi. Allons, c’est bien, je t’en aime mieux. Entre amies et quand nous sommes seules, doit-on avoir des scrupules ? En ai-je, moi ? — Oh ! toi ! tu en sais plus long que moi ; tu es charmante, ma Louise ! et les petits coups sur les fesses de se renouveller et de tomber comme la grêle de part et d’autre. J’en appelle ici aux lecteurs et aux lectrices de tout âge. Qui d’entr’eux ou d’entr’elles osera me jurer qu’il ne lui est pas arrivé de se renfermer dans un grenier, ou dans un coin du jardin bien épais, pour imiter et réitérer bien souvent la scène que présentent ici Agnès et Louise. Il n’en est pas, et je parie que depuis le successeur de St.-Pierre à la triple mître, le grand Sultan, les Rois des quatre parties de l’univers et la femme voluptueuse et lubrique de notre bon et très-bon Monarque, jusqu’à la jeune et timide paysanne qui taille ma soupe, tous ont joué dans leur enfance à cul foüetter ; me dire le contraire, c’est mentir, c’est donner un démenti à la Nature, et jamais elle ne perd ses droits. C’est elle qui nous apprend ce jeu qui seul suffit alors à notre ignorance et nous dispose ainsi, sans que nous y pensions, au grand et sérieux jeu qui est son but, et le charmant emploi du reste de notre vie. Je suis plus franc, et j’avoue qu’à sept ans, j’étois déjà, sans le savoir, passé maître dans l’art de la volupté. Je me souviens encore avec étonnement et délices des jours où je me livrais à ces doux enfantillages, et où mon doigt disputait avec ma langue à qui causerait plus de sensations voluptueuses à la petite D. P.... tandis que, et j’en ai des remords affreux, mon véritable ouvrier, la cheville seule propre à cet office, restait désœuvrée et pendante. O intéressante D. P.... ! je ne te verrai jamais sans rougir et sans rire de cette scène libertine dont je ne me souvins que 15 ans après, lorsque la voluptueuse et lubrique D. G..... me fit sentir toute l’étendue de ses talens et des miens… Peste soit du raisonneur ! encore des digressions ? tant pis, Messieurs, mais je tiens à mes souvenirs, je philosophe en libertinant, moi, chacun a sa manière. J’aime à savoir, à approfondir ; il me faut des pourquoi, des si, des mais, et des encore : et voilà comme on devient savant…

Louise et Agnès veulent imiter le Directeur, et pour le copier, il faut être l’un sur l’autre et s’agiter. Les élans de leur sein, les enlacemens de leurs bras, leurs soupirs confondus, leurs haleines embaumées qui se croisent, leurs palpitations, leurs efforts pour inventer des surcroîts de délices, leurs frottemens, leurs titillations, tout les met dans un état inconcevable et les consume ; on se serre, on voudroit s’identifier et cependant on sent que la jouissance est imparfaite. Que manque-t-il donc ? Ce qu’il manque ? peu de chose, et c’est tout… C’est ce qui n’est pas plus gros que la rave de nos jardins, un peu moins long, mais un végétal animé, en un mot, un ..... hem ! j’allais le nommer, servons-nous de périphrase. Il vous manque, pauvres petites Colombes, ce qui faisait quitter à Diane l’emploi d’éclairer la terre, pour se livrer dans les bras d’Endymion au plaisir de loger avec ivresse le Priape roidi du berger dans sa triple coquille,[3] ce hochet amusant, ce quelquefois monstrueux et hardi pèlerin de Cythère, pour lequel Pasiphaë choisit un taureau, malgré sa terrible encolure, pour assouvir son insatiable avidité ; pour lequel plus d’une None franchit les murs du Couvent, eussent-ils cinquante pieds, et y met le feu, comme il est arrivé dans ma patrie au moment où je m’occupois de cet important ouvrage de morale ; ce que Diane encore, cette prude éternelle, aimait dans le beau bélier blanc qui cocufiait Endymion, si l’on en croit le pudique Virgile qui s’exprime ainsi :

Munere sic niveo lanæ (si credere dignum est)
Pan, Deus Arcadiæ, captam te, Luna, fefellit
In nemora alta vocans, nec tu aspemata vocantem es.

Ce qui fut cause de la ruine de Troye, viola Cassandre, fit tourner le dos à César devant Nicomède, et à Marie Toinette d’Autriche devant le lubrique Philippe d’Artois pour la ruine de la France et la propagation de l’espèce Bourbonnoise ; enfin ce que Michu prête à Peixotto le Juif, ce que Monvel & Villette ont emprunté de tous les Parisiens ; ce qui dans le moment où j’écris, suit en se redressant et se brandissant comme en mesure, les mouvemens de ma plume, soulève le portefeuille sur lequel j’écris et me fait griffonner à tort et à travers au gré de ma brulante et cynique imagination, et ce qu’enfin, je souhaite à mes lectrices toujours gros, toujours ferme, toujours rubicond, toujours propre, toujours actif, toujours inépuisable et toujours infatigable, ainsi-soit il : mais revenons à nos moutons.

Ingénieuses à se procurer du plaisir, Agnès et Louise ont découvert ce point chatouilleux que la Polignac a si long, ce qui ne l’est guères encore chez nos enfans et qui, sans cela pourroit suppléer, si nous en croyons la tendre Sapho, à ce qu’elles cherchent, ce qu’elles desirent et ce qu’elles ignorent, je veux dire qu’elles ont découvert le clitoris, et joyeuses de cette trouvaille, elles se croisent, se frottent, s’électrisent et se chatouillent amoureusement, jusqu’à ce que la plus douce pamoison vienne fermer leurs yeux, et fondre leur existence dans des torrens de feu et de délices. Elles languissent de Volupté ; le phlogistique, le fluide générateur perce, pour la première fois, les obstacles qui arrêtaient son émanation, et, si nous devons en croire les rigoristes en fait d’honneur de filles, annonce la perte de leur Virginité. Mais ne soyons pas si exigeans ; quant à moi, je les crois encore pucelles et je les prendrais bien pour telles. Mais elles ont deviné que leur conque est faite pour être remplie par un tube de chair et Dame Vénus applaudit à leur demi triomphe. Ma foi, pour n’avoir pas de maîtres, c’est bien travailler ; encore un essai et nos recluses en sauront, je crois, tout autant que mon père et ma mère, quand ils jugèrent à propos d’enrichir l’Univers de mon individu, pour le plaisir du beau sexe et la propagation des connoissances humaines. Trêve de modestie : Morphée et l’Amour ont déployé leurs aîles sur le couple amoureux, l’un répand sur elles des pavots et l’autre des roses. Plaise aux Dieux qu’en s’écrasant, elles ne tachent point les draps ; les duegnes ont des lunettes, et nos mystères de la nuit seraient dévoilés. Laissons les se délasser de leur pénible et charmant exercice sous les auspices du sommeil. On ne peut pas toujours aimer, il faut dormir. On ne peut pas toujours écrire et chanter, il faut se reposer. Or donc, laissons les ronfler, et reposons nous. Prenons une prise de tabac, mouchons nous, toussons, crachons, essuyons nous, faisons halte et nous recommencerons quand elles seront éveillées : je ne les quitte pas, faites comme moi.


LIVRE TROISIEME.


Vous savez tous, ou vous devez savoir qu’un Poëme n’est pas un Poëme, quand un chant ne commence pas par une belle morale, une belle description du matin, du midi, ou du soir. Ces emphatiques passepartouts se pillent et s’ajustent à tout ouvrage indistinctement, et cela, tout ennuyeux que vous le trouviez, prouve que l’auteur peut faire de l’esprit tout comme un autre et tracer le modèle d’un pompeux galimathias épique. Je vous dirais bien aussi, tout bête que je vous parais, que la fraîche et belle Aurore avait quitté le lit du vieux Titon, aussi vierge qu’elle y était entrée, et cela, on sait pourquoi. Déjà déployant l’or de ses tresses blondes et semant de rubis le chemin du Soleil, elle distillait de ses humides yeux les pleurs que lui arrache la mort de son fils Memnon, tué il y a 3 à quatre mille ans, je ne sais ni où, ni pourquoi, ni par qui, ni comment, mais je ne veux pas ressembler à M. Diafoirus le fils et je dirai tout bonnement qu’il étoit six heures, quatorze minutes et soixante secondes, lorsque la cloche la plus impatientante du monde vint éveiller nos jolies dormeuses par son bruit argentin et perçant. On s’éveille en sursaut, on se frotte les yeux, on s’étend, on bâille, on tousse, on essuie la sueur dont on a le… visage inondé, on soulève les draps, on se met à l’air, on jette un regard d’intérêt et d’amour sur sa bonne amie qui dort comme une marmote, et l’on veut avant de l’éveiller, se repaître encore du plaisir d’admirer tous ses charmes ; on la baise en haut, en bas, au milieu, devant, derriere et cela pour l’éveiller. L’appeler ? Il faut crier, d’autres l’entendraient et on en sent la conséquence ; la pousser, la pincer elle crierait et d’ailleurs ce n’est pas honnête ; enfin, Louise s’éveille aussi, embrasse Agnès, saute légèrement en bas du lit, s’habille en un clin d’œil, gagne lestement sa chambre, y défait son lit, (on devine pourquoi cette malice), et descend soudain pour aller à la prière. Agnès descend séparément et la rejoint bientôt ; un sourire expressif dont le mistère n’est connu que d’elles, dit beaucoup, et la prière faite, s’appercevant qu’elles ont les yeux battus, nos innocentes prétextent une migraine, un officieux mal de tête, pour motiver l’enflûre, la langueur et la pésanteur de leurs yeux.

Un frugal déjeuner succède à la prière. Le déjeuner est suivi d’une lecture de morale de l’école des jeunes filles, du théâtre de Mesdames de Beaumont et de Genlis, et qui pis est, d’un sermon impromptu de la maîtresse qui fait bâiller nos espiègles et peut empêcher la digestion de leur déjeûner. On travaille, on babille, on fait des niches à ses compagnes, on tue le tems à lire des Romans et bientôt midi sonne. On dîne, même lecture, même ennui, dont l’appétit dédommage et dont les graces viennent délivrer. La tâche du soir est donnée et il est permis de se promener dans les jardins, pendant une heure et demie.

Le Soleil étant à son plus haut périgée avoit fourni moitié de sa carrière. Ses rayons brûlans desséchaient le lit des ruisseaux. Le calice des fleurs s’inclinait languissamment vers son sol nourricier. Les troupeaux altérés cherchaient avidement un filet d’eau dans les marais que le soufle caniculaire avait taris. Les moissonneurs hâlés levaient avec peine la faucille qui s’échappait de leur main défaillante. Moi, qui ce jour là pêchais dans les étangs qui environnent ce Couvent, forcé de mettre à terre la ligne que ma main ne pouvait plus porter et de chercher un abri sous les saules qui bordent le jardin où nos pensionnaires se promenaient, j’invoquais les Nymphes de la rivière d’Aronde et la Napée qui préside à la fontaine de Braine, pour qu’elles me prissent dans leur sein. C’est alors que j’enviais le sort de ceux qui n’ont d’autre occupation que de promener leur molle indolence aux Thuileries, au Palais Royal, aux boudoirs des Laïs et des Phrynés, de ceux qui dans une charmille épaisse et souterraine, dans un sallon et un belvédère imperméables au Soleil, graces à de triples jalousies, ont encore peine à prendre sur eux assez de force pour soulever de leurs profonds et riches fauteuils, leurs corps appésantis par l’apathie et une mauvaise digestion.

N’est-il pas vrai, Manon, qu’alors l’aiguille avec laquelle tu brodes aussi joliment que Minerve ou Arachné, échappe mille fois de tes doigts ? Une chaleur étouffante t’ôte la respiration ; ta gorge bondit avec un élan plus actif, l’agitation de ton cœur est plus précipitée ; ton corset suffit à peine pour retenir prisonniers deux globes de neige qui voudraient prendre l’air loin du geolier qui les tyrannise. La sueur qui couvre ton corps donne à tes appas, sur lesquels le soleil ne luit pas, la couleur incarnadine de la rose et de la grenade : les deux bords de ta conque se dilatent. C’est alors que l’heure du berger sonne, c’est le moment favorable aux amans : alors on a besoin d’être nue, alors il faut un gazon et un ruisseau sous un épais coudrier ; la vertu n’a plus alors assez de force pour se servir de l’éventail contre un amant aimé ; les bras tombent, la pudeur avec eux, et l’amant se relève. O combien grande est l’influence du Soleil sur la constitution physique et morale du beau sexe et sur ses principes, encore plus que sur le nôtre. Souvent un fichu ôté pour se rafraîchir, à fait succomber la vertu, quand l’amant arrive à point nommé ; mais le tems fuit tandis que je jase, et il faut que je suive nos bonnes amies à la promenade. Voyons et contons : elles sont descendues au jardin, et delà par un sentier étroit, bordé de noisetiers jusques au bord de la rivière où elles se sont assises : J’étais vis-à-vis, je les voyais, je les entendais, mais la rivière nous séparait, et pour me garantir des rayons du Soleil, je m’étais caché derrière une touffe de roseaux, lorsque Louise ouvrant son cœur à son amie, lui parla en ces termes, autant que l’éloignement me permit de l’écouter : — Que je suis heureuse de t’avoir connue, ma belle Agnès, et d’être aimée de toi ! Il n’y a rien de plus agréable sur la terre qu’une amitié comme la nôtre ; seule, elle me fait aimer cet endroit-ci, et je ne regrette plus mes parens. Que la campagne est belle ! Que cette promenade est délicieuse ! quel parfum ces fleurs exhalent ! que ces arbres donnent de fraîcheur ! comme cette eau invite à se baigner, et à se rafraîchir ! le beau miroir ! qu’elle est claire ! Oh si nous avions le tems ! — Y penses-tu, dit Agnès, et Madame St.-Nicolas ? On nous gronderait, nous n’avons pas le tems : nous sommes ici comme des esclaves… — Hélas ! oui, dit Louise en soupirant, et cependant vois ces oiseaux, ils sont libres, ils voltigent de branche en branche, becquetent les fruits de ces arbres, toute la nature est leur domaine ; ils dorment et se baignent où ils veulent, et quand ils le veulent. Tiens, tiens, en voilà deux sur ce saule, qui sont l’un sur l’autre, ils font comme nous avons fait cette nuit. — Tais-toi donc, dit Agnès, quelqu’un peut être auprès de nous, et si l’on entendait ce que tu dis, nous serions perdues : Ah ! malheureux petits oiseaux, si votre plaisir n’est pas plus grand que le nôtre, je vous plains, car, tout grand qu’il est, il ne suffit pas à notre ame. — Tais-toi, sotte, Dieu y a pourvu : va, je suis sûre qu’à leur manière ils sont tout aussi heureux que maman a pû l’être avec son petit directeur, et si ces oiseaux font cela, pourquoi ne le ferions nous pas ? La belle saison que l’Été ! chere Agnès, mais qu’elle est dangereuse ! je ne sais si c’est elle, ou autre chose qui cause cela, mais je sens bouillonner mon sang ; ne penses tu pas comme moi que malgré tous les plaisirs que nous avons goutés cette nuit, il y a une autre manière de les rendre plus agréables, mais nous ne la savons pas, il faut encore éprouver et la chercher encore : C’est la nature qui nous a suggéré, comme à ces oiseaux, ce que nous avons essayé cette nuit et surement que la première fois elle nous apprendra le reste : En même-tems Louise soulevant doucement les jupons d’Agnès, et collant un baiser de feu sur ses lèvres, mit la main sur le petit vase de son amie, et en chatouilla légèrement les extrémités ; Agnès ne voulut pas être ingrate, et garder tout le plaisir pour elle seule : il y eut un combat de générosité, et les deux rivales travaillèrent avec le zèle le plus ardent et l’accord le plus parfait. Les langues se dardaient rapidement et sans interruption ; les soupirs sortaient avec bruit, leurs paroles étaient entrecoupées, quand tout-à-coup je n’entendis plus rien. Mais quel tableau digne de l’Albane, vint frapper mes regards ! ah ! Jules Romains ! où étais-tu ? j’avais écarté les roseaux avec la plus grande précaution, et la rivière étant peu large me permettait de distinguer parfaitement tout ce qui se passait devant moi. Que dirai-je ? je vis les cieux ouverts, et les deux sanctuaires de l’amour exposés dans toute leur étendue. Agnès était tombée évanouie sur le sein de Louise, et celle-ci couchée sur le gazon dans la même situation : Elles paraissaient mortes ou endormies profondément, et la bonté divine s’intéressant à ma bonne fortune, avait envoyé un Zéphyr mutin qui avait achevé de relever les jupes et la chemise de mes deux Hébés, par dessus leur ceinture, de sorte que jambes fines, cuisses rondes et potelées, peau d’une blancheur éblouissante, poil d’un noir qui aurait fait blanchir l’ébène, motte rebondie, un C.. mignon qu’on n’appercevait que par un léger sillon carminé, je vis tout cela, j’en vis deux, et un seul m’eût ravi dans les cieux. Que dis-je ? j’en vis quatre, car la Nymphe qui habite les bords fleuris et tortueux de l’Aronde, rendant ses eaux immobiles et diaphanes, comme la glace la mieux passée au teint, vint civilement les doubler. Oui : j’en vis quatre, et le pittoresque de ce tableau auquel je ne m’attendais pas, y ajouta un charme inexprimable. Je ne pus tenir à tant de prestiges et d’images enchanteresses, je ne fus pas changé, comme Actéon en Cerf, pour avoir vu Diane et ses Nymphes au bain ; mais des torrens de feu coulaient dans mes veines : j’étais tout-œil et toute ame, je tirai ou plutôt j’arrachai avec violence de son étui ce bijou précieux qui était l’objet des desirs et des recherches de nos deux recluses, et lui donnant quelques secousses avec une espèce de fureur, j’offris en moins de cinq minutes deux libations à Vénus, ou plutôt à ses charmantes prosélytes. Hélas ! dis-je, en voyant jaillir dans tes flots du tranquille ruisseau, les gouttes précieuses de cette manne, de cette ambroisie céleste, qui en troublèrent la limpidité, en y traçant plusieurs ronds : Nymphes, recevez et conservez, si vous le pouvez, le dépôt que l’amour m’a commandé de vous confier, c’est peut-être un Voltaire, ou un Rousseau que je plonge dans vos eaux ; nouvelle Thétis, c’est peut-être un nouvel Achille que je rends invulnérable et qui le sera toujours, puisqu’il meurt avant d’être né. Mais je m’aperçois que c’est trop déraisonner, que nos dormeuses sont désévanouies, et j’entends de loin une chanson répétée par l’écho, qui m’annonce un importun. Qu’Apollon te récompense de tes chants, ô qui que tu sois qui nous avertis ainsi, que tu viens, et nous empêches tous trois d’être surpris in flagrante delicto.

Oh ! oh ! c’est Colin, le jardinier de la maison. Sauvez-vous, Colombes ; mais elles ne m’entendent pas : elles se rajustent, l’attendent de pied ferme et se disposent à l’entretenir. — Il faut lui parler, dit Louise, et le prier de nous instruire. — Fi donc, y penses-tu, dit Agnès, il se moquera de nous, nous ne saurons rien et il le dira à tout le monde. — Laisse-moi faire, je t’en prie, dit Louise, eh bien ! je parlerai toute seule, moi, et je suis sûre qu’avec un peu d’argent que je lui glisserai dans la main, je saurai tout ce qu’il faut savoir. Ma bonne amie, Mlle. D.. S.... à Versailles, n’a pas employé d’autre moyen pour se délivrer de son ignorance, et le jardinier de son père lui a donné, pour un écu, toutes les notions qu’elle a pu désirer dans la théorie-pratique de la volupté. Colin ! écoute… Colin avance, salue avec une aisance qu’on n’aurait pas soupçonnée dans un jardinier. Un poëme exigerait en conscience que j’en fis un portrait étudié, bien élégant, bien pompeux. Je devrais donner à Colin des boucles dorées, flottantes sur des épaules d’ivoire ; mais d’abord les cheveux roux ne sont plus de mode, n’en déplaise à Phébus lui-même, tout mon maître qu’il est ; et Colin n’a pas montré ses épaules pour que je sache si elles sont d’ivoire, et je n’aime pas à mentir, quoique poëte : Je pourrais le comparer au juge charmant des trois Déesses du Mont-Ida, et j’emprunterais son portrait à mon camarade Imbert ; je pourrais le comparer au beau Narcisse, avant que le desir de jouir de lui-même et l’impossibilité d’y réussir, lui eussent donné la jaunisse, ou au favori de la belle Cythérée, l’incomparable Adonis, dont elle pleura si longtems la mort… Je pourrais encore mais non, tout cela est usé. Dédaignons ces tableaux mis en parade dans un galimatias plagiaire, pour afficher l’esprit de l’auteur. Tout le monde a de l’esprit maintenant, et tout le monde peut suppléer à ce que je ne dis pas, et moi qui n’en ai point, ni ne veux en faire le semblant, parce qu’il ne faut tromper personne, je dirai sans métaphore, sans périphrase et sans exagération, que c’était un de ces lurons vigoureux et plein de jus, qui n’ont pas la molle indolence d’un petit maître : un teint de crème, la figure efféminée de Michu, mais la taille et l’air d’un Hercule, et pouvant servir de modèle à un peintre ou à un sculpteur de l’académie, pour un gladiateur et un Antinoüs, ou un Milon de Crotone, et les lecteurs n’en douteront plus, quand je leur aurai dit qu’il étoit le consolateur de Madame l’Abbesse, qui, par parenthese et comme on le voit, avait très-bon goût en cherchant chaussure à son pied. Jugez donc de l’impression que dut produire sur nos deux tourterelles, la vue de ce gars si bien découpé.

Colin, dit Louise, tu me parais intelligent, honnête, et d’une éducation au-dessus de ton état ; je t’aime et j’attends de toi un service. — Parlez, belle Louise, je suis prêt à vous servir, mais je devine : vous voulez, je gage, me donner la commission de vous acheter quelque joli livre, comme celui que je viens d’acheter à la ville ? Et en même-tems Colin tire de sa poche une petite brochure, dont Louise et Agnès se saisissent avec avidité. L’amitié pour le coup allait disparoître ; on se l’arrachait. Pauvre livre, ton sort est celui d’Orphée, déchiré par les Bacchantes ; mais Agnès le céde à son amie. Louise l’ouvre et la première gravure qui se présente à ses yeux est le père Girard, le sage confesseur de filles, introduisant le bienheureux cordon de St.-François dans l’huis postérieur du temple d’Eradice, ou si vous l’aimez mieux la Cadière, et lui procurant par cette extase, que la dévote fille croit toute divine, les plaisirs de cette délicieuse réalité, objet des soupirs de nos deux colombes.[ws 1]

Elles aperçoivent bien assez de quoi les faire rougir, c’est à dire, une fille à genoux, la tête renversée, les coudes appuyés sur un coussin, montrant une chûte de reins ravissante, deux fesses rebondies et blanches comme neige ; derrière elle un vieux Satyre sous la livrée de la compagnie de Jésus, les deux-mains élevées : mais elles ne distinguent pas la cheville ouvrière, parce qu’elles n’en ont aucune idée. Elles rougissent de voir la Cadière ainsi nue, aux yeux d’un homme, mais sans deviner pourquoi. Colin, que lui fait-il donc ? — Mademoiselle, il lui met… — Quoi ? — Oh ! je n’ose achever. — Je t’en prie. — Est-ce que vous croyez que nous sommes faits comme vous ? — Non, mais je n’en sais pas plus, dis-le moi : j’ai vu des oiseaux, mais ils étaient l’un sur l’autre, cet homme est derrière. Tiens, prends cet argent, instruis-nous et garde-nous le plus grand secret.

Vous vous moquez, belle Louise, dit Colin, je ne puis décemment recevoir votre argent, et moins encore vous donner les leçons que vous demandez. Il faudrait joindre le geste aux paroles, et il importe que vous ignoriez encore au moins quelques années ces mystères dangereux : 1o. Je vous ferai rougir ; 2o. vous deviendrez plus amoureuses et vous ne pourrez éteindre vos feux ; 3o. je ne puis en cela vous servir parce que vous êtes deux, et que je suis déjà loué et responsable de ce que j’ai à payer. — Mais dis toujours, et le reste nous regarde, nous rougirons, nous souffrirons ensuite, mais au moins nous serons plus savantes, et cela nous consolera. — Dites plus malheureuses, l’attente sera plus douloureuse quand vous aurez eu une image des plaisirs que vous ne pouvez vous permettre, et vous me saurez mauvais gré d’avoir cédé à vos instances ; mais, vous le voulez absolument ? — Oui. — Allons, j’obéis et je commence.

Permets, Manon, que je supprime ici tout ce que le discours de Colin a, je ne dis pas d’érotique et de voluptueux, mais de trop philosophique et de trop supérieur à ta judiciaire. Il faut d’abord te dire que Colin n’est rien moins qu’un jardinier, mais bien un amant déguisé, ou plutôt un jeune homme plein d’esprit et bon poëte, que des malheurs ont forcé de se vendre comme une odalisque à la lubricité de Madame l’Abbesse, et qui, moitié par amour, moitié par intérêt, par philosophie, par amour pour la solitude, pour la vie champêtre et la tranquillité, passe ses jours dans le Couvent à se promener dans le jardin, à y inspecter les ouvriers, à faire la partie du Pater, qui, je crois est dans la confidence, et se fait payer en jouant, auprès de la Sœur du faux jardinier qui est très-jolie, le rôle que joue celui-ci auprès de l’Abbesse. C’est avec regret que je passe sous silence ce que son discours offre de plus lumineux et de mieux raisonné, mais la rage de montrer de l’esprit l’avoit engagé à une dissertation que Louise, Agnès et toi ne pouvez aucunement comprendre. Il ne vous faut pas un traité d’anatomie, et Venette, Lignac, Bienville et Tissot n’ont pas travaillé pour vous. Je vais donc en votre faveur faire un extrait de sa harangue pro sexu et mentulis, et tu chercheras le reste chez l’orateur.

Dieu a confié à l’homme le soin de propager, et il a jugé à propos de le faire en mettant une différence dans les sexes, et voici en quoi elle consiste :

L’homme né pour vous commander et être savant et laborieux, est robuste, et nerveux. Votre sexe créé pour nos plaisirs, pour nous consoler, nous amuser, est fait pour être beau, tendre, voluptueux, obéissant, et plein de bonté. Il nous a faits pour vous nourrir, et vous pour nous enivrer de voluptés : la femme ne doit rien à l’homme que son corps ; nous devons à la femme que nous avons choisie, nos soins, le salaire de nos peines, et le bonheur le plus parfait possible ; c’est au moins ce qui se pratique à Paris, et partout où le sexe est généralement beau. Dieu a teint vos cheveux d’un noir d’ébène, a mis dans vos yeux un feu pétillant ou un air langoureux qui nous invite à la tendresse ; il a coloré vos lèvres du vermillon le plus vif, il a donné à votre bouche le sourire le plus doux ; il a formé le poli de vos joues du plus agréable mélange de neiges et de roses. Lui-même s’est plu à dominer votre sein de deux petits monts, qui, pour être dans la plus belle proportion possible, si nous en croyons Anacréon qui se connaissait bien dans cette sorte de friandise, ne doivent pas être plus gros ni moins blancs que deux œufs de tourterelles, qu’un jeune rustre vient de dérober à leur mère. Ces globes, ces monts que l’on nomme Tétons, doivent, pour être de la beauté la plus régulière, ne jamais s’approcher si près, qu’une main ne puisse, en l’étalant, se placer entr’eux sans les toucher. Ils sont embellis du plus joli bouton de rose, et sont les réservoirs précieux du lait qui doit nourrir les fruits de l’accouplement des deux sexes ; mais je ne serai jamais assez éloquent pour vous peindre l’endroit charmant sur lequel ils dominent. N’importe, essayons.

Entre deux colonnes d’un albâtre lisse, et arrondies, est situé cet ovale charmant, en forme de poire, protégé par une petite éminence et une jolie motte ; je nomme motte, une portion de terre détachée ou inhérente, sur une surface plane, ainsi ce mot ne doit pas alarmer votre pudeur, puisque vous dites bien mottes à brûler. Cet ovale charmant et cette motte sont couverts d’un poil noir bien frisé, comme d’une mousse légère, du milieu de laquelle coule une source féconde, filtrée dans les reins et élaborée dans vos testicules pour être répandue pendant le doux mystère et mélée à la nôtre pour multiplier notre espèce. Plus haut est un point que je crois très-petit encore chez vous, et qui chez certaines femmes est fort gros et fort long, mais qui disparoît ordinairement quand vous êtes devenues mères, et ce point, cette petite langue s’appelle clitoris : c’est une sentinelle qui veille au guichet, c’est le premier agent du plaisir, le dispensateur des extases ; c’est la baguette du magnetisme, la barre électrique, son toucher seul fait tressaillir et opère bientôt la crise après une titillation légère ; (ici nos deux espiègles se regarderent et sourirent, et cela signifie…) — Nous savons tout cela, nous en avons appris l’usage sans maître… Continuez. — C’est un isthme, une péninsule, un arc-boutant, un pont situé sur le ruisseau de Cythère ; enfin, tout ce qu’il vous plaira. Priape aime à se désaltérer dans ce ruisseau, il aime à s’y plonger et n’en sort jamais que la larme à l’œil, tant il a de regret d’en sortir, regret qu’il témoigne, en ayant la tête baissée et mourante, quand il s’y est noyé deux fois ; et ce que je nomme ici Priape, Mesdemoiselles, est la partie la plus belle de notre individu, faite pour entrer dans le vôtre, par les loix de l’attraction et de la sympathie, comme vous le verrez par la suite.

Indépendamment de ces trésors extérieurs, le créateur a donné aux femmes une ame sensible et tendre, un penchant fougueux pour l’amour, une plus grande irritabilité dans le genre nerveux, une vigueur proportionnée à cette brûlante sensibilité, une jouissance plus complette et quinze fois plus grande que la nôtre, de sorte que la nature, aussi juste que généreuse à votre égard, a proportionné vos plaisirs et vos transports aux inconvéniens, aux peines, aux dangers et à l’embarras d’une grossesse de neuf mois, qui est la suite de votre jouissance, tandis que, privés de toute votre somme de voluptés, nous sommes en dédommagement exempts de ce fardeau pénible dont la crainte est souvent la seule vertu de votre sexe. Ne soyez donc point étonnées si l’amour fait de si terribles ravages dans vos jeunes cœurs sans que vous le connaissiez ; tous les êtres ne se meuvent que par les loix immuables et éternelles de la sympathie : je vous dirai quels sont les moyens d’appaiser cette soif de voluptés que seules vous ne pouvez éteindre.

L’homme a la démarche noble, le port majestueux, le front haut, une couleur plus brune, un air mâle, une taille plus haute que la vôtre, les muscles mieux sentis, les épaules plus larges, l’omoplate bien rebondi, la jambe bien contournée, le molet jaillissant, la cheville saillante ; la force et le courage étincellent dans ses yeux, caractérisent toutes ses actions et donnent à son ame une énergie et une roideur nécessaires pour vous protéger et le rendre le roi de l’univers et le premier de tous les êtres possibles ; d’épais et noirs sourcils donnent à ses regards une gravité et une fierté qui forcent au respect, de longs cheveux lui tombent au bas de la ceinture ; et son menton est hérissé d’une barbe touffue qui caractérise la maturité, la sagesse et la supériorité de son sexe sur le vôtre auquel la nature a refusé cet apanage. L’homme est sérieux, porté à l’étude, et plus laborieux que la femme ; les arts, les sciences et les travaux de main sont de sa compétence, le grand, le sublime, le profond, l’abstrait, la philosophie, la métaphysique, toutes les connaissances occultes sont de son ressort ; la guerre, les fortifications, le commerce, l’architecture lui appartiennent, et quoique Madame Duchâtelet en commentant Newton, ait prouvé que votre sexe peut tout, aussi bien que le nôtre, et qu’une infinité de femmes ayent victorieusement suivi ses pas, je n’en dirai pas moins que la science ne doit pas être de votre district, et je crois que la peinture, la poësie, la danse, l’éducation des enfans, tout ce qui tient enfin à l’agrément, à la vie sédentaire, à l’amour, à la bienfaisance, aux talens de société, à la politesse, doivent être votre ouvrage et votre triomphe.

Venons à ce qui vous intéresse le plus dans notre sexe ; ce n’est pas notre ame, au moins, à votre age et dans votre position. Nous avons l’instrument de la génération que je suis fort embarrassé de vous nommer : depuis qu’on a sottement attaché de l’indécence à dire un mot plutôt qu’un autre, quoique ce soit souvent le mot propre, et que l’un peigne naturellement et aussi clairement à l’esprit le mot réprouvé par les mœurs et que l’on ne veut pas nommer. C’est à votre choix, le membre viril, le penil selon Lignac, la braguette selon Rabelais, Marot et autres poëtes anciens : la verge dans l’idiôme des nourrices et des parleurs timbrés ; le braquemart dans Robé, Rousseau, Grécourt ; Jean Chouart dans d’autres ; un Priape dans le texte Grec et Latin, idest, Priapus, virga, inguen, penis, nervus, mentula, pertundens membrum, &c., &c., &c. et plus généralement, enfin, dans nos contes gaillards, dans la bouche de nos romanciers modernes qui veulent appeller un chat un chat, et dans le dictionnaire du Palais-Royal un ... Vit-on jamais une plus grande confusion de langues et un tel labyrinthe de mots ? Combien il serait important que l’assemblée nationale qui supprime tout, coupe tout, élague tout, et s’approprie tout en prêchant la liberté, elle qui a ammené en France une foule de nouveaux mots barbares et aussi inintelligibles que les hyérogliphes Egyptiens : comme motions, districts, amendemens,… &c., &c., &c., &c., &c., voulut bien rédiger un dictionnaire à l’usage des citoyens de Cythère ! Ce tube que je viens de vous nommer, est le chef-d’œuvre de l’architecture divine, qui l’a formé d’un corps spongieux, élastique, traversé dans tous les sens par une ramification de muscles et de vaisseaux spermatiques. Il est à son extrémité supérieure, surmonté d’une tête rubiconde, sans yeux, sans nez, n’ayant qu’une petite ouverture et deux petites lèvres, couvert d’un prépuce, retenu par un frein délicat qui ne gène point le mouvement d’action et de rétroaction : au bas de cet instrument précieux sont deux boules ou blocs arrondis, qui sont les réservoirs de la liqueur reproductive, qu’aspire et pompe votre partie dans le mouvement et le frottement du coït, id est, de la conjonction ; ces deux boules enveloppent deux testicules, d’où elles ont pris leur nom, et sont soutenues par le ralphè, on les nomme en latin vasa genitalia, ou genitalia seulement, testes, coleos, inguina ; en français : bourses ; en langue vulgaire : testicules ; dans le sens médical, anatomique et scientifique ; parties génitales ou génitoires, mais plus généralement couilles et couillons. La gravure que vous voyez représente le luxurieux Girard introduisant l’instrument de la génération, qui comme vous voyez est gros, bien roide, bien quarré et de la longueur d’environ six pouces et demi, dans la fente, l’ovale ou le con que vous portez et que je vous ai peint : vous ne pouvez le voir parce qu’elle est prise par derrière, c’est-à-dire, en levrette, more canino, par les raisons que vous verrez dans l’ouvrage même que je vous procurerai. Tenez, vous serez plus instruites par cette gravure : regardez cet abbé, il vous le montre bien beau, et cette femme dont il chatouille légèrement la partie, vous offre le vôtre dans tous ses détails oh ! mon Dieu dit Louise, voilà comme j’ai vu maman et son directeur : elle était comme cela, et voilà pourquoi je suis ici ; et remarquant l’action de l’abbé, elle fit un soupir, et donna un petit coup de coude à Agnès en la fixant et lui souriant. — Mais tout ceci est-il bien vrai, Colin ? Les livres mentent, ce sont des hommes qui les font pour amuser. — Oui, Louise, les histoires brodent et mentent, mais le fond est vrai, les mots sont d’invention, mais les choses existent réellement. — Tu pourrais donc nous le prouver ? — Oui, Si j’avais assez de force pour guérir toutes les malades qui demandent mon topique, j’éclaircirais tout-à fait vos doutes, et je vous montrerais. — Alors, nos colombes, de rougir, de baisser les yeux, de se balancer sur un pied, de n’ôser fuir, ni parler, ni presser, ni refuser, de s’entre-regarder timidement, et de rester immobiles de desir et d’incertitude. — Tenez, mes enfans, voyez cette gravure et vous aurez un remède : c’est Thérèse, frottant contre le pilier de son lit la partie la plus sensitive et la plus sensuelle de son individu[ws 2] ; et cherchant comme vous une réalité qu’elle ne connaît pas encore ; faites comme elle, ou ce qui vaut mieux encore, vous avez des doigts, servez vous-en, en attendant mieux ; mais, franchement, tout cela ne vaut pas le diable… prenez patience, l’heure me presse… adieu… — Madame est bien heureuse, Colin. — Que voulez-vous me dire ? — Rien : elle est encore aimable, et elle a bon goût. — Comment ! penseriez-vous ? — Oui, Colin, que tu es Girard, et elle la Cadière ; mais au reste elle fait bien et toi aussi, nous tâcherons de profiter de tes conseils, et notre tour viendra peut-être… nous te demandons sur-tout le plus grand secret ; je suis sûre que tu ne pourras le garder avec Madame l’Abbesse, et que vous rirez à nos dépens ; mais, va, rira bien qui rira le dernier ; je te remercie de ton beau discours… adieu. — Vous êtes piquée ? belle Louise, — Moi, pourquoi ?… et on se pinçait les lèvres, en affectant une tranquillité dont on était éloigné de cent lieues.

Nous voilà bien avancées, dit Agnès, nous allons être trahies, moquées, peut-être punies, et ta belle équipée nous a instruites pour nous rendre plus malheureuses. — Mon Dieu ! tu te plais à te forger des tourmens ; et la Providence donc ? ne pouvons-nous pas être rappellées bientôt par nos parens, ou être apperçues par quelqu’un de ceux qui viennent se promener sur les bords de cette rivière, et sur qui notre vue peut faire quelqu’impression ? Ne désespérons de rien ; nous avons des doigts, des graces et du courage, et nous nous aimons ; tout ira bien.

Elles continuerent leur promenade et je n’entendis bientôt plus rien ; je me hâtai de regagner la ville, et de remettre par écrit tout ce dont je venais être l’acteur et le témoin ; me disposant à faire moins le revêche que Colin, si ma bonne fortune les conduisait encore une fois à l’endroit où s’était passée cette scène délicieuse.

Nous verrons dans le livre suivant de quelle manière l’Amour et la Providence s’y prendront pour combler les desirs de nos aimables pensionnaires. Car Colin, le Pater, et moi une fois exceptés, je crois qu’il faut un miracle pour leur faire rencontrer ce qu’elles cherchent.

Prairies charmantes, rives riantes et fleuries de l’Aronde, vallons délicieux et frais de M.... H.... c’est à cette scène voluptueuse, et à l’amour dont m’enivrait la brûlante F.... que vous devez mon hommage.


LIVRE QUATRIEME.

Et le plus court de l’ouvrage.

Celui là avait raison, qui écrivant à son ami, lui disait : excuse la longueur de ma lettre, je n’ai pas eu le tems de la faire plus courte ; il faut, quand on écrit pour être lu par la postérité, mettre dans ses ouvrages des choses et point de mots, il faut que les phrases soient harmonieuses, expressives, pleines de sens, et très-concises ; de grands traits ; des coups de burin hardis, des hachures, et que des tableaux frappans et d’une forme neuve, ne soient pas noyés dans un long et fastidieux raisonnement qui rebute et n’apprend rien ; je sais bien ce qu’il faut faire, mais je n’en ai pas le tems. Voyons pourtant à l’essayer, tâchons d’être court, je l’ai promis, il faut tenir parole.

Mais comment sortir du labyrinthe où je suis ? nouveau Thésée, qui sera mon Ariane ? qui m’éclairera ? que faire de nos deux recluses, que j’ai laissées la bouche béante et attendant l’effet des promesses de l’amour ? Les voilà Nymphomanes et Tribades : elles vont se dessècher et périr avant le tems comme une fleur qui soupire après la rosée ; il faut les rendre f..... sans Colin, sans le Pater et sans moi ; à Paris je n’en serais point embarrassé, je leur donnerais bientôt un galant ; mais dans le fond d’une province, dans une campagne éloignée de la ville, dans un couvent bien muré qui ne communique point avec le reste du monde, comment trouver l’ombre même d’un homme aimable ? comment ? je le sais bien, mais ce n’est pas un roman que j’ai promis, ce n’est pas un conte, une histoire, c’est un poëme, et un poëme épique, et voilà le diable, il faut du merveilleux, il faut des démons, des incubes, des sylphes, des salamandres, des gnomes, &c., &c., et toute la séquelle aërienne : demandez à l’ami Milton, au Tasse et à mon cher papa naturel, le comte de Mirabeau ; c’est par la féerie qu’on émeut les esprits, qu’on les étonne, qu’on les attache, qu’on les promène de merveilles en merveilles, d’un bout de l’univers à l’autre, dans les quatre élémens ; qu’on bâtit des tours d’acier et de diamant, qu’on pourfend des géans, qu’on ressuscite des hommes, et qu’avec deux mots de grimoire, on ferait entrer Paris dans une bouteille, et de l’esprit dans la tête d’un gros chanoine : allons, puisque la féerie est indispensable pour conclure, j’ai à mes ordres le génie qui a tracé les mille et une nuits et je vais m’en servir ; que d’autres employent un prodige pour délivrer une belle princesse qui, tombée dans les mains d’un paillard de géant, va être violée par ce vilain monstre, moi je cherche un charitable sylphe, gnome, diable ou homme, si je ne trouve rien de mieux, qui veuille bien violer mes héroïnes, puisqu’elles veulent l’être, et elles le seront, je vous le jure.

A mon secours, grands faiseurs de romans ; si le cousin Jacques s’enrichit à faire parler et chanter des antichambres dans ses pitoyables lunes ; ne puis-je faire bander un sylphe, lui faire casser sans bruit une croisée, un carreau ; descendre par une cheminée et se rendre invisible pour coucher avec une jolie fille, qui meurt d’envie d’être dépucelée et qui n’est pas la seule.

Amour, Amour ! donne à mon historiette un dénouement merveilleux : dicte-moi, j’écris ; prolonge mon délire, je ne me soucie point que mon livre n’ait pas le sens commun ; offre-moi des tableaux qui puissent donner du ton et de l’énergie aux sens les plus engourdis, il faut le vendre, et il ne le sera point, s’il ne présente pas des gravures libertines et le cynisme le plus dégoûtant : j’en appelle à Mirabeau ; l’Erotika biblion et ma conversion lui ont valu plus d’argent que l’almanach littéraire n’en rapporte en dix ans à mon bon ami d’Aquin ; et les quart-d’heure joyeux d’un Solitaire, c’est-à-dire, les contes libres de l’abbé Sabathier de Castres lui ont plus rapporté d’écus que ses mémoires de Miladi Kilmar, et sa très-partiale histoire des trois siècles de littérature française ; c’est le goût de notre prétendu sublime dix-neuvième siècle, est-ce ma faute à moi si nous sommes blasés et si nos bons français préfèrent les Actes des Apôtres à mon poëme de la Fédération, et les mémoires de Saturnin à Bayle.

Arrête, Amour ! c’est assez ; une étincelle de ton flambeau vient de jaillir dans mon cœur et l’embrase ; un coup-d’œil que Manon vient de me lancer en tapinois acheve ton ouvrage ; mon sang bouillonne : le foutre et le feu chariés vers mon cerveau y portent les idées les plus bizarres qu’ait enfanté le satyriasis, et je vois tous les cons de Cithère et de l’Olympe étalés à mes yeux pour m’inspirer : semblable à Promethée, la beauté que j’adore, en me jettant un regard passionné, vient de donner la dureté du marbre et une nouvelle vie à mon membre refroidi depuis quelques instans, et je me sens disposé à continuer mes chants.

Trois soleils ont brillé depuis l’entrevue de nos pensionnaires avec Colin sur les bords de la rivière ; trois fois la lune a éclairé l’horizon, et les jeux nocturnes de nos tribades. La quatrieme aurore annonce à l’univers le jour le plus serein, le plus long et le plus brûlant ; toute la nature rayonne de mille feux : Agnès est ce jour là plus gaie qu’à l’ordinaire, et Louise a été contente d’elle toute la nuit : elle s’est montrée coquine, friponne, en un mot, ravissante.

Agnès à force d’être instrumentée et endoctrinée par Louise, a cessé d’être Agnès ; elle est plus espiègle, dit mille jolies choses, fait cent niches, saute, chante, danse et se montre enfin la plus aimable petite personne du monde.

Le dîner est suivi d’une promenade où nos deux bonnes amies ne peuvent être ensemble ; on sent déjà, sans que je le dise, que la promenade l’ennuya beaucoup. Sa gaîté s’éclipse, elle rêve au malheur d’être cloîtrée, à la conversation de Colin : amour, amour, s’écrie-t-elle en tombant sur le gazon, l’œil langoureux, et la bouche enflammée ; amour ! est-il vrai que tu sois le bienfaiteur du genre humain, lorsque je suis privée de tes faveurs ? Insensée que je suis ! eh ! qui me verra dans ces épouvantables cachots ? qui pourra y pénétrer, me distinguer et s’enflammer pour moi ? je ne vois que de vieux et sinistres visages, des grilles et une nature souffrante. Il faut un miracle pour me sauver d’ici ; il faut être sorcier, il faut être sylphe, il faut être amoureux comme moi et Dieu comme toi… Elle dit ; et un élan voluptueux vient la saisir. Le Zéphyr la caresse et la rafraîchit de son aîle légère : les fleurs qui l’environnent reprennent des couleurs plus vives, l’air se parfume d’odeurs plus suaves, et le ruisseau la berce voluptueusement, l’amour a dirigé son doigt vers le foyer de ses desirs… Elle fut heureuse encore, et ce bonheur lui sembla cette fois d’un favorable augure. Agnès Crut au pressentiment, et je suis tenté d’être de son avis. La cloche sonne et l’appelle aux vêpres. Je crois que sa piété sera bien fervente, et je suis étonné que les nonnes ne se soient pas aperçues qu’il se passait chez Agnès quelque chose d’extraordinaire : son air, sa démarche, ses yeux, ses gestes, son langage, tout tenait du vertige et de la manie.

Tandis que la cohorte voilée psalmodie pieusement ses pseaumes, ses hymnes, ses antiennes et son benedicamus lentement frédonnés, d’une voix grêle et traînante ; Agnès immobile, la bouche entrouverte et les yeux baissés, paroît peut être recueillie dans un sentiment de religion, lorsqu’elle est pâmée, et toute entière à l’amour qui l’embrase. — Vous connaissez tous, ô vous, qui m’entendez, et sur-tout les dames, ces insectes légers, couleur de maron, montés sur des pattes menues comme cheveux, allant, venant et sautillant par bonds ; semblables aux Cigales, mordillant, frétillant et faisant rage, tantôt ici, tantôt là, et prenant notre corps pour le théâtre mobile de leurs menus plaisirs, en un mot vous savez combien est poignante et désolante une puce qui, glissée sous le mouchoir d’une dame, s’émancipe gaîment à pomper un sang qu’on aimerait mieux garder. N’est-il pas vrai, Manon, que lorsque cet animalcule importun, abusant de sa petitesse et de sa légèreté, fourrage ton téton et ta motte, et jouit ainsi d’un bonheur dont je suis jaloux, tu souffres horriblement d’être obligée de le laisser impuni ? Se gratter en compagnie est une indécence, et tu jugeras par toi même de l’embarras d’Agnès, qui, tout-à-coup se sent piquée au vif, fait un bond sur son banc, et se voit contrainte à ne faire aucun mouvement, parcequ’elle est entourée d’une soixantaine de béguines, auprès desquelles tousser même est un crime ; Agnès est donc forcée d’endurer un supplice avec le courage d’un Mutius Scévola.

Pauvre colombe ! garde-toi de t’en plaindre : la grace efficace et suffisante agissent sur toi ; le mal que tu supportes maintenant est le prélude des plaisirs qui lui seront proportionnés. La rose ne se cueille point sans avoir fait sentir ses épines, la peine mène au plaisir et le rend piquant, le plaisir sans peine devient monotone et insipide. Ne le tue point cet animal ; Manon, et mille autres comme elles consentiraient bien à être mordues jusqu’au sang, si elles pouvaient jouir des bienfaits qui te sont réservés. Courage, la puce ne pincera pas toujours et tu la pinceras à ton tour.

L’office est fini, Agnès est libre et vole à sa chambre : à peine arrivée, elle ne sent plus la puce et ses projets de vengeance sont déjà oubliés ; on ne la cherche point : ma puce est douée d’intelligence, et ce n’est pas sans cause qu’elle a cessé ses morsures ; nous verrons pourquoi dans un instant.

Agnès s’assied, écarte les jambes, ôte son fichu et tire de sa poche un petit livre qu’elle devoit lire à la promenade avec Louise ; privée d’elle, elle le lira seule fort bien ; on ouvre, on feuillette le livre et on voudrait dans sa mortelle impatience lire tout dans une même séance : c’est le petit neveu de Bocace, livre charmant, belle poësie, tableaux enchanteurs. Le premier conte qui saute aux yeux d’Agnès est intitulé : le berger Sylphe. Oh ! oh ! dit Agnès, celui-là doit être joli ; j’ai lu déjà je ne sais où de ces contes de Sylphes ; ce sont des esprits bien beaux, bien tendres et bien complaisans ; ô dieux ! si je pouvais en avoir un, et Louise un autre ! Voyons, cela doit m’amuser, lisons. La porte est fermée à double tour et je ne crains pas les importuns.

Le conte est lû, et on le recommence ; mais à la seconde lecture elle est plus rêveuse : le livre échappe de ses mains, ses bras tombent, sa gorge bondit, son poul bat avec plus de violence, sa tête se penche languissamment sur le pied de son lit, et la sueur l’inonde à grosse goutes ; Agnès s’imagine un instant être Eglé et s’écrie avec elle :

« O toi, Sylphe aimable et divin,
» Esprit bienfaisant que j’implore !
» Viens dans mes bras, Eglé t’adore,
» Viens te reposer sur mon sein :
» Pour toi seul je veux être belle,
» Pour toi seul je garde mon cœur ;
» Viens partager ma vive ardeur,
» Eglé sera toujours fidèlle ».

A peine a-t-elle fini son invocation que la maudite puce renouvelle ses morsures ; Agnès est pour le coup libre de se venger, l’animal pour échapper à la main meurtriere, gagne le bas du corset ; il faut l’ôter afin de poursuivre l’ennemi jusques dans ses derniers retranchemens ; pendant que la chercheuse se déshabille, la puce a le tems de faire sur la colline une pause qu’elle voudrait rendre éternelle ; delà (c’est un univers pour une puce) elle regarde avec extase l’immensité des bois, la profondeur des vallons : les Alpes et les Pyrénées offrent sous ses partes la neige entassée de leurs cîmes ; elle est à l’abri des glaces, et tout ce qui l’environne alors est noir comme les entrailles d’un Volcan éteint : plus bas elle admire la perspective d’une belle grotte de corail ; le port de Cythère où le pilote vient échouer, faire eau, se délasser par la fatigue même, pleurer à force de joie et faire un naufrage dont il serait bien fâché de se garantir. Agnès est déjà nue et la puce n’a plus d’autre retraite que le concha veneris et le secret asyle de l’Amour ; elle y reste et ne mord plus, aussi-tôt qu’Agnès y a mis le doigt : celle-ci s’agite légèrement et répète tout ce qu’elle a appris avec Louise, tant et tant qu’à la fin elle tombe pâmée, balbutiant ces mots que rallentit son ivresse : « esprit bienfaisant que j’implore, viens dans mes bras ! »

Une morsure cruelle la tire de sa léthargie Ciel ! se peut-il qu’une puce me déchire ainsi ? Je suis toute en sang… tu périras, barbare ! et soudain la puce est pincée. — Dieu ! que sens-je là ! ce n’est point une puce ! — Non ma belle Agnès, dit une voix céleste, non, c’est un dieu qui a pitié de vous et volts adore. Divin Jésus ! qu’entends-je ? je ne vois rien et je sens… Vous m’effrayez !… arrêtez… non… faites… je suis heureuse enfin… mais vous me faites mal !… cruel ! ménagez-moi… il est trop gros… je vais mourir… oh, qui que vous soyez, arrêtez et parlez… montrez-vous… Est-ce bien toi que je tiens dans mes bras, Sylphe charmant que j’implorais et que je ne connais pas… Oui, répond une voix douce et harmonieuse comme le son d’une Lyre, Agnès, ne craignez rien…, souffrez un instant si vous voulez jouir d’un plaisir ineffable, écartez les jambes, soyez docile et méritez la bienveillance des immortels ; — Eh bien, je me résigne, faites, oh ! oh ! quelle secousse ! vous m’égorgez, quelle grosseur ! quelle roideur ! — Encore un coup, Agnès et nous sommes heureux… en même-tems un effort violent brise tous les obstacles qui fermaient l’entrée du vase virginal ; le sang coule, Agnès crie, soupire, et prouve qu’elle a quinze ans et qu’elle est digne d’un Sylphe. Ah ! dit-elle : consolateur céleste ! ne puis-je te voir, es-tu un de ces Sylphes bienfaisans qui daignent se communiquer aux mortelles ?

Oui, dit le passionné farfadet, en collant un baiser de feu sur les lèvres de sa prosélyte ; quoiqu’invisible, je n’en existe pas moins, tu mérites d’être heureuse et tu vas l’être ; encore un cri, un soupir et un mouvement et tu vas savourer les délices des Dieux. Agnès seconde son cher vainqueur avec un courage vraiment héroïque : la précieuse rosée s’échappe à grand flots de la coupe où elle s’élaborait depuis trois lustres, l’amant aërien a répandu les libations d’usage dans le sanctuaire de Paphos, Agnès en est inondée. Ses paupières se ferment, ses lèvres s’entrouvrent, et un sommeil délicieux s’est emparé de ses sens.

Profitant de ce sommeil, le Sylphe a renouvellé trois fois ses hommages à la beauté d’Agnès, et notre Vénus cloîtrée se trouve encore à son réveil dans les bras de son amant. Ses douleurs ont cessé et rien n’altère la plénitude de ses voluptueux transports ; il lui reste pourtant encore un desir à combler : ô toi que je serre dans mes bras, dit-elle, toi qui m’as rendue à la vie, ne me laisse plus rien à desirer, laisse-moi voir à découvert et palper tous les charmes qui composent ton corps immortel et divin, et si tu m’as trouvée digne de ton choix, ajoutes encore un bienfait à tant de plaisirs… Que demandes-tu, dit le Sylphe, en l’interrompant vivement ? quel est ce desir qui peut nous nuire à tous deux ? Si je deviens visible, c’est ôter à nos plaisirs ce qu’ils ont de piquant ; il te doit suffire que je sois palpable, et je le suis. Puis-je être visible pour toi, sans l’être aussi pour les autres ? Jouis, mais ne cherche pas à voir celui qui te fait jouir ; cette connoissance peut te devenir fatale, on peut nous surprendre et tu serais la victime de ton indiscrette curiosité, comme le fut jadis l’orgueilleuse Psyché : l’Amour qui l’honnorait de ses embrassemens, s’enfuit lorsque cette téméraire amante voulut à la lueur d’une lampe, savoir quel étoit l’amant avec qui elle venoit d’être heureuse. Sois donc réservée, même avec ta meilleure amie, au moins jusqu’à ce que je t’aie permis de ne l’être plus ; j’ai de fortes raisons pour exiger cette discrétion ; je te verrai demain, peut-être serai-je visible aussi, si tu obéis à ma prière, et je t’apprendrai bien des choses dont la connoissance t’assurera un bonheur durable autant que parfait, mais je te le répète, mon adorable amie, tâches de mériter les faveurs que l’Amour a répandues et répandra sur toi. Adieu… — Quoi ? déjà ? crois-tu qu’après avoir goûté la première fois tout ce que l’Amour a de doux et d’enivrant, je puisse toute une nuit et tout un jour, exister loin de toi, sans mourir de douleur ? Je te sacrifie mes remords, je ne ferai pas valoir le sacrifice de mon précieux trésor, je ne puis t’accuser de séduction, j’ai volé au devant de tes efforts, que dis-je ? je t’ai conjuré de me rendre heureuse, mais n’abuse pas de ma faiblesse pour me donner des loix et me condamner à des privations : je ne puis te quitter sans mourir, et mourir sans t’aimer jusqu’à mon dernier soupir. Vois, ne m’abandonne pas… Un baiser qui effleura légèrement ses lèvres, en y laissant une trace de feu, fut toute la réponse du Sylphe, et Agnès parlait encore qu’il était déjà bien loin.

Agnès prenant beaucoup de goût aux caresses du Sylphe, desirait qu’il passât la nuit avec elle, mais le Sylphe agit selon moi très-prudemment, en remettant la partie au lendemain, pour que la prosélyte conservât des desirs qui augmentassent son ivresse dans le prochain tête-à-tête, et ne se refroidît pas par un excès de friandise. Les esprits aëriens sont d’ailleurs sobres et modérés dans leurs appétis, ils se ménagent plus que nous autres mortels et nos gourmandes beautés terrestres ne s’accommoderaient pas de morceaux si légers.

Ne rougis-tu pas de ton ingratitude, ma chere Manon, en voyant Agnès si reconnaissante envers son amant aërien ; toi qui aimes mieux donner gratis à tes chats et aux chiens, oiseaux, perroquets et sapajous qui forment ta cour, des baisers qui me sont dû et que tu devrais me rembourser à cent pour cent ?



LIVRE CINQUIEME.

Et le plus intéressant de l’ouvrage.

Que M. de Voltaire nous dise avec emphase et le ton d’un oracle : les métamorphoses ne sont plus de mode : je lui citerai toutes celles dont l’année mil sept cent quatre vingt-dix et suivantes nous ont offert les tableaux ; je lui montrerai un peuple entier d’hommes opprimés, affamés et avilis, métamorphosés en héros, en hommes libres : un monarque puissant en mannequin ; les ministres de la religion en petits maîtres, les religieuses en filles entretenues, de petits avocats de province qui allaient modestement à pied, et vivaient dans la gêne, changés tout-à-coup en grands seigneurs, les grands seigneurs en petits-maîtres particuliers, les particuliers en grands seigneurs, un épais laboureur de Bretagne, et le scélérat de Mirabeau changés en législateurs, et des artisans de toute espèce érigés en un clin-d’œil en soldats, en officiers, en commandans de bataillon. Les temples devenus des tabagies et des cazernes, ce qui équivaut à bordels ; et mon cordonnier en grave président de section ; je lui montrerai l’archevêque de Paris déguisé à Bruxelles en cordonnier, madame de Polignac en paysan, M. l’abbé de Vermont en cocher de fiacre, et le comte d’Artois devenu pieux malgré lui, et complaisant envers sa femme, à Turin. Voilà, je crois assez de métamorphoses pour convaincre le grand charlatan de Ferney que tout est possible et que nous sommes devenus sorciers. Pour moi je suis tenté de croire un tantet à la magie, quand je vois une guinguette nationale sur les débris de la Bastille ; un capucin se promener et danser au milieu des rues avec des filles et des soldats, ayant lui-même sur la tête un bonnet de grenadier, ou le feutre d’un fort de la halle, et l’épée en baudrier. Voilà du neuf et du prodige, et il n’appartenait qu’à une assemblée, soi-disant nationale, d’opérer toutes ces merveilles d’un coup de sifflet. Revenons à moi. —

On ne me fera donc, je l’espère, aucun reproche d’avoir aux dépens de la vraisemblance, métamorphosé une puce en Sylphe et un Sylphe en amant ; mais avouez que vous ne vous y attendiez pas… Tant mieux, voilà le vrai talisman de la poësie ; et j’ai suivi de point en point la maxime du bon Horace.

Pictoribus atque poëtis
Quid libet audendi temper fuit œqua potestas.

Il est permis aux poëtes et aux peintres de mentir et de tout ôser. Voulez-vous d’ailleurs des autorités ? ma justification est consignée page 5 de la Barbe-Bleue, et 10 de Robert le Diable et des quatre Fils Aymon… J’ai laissé ma pauvre Agnès couchée seule, voyons ce qu’elle a fait. La nuit entière s’est passée en réflexions sur le prodige inconcevable qui s’est opéré chez elle : son ame ouverte aux délices qu’elle a savourés, a offert toute la nuit à ses yeux l’image enchanteresse du galant immortel qu’elle a si étroitement serré dans ses bras. Plus d’une fois, croyant l’enlacer encore, elle s’est embrassée elle-même, et n’a reconnu son erreur qu’avec de longs soupirs. Ainsi gémit la tourterelle loin de son tourtereau… Quoi, dit notre pensionnaire, est-il possible que ce plaisir envié et tant prôné par tout ce qui respire, ce plaisir qui m’a coûté tant de desirs avant de le savourer, et tant de douleur en le savourant, ne soit que l’ouvrage d’un clin-d’œil ? Je n’ai connu que le mal qu’il cause la première fois. Les plaisirs que le Sylphe m’a procurés ont eu la rapidité de l’éclair : cesse-t-on d’être fille sage pour si peu de chose ? Je croyais que cela durait toujours, et cela seul pouvait me dédommager de ma longue attente et de mes tourmens passés. Que me reste-t-il donc de ce moment délicieux ? des desirs plus vifs, une douleur aigüe dans toute ma partie, et une irritation cruelle ; en même-tems elle contemplait avec effroi le désordre qu’avaient causé les transports du Sylphe dans ses charmes intérieurs. Quel spectacle ! les caroncules mirtyformes forcées, l’hymen rompu, les lèvres flétries, enflammées, et rouges comme le sang, le poil relevé, le mamelon d’un rouge tanné, le vagin élargi et le clitoris écorché ! amour ! amour ! es-tu bienfaisant ou cruel ? Le doigt d’Agnès apportait cependant quelque remede à ses maux, en lui procurant l’effusion de cette douce rosée qui rafraîchissait et guérissait tout ce qu’elle touchait, mais ce qui a fait le mal peut seul le guérir, et ce n’est pas son doigt, vous le savez bien.

C’est ainsi que la pauvrette exhalait seule dans son lit, sa douleur et son impatience. L’oreiller, trempé de ses larmes, était quelquefois pris dans son délire pour le Sylphe lui-même ; on le serrait, on le pressait, on le baisait, on le mettait entre ses f..... vains efforts ! Mais le jour paraît. Agnès voit paraître l’aurore, et le calme attendrissant de la nature au lever de cette déesse n’a point de charmes pour elle. Le chant des oiseaux qui saluent l’astre brillant des cieux, ne touche pas son oreille. La vue des arbres qui dégoutent une fraîche et limpide rosée, ne dit rien à son cœur. La douleur l’occupe toute entière ; elle saute du lit, ouvre la fenêtre pour se rafraîchir, et sécher la sueur brûlante dont les agitations de la nuit et la chaleur de la saison l’avaient inondée. Je crois qu’à ce motif s’en joint un autre plus pressant encore. Les Sylphes habitent l’Ether, et notre amante voulait gober au passage, ou en termes du Palais-Royal, raccrocher son amant bleu-céleste dans le moment où sur son char attelé de papillons, il traverserait les airs pour se présenter au lever du soleil, et faire sa cour ; qui sait ? il pouvait être de quartier et de semaine ce jour-là.

Agnès se trompait ; mais quand on aime, on aime à se tromper ; cette illusion est si flatteuse ! Le Sylphe lui avait pourtant dit qu’il était invisible ; mais elle l’avait oublié, elle avait dans ce moment bien d’autres choses à faire que de se souvenir de son invisibilité. Eh ! s’il ne l’eût pas été, bon dieu ! qu’en serait-il arrivé ? Il était possible qu’une None, une Tourière le vît aussi ; et quel vacarme en fût résulté, si la troupe embéguinée se fût aperçue qu’un lutin ou un diable s’arrêtait aux fenêtres d’Agnès ; la jalousie, couverte du masque de la religion, l’eût condamnée au feu, comme convaincue d’avoir un commerce avec les incubes. Vous tremblez, lecteur ; rassurez-vous. Le Sylphe saura bien s’y prendre. Agnès est une sotte ; mais elle aime trop pour réfléchir ; il faut lui pardonner ; d’ailleurs, tout ira bien.

Agnès se promène en chemise dans sa cellule et en cheveux flottans, quand soudain un coup de vent furieux ouvre la porte avec fracas, et ferme la fenêtre. La pensionnaire s’effraie, ferme la croisée et la porte en tremblant, et pour remettre ses sens, s’assied sur le pied de son lit. Cet ouragan lui paraît fort ordinaire ; mais pas à moi, ni à vous, lecteur, qui savons qu’il n’y a jamais de vent et d’orage, quand il n’y a pas le plus petit nuage au ciel ; l’aquilon qui avait fait ce tintamare, et qui était aux ordres du Sylphe, se tait tout-à-coup, et notre invisible galant, à qui il servait probablement de Phaëton ce jour-là, est entré. Vous dire comment, je ne le puis. Est-ce par la cheminée ? est-ce par la serrure ? est-ce par la porte ? est-ce par un carreau ? Je n’en sais rien ; mais il l’a fait si adroitement que ni Agnès, ni moi, ne l’avons vu, de sorte qu’il n’y a rien d’ouvert, ni de dérangé, ni de cassé. Eh bien, y êtes-vous ? Ma foi, convenez que tout est possible aux esprits, comme je l’ai dit, aux héros imaginaires, aux esprits aëriens, aux gnomes, aux follets, aux lutins, aux Sylphes, aux salamandres et aux farfadets. Tant est que le nôtre est déjà dans les bras de notre Agnès, sans qu’elle le voie ; mais elle le sent, et c’est ce qui plaît le plus à nos dames. Il cueille sur ses lèvres plusieurs baisers qu’elle lui rend. « Tu as été discrette, ma bonne amie, lui dit-il, et tu vas être récompensée. Tout dort encore ici ; nous sommes en sûreté, et je vais me montrer à toi dans toute ma splendeur, te dire qui je suis, et comment je suis venu dissiper ton ignorance. »

Nous habitons l’air ; nos essaims légers parfument les nuages dorés d’un beau matin ; notre emploi est de former le cortège brillant du Soleil, de Flore et de Vénus, de procurer des songes voluptueux aux bergers et aux pastourelles. Nous sommes les ministres et les courtisans de l’Amour. Je suis en un mot un de ces Sylphes qui veillent au bonheur et à la conservation des belles, broyent le carmin qui colore leurs joues, et se communiquent parfois à elles. J’ai eu pitié de ton état, et je suis venu combler tes vœux. Ecoute maintenant comment une puce a été la source de tes plaisirs.

Nous pouvons prendre toutes les formes que nous voulons, quand il s’agit d’être utiles aux mortels, mais jamais pour leur nuire. Nous devenons éventails pour rafraîchir une belle ; nous jouons, sous la forme d’une mouche, dans les pompons et les fleurs qui ornent sa tête ; nous devenons épagneuls, perroquets, serins, enfin tout, selon leur goût et leur fantaisie… J’ai depuis long-tems adopté ce couvent pour être le théâtre de ma bienfaisance et de mes plaisirs, en y consolant celles pour qui la virginité est un fardeau insupportable, et qui sont cloîtrées, comme toi, malgré elles.

Toujours jeunes, toujours beaux, toujours robustes, exempts de passions, de goûts frivoles et de maux, toujours sensibles, toujours honnêtes, toujours aimans, notre commerce n’est jamais troublé par les venins destructeurs du vice et l’enflûre qui résulte des embrassemens des amans terrestres, et nous sommes un trésor pour une prude. Les remèdes que nous dispensons à nos favorites sont à une dose modérée, mais toujours égale et fréquente, peu à-la-fois, mais souvent. Les sens y trouvent leur compte, et le cœur encore plus, parce qu’il a toujours à desirer, et le desir est une faveur du ciel. On ne se lasse pas de jouir par ce moyen, et le plaisir est plus vif, et semble toujours nouveau. Sœur Thérese tâta souvent de mon spécifique, et la cure fut heureuse. Les roses succedèrent bientôt sur son visage aux lis et aux jonquilles qui le flétrissaient, et comme toi, elle fut sauvée par moi. J’étais sans cesse auprès d’elle sous la forme du plus beau serin de Canarie. Oiseau le jour, amant la nuit, rien ne manquait à notre ivresse. Personne ne la troubla pendant bien long-tems. Sa belle main me donnait le jour force bombons que je payais la nuit par force friandises d’un autre, genre, et qui plaisaient beaucoup plus à Thérèse. Quelle foule de momens délicieux j’ai passés auprès d’elle ! Mon bonheur était trop grand pour durer. Comme il est impossible d’être femme, et de ne pas jaser, elle fit confidence de nos plaisirs à une fausse amie qui, jalouse de son bonheur, avertit les autres nones. On nous épia, et nous fûmes surpris dans une posture peu équivoque. Je fus obligé de disparaître, et de laisser la pauvre Thérèse en proie à la fureur de la cohorte embéguinée qui l’ensevelit dans un cachot obscur, où elle mourut victime de son imprudence, sans que j’eusse pu la sauver. Je la regrettai sincèrement. Elle était aimable, tendre, voluptueuse, complaisante et spirituelle. Je me consolai de la perte de Thérèse avec la sœur Sainte-Emilie, avec qui je pris la forme d’un angola qu’elle aimait beaucoup. Elle me couchait avec elle, ignorant, l’innocente qu’elle était, qu’elle mettait un chat gourmand à côté de son fromage ; et que ce chat était un Sylphe ainsi métamorphosé pour l’amour d’elle. Figure-toi sa surprise, quand me caressant la première nuit, elle sentit ce que sa main blanche frottait légèrement, cessant tout-à-coup d’être le dos d’un angola, devenir ce qui te fit hier tant de mal et tant de plaisir. Quelle volupté ! Quelle tendresse ! Que de préliminaires délicieux Que de caprices charmans ! Quels alentours ravissans ! Quel sel piquant cette fille savait mettre à nos jeux ! Oh ! Sainte-Emilie ! Vénus ne vous valait pas…

Sainte-Emilie avait été forcée de prendre le voile par raison de famille, et depuis quelques années cette malheureuse fille était rongée par les traits d’un chagrin que rien ne pouvait dissiper. Une mélancolie sombre la minait insensiblement, et la conduisit enfin au tombeau. Cette intéressante maîtresse n’ouvrit jamais la bouche pour témoigner son bonheur, et il n’eut jamais été interrompu sans l’accident funeste qui l’a priva de la vie, et que tout mon amour ne put prévenir.

Oh ! mon sauveur, dit Agnès, puissé-je te paraître aussi intéressante, aussi voluptueuse que Thérese, et aussi discrette que Sainte-Emilie, si c’est le moyen de te conserver ! Tu m’es trop cher pour que je te perde, en me prévalant de ton choix. Je me livre à toi sans réserve, je me repose sur ta tendresse, ma vie est entre tes mains, mais daigne payer ma confiance, en me montrant mon céleste amant. — Le voilà !… Et soudain les yeux d’Agnès sont éblouis par l’éclat du Sylphe. Il est sans voile, et semblable au bel Adam, avant son crime. Des cheveux noirs flottent sur ses épaules d’ivoire, le feu de l’amour étincelle dans ses yeux, sa bouche de rose sourit agréablement, et la beauté de son cou ne peut être égalée que par celle du mien, si j’en crois Mimi et d’autres femmes connaisseuses qui me l’ont dit. C’est l’Amour, c’est Mars, c’est vous, lecteur, si vous voulez que je vous flatte, c’est moi, si vous voulez que je me flatte aussi, c’est un ange, enfin tout ce que vous voudrez. Il est autant au-dessus de Pâris, que le cèdre altier l’emporte sur le lierre rampant ou l’humble fraisier. Une couronne de roses orne l’ébène de ses cheveux, et une odeur délicieuse s’exhale de toutes les parties de son corps. Je n’en excepte pas même son membre, consolateur des filles, qui faisant exception aux loix de la nature, ressemble à un faisceau de thym et de serpolet, pour me servir des termes du saint évangile qui, parlant du nerf de Salomon, s’exprime ainsi : et fascinus sicut fasciculus myrrhæ, etc. » Vois ton amant, dit le Sylphe, est-il digne de toi ? — Ah ! dis plutôt : suis-je digne de lui ? — Quoi C’est toi que je pressais dans mes bras, et je ne te voyais pas ! Viens, que je t’embrasse avec transport. Vas, toutes les loix divines et humaines ne viendraient pas à bout de me persuader que l’amour est un crime, quand on le goûte avec toi. Je brûle… Je me meurs… Viens, appaise ma soif. Mets-le moi mille fois et mille fois encore, que j’expire dans tes bras ! — Il faut être esprit, et de beaucoup d’esprit pour être aussi dur que cela… Tiens, Agnès, juges-en…

Agnès empoigne avec fureur le nerf céleste, admire sa tension, sa longueur, sa rubicondité, l’approche de son vase, s’effraie, et le retire, lui donne quelques secousses, et, dans un accès de frénésie érotique, le baise mille fois, le serre, et le plaçant tantôt contre un bouton de son sein, et tantôt contre l’autre, lui arrache sur chaque partie une libation copieuse qui l’inonde. Elle le met dans sa bouche, et sa langue essaie d’en pomper jusqu’à la moëlle. — Ah ! C’en est trop, je ne m’attendais pas à ce rafinement de volupté de la part d’Agnès. Tirons le rideau. J’ai voulu peindre Agnès novice, et pas Agnès suceuse. Si le lecteur veut se faire une idée des scènes lubriques qui se sont passées entre le Sylphe et Agnès, il peut consulter le poëme de la Foutr...., les Mémoires de Saturnin, l’Arétin Français, et la Messaline Française… Ma muse pudibonde à ces sortes de tableaux, refuse son ministère, et je ne veux prêcher que la sensibilité ; en voici un trait digne de passer à l’immortalité.

Siècles à venir, scientifique postérité, vous, mes chers contemporains qui ne croyez pas aux beaux sentimens, ou qui y croyez sans les pratiquer, écoutez, admirez, et imitez ce rare exemple d’amitié. Tel auteur nous fait dans ses ouvrages de beaux tableaux d’actions patriotiques, qui n’a jamais eu la pensée d’obliger un malheureux, et tel lecteur s’extasie et larmoie à la vue d’un passage où la sensibilité respire, qui comme la plupart des auditeurs à la sortie d’un beau sermon, dit que le prédicateur a fait son métier, qu’il faut qu’il fasse le sien, et n’en est pas plus disposé à en mettre les belles leçons à profit. J’ai perdu, il est vrai, les pièces qui constatent l’authenticité du fait que je vais raconter, mais je le garantis vrai…

Agnès, au milieu de ses plaisirs, laisse échapper un soupir, et des larmes tombent de ses yeux. Mais il ne faut pas les confondre avec celles qui sont produites par des élans de la volupté. Un Sylphe y voit clair, et je ne m’y trompe pas non plus… « Pourquoi ces pleurs ? dit le Sylphe à la pleureuse ; pourquoi ce soupir ? As-tu encore quelque souhait à combler ? Parle et compte sur ma tendresse… Ne suis-je pas trop exigeant, ou l’es-tu trop ? Il me semble pourtant que je me surpasse… » — Ah, dit Agnès, peux-tu croire que je ne sois pas contente de toi ? Ton amour m’égale aux bienheureux, je te serre dans mes bras, tes caresses me dévorent, ta vigueur m’épuise… Nous ne faisons qu’un, et j’ai joui dix fois du bonheur des dieux… Mais permets-moi de desirer encore, et de donner un souvenir à l’amitié… — Je suis seule heureuse, c’est trop pour moi, et ce n’est pas assez pour mon cœur. Jouir seule, et ne pas penser aux autres pour leur procurer le même plaisir, c’est un égoïsme, une dureté d’ame dont je ne fus jamais capable. Ecoute : ma bonne amie, la pauvre Louise, souffre et languit, tandis que je suis trop heureuse. Je juge de ses tourmens par ceux que j’ai endurés ; ils doivent être affreux, et mon ivresse ne sera complette que quand elle la partagera avec moi. C’est à elle que je dois mes premiers plaisirs, et je voudrais qu’elle pût me devoir ses derniers. Ne me refusez pas, ou je meurs… ma pauvre compagne ! ma pauvre Louise !…

Convenez, lecteur sentimental, que voilà un trait d’amitié digne d’être transmis à la postérité sur le marbre et l’airain. Voyez-vous beaucoup d’hommes, au sein de l’opulence, quand tout prévient et sature leurs goûts insatiables, s’occuper de ceux que la misère opprime, et gémir de ne pouvoir partager leur aisance avec les infortunés. Non, sans doute, et le sublime auteur des Epreuves du sentiment n’est pas lui-même assez pourvu de ce sentiment pour faire le bonheur des autres, puisque je sais que bien loin de faire ce qu’il enseigne, il emprunte, et ne rend pas, achete, et ne paye pas, et laisse mourir de faim son pauvre frère. J’en citerais mille autres… Et voilà les hommes ! Mais, au sein de la volupté, quand la seule réflexion que l’on peut faire, et les seuls désirs à former, sont de s’y livrer encore de plus belle, s’imaginer de se souvenir de son amie, se plaindre qu’elle ne partage pas vos délices, et s’ôter les morceaux de la bouche, c’est en vérité une folie et une sottise qui ne peut se trouver que dans une fiction, un héros de roman et le cerveau exalté d’un misérable poëte comme moi, et j’en suis fâché. Charitas optima incipit per se, c’est-à-dire, par un C. Qu’en dites-vous, Messieurs ?

Amitié ! beau sujet des déclamations modernes et des grands raisonnemens, toi qui es morte avec Dubreuil et Peckméja, toi qui es dans toutes les bouches et qui n’es dans aucun cœur, toi qu’on prône par-tout, et qui n’existes point, toi que les hommes outragent même, en osant prononcer ton respectable nom, sois du moins dans cet ouvrage, et qu’il soit ton autel, s’il n’en est pour toi dans nos perfides cœurs ! Tu m’as leurré, tu m’as trompé ; j’ai cru inspirer l’amour de ton culte à quelques êtres que j’avais adoptés et crus dignes de te connaître, mais les monstres m’ont déchiré, m’ont abreuvé de douleurs et de regrets, et je suis forcé d’effacer maintenant de mes tablettes, comme de mes ouvrages, des noms qui devaient m’être toujours chers, et qu’hélas je ne puis oublier. Tu m’as trompé cruellement, mais je t’aime encore, en ne croyant plus à tes reliques…

En vérité, dit l’amoureux Sylphe étonné de tant de générosité, je ne te conçois pas, charmante Agnès, et cette demande est tout-à-fait singulière, pour ne pas dire plus… L’amour est naturellement jaloux ; ce qu’il possède, il veut le posséder seul. Si, par exemple, j’aimais Louise, et lui procurais les mêmes voluptés qu’a toi, est-ce que cela te ferait plaisir ? — Oh ! oui, dit Agnès, je sais, et je suis sûre qu’à ma place elle en ferait autant. Quoi ! je languirais de voluptés, tandis que mon amie se dessèche dans les inquiétudes et le chagrin ? Quelle idée ! elle empoisonne toute ma jouissance ! — Mais non-seulement, tes plaisirs seront diminués, si je les procure à Louise, mais encore, je croirais te faire une injure en l’aimant ; et si tu ne t’en irritais pas, je croirais que tu ne m’aimes point. — Tu ne m’aimes donc pas, Agnès ?… — Peux-tu former un semblable doute, cher amant, et faire cette question à celle qui doit sa vie et son bonheur à ton zèle, et qui ne sçut jamais aimer personne faiblement ? — Eh bien, si tu m’aimes, serait-il dans l’ordre que tu me visses sans colère et sans plaintes, porter à une autre que toi mon hommage, mes desirs, mes forces et le culte qui t’appartient ? — Cela est vrai, dit Agnès, je commence à sentir la justesse de cette réflexion. Tu serais peut-être fâché toi-même, si je te quittais pour un autre. — Certainement, dit le Sylphe. — Mais, dit notre modèle d’amitié, la nature des circonstances force quelquefois à faire exception à la règle générale, et à heurter un peu les principes reçus. Le moral doit quelquefois céder au physique… Nous sommes au couvent, et une manière d’être, contraire au droit naturel peut nous justifier d’une action qui, heurtant, les conventions civiles et les loix de la société, se rapproche plus qu’elles de cette même nature. Il faut jouir avant d’aimer Ne peux-tu pas la rendre heureuse, sans me faire beaucoup de tort ? Ne peux-tu l’aimer un peu, sans l’aimer tout-à-fait autant que tu m’aimes ? Ne peux-tu lui faire cela, sans l’aimer ? Cela n’est pas difficile aux hommes ; il ne faut qu’un peu de complaisance. Une femme en vaut une autre, quand elles sont belles toutes deux. Moi, je te serai toujours fidelle, parce que je ne puis rien trouver au-dessus de toi ; mais Louise peut valoir mieux que moi, et je n’en suis point jalouse. J’aime mieux avoir la portion moins forte, et que ma bonne amie soit heureuse ; je jouis déjà de son bonheur. — De si beaux sentimens, dix le Sylphe, méritent l’amour le plus tendre. Aussi le mien sera-t-il toujours des plus vrais et des plus constans. Je t’admire, et tu seras obéie, mais sans te nuire et sans te priver. Demain un Sylphe de mes amis prendra une forme quelconque à son choix, et si elle te vient voir, il te sera facile de juger à sa démarche, à son humeur enjouée, qu’elle a comme toi ce qu’elle desirait, et que l’amour a versé dans son ame toute l’ivresse du véritable plaisir.

Ah ! dit Agnès, que cet espoir me flatte ! Le plaisir va m’être plus doux, puisque tu m’assures que mon amie en goûtera autant. Oh ! qu’elle sera heureuse ! Ah ! mon doux ami, célébrons-en la fête. Je voudrais être le témoin de ses plaisirs ; j’applaudirais à son ivresse, au lieu de l’envier, et je tacherais de l’augmenter. Faisons donc ce qu’elle fera ; aussi-tôt fait que dit. L’amour trois fois les rendit semblables aux immortels. — Mais c’est assez travailler pour un amant papillon… Terminons ici leurs courses amoureuses. — Ecrire ne coûte rien, mais faire, c’est autre chose. Le Sylphe est allé chercher à Louise un second lui-même, et elle sera contente. Je le suis aussi d’avoir amené nos deux pensionnaires à bon port, et je baisse la toile.

Je souhaite à toutes les dames qui liront cet ouvrage, des plaisirs aussi solides que ceux d’Agnès, lors de sa dernière aventure. L’arbre de la science du bien et du mal est gros, noueux et enseveli dans les épines ; mais avec du courage, on vient à bout de tirer son épingle du jeu. Tirez-donc, Messieurs ; tirez, Mesdames ; moi qui suis fatigué d’avoir conté, je vous tire, Mesdames…, ma révérence. Adieu.


ÉPITRE

A MANON.

En lui envoyant un exemplaire de cet ouvrage.

O la plus froide des Manons
Beauté farouche autant que belle,
Jusques à quand ton cœur rébelle
Méprisera-t-il mes leçons ?
Morceau d’albâtre, étui d’ébène,
Force attractive de mes sens,
Quand des baisers bien ravissans
Voudras-tu m’accorder l’aubaine ?
Mais non, j’ose espérer envain,
Le ciel te fit un cœur de glace,
Et l’entoura d’un triple airain.
Comment envahir cette place ?
Que de regards ! que de sermens
Ma tendresse a mis en usage,
Pour mériter que mon hommage
Me valut des plaisirs charmans !
Si l’exemple d’Anaxarête

N’a nul pouvoir sur ton esprit ;
Ah ! c’en est fait, rien ne m’arrête,
Le feu seul aura cet écrit.
C’est pour t’amuser, pour te plaire,
Pour vaincre ta vertu sévère
Que ma plume a tracé les jeux
De deux jeunes cœurs amoureux.
Ils voulaient le plaisir et ne le trouvaient pas,
Ils embrassaient un vain phantôme ;
Oh ! tu n’es pas leur second tome,
Car je te l’offre avec tous ses appas ;
Et ta rigueur intolérable
Trompant mes vœux et mon effort,
Oppose des frimats du Nord
La sécheresse immalléable
Aux feux de mon brûlant transport.
Tu ne voulus jamais, cruelle,
Payer mon amour d’un baiser,
Et si par fois l’amour me fit oser,
Combien de cette bagatelle
Ta résistance haussa le prix !
Que ces baisers sur belle bouche
Font grand bien quand ils sont ravis,
Lorsqu’après un regard farouche
Succède un gracieux souris !

Plus tu les défends, plus je t’aime
Et malgré ta froideur extrême
Je ne me lasse point d’aimer,
Mais lasse toi de résister.
Puisse cette esquisse légère
Des jeux de Louise et d’Agnès
Te faire éprouver les effets
D’un changement involontaire.
Puisse l’amour, pour me venger,
Te rendre aussi tendre et facile
Que tu fus jusqu’ici fertile
En moyens de faire enrager !
Tu pairais cher l’intérêt du plaisir
Tant retardé par ton indifférence ;
Oh ! combien de cette vengeance
Mon cœur se dispose à jouir !
Deviens Sapho, deviens Biblis ;
D’amour furieuse comme elles,
Caunus, Phaon ont dédaigné ces belles,
Mais ne redoute pas mon mépris.
Sapho, pour éteindre sa flamme,
Dans l’Océan fait le saut le plus fou ;
Biblis se pend ; crains leur sort, ô mon ame !
Ou bien si tu te pends que ce soit à mon cou.

FIN.

NOUVEAUTÉS

Qui se trouvent en nombre chez Claude Mercier, Imprimeur-Libraire, et homme de Lettres, rue du Coq-Saint-Honoré, au Temple des Arts, no . 120.

La Vie, les Amours, le Procès et la Mort de Marie Stuard, Reine de France et d’Ecosse, décapitée à Londres, le 18 février 1587, 1 vol.  in-80. fig. 2 l. 10 s.
Ismaël et Christine, nouvelle Africaine ; 1793. 1 vol.  in-18. 1 10
Breviaire des Jolies Femmes, ou Nouvelles et Poësies galantes, trouvées manuscrites dans le porte-feuille de madame la Princesse de Lamballe. Paris, au Temple du goût, 1 vol.  in-18., orné de gravures, beau papier, superbe édit. 1 10
Rosalie et Gerblois, nouvelle Champenoise, par le même, 1 vol.  in-18, fig. 1 10
Les trois Nouvelles, par le même, 1 vol.  in-18. fig. 1
De l’utilité de la Flagellation dans les plaisirs du Mariage et dans la Médecine, ouvrage curieux, trad. du lat. de Jean-H. Meibomius, 1 vol.  in-8o. de 300 p., papier velin et fig. superbe édition. 4
Nouvelles galantes et tragiques, recueillies et publiées par Claude Mercier, imprimeur-libraire, et homme de lettres. Paris. (Cl. Mercier) 1793. in-18. 1 vol.  1 10
Histoires et Contes choisis en prose et en vers, mis à la portée des enfans et propres à les instruire en les amusant ; recueillis et publiés par le même, 1 vol.  in-18. 1 5
La Sympathie, histoire morale ; par Mercier, député à la Convention, nationale, auteur du tableau de Paris nouv. édit. Paris. (de l’imp. de C. Mercier) 1793. in-18. 1 16
L’innocence du premier âge en France, ou Histoire amoureuse de Pierre-le-Longet de Blanche-Bazu. Paris. (Mercier.) belle édit. in-18. fig. 2 10
La force du Sang, nouvelle traduite de Michel de Cervantes, par M. Lefevre de Villebrune. Paris, 1793. in-18, fig. 1 vol.  1 10
Les Soirées de l’Automne et les épanchemens de l’Amitié ; par C. Mercier, 2 vol.  in-18, fig. 3
Tactique Françoise ou l’Art des Evolutions militaires ; par Lallemand, 1 vol.  in-8o., avec tableaux. 2 5
Justine ou les Malheurs de la Vertu, 2 part. in-8o. 5
Le même, in-12., 2 vol.  3
Le Gouvernement du Peuple, on Plan de Constitution pour la République universelle, trad. de l’anglais de Jean Oswald, in-8o. 6
Appel à la postérité sur le jugement du Roi, une feuille, in-8o. 6
Comment m’habillerai-je ? réflexions politiques et philosophiques sur l’habillement François, et sur la nécessité d’un nouveau costume national ; par le même, in-8o. 16 p. 6

  1. Je demande pardon aux mânes de M. Perrault ; mais j’imagine que les Contes, quoique, charmans et purement écrits, n’en sont pas moins dangereux à l’éducation, par les raisons que je viens de détailler.
  2. Il est inutile d’avertir le lecteur que tout ce galimathias est une parodie critique du fameux cantique des cantiques.
  3. Je dis triple, parce que Diane se nommant encore Phæbé au Ciel, et Hécate aux enfers ; elle fait trois personnes distinctes, et je demande aux mythologistes si je n’ai pas. raison de lui donner trois C...
  1. Note de Wikisource : voir Thérèse philosophe planche 4.
  2. Note de Wikisource : voir Thérèse philosophe, éd. 1785, Enfer-406, planche 6 Gallica.