Marc Imhaus et René Chapelot (p. 17-30).

CHAPITRE I


L’âme des femmes pendant la guerre


À ceux de l’avant de combattre, à ceux de l’arrière de tenir. Mais, pour que l’armée se batte bien, pour que les civils tiennent sans découragement, ni faiblesse, tiennent dans le beau sens du mot, il est nécessaire que soient maintenus toujours au même niveau l’héroïsme des uns, la patience des autres. La tâche est difficile dans une guerre de deux ans ; l’intelligence et le grand cœur des mères, des épouses françaises y suffiront cependant.

Legouvé a pu dire que le degré de civilisation d’un peuple se mesurait à la place qu’y font aux femmes les mœurs et les lois. On pourrait avancer également que la résistance d’un peuple dans une guerre étrangère est fonction de la résistance morale qu’opposent les femmes à l’envahisseur. Les Allemandes, esclaves de la force et du prestige militaire n’ont que sourires, — et mieux encore — pour les vainqueurs d’Iéna. Mais les soldats de Dupont, de Soult, de Masséna reçoivent en Espagne un tout autre accueil.

L’épopée religieuse et patriotique de Jeanne d’Arc, la vigueur masculine de Jeanne Hachette, l’enthousiasme avec lequel, en 1789, toutes les Françaises sacrifièrent leurs bijoux sur l’autel de la Patrie, l’héroïsme des Parisiennes de 1870 piétinant de longues heures dans la boue glacée, leur stoïcisme sous les obus prussiens, sous les tortures du froid et de la faim, qu’est-ce sinon les chapitres successifs de la résistance de la femme qui, l’homme vaincu, n’abdique pas encore.

Plus tard, les forces de la France brisée, non son âme, les femmes alsaciennes et lorraines sont, comme l’a bien montré M. l’abbé Wetterlé, à l’avant-garde de la résistance française dans les pays provisoirement conquis.

En Alsace-Lorraine, en effet, « les femmes entretiennent le feu sacré du patriotisme, elles ne vont au théâtre que lorsque la pièce est française, ne paraissent que dans les bals où elles sont certaines de ne rencontrer que des indigènes et apportent partout la langue, la mode, l’extérieur français… On peut compter encore les mariages entre Allemands et indigènes.

Ce rôle joué par leurs sœurs, leurs mères ou leurs lointaines aïeules, nos femmes de France l’ont continué pendant la crise actuelle.

Pour bien comprendre quelles furent, quelles sont encore l’attitude des femmes et l’importance de la force morale qu’elles apportent, il faut bien se garder des idées toutes faites et des clichés innombrables qu’on vise à nous faire prendre pour l’expression de la réalité.

Écrivains et publicistes, parfois de talent, se sont ingéniés à nous montrer la femme totalement transformée par la vertu magique de la guerre et parée d’autant de qualités merveilleuses qu’elle avait eu jusqu’alors d’odieux défauts.

Sèche et frivole, férue de boxe et de tango, peu instruite et ridiculement parée, cervelle d’oiseau, cœur de diamant, telle apparaît la femme avant la guerre à travers le prisme déformant qu’ils placent devant nos yeux.

Austère sous les voiles et le bonnet monastique de la Croix-Rouge, héroïque et sublime comme l’âme même de la Patrie telle, vue à travers le même prisme, la guerre l’a faite pour notre admiration et notre salut.

Combien extraordinaire une telle transformation, comment ces fleurs superbes sur un arbre aux racines desséchées, les partisans, ils sont légion encore, du miracle quand-même ne prennent même pas la peine de se le demander.

Les femmes ont tour à tour pâti et bénéficié comme toute la France d’un mirage trompeur : 1914 l’archétype du Français pour l’étranger et pour lui-même, c’est le Parisien sceptique et corrompu ; 1916 : c’est le « poilu » devant lequel pâlissent les héros fameux de l’antiquité.

Et le pantin et la poupée touchés d’une baguette magique deviennent soudainement personnages d’épopée. Réfléchissez, esprits simplistes, qu’il existait avant la guerre quelques dizaines de millions de Français en qui survivaient le courage et les vertus de la race et que quelques-uns, pendant la guerre, ont pu se montrer au-dessous de leur tâche.

Aux femmes s’applique le même raisonnement. Certes en août 1914, un grand souffle d’héroïsme les a touchées.

Certes, « les femmes furent toutes belles par ce qu’elles ne se parèrent que de la bonté… » certes « on la vit dans les hôpitaux tout de blanc vêtue », n’ayant pour toute parure qu’une croix couleur de rubis, on la trouva gainée de noir dans les ouvroirs… montant les escaliers les plus sordides, visitant les moindres recoins de la misère[1]».

Il est vrai, aussi, que dans la foule féminine qui, au début de la guerre, emplit seule les rues de Paris et des grandes villes « les femmes très fortes savent contenir leurs larmes… » « Pas une ne pleure. » Et comme les Spartiates envoyaient les hommes au combat, « elles regardent avec colère les hommes qui, d’âge d’être au feu, sillonnent encore les rues[2]». Sainte colère patriotique, dignité devant le sacrifice de soi ; tels sont les sentiments qui semblent animer des femmes françaises.

Qui reconnaitrait en elles les poupées d’antan « alors que la cité, le village, la France, s’offrent sanglants aux yeux agrandis de la femme, arrachée, peut-être pour toujours, à sa frivolité[3]? ».

Sommes-nous sûrs cependant qu’il y ait eu réellement aussi profonde transformation ?

Dégageons-nous de toute vaine littérature et nous apercevrons que la plupart des femmes qui pendant la guerre se sont montrées dignes, sérieuses, dévouées, étaient, avant la guerre, déjà des mères de famille conscientes de leurs devoirs, des jeunes filles averties mais réservées, d’honnêtes femmes dans toute l’acception du terme. Celles qui auraient pu réellement changer ce sont celles-là qui, brillante écume du Tout-Paris, étrangères le plus souvent, ne cherchaient chez nous que le luxe et la vie facile. Mais du Tout-Paris à la France, il y a bien loin. Sommes-nous sûrs d’ailleurs que dans le monde frivole et corrompu qui semblait à certains toute la France, il ne se soit pas trouvé des femmes comme des hommes pour ne rien apprendre, ne rien oublier ? Et parmi celles même qui seraient apparues comme transformées, n’en est-il pas qui aient recherché le beau geste, l’attitude théâtrale, la mise en vedette ?

Si l’on veut bien regarder en face la réalité on reconnaîtra que pas plus que les hommes, les femmes n’ont eu à se transformer. Les hommes, sous le scepticisme et le laisser-aller cultivaient encore l’énergie, le courage et l’initiative de la race ; les femmes dont quelques-unes seulement voilaient sous une frivolité apparente leur âme tendre et dévouée, ont, comme eux, facilement retrouvé le culte de la Patrie, la maîtrise de soi-même, l’abnégation.

Est-ce à dire que toutes les Françaises soient devenues depuis la guerre des héroïnes cornéliennes ? On pourrait le croire à lire maintes lettres de mères ou d’épouses citées, avec trop de complaisance peut-être, par la presse quotidienne. L’une se déclare « heureuse » d’avoir vu son jeune fils tomber sur le champ de bataille. L’autre déclare qu’elle sacrifiera avec bonheur ses enfants, déjà couverts de gloire. Celle-ci porte avec orgueil la médaille d’identité d’un cher disparu. Celle-là engage ses fils à se porter aux postes les plus dangereux, et cette autre : « mes fils ! je viens d’avoir l’honneur de les voir partir au front ! »

On ne saurait avoir de sympathie pour ces femmes qui prennent trop facilement leur parti d’un affreux malheur : Veulent-elles laisser à la postérité le souvenir d’un beau geste, d’une phrase à effet ? C’est un cabotinage impardonnable. Sont-elles sincères ? elles nous rebutent par la sécheresse impitoyable de leur cœur et toute mère digne de ce nom les considérera avec horreur ; et d’ailleurs où est, dans de telles conditions le mérite de leur sacrifice ?

Non, les Françaises ne sont ni des Spartiates, ni des Romaines.

C’est le cœur serré, c’est en retenant à peine leurs larmes, c’est en étouffant leurs sanglots qu’elles ont laissé partir leurs maris et leurs fils. Elles souffrent, elles pleurent de leur absence ; plus d’une, glorieuse pourtant lorsque l’aimé se distingue, demande surtout en ses prières que le danger soit écarté de lui. Plus d’une, sans oser parfois se l’avouer, préfère la vie, la présence chère aux citations, aux galons, aux palmes et aux croix. La patrie demande un sacrifice ; elles l’acceptent sans joie, oh non ! sans allégresse, sans raideur. Elles donnent leur chair et leur âme comme les hommes donnent leur sang. Elles n’en sont que plus belles à se résigner à l’immolation effroyable. Plus beaux sont les pleurs contenus, ou versés qu’un sublime de commande, plus belle la désolation de la Vierge au Calvaire que l’orgueil stoïcien d’Arria.

Aussi faux, aussi vain serait-il de se représenter nos Françaises comme préoccupées uniquement, dès lors, de la guerre, de ses misères et de ses horreurs.

Peut-on croire sérieusement à la défaite complète de l’éternel féminin ? Il n’a jamais cessé pendant les plus affreuses crises du temps passé de régner sur les âmes, et pas plus que les guerres de religion, l’invasion de 1815 ou la Terreur, la guerre présente ne fait exception. Les moralistes de bonne volonté qui se représentent les femmes, toutes les femmes, dépouillant leurs charmants défauts aussi facilement qu’elles enlèvent leur robe, ressemblent à ces pédagogues en chambre qui s’imaginent par la guerre tous les enfants mûris, assagis. Une simple promenade dans une grande ville quelconque leur donnera, s’ils veulent bien ouvrir les yeux, une notion plus juste de la réalité.

L’excentricité quasi-délirante de la mode féminine a-t-elle jamais, aux temps même de la suprématie teutonne en ce domaine, été plus grande qu’en 1915 ? La bigarrure des couleurs, le mélange des fourrures et des soies légères, la fantaisie cosmopolite des jupes de Highlanders, des bottes russes, des vareuses françaises, des calots belges font-ils une impression lugubre ? Un morne silence règne-t-il à la sortie des ateliers ? et dans les salons ou les usines bourdonnantes, ne s’échange-t-il que de graves propos ?

C’est aux premières semaines de la guerre seulement, qu’un vent d’austérité passa sur la France et que les femmes, renonçant à toute élégance, à toute gaieté bruyante, montèrent ce thé tricot joliment décrit par une de nos meilleures romancières : « Les dames en toilette démodées ménageaient les morceaux de sucre et savouraient le démocratique petit beurre. Une Parisienne qui se piquait de patriotisme aurait cru commettre un crime, voler l’argent dû aux blessés, aux réfugiés, aux misérables si elle avait commandé une robe neuve et servi des gâteaux de luxe à ses hôtes.

Le thé tricot était charmant… chaque invitée apportait son ouvrage… On discutait sur la façon des chaussettes avec une ardeur émouvante. Et les pensées d’amour, les pensées de douleur, les pensées d’inquiétude et d’espérance s’entrelaçaient dans les mailles souples et faisaient d’un vêtement vulgaire, un talisman tout chaud de vie et d’amour » [4].

Mais comme l’a bien remarqué Mme  Marcelle Tinayre, les thés tricots et l’austérité fondirent avec les glaces du premier hiver. Les espérances puis la certitude du succès, l’impossibilité pour celles comme pour ceux que le malheur n’a pas directement touchés de rester plongés éternellement dans la tristesse, une sorte d’accoutumance douloureuse, mais inévitable permirent à l’élégance, à la fantaisie, à une sorte de gaieté de reprendre leurs droits.

Et aujourd’hui l’on voit comme autrefois de jeunes femmes élégantes, fréquenter concerts, plages, thés mondains, causer chiffons, rire, flirter. Et ce sont les mêmes bien souvent qui ont passé une année et plus dans les hôpitaux de l’intérieur ou du front, les mêmes qui aujourd’hui concilient leurs obligations mondaines ou familiales retrouvées avec leurs devoirs patriotiques, les mêmes qui, demain, s’il le fallait se dévoueraient de nouveau tout entières et seraient capables d’héroïsme et de sacrifice.

Le cœur des femmes est merveilleusement complexe et si parfois nos compagnes semblent oublier la gravité de l’heure présente, c’est qu’elles mettent une sorte de coquetterie à dissimuler leur blessure ; mères, épouses, sœurs, fiancées et celles même qui, par chance n’ont aucun des leurs là-bas donnent à nos combattants le meilleur de leur pensée. La préoccupation est constante et reparaît à la première occasion.

Les petits faits quotidiens observés autour de nous, des confidences naïves, des cris du cœur jettent une vive lueur sur l’âme féminine.

La femme du peuple a conservé le sérieux et le bon sens qui furent toujours l’apanage de la femme française. Écoutons cette vendeuse des quatre saisons, scandalisée justement du spectacle honteux d’une ivrognesse, flétrir de sa rude voix faubourienne celle qui ose s’avilir en un pareil moment.

Lisons cette jolie lettre adressée à M. Brieux par une « simple petite ouvrière » pour qu’il dise à nos poilus de ne pas être jaloux ».

Ils ont tort d’être jaloux là-bas, car le seul bonheur c’est de lire les lettres, et on les lit tout haut : on n’a pas de secret, puisque ça vient de là-bas.

Dans le monde riche, c’est la même chose et on travaille pour l’Amérique et puis faut bien s’habiller, mais les commandes importantes c’est toujours pour une date fixe en vue de la permission du soldat qui doit venir.

Et puis si vous saviez comme les Dames elles sont gentilles à l’essayage, quand on a les yeux rouges elles vous demandent gentiment : « Qu’avez-vous ma petite ? » « Il est à Verdun madame » « Le mien aussi » qu’elle vous répond. Et bien, monsieur Brieux, vous savez on ne sent plus qu’il y a des riches et des pauvres dans ces cas là.

Y aura toujours des vilaines femmes, mais nos maris, nos frères, nos fiancés ils ont pas à avoir du chagrin et à être jaloux car on se conduit bien je vous assure oh dites.

Mais voyez-vous on voudrait que, là-bas nos hommes soient fiers de nous comme nous on est fiers d’eux.

Nos poilus ne savent-ils pas, dit une autre, pour une femme indigène qui se laisse aller à la tentation du fruit défendu, il en est des centaines qui, fidèles à la foi jurée, ne vivent que dans l’espoir de l’heure bienheureuse qui les réunira à l’ « élu de leur cœur ». Il faut les en convaincre, celles-là sont la règle ; l’autre, l’exception. Pour les femmes sincères qui sont légion, le mari ou le fiancé parti représente tout le bonheur. De lui seul, il peut émaner. Le mari, le fiancé, c’est pour la femme sincère, loyale, véritablement éprise, tout ce qu’il y a de vrai, de noble, en ces durs moments surtout que nous vivons.

Nous les aimions avant la guerre, maintenant nous les vénérons.

Ils représentent pour nous le droit, la vaillance, le courage, l’abnégation. Comment tant de vertus réunies ne triompheraient-elles pas de la force brutale ?

Nos protecteurs chéris, par leurs souffrances et leurs sacrifices, sauront nous épargner la souillure du joug infâme de l’ennemi. Ils ont dans notre cœur une place sacrée dont rien ne saurait les arracher.

La vénération profonde des femmes pour nos soldats, la grave piété qui, masquée souvent de frivolité ou d’indifférence vit ardente en leur cœur, se manifestent par mille traits touchants. Voyez, dans les trains ou le métro de quelle vénération reconnaissante elles entourent nos blessés. Voyez les employées aider celui-ci à descendre, cet autre à s’installer confortablement ; considérez cette femme — souvent âgée — qui, les hommes immobiles, hélas ! offrira sa place. Admirez cette petite employée qui paye de son argent la place d’un blessé, la vendeuse de journaux qui donne ses feuilles ; la commerçante qui donne généreusement ses victuailles aux permissionnaires pauvres ; la bouquetière qui fleurit gracieusement le convoi funèbre d’un anonyme pour qu’il s’en aille sous quelques fleurs.

Et cette mère qui, son fils disparu aux premières heures de la guerre, réclame cependant l’honneur de loger un jeune soldat à qui elle donne la chambre du cher mort, la femme aimante qui encadre d’un ruban tricolore voilé de crêpe le portrait de l’ami perdu. Ne sont-elles pas jolies et touchantes celles-là ! Observons autour de nous, et sans peine nous verrons des attitudes semblables.

L’intérêt que les femmes portent à nos soldat, n’est donc pas une tendresse de commande, une affection platonique, contente de belles phrases creuses, d’exclamations admiratives, de soupirs. C’est une sympathie active, efficace et dont profitent tous nos soldats.

La charmante institution des marraines l’a démontré. Depuis qu’un journaliste a appelé l’attention sur le sort malheureux des soldats sans famille et a demandé pour eux des marraines, spontanément de tous les coins de la France, de toutes les classes de la société, femmes ou jeunes filles, midinettes ou grandes bourgeoises, cuisinières ou grandes actrices, fillettes ou aïeules, des marraines ont surgi, qui donnent à ceux des tranchées toute leur pensée et, au besoin se privent pour eux.

« Toute l’onde de tendresse éparse dans notre pays a dit un psychologue, est captée par la tranchée… Emma Bovary elle-même est devenue marraine de poilus ».

Snobisme peut-être chez quelques-unes, sincérité pour la plupart d’entre elles qui ont conscience de remplir une mission très haute et très féminine.

Isolé, perdu au milieu de la foule anonyme, le combattant que ne soutient nulle pensée douce, nulle espérance, s’ennuie, se désole, est saisi du fâcheux cafard. La marraine apparaît et, telle celle des anciens contes elle fait reparaître le soleil sous les nuages.

C’est la lettre qui, même venant d’une inconnue, sera affectueuse et tendre. C’est le colis qui apporte mille petits objets utiles ou délicieusement superflus, c’est la cocarde de Mimi Pinson distribuée au plus brave comme au temps de tournois, c’est la pensée surtout qu’on n’est plus seul sur la terre, qu’aux battements de votre cœur répondent les battements d’un autre cœur, que votre bonheur ou votre malheur, la gloire ou la mort ne seront pas à tous indifférents. Et avec plus d’ardeur les soldats se battent, avec plus de stoïcisme ils supportent la stagnation sans gloire, la douleur, l’ennui ; avec plus de joie ils désirent la victoire et la paix. Et lorsque, par hasard — moins fréquemment pourtant que les romanciers ne le supposent — les âges, les caractères, les esprits peuvent s’accorder, il s’ébauche de délicieuses idylles qui se terminent comme dans les contes encore. Mais ici c’est la marraine qui se transforme elle-même en fiancée.

Ce que celles-là font pour les combattants, celles-ci le font pour les blessés. L’un comme l’autre peut être isolé et pour le malade séparé des siens, l’angoisse est encore plus grande, l’inaction rend plus pesante la solitude, et mille fantômes viennent hanter un cerveau affaibli que, seule peut chasser une présence amie. C’est ce qu’ont compris les femmes et les jeunes filles assez heureuses pour bénéficier de quelques loisirs et d’une aisance leur permettant des voyages parfois coûteux. Elles ont fondé l’œuvre de la Visite et de l’aide aux blessés qui, de Paris où elle est établie, rayonne sur toute la France. Les déléguées se mettent en rapport avec les blessés qui, soignés dans les hôpitaux de province ont leurs parents à Paris ou dans une région éloignée. À leurs frais elles se déplacent, vont d’hôpitaux en hôpitaux, parlent à celui-ci de sa femme, à cet autre des nouveau-nés qu’il n’a pas encore connus, réconfortent des blessés, encouragent leurs familles, donnent à tous des paroles d’espoir. Avec la visiteuse c’est l’image de la famille, c’est l’image de la mère, de la fiancée, qui, apparaît tendre et gracieuse, rattache au monde l’isolé.

Le permissionnaire, lui aussi, a besoin parfois, selon l’expression populaire, qu’on lui « remonte le moral ». Vient-il dans sa famille, il faut lui éviter d’amollissantes émotions. Tel est l’esprit de l’appel aux Françaises signé d’une de nos grandes féministes. « Rappelons-nous, dit-elle, que nous n’avons pas le droit d’être faibles et que la tendresse vivifiante témoigne d’un plus grand amour que la tendresse amollissante… toute femme qui, à l’heure présente, ébranlerait le sens du devoir envers la Patrie serait une criminelle… N’oublions pas que notre attitude intérieure se reflétera sur notre visage… et que les défaillances… peuvent trouver un écho dans les cœurs. Notre responsabilité sera écrasante et la fermeté des femmes françaises sera décisive. » Sans doute toutes les françaises ont pensé comme elle et si l’on ne saurait jurer que des pleurs n’aient coulé, que des regrets n’aient été exprimés, du moins peut-on assurer que bien rares sonnèrent aux oreilles des permissionnaires, les paroles de découragement.

Et pour le permissionnaire isolé, de nouveau les marraines sont là, trop peu nombreuses certes, mais dont la présence a évité qu’un plus grand nombre de nos soldats n’eût la douleur, l’indignation de se trouver sur le pavé, parmi la gaieté ambiante des grandes villes.

Multiple et changeante comme la vie, revêtant d’aspects divers une bonté, une grâce foncières telle apparaît l’âme des femmes pendant la guerre. Diffère-t-elle tant de leur âme des heures de paix ?

  1. Odette Dulac : la Houille Rouge.
  2. Jack de Bussy : Réfugiée et Infirmière de guerre.
  3. Pauline Valmy : La guerre et l’âme des Femmes.
  4. Marcelle Tinayre : Thé de guerre.