Les Vagabonds criminels

Les Vagabonds criminels
Revue des Deux Mondes4e période, tome 152 (p. 399-437).
LES VAGABONDS CRIMINELS

C’est de 1826 que date le premier rapport de justice criminelle, et en 1830 on comptait 3 202 vagabonds condamnés ; en 1833 ce chiffre s’abaisse à 2 715 pour se relever ensuite et atteindre en 1836 celui de 2 960 ; mais, à partir de cette année, il suit invariablement une progression croissante, véritablement inquiétante. De 4 074 en 1845, il s’élève successivement à 6 476 en 1855, à 8 760 en 1867, à 8 886 en 1875, à 14 069 en 1882, à 18 220 en 1887, à 19 723 en 1894 ; de telle sorte qu’en cinquante ans, il s’est accru dans la proportion de 400 pour 100. Si, d’autre part, à ce chiffre de 19 723 condamnés, on ajoute celui des vagabonds arrêtés et non poursuivis, lequel s’élève à 20 000, on remarquera que près de 40 000 individus ont été arrêtés pour vagabondage en 1894.

Vainement prétendrait-on que l’augmentation du nombre des condamnations pour vagabondage trouve son explication dans l’accroissement du nombre des récidivistes, puisque la statistique établit que, dans les vingt dernières années par exemple, la proportion du nombre des condamnés au nombre des récidivistes n’a pas sensiblement varié.

Veut-on connaître maintenant l’opinion des nombreux condamnés pour ce genre de délit ? Ceux-là pensent que la plaie grandit chaque année, et ils évaluent à 200 000 environ le nombre de leurs compagnons de misère. Enfin, toujours d’après eux, les « roulans » fabriquent couramment et se vendent les uns aux autres de faux certificats de travail qui leur permettent de se soustraire à l’action de la justice. Ils se procurent des sceaux de mairie chez les marchands de timbres en caoutchouc, sans trop de difficultés, m’ont affirmé beaucoup de détenus. C’est encore une raison de plus pour que les gendarmes et la police n’arrêtent pas un vagabond sur 5, et puisque notre chiffre de 200 000 représente cinq fois le nombre des vagabonds arrêtés en 1894, on peut en conclure, en retranchant les récidivistes, que l’armée nomade des misérables compte plus de 100 000 membres[1].

Quant au chiffre des individus prévenus de mendicité, qui était en 1845 de 3 916, il a suivi, régulièrement aussi, une progression constante et s’est élevé en 1895 à 13 724.


I

Quelle cause convient-il d’assigner à cet inflexible accroissement du nombre des vagabonds et des mendians, alors que « la grande industrie distribue cent fois plus de salaires que l’ancienne, qu’elle fait vivre cent fois plus d’ouvriers, qu’elle réduit le prix de tous les objets manufacturés et, par-là, met à la portée de l’ouvrier non seulement le nécessaire, mais ce qui eût été le luxe, il y a cent ans[2] ? »

L’attribuerons-nous à la dépopulation des campagnes, et l’exode des paysans venant faire concurrence aux ouvriers des villes produit-il au centre des cités une sorte de remous dont l’écume se répand ensuite sur le pays sous la forme du vagabondage et de la mendicité ? La cause primordiale résiderait-elle, comme le prétendent beaucoup de vagabonds, dans le perfectionnement de l’outillage et le triomphe des machines ?

Sans doute la création de l’outillage perfectionné a nécessité l’intervention d’un personnel nouveau ; il en a été de même de la vente toujours plus active, de la production toujours plus considérable de marchandises de moins en moins coûteuses ; mais, si ces élémens nouveaux de la fabrication et de la vente ont pu être une nouvelle source d’occupation pour les ouvriers auxquels les machines avaient enlevé leur travail, ils n’ont cependant point apporté avec eux le remède au mal qu’ils avaient créé. Le haut commerce et la grande industrie, nés de la fédération des capitaux, en même temps qu’ils ont été la ruine des petits artisans et des petits négocians, ont créé un courant d’émigration des villages vers les villes et donné pour concurrens aux gens des cités de nombreux habitans des campagnes alléchés par l’appât d’un gain facile ; ils ont permis aussi de substituer à la main-d’œuvre de l’homme la main-d’œuvre de la femme et de l’enfant, autres concurrens de l’ouvrier célibataire ; ajoutons à cela l’envahissement des chantiers, des usines, par des légions d’ouvriers étrangers qui se contentent de salaires moins élevés.

L’émigration rurale, facteur de l’accroissement du vagabondage, résulte aussi, à certains égards, du service militaire obligatoire pour tous et de l’expansion de l’instruction. Il est des régions où, sur dix jeunes gens rentrant du service militaire, on peut affirmer que cinq ou six au moins n’ont plus, dès leur retour au foyer, qu’une préoccupation : celle de retourner vers les villes, dont ils n’ont entrevu, pendant leur séjour au régiment, à la faveur des promenades du dimanche, que le côté alléchant, les distractions faciles, la vie dissipée ; et comme, au retour, leur demeure paraît plus misérable, leur village plus morne, désert, silencieux, et qu’ils ont perdu l’habitude du travail, la nostalgie de la ville les saisit. Tous les hommes politiques dans tous les départemens, et jusqu’aux maires des moindres villages, pourraient dire avec quelle insistance les soldats libérés sollicitent leur intervention pour obtenir n’importe quel emploi. A défaut d’une occupation à la ville, ils se rabattent avec empressement sur les candidatures aux moindres fonctions : gardes forestiers, facteurs ruraux, cantonniers, etc. Les emplois dans les compagnies de chemins de fer les attirent en grande masse. Ils sollicitent volontiers les postes d’agens de police, de gardiens de prison, de douaniers, etc. Ils semblent considérer, en effet, comme une déchéance le retour au travail des champs, à la vie calme et sans grands besoins au sein de la famille : tant est vivace chez eux cette fausse idée qu’ils ont de la vie des villes et que vous les entendez, à tout propos, exprimer sous cette forme d’une naïveté enfantine : « Vous qui habitez la ville, vous êtes plus heureux cent fois que nous ; vous êtes bien nourris, bien vêtus, et vous n’avez rien à faire. »

Cette phrase, qui a si souvent frappé nos oreilles, trahit à la fois chez eux l’irrémédiable dégoût pour la vie des champs et l’ignorance où ils sont des conditions de l’existence à la ville. Le paysan n’aperçoit, dans la situation pécuniaire des citadins dont il envie le sort, que le salaire ou le traitement plus élevés ; il se refuse à faire état de leurs charges. Il ne soupçonne pas les sources multiples de leurs dépenses ; il ne voit que les recettes. Dès l’instant où le salaire est plus élevé dans les villes, il en conclut que la situation des travailleurs y est meilleure ; il oublie que le chiffre de son loyer au village est relativement insignifiant, que ses frais d’entretien sont dérisoires, et qu’il faudrait, pour établir son propre budget, ajouter aux prix des récoltes qu’il vend la valeur de toutes celles qu’il consomme.

L’instruction de plus en plus répandue a eu fatalement pour conséquence de détourner beaucoup de jeunes gens de la vie agricole, même du commerce. Les classes inférieures, considérant que l’instruction avait été l’apanage exclusif des classes supérieures, se sont pénétrées de cette idée qu’elle ne devait point s’allier au travail matériel, mais se suffire à elle-même. Elles n’ont vu, par suite, dans l’instruction répandue à profusion, que la facilité d’accès de tous à tous les emplois ; en faisant instruire leurs enfans, elles n’ont plus considéré que la possibilité de les introduire dans les fonctions publiques et les professions libérales, idéal de leurs aspirations. De là, cet encombrement de toutes les carrières et la misère qui s’abat sur des jeunes gens auxquels les diplômes sont impuissans à assurer la vie matérielle. La classe des déclassés est née, soit de l’impossibilité pour eux d’exercer des métiers d’artisans auxquels ils n’étaient point préparés, soit du refus de se soumettre par orgueil aux exigences de certaines professions dont l’exercice leur semblait une déchéance et une humiliation.

Une autre cause du mal réside encore dans l’irrésistible entraînement vers le luxe qui s’est emparé de toutes les classes de la société. La plus pauvre fille du plus misérable village rougirait aujourd’hui, dans la plupart des provinces, de porter encore le bonnet de lingerie familier aux paysannes d’il y a trente ans ; il lui faut des chapeaux et des robes à la dernière mode ; bien mieux, elle les renouvelle à chaque saison. Les étoffes se vendent beaucoup moins cher qu’autrefois : mais celles dont les prix sont accessibles aux bourses modestes font infiniment moins d’usage ; la façon en est autrement dispendieuse que celle des simples vêtemens d’autrefois ; les chapeaux ne coûtent pas plus que les bonnets d’antan, mais la mode des bonnets, par exemple, ne variait guère, et finalement, des paysannes dépensaient dix fois moins pour des toilettes plus simples, dix fois plus durables, et qui leur seyaient dix fois mieux. Sans doute le sort des travailleurs s’est bien amélioré ; sans doute ils sont mieux logés, mieux meublés, mieux vêtus, mieux nourris que ceux d’autrefois ; mais ils ont perdu le secret d’équilibrer leur budget ; leurs dépenses de luxe sont hors de proportion avec l’augmentation de leurs salaires. Vainement l’industrie a-t-elle distribué « cent fois plus de salaires » : à quoi bon, si les besoins ont augmenté dans une proportion plus grande ? Par surcroît, viennent les années mauvaises avec les gelées printanières, les étés tour à tour torrides ou pluvieux, le cultivateur ne se résoudra point à réduire le montant de ses dépenses ; il fréquentera avec une assiduité égale les cabarets ; il achètera dans la même proportion vin, café, sucre, alcool et toutes choses dont la consommation a augmenté dans des proportions énormes. « La consommation de la viande a plus que doublé depuis le commencement du siècle, celle du vin a doublé, celle du café a triplé, celle du sucre décuplé, celle de la bière a augmenté de 70 pour 100. Or, comme un riche ne consomme pas plus de viande, de café, de sucre, en 1884 qu’en 1800, ce sont donc les classes laborieuses qui ont augmenté leur somme de jouissance[3]. »

En majorité considérable, les artisans des villes, les ouvriers des campagnes ignorent les principes d’ordre et d’épargne, préventifs des misères qu’amènent fatalement dans les ménages imprévoyans les chômages et les maladies probables, l’inévitable vieillesse. Combien elle serait longue, la liste de ceux qui, dans les centres industriels florissans, dépensent sans compter en deux ou trois jours le salaire de toute une semaine ! Combien végètent dans des villes, déchus de leur ancienne aisance, auxquels leurs gains de dix années auraient constitué une fortune et qui, n’ayant rien épargné, vivent aujourd’hui dans la gêne, quand ils ne vont pas grossir les rangs des déclassés ou des vagabonds. Mais quoi ! il leur fallait le luxe avant le nécessaire, quant à l’avenir, qui vivrait verrait !…

Les causes de cette plaie sociale, si vivace, des miséreux errans par les chemins sont donc multiples, et, en somme, un vent de paresse, d’orgueil, de démoralisation exerce ses ravages.

Elle mérite toute la sollicitude du législateur, cette question du vagabondage, et rien n’est plus inquiétant que cette existence d’une armée d’hommes, pour la plupart valides, presque tous jeunes, étalant leur désœuvrement et leur misère sur toutes les routes de France : non seulement parce que ces milliers d’êtres paresseux et démoralisés, traînés de prison en prison, obèrent les finances publiques, mais surtout parce que cette armée recèle nombre d’assassins et de voleurs, qui rançonnent les campagnes, et que leur existence nomade rend presque insaisissables. Il est à remarquer, en effet, que, si le nombre des vagabonds et des mendians poursuivis a quadruplé depuis cinquante ans, il en est de même du nombre des vols commis par des inconnus qui, de 13 474 en 1845, s’est élevé, en 1895, à 86 874, c’est-à-dire, a plus que quintuplé, tandis que le chiffre des assassinats, qui avait été de 119 en 1845, est de 215 en 1895.

Le vagabondage s’est donc développé parallèlement à la mendicité, parallèlement au vol, et parallèlement au nombre de criminels inconnus. Il est à noter que le nombre des vagabonds récidivistes est inférieur de près de 1 000, en 1895, à celui des vagabonds récidivistes, en 1887 ; que celui des voleurs récidivistes a diminué, dans la même période, de 1 400 ; et que, tandis qu’on se trouvait en présence d’un chiffre plus considérable de vagabonds et de voleurs, on a relégué seulement 46 vagabonds au lieu de 192 en 1887, et 374 voleurs au lieu de 942.

Cette question mérite bien qu’on l’examine. Puisque, sujet d’effroi pour les campagnes, le vagabondage sollicite l’attention des pouvoirs publics et provoque l’étude de la réorganisation, ou, pour parler plus exactement, de l’organisation de la police rurale[4], étudions les variétés de vagabonds, leurs mœurs ; jetons un coup d’œil sur le champ où s’exerce leur industrie ; après quoi, passant en revue les dispositions des lois qui leur sont applicables, nous nous demanderons si la législation actuelle est suffisante, s’il existe un moyen de réprimer d’une manière plus efficace et surtout de prévenir le vagabondage.


II

Le vagabondage est étroitement lié à la mendicité, à ce point que l’on peut dire avec quelque certitude que tout vagabond est doublé d’un mendiant, et réciproquement. Si le nombre total des mendians poursuivis est inférieur de moitié à celui des vagabonds, cela tient à deux causes. La première réside dans la difficulté de saisir le mendiant en flagrant délit de mendicité, alors qu’il est beaucoup plus aisé de constater qu’un homme est en état de vagabondage, grâce à la facilité de contrôler le point de savoir s’il a un domicile fixe, des moyens d’existence, et s’il exerce réellement une profession. La deuxième cause tient à ce que les agens, se conformant en cela à la loi, n’arrêtent point les infirmes, dans les très nombreux arrondissemens où n’existent point de dépôts de mendicité.

Il est à remarquer que les vagabonds sont principalement d’anciens artisans n’exerçant plus leur profession d’origine, soit qu’ils éprouvent réellement certaines difficultés à se procurer du travail, soit que leur tempérament ne s’accommode point de la discipline de l’atelier, soit que la paresse et le désordre les conduisent à la vie errante, soit qu’une infirmité temporaire les ayant éloignés momentanément de leur travail, l’oisiveté s’empare ensuite d’eux et les jette sur les grands chemins, soit enfin, — et cette classe est intéressante, — qu’il s’agisse d’invalides du travail, victimes des maladies ou des accidens.

On voit défiler devant les tribunaux des gens appartenant à toutes les catégories ; mais on peut affirmer que les travailleurs des champs ne fournissent, directement, qu’un contingent insignifiant à l’armée des vagabonds. Si un certain nombre d’entre eux vient grossir ses rangs, ce n’est qu’après avoir fait un stage dans les villes, d’où les chassent ensuite les misères imprévues d’une existence qu’ils avaient crue exempte de difficultés. De ce que les prévenus, en effet, établissent qu’ils ont fait quelques journées, de-ci de-là, dans une exploitation rurale, il ne faudrait point en inférer qu’ils appartiennent à la classe des cultivateurs. C’est la nécessité de l’heure présente qui a fait d’eux des journaliers d’occasion, mais leur profession d’origine est généralement de celles qui s’exercent en ville.

Sur les bulletins numéro 2 du casier judiciaire des vagabonds s’étalent presque toujours de nombreuses condamnations. Le plus souvent le vagabondage y est inscrit entre le vol et la mendicité, avec l’escroquerie et l’abus de confiance. Plus rares sont les exemples de bulletins où alternent en longues kyrielles les mots « vagabondage et mendicité : » très fréquemment quelque condamnation pour coups et blessures, rébellion, outrages aux agens, filouterie d’alimens, attentats aux mœurs, vient en rompre la monotonie. Mais, quelle que soit la nature des condamnations, on est assuré d’en découvrir toujours une longue énumération dans les états de service des individus qui, à partir de l’âge de dix-huit ans, comparaissent devant les tribunaux pour y répondre du délit de vagabondage. Et comment en serait-il autrement ? Une fois engagé dans l’ornière, une fois pris dans l’engrenage, le « chemineau » n’en sort plus ; il finit par s’habituer, à ce sort lamentable ; il achève de se vicier dans les prisons au contact d’individus moralement incurables ; il y apprend à pratiquer le vol et au besoin l’assassinat. Dès lors il est voué à la vie errante jusqu’à ce qu’il périsse de misère ou que, complétant, par l’accomplissement d’un nouveau crime ou délit, la série requise pour la relégation, il aille finir ses jours à la colonie penitentiaire. Il est certain que le délinquant primaire, envoyé à l’école du vice, dans une maison d’arrêt, doit fatalement en sortir à l’état de criminel endurci ; et le contraire seulement pourrait causer quelque surprise. Un inspecteur général des prisons a eu raison de dire : « Avec notre système pénitentiaire, vingt-quatre heures de prison suffisent, dans certaines circonstances, pour perdre une existence. » L’auteur ajoute : « La prison, même celle subie en cellule, lorsqu’elle frappe un individu chez lequel tout sentiment d’honneur n’est pas éteint, désarme son courage, brise en lui le ressort moral, l’avilit à ses propres yeux et surtout le disqualifie à ceux du public, car un libéré est toujours un suspect. Il n’y a pas témérité à affirmer, a dit M. Barthou, que la prison corrompt le condamné plus qu’elle ne le corrige et qu’elle ne l’amende, et on a pu l’appeler : le bouillon de culture de la criminalité[5]. »

Dans la grande famille errante figurent aussi des nomades, venus du centre de l’Europe ou du Sud-Est : Bohémiens, Roumains, Bulgares ; des forains, saltimbanques, montreurs d’ours, bateleurs, vanniers ambulans, etc. ; mais ceux-là ne sont pas précisément des vagabonds au sens légal du mot, leurs maisons roulantes étant considérées, juridiquement parlant, comme des domiciles fixes.

Non seulement ils s’attaquent aux récoltes dans les campagnes qu’ils traversent, mais encore ils sont passés maîtres dans l’art d’inventorier rapidement les maisons dans lesquelles ils pénètrent sous un prétexte quelconque. Ces gens sans aveu constituent, avec ceux qui circulent sur des petites voitures attelées de chiens et parcourent sans bruit sur ces légers véhicules des distances considérables, une catégorie de vagabonds particulièrement dangereuse. La nuit venue, on se partage la besogne ; en cas d’alerte, ceux qui opèrent ne rejoignent point la voiture ; en cas de succès, on a prévu l’éventualité d’une perquisition dans la roulotte, et le produit du vol est d’abord dissimulé dans la campagne où il sera repris un peu plus tard ; ou bien encore, dans la maison roulante, couchée sur un grabat dans lequel est recelé le fruit de l’opération, sommeillera une femme apparemment atteinte d’une maladie ou de quelque grave infirmité. Le produit des larcins est centralisé aux mains d’un patron, qui, installé comme marchand en quelque ville, s’occupe de le revendre et subvient aux besoins des pillards. Les vagabonds avec roulotte circulent peu en Suisse : des patentes exorbitantes leur rendent à peu près impossible le séjour en ce pays. Citons encore les colporteurs d’allumettes de contrebande : ils occupent une place importante parmi les criminels insaisissables. Aussi, dans certaines régions fréquentées par les contrebandiers d’allumettes, le nombre des vols est-il considérable.

Nous ne saurions mieux faire, pour achever le tableau que de citer textuellement, afin de ne lui rien enlever de sa saveur, l’opinion d’un vagabond sur ses compagnons de misère, telle qu’il l’a exprimée dans une note qu’il nous a remise : « Le vagabond proprement dit est celui qui, depuis sa plus tendre enfance, s’est vu privé de tout refuge autre que la prison. Son caractère est faible, sa moralité est douteuse ; il est plus ignorant que méchant et l’expression de ses traits reflète tous ses défauts et aussi les quelques qualités qui restent dans son cœur. L’aspect général de ce vagabond est l’insouciance et la résignation. Il est inoffensif au premier chef ; il est quelquefois très intelligent et, dans ce cas, il pourrait se rendre utile si l’on voulait s’intéresser à son malheureux sort.

« Cette première catégorie est fournie : 1° par les enfans moralement abandonnés ; 2° par les enfans libérés des maisons de correction où ils ont reçu de très bons conseils, mais de très mauvais exemples ; et enfin, 3° par la multitude de jeunes campagnards, qui croient faire fortune à Paris ou en toute autre ville et abandonnent la culture pour la ville où ils ne trouvent que la misère. D’où découle ce genre de vagabondage : le vagabondage intermittent. Le vagabond de ce type se distingue du vagabond proprement dit en ce qu’il a eu de bons parens qui lui ont donné de l’instruction, de l’éducation, et très souvent une profession. Il est plus vicieux que l’autre ; il est quelquefois très nuisible. Ce genre comprend différentes catégories d’individus qui sont : 1° les gens instruits et flétris, qui sont découragés et que l’on nomme déclassés ; 2° ceux qui, ayant appris une profession, la négligent, se livrent à la boisson, quittent leurs patrons souvent sans prétexte et commencent à vagabonder, puis se font des amis, se croient tous les talens et ne tardent pas à devenir d’abord mendians, ensuite, voleurs. Les traits de ce vagabond reflètent ordinairement la ruse et la dissimulation, son regard est sans expression, plein d’atonie, et cependant l’ensemble ne paraît pas antipathique. Il y a aussi le vagabond sonore : j’entends par ce mot la vanité de ce genre de vagabond qui est presque un fou et souvent un criminel ; on le distingue par la violence de son caractère ; il est méchant, ivrogne ; son rire est sardonique ; il est immoral, égoïste, vaniteux, fourbe, envieux et d’une jalousie excessive et injustifiée. L’ensemble de sa personne respire la méfiance. Il est fort ombrageux et la moindre contrariété l’exaspère. Ses traits reflètent la brute, son regard brille d’un feu sombre et est toujours menaçant. Sa voix rauque est le plus souvent désagréable ; elle prend souvent des intonations douces, mais c’est alors qu’on doit se méfier. Son cœur est dur et le plus souvent on remarque chez lui tous les signes de la plus ignoble lâcheté. Ce genre de vagabond est fourni par presque toutes les classes de la société et principalement par la classe moyenne : ils ont presque tous une certaine instruction et souvent une profession. Leur instruction leur a tourné l’esprit et ils se croient tous des talens ; aussi, quand ils échouent en quelques entreprises, ils sont au paroxysme de leur fureur et perdent en même temps toute leur assurance ; c’est alors qu’ayant connaissance de leur impuissance, ils vouent une haine mortelle à la société qui, selon eux, leur a ravi leur part de bonheur. »

Occupons-nous maintenant des mœurs des vagabonds et voyons quel est le champ de leurs opérations.


III

C’est un principe chez les vagabonds de passer l’hiver dans les départemens connus par la douceur de leur climat, et de se remettre en marche aux approches du printemps pour regagner les régions moins chaudes. Ils imitent en cela les oiseaux migrateurs, à tel point que le mouvement de la population errante concorde presque dans chaque pays avec l’arrivée des oiseaux de passage. Tout le midi de la France et les côtes de la Bretagne les attirent surtout pendant l’hiver, tandis qu’aux approches de la belle saison, on les voit s’acheminer vers le nord de la France, encombrant les grandes voies de communication. Faut-il attribuer au seul souci de se soustraire à la rigueur des saisons ces régulières migrations ? Sans doute beaucoup obéissent à cette préoccupation. Mais le double mouvement annuel de la marche sur le Nord et de la contremarche vers le Midi est, pour un grand nombre, causé par un tout autre souci : celui de trouver du travail. Les premières récoltes ayant lieu dans le Midi, les vagabonds ont l’espoir d’y être employés de très bonne heure, et, alors que les hivers rigoureux ou les printemps tardifs interdisent encore les travaux des champs dans les régions montagneuses et dans les pays du Nord, le ciel du Midi leur est plus clément et les populations plus hospitalières. Ils commencent donc par les travaux de la fenaison dans la Camargue et, s’acheminant peu à peu vers le Nord, les uns en remontant la vallée du Rhône, les autres en passant par l’Auvergne et le Bourbonnais, ils se dirigent sur Paris, ensuite sur les Flandres où les attirent les usines et la culture des betteraves, puis sur la Normandie où ils sont le mieux rétribués, disent-ils ; après quoi, la Beauce avec ses moissons les sollicitera. Enfin ils reviendront, pour la saison des vendanges, vers le Midi, alléchés par le facile travail de la cueillette des raisins, l’appât du vin à très bon marché, d’autant plus qu’à la vendange succédera dans les régions voisines, en octobre, la récolte des châtaignes, suivie de celle des olives en Provence. Ceux qui hivernent en Bretagne vont plus spécialement peupler en été la Normandie, le département de la Seine et les pays voisins. Enfin un courant s’établit entre la Bretagne et le Sud-Ouest, par les Charentes, vers Lourdes, centre d’attraction.

Cette instabilité continuelle des « roulans » est-elle le fait de leur tempérament ? Est-elle l’indice d’une humeur vagabonde, d’un besoin impérieux de changer de pays ? A-t-elle pour cause le désordre, la paresse, un dégoût de la vie régulière ? Il ne faut point assigner d’une manière absolue à de telles causes ces mouvemens successifs de l’armée errante. Beaucoup obéissent à des goûts nomades, mais beaucoup aussi subissent sans l’avoir désiré ce genre d’existence, auquel les contraignent, d’une part, le marasme de l’agriculture, qui a pour conséquence la parcimonie des fermiers, et d’autre part, le développement de l’industrie mécanique, destructive de la main-d’œuvre. C’est du moins l’explication fournie par les vagabonds intelligens que l’on interroge. Il n’est point douteux, en tout cas, que la préoccupation constante de réduire la main-d’œuvre, insuffisamment rémunératrice durant la morte-saison, détermine les cultivateurs à ne point conserver chez eux, l’hiver, des bouches inutiles et à n’accueillir que pendant la saison des gros travaux les ouvriers qui se présentent à eux : d’où la nécessité pour les « roulans » en quête de travail de suivre les récoltes comme la caille suit la moisson. De là aussi les mouvemens successifs de la population vagabonde.

Un chemineau condamné pour vagabondage nous disait, d’un ton à la fois sincère et mélancolique : « Nous recevons un accueil glacial de gens qui, autrefois, auraient eu pour nous des paroles réconfortantes. Quelle confiance voulez-vous qu’inspire un ouvrier dont la tenue est rendue plus misérable encore par les longues étapes fournies sous la pluie et dans la boue et qui se présente avec un visage miné par les privations et l’affaissement moral ? Autrefois les patrons avaient, pour la plupart, fait leur tour de France à pied. En souvenir de leurs pérégrinations, ils hospitalisaient volontiers un compagnon de « trimard ; » mais, maintenant, les patrons sont eux-mêmes moins heureux, quand ils ne sont pas ruinés par la grande industrie. On n’observe partout que défiance ; l’esprit de charité a fait son temps ; il a déserté même les couvens, autrefois si secourables aux miséreux ; l’égoïsme a tout envahi. » Mon vagabond regrettait donc le temps du compagnonnage, car il y avait alors une solidarité entre les ouvriers nomades, qui allaient de ville on ville chercher de l’occupation, et étaient reçus dans chacune des villes du tour de France par les travailleurs qui faisaient partie de la société ; ceux-ci s’occupaient à procurer de l’ouvrage au nomade, et, en attendant, il était hébergé dans une auberge attitrée, tenue par la Mère des Compagnons, qui le soignait s’il tombait malade[6].

S’ils recherchent certaines régions pour la douceur de leur climat ou le travail qu’elles leur procurent, les vagabonds fréquentent aussi certains pays pour l’hospitalité qu’ils leur réservent. Ainsi, ils sont unanimes à ranger dans la catégorie des pays hospitaliers, principalement le Dauphiné, la Savoie, la Bresse, l’Allier, la Bretagne et la Vendée. A cet égard, nous avons été frappé de la similitude de vues des nombreux vagabonds que nous avons interrogés et de Joseph Vacher lui-même. « Si j’avais à regretter un crime, nous disait Vacher dans un interrogatoire, ce serait celui de Saint-Ours en Savoie, à cause du caractère hospitalier des gens de ce pays. »

Décidément il affectionnait le pays des Allobroges, car, à quelque temps de là, il écrivait au président du Conseil des ministres, puis à sa famille : « Ce magistrat (le juge d’instruction) m’a toujours fait, tout le long de mon interrogatoire, l’effet d’un esprit des gens de la Savoie et l’Intérêt public peut se louer que j’ai eu affaire à un homme qui appartient, dis-je, à la vraie famille des braves. » C’est aussi en termes élogieux qu’il parlait de la Bretagne dans sa lettre à Louis Baraut, saisie à la poste de Tours : « Que de villes, que de villages, que de choses j’ai vues sur ma grande route depuis que je parcours ce grand et instructif tableau (la terre). Il y a deux ans, avec une paire de galoches de 40 sous, j’ai été en Bretagne, que j’ai toute vue (cinq départemens) ; la Normandie (cinq départemens), grandes villes et riches prairies, et du bon cidre, ainsi qu’en Bretagne. Là aussi et dans la Marne les gens y sont vraiment religieux et humains. A y ajouter le Bourbonnais et surtout la Savoie où les gens y sont particulièrement humbles et loyals (sic). Cette année, j’ai vu aussi la Touraine, qu’on nomme le jardin de la France, mais non de l’humanité, ainsi que la Bosso (sic) et la Brie où les gens y sont si orgueilleux et parfois si insolens vis-à-vis des plus humbles qu’eux. L’automne passé, je suis parti par contre dans les pays chauds, j’ai même été jusqu’en Espagne, le pays des bonnes oranges. De ce côté les gens y sont généralement braves, mais je trouve qu’en Bretagne et en Savoie il y existe plus de vrais religieux et moins d’hypocrites qu’aux environs de Lourdes, et je ne suis pas le seul grand voyageur qui ait fait cette remarque des plus importantes causes. »

Il n’y a pas entre les « roulans » cet esprit de solidarité que leur attribuent certaines personnes mal renseignées, et c’est tout à fait exceptionnellement qu’ils se communiquent entre eux des renseignemens sur les régions hospitalières. Ils se jalousent ordinairement, et ceux qui ont une certaine expérience de la vie nomade se gardent bien de servir d’indicateurs : les vieux sont généralement détestés des jeunes. Si d’aventure quelqu’un d’entre eux a réalisé quelques centaines de francs d’économies, malheur à lui, le jour où il tombe entre les mains d’un vagabond vigoureux qui a flairé le trésor caché !

Au cours de leurs pérégrinations, les vagabonds couchent tantôt dans les fermes, soit dans les écuries près du bétail, soit dans les granges sur de la paille, soit dans les greniers ; tantôt dans quelque meule de paille ou de foin ; tantôt dans des masures, bergeries, huttes abandonnées ; tantôt dans quelques réduits affectés par les municipalités au logement des mendians et des vagabonds ; parfois aussi dans les couvens et chartreuses, ou bien encore en rase campagne, pendant la saison chaude, sous un arbre ou le long d’une haie. Ils redoutent beaucoup les asiles réservés aux passans, parce que, disent-ils, la vermine accumulée par les hôtes plus ou moins propres qui s’y succèdent pullule et les dévore. Ils ne semblent avoir qu’une affection médiocre pour les couvens, dont les refuges destinés aux hommes errans, sous leur apparence de propreté, recèlent aussi de la vermine. Certains couvens se sont d’ailleurs départis de leurs habitudes hospitalières en réduisant les aumônes. Ce sont du moins les chemineaux qui le prétendent.

M. Alexandre Bérard, au cours d’une étude fort intéressante et documentée qu’il a publiée sur le vagabondage dans les Archives d’anthropologie criminelle, dit avec juste raison que le vagabondage en bandes disparaît ; mais la raison qu’il donne de ce phénomène, à savoir la transformation économique du pays (liberté commerciale à l’extérieur, création de voies ferrées à l’intérieur), ne m’a point été donnée par les nombreux nomades que j’ai interrogés comme étant celle de la disparition des bandes et par suite de la diminution du nombre des affaires de vagabondage. C’est par intérêt que le vagabond chemine seul, dans l’espoir d’inspirer moins de crainte et d’obtenir plus tôt un gîte ou du travail. Tous ceux qui sont un peu intelligens obéissent, en s’isolant, à cette considération. Au surplus, cette tendance à l’isolement est surtout le propre des vagabonds inoffensifs, et il n’en va pas de même des roulans criminels, de plus en plus portés, au contraire, à se grouper en vue de l’accomplissement de leurs crimes. — Lorsqu’ils ne trouvent point de travail, les vagabonds mendient, pratiquent la filouterie d’alimens, le vol et même recourent à l’assassinat. Pendant la mauvaise saison, les prisons exercent sur eux une véritable attraction : ils y trouvent le gîte et la nourriture, et une occupation qui leur assure un petit pécule, de quoi acheter parfois à leur sortie des chaussures et quelques vêtemens. Actuellement, beaucoup désirent ta ter de la nouvelle prison de Fresne-lez-Rungis, dont les journaux (car les vagabonds lisent volontiers) leur ont vanté le confortable, et ils s’acheminent vers cet établissement dans l’espoir d’y faire un séjour (à en croire ce que plusieurs vagabonds nous ont affirmé).

Nous avons dit que le fait de n’exercer habituellement aucune profession, d’être sans domicile fixe et sans moyens d’existence constituait le délit de vagabondage ; mais il convient d’ajouter que les tribunaux font généralement un crédit de trois semaines ou un mois aux nécessiteux errans : c’est-à-dire qu’un individu arrêté pour vagabondage, s’il allègue avoir travaillé depuis moins de trois semaines ou un mois, obtient que les parquets fassent vérifier d’urgence le bien-fondé de cette prétention et, si le fait est reconnu exact, remettent l’inculpé en liberté. Mais que de fois, sans s’en douter, ils ont eu sous la main de dangereux criminels arrêtés pour vagabondage et relâchés à l’expiration de leur peine, sans que leur qualité d’assassins ait été soupçonnée !

C’est que, précisément en raison de leur genre de vie, les voleurs ou les assassins vagabonds sont extrêmement difficiles à saisir. Comment, en effet, donner le signalement d’un chemineau vaguement entrevu ? Et si, comme il arrive la plupart du temps, personne n’a vu commettre le crime, en admettant même que les soupçons se portent sur quelque « roulant, » — ce qui n’était pas l’hypothèse à laquelle on s’arrêtait généralement avant l’affaire Vacher, — lequel soupçonnera-t-on parmi tant d’autres qui seront passés ? Rien ne ressemble autant à un vagabond qu’un autre vagabond pour le vulgaire, dont l’attention est médiocrement sollicitée par l’aspect d’un misérable ? Et puis, si la demande de l’emploi de son temps à un inculpé qui a des habitudes connues, méthodiques, peut être une source d’indices révélateurs, quelle ressource offrira, pour l’information, une pareille question posée à un vagabond ? Si l’auteur du crime habite le pays, les investigations auront lieu et pourront être renouvelées avec fruit. Seulement, s’il s’agit d’un vagabond, comme il aura déjà franchi un département au moment où la justice entrera en scène, comment le découvrir ? où chercher ?

Mais, avant de donner à cette question de l’insaisissabilité des criminels vagabonds le développement que son importance comporte, examinons le point de savoir si les vagabonds fournissent un contingent important de meurtriers et de voleurs.


IV

En consultant les statistiques criminelles, on remarque que, parmi les crimes relevés à la charge des individus sans domicile fixe, figurent spécialement des vols, des attentats aux mœurs sur des enfans, des faux, des assassinats, des meurtres et des incendies. Si l’on recherche quels sont les départemens dont les cours d’assises condamnent le plus d’accusés sans domicile fixe, on s’aperçoit que ce sont les départemens du littoral méditerranéen, puis ceux qui se trouvent sur la route de Marseille à Paris, c’est-à-dire ceux de la vallée du Rhône et de la Saône, la Côte-d’Or, la Haute-Marne, l’Aube, la Marne, Seine-et-Oise, et enfin ceux qui composent la Normandie et la Bretagne, puis la Sarthe, la Loire-Inférieure, les Charentes, la Gironde et les Basses-Pyrénées : précisément les régions plus spécialement fréquentées d’habitude par les vagabonds.

Le nombre des individus sans domicile fixe condamnés pour crimes a suivi une progression constante : de 6 pour les assassins en 1845, il s’est élevé en 1894 à 16 ; et de 7 à 17, pour les meurtriers ; le chiffre des vols qualifiés, commis par des individus sans domicile, a progressé pendant la même période de 212 à 391 ; celui des attentats aux mœurs, de 7 à 32. Cette augmentation progressive ne correspond point à un accroissement proportionnel de la criminalité. En ce qui concerne les assassins et les meurtriers, le nombre des individus sans domicile fixe se trouve être le 1/8 de la totalité des condamnés. Toutefois il est certain que la proportion n’est plus la même, s’il s’agit des crimes commis par des vagabonds, mais dont les auteurs sont restés inconnus. Il est hors de doute qu’une part très grande des crimes et délits classés sans suite par les parquets, ou suivis d’ordonnance de non-lieu des juges d’instruction, revient à la population errante. A la vérité, cette allégation ne saurait s’appuyer sur des documens officiels, sur des élémens d’une précision mathématique, puisque la statistique ne peut en saisir les données ; mais les conjectures dont elle relève sont le résultat d’un élémentaire calcul de probabilités, déduit des chiffres mêmes de la statistique et fondé sur les notions que nous possédons de la vie des vagabonds. A cet égard, l’examen des crimes et délits classés sans suite, sous la rubrique « auteurs inconnus, » va nous fournir des chiffres intéressans :

Le nombre des meurtres et assassinats par auteurs inconnus, avons-nous dit, s’est élevé de 119 en 1845 à 215 en 1895, et il s’est accru de 18 à 40 pour 100, c’est-à-dire qu’il a plus que doublé. Le nombre des vols par inconnus est passé de 13 474 en 1845 à 66 278 en 1895, et la proportion a varié de 54 à 73 pour 100. Donc le nombre des criminels restés inconnus a augmenté dans de notables proportions, parallèlement à celui des vagabonds et des mendians. Parmi les condamnés pour assassinats et meurtres, on comptait, en 1845, 3 pour 100 de vagabonds ; on en compte en 1895 7 pour 100 (plus du double). De 1845 à 1895, le nombre des vagabonds condamnés pour attentats aux mœurs sur des enfans a plus que quadruplé et nous avons vu que le chiffre total des vagabonds a aussi quadruplé dans le même espace de temps, alors que le chiffre de la population était loin de progresser dans les mêmes proportions.

Ainsi donc, nous constatons un accroissement notable du nombre des crimes réprimés commis par des vagabonds. D’autre part, c’est surtout dans les régions fréquentées par cette catégorie d’individus que l’on rencontre le plus grand nombre de crimes et délits impunis, sans que cet accroissement corresponde à un égal accroissement de la population. Il est donc certain que l’augmentation du nombre des vagabonds s’est en même temps traduite par une augmentation du nombre des criminels. Mais il s’en faut de beaucoup que la population des vagabonds criminels condamnés soit la même que celle des vagabonds criminels inconnus. Sur 100 condamnés pour assassinat et meurtre en 1895, il y avait 7 vagabonds ; mais sur 100 crimes de cette nature dont les auteurs sont restés inconnus, il y avait fatalement plus de 7 vagabonds : autrement, la proportion des inconnus égalerait celle des condamnés, ce qui n’existe même par pour les individus domiciliés. En ce qui concerne les crimes commis par des vagabonds, il est, en effet, constant que la justice ne peut mettre la main que sur le 1/6 de leurs auteurs tout au plus. Donc, 23 vagabonds ayant été condamnés pour assassinat et meurtre en 1895, le nombre des vagabonds assassins et meurtriers inconnus aura été, selon notre théorie, de 23 x 6 = 138 ; soit de 64 pour 100 du chiffre total des assassins et meurtriers inconnus.

Ce chiffre n’a rien d’exagéré si l’on songe que le nombre des vagabonds errans sur les routes de France et à travers les campagnes est assurément, répétons-le, de 2 fois et demie au moins supérieur à celui des vagabonds arrêtés ; ce qui le porterait à plus de 100 000. Il ne faut pas oublier que, parmi ces errans, beaucoup, aigris par les déconvenues, la misère, le découragement, prennent la société en haine et sont dans une situation d’esprit éminemment favorable pour pratiquer en toute occasion le vol, l’assassinat et les attentats aux mœurs ; en un mot, pour se laisser aller à satisfaire ces deux terribles penchans de la nature humaine : la passion et la cupidité. Quoi de plus suggestif à cet égard que les nombreuses condamnations pour vols, escroqueries, abus de confiance, outrage aux mœurs, relevés sur les bulletins n° 2 des individus arrêtés pour vagabondage ?

D’après la théorie que nous venons d’exposer, le nombre des vagabonds assassins et meurtriers insaisissables serait de 64 pour 100 du chiffre total des criminels inconnus ; mais il est fort possible que nous soyons resté au-dessous de la vérité. En effet, les chemineaux errent à toute heure du jour et de la nuit ; et ils ont, en raison des distances considérables qu’ils parcourent, cent fois plus d’occasions de tuer ou de voler. Ces occasions sont aussi beaucoup plus favorables et les « roulans » n’ont même que l’embarras du choix. Le long des routes, au coin des bois, dans les pâturages déserts, ils rencontrent fréquemment des enfans, garçons ou fillettes, gardant leurs troupeaux ou vaquant aux travaux des champs ; or, quels dangers ne courent point les pâtres isolés, si le chemineau qui passe est une brute surexcitée par l’ardeur de la saison ? Si, d’autre part, pendant la moisson, et pendant le temps des fenaisons, de la vendange ou des travaux de l’arrière-saison, le vagabond ne trouve, à la maison où il se présente pour demander l’aumône ou du travail, qu’une femme, qu’une jeune fille sans défense, à l’heure où tout le monde vaque aux champs, quelle occasion propice !

Le voleur ou l’assassin domicilié a contre lui qu’on pourra contrôler l’emploi de son temps ; mais le vagabond peut aller de porte en porte sans éveiller les soupçons, puisque c’est son métier d’entrer dans les maisons pour y demander du pain ou du travail. Le vagabond, grâce à l’habitude qu’ont beaucoup de paysans de l’héberger, rencontre, pour explorer les habitations, des facilités que n’a point le malfaiteur domicilié, dont la présence serait remarquée et suspectée. Le malfaiteur domicilié se trouve en face de difficultés qui consistent à choisir l’heure et l’endroit, tandis que le vagabond, qui va droit devant lui, qui n’en veut point à une personne déterminée, mais qui s’attaque à celle que lui livre le hasard, n’a point ces embarras.

Il se trouve dans des circonstances éminemment favorables pour tuer et violer. Il prend son temps. S’il échoue, il disparaît sans avoir été remarqué. Il peut, à l’aide des vêtemens mendiés, en réserve dans son sac, opérer de rapides transformations, confondu dans la cohue des autres mendians qui courent les chemins, perdu dans cette Cour des miracles en marche, dans laquelle il est si difficile de démêler les signalemens et de contrôler l’emploi du temps.

Certains individus de la « haute pègre » ont si bien compris la supériorité de ce genre de tactique, qu’ils vont opérer au loin, entre deux trains ; et, à cet égard, la rapidité des moyens de locomotion favorise l’impunité. Voici un exemple pris au hasard entre beaucoup d’autres. Il y a quelques années, à Besançon, un vol de 40 000 francs de titres fut commis avec une audace inouïe, à trois heures de l’après-midi, au milieu du quartier le plus populeux de la ville et dans une maison habitée par de nombreux locataires. Pour éloigner la victime de son domicile pendant l’opération, un commissionnaire lui fut envoyé, porteur d’une note faussement signée du nom d’un des clercs de son notaire, qui le convoquait en son étude d’urgence, avec sa femme. Pas de domestique au logis. Le notaire, lorsqu’ils se présentèrent, leur déclara qu’ils étaient sans doute victimes d’une mystification. On était au 1er avril, l’hypothèse était donc vraisemblable. Mais les époux, en rentrant chez eux, trouvèrent leur maison pillée. Un juge suppléant provisoirement délégué à l’instruction demanda au volé s’il n’avait point été antérieurement victime de quelque méfait. Celui-ci répondit affirmativement, mais ajouta que le délit (un vol de 400 francs) remontait à plus de dix ans et que son voleur, dont il avait alors exigé l’engagement militaire comme condition du REVUE DES DEUX MONDES. retrait de sa plainte, n’avait jamais reparu dans la région. Le magistrat, suivant cette piste, n’en arriva pas moins, quarante-huit heures plus tard, à établir que le voleur des 40 000 francs et le voleur des 100 francs ne faisaient qu’un ; que l’auteur du crime était venu de Paris opérer à Besançon entre deux trains ; et qu’après le vol, il s’était fait conduire en voiture à une station de chemin de fer voisine de cette ville et d’où il avait pris la direction de Dijon. Pour arriver à ce résultat, le juge était parti du rapprochement des données suivantes : 1° l’hypothèse de la culpabilité de l’ancien voleur ; 2° la déclaration d’un cocher qui, ayant conduit un voyageur à une station voisine, avait observé une cicatrice sur le pouce droit de son client au moment où celui-ci le payait ; 3° le voleur présumé ayant été condamné à Paris, ainsi que l’indiquait son casier judiciaire consulté sans délai, il était facile d’obtenir du service de l’identité judiciaire sa photographie et son signalement. Le cocher reconnut dans la photographie qui lui fut présentée le voyageur suspect, tandis que le signalement révélait la cicatrice du pouce droit. En six jours, l’instruction fut close. Arrêté plus tard, le voleur confessa son crime ; mais, dans l’intervalle, il avait pris soin d’aller vendre en Angleterre, selon l’usage, les titres volés.

Aujourd’hui, les bicyclettes permettent aux malfaiteurs de se dérober plus facilement encore aux poursuites ; ils trouvent dans la rapidité avec laquelle ils franchissent ainsi de grandes distances une source merveilleuse d’alibis. On a pu voir aussi, par les récits des journaux, combien s’est accru depuis quelques années le nombre des meurtres et des vols commis dans les trains en marche. Comment saisir des hommes qui parcourent de pareilles distances, si on ne les prend sur le fait ?


V

L’exemple de Vacher, qui pratiquait impunément le vol parallèlement à l’assassinat, — car, dit un témoin qui la connu dans un dépôt de mendicité, il était considéré par tous comme voleur et maraudeur, — est la justification éclatante de notre théorie. On a attribué une portée beaucoup trop grande à l’influence qu’avait exercée son livret militaire en faveur de sa longue impunité. Passons rapidement en revue les quatre années de son existence vagabonde et nous verrons que l’impunité lui était assurée moins par l’effet de ce talisman que par le fait même de sa vie errante. Car il suffisait qu’il eût sur lui de quoi subsister pour que les gendarmes ne l’arrêtassent point pour vagabondage et, à cet égard, une poignée de menue monnaie lui était un préservatif plus sûr que son livret. D’ailleurs, dès l’instant où personne ne le prend sur le fait lorsqu’il assassine, pourquoi l’arrêterait-on ? Pour vagabondage ? Mais Vacher était rarement sans argent (pour s’en procurer, il avait recours, alternativement, au vol et à la mendicité). Il n’a été arrêté qu’une fois à Baugé : c’était pour coups et blessures.

Pour échapper, il lui suffisait de ne pas être surpris au moment où il tuait et d’avoir de bonnes jambes : or, beaucoup de vagabonds criminels sont, comme lui, admirablement taillés pour la marche. Ce qui a perdu Vacher, c’est l’excès du nombre de ses crimes. Écoutez plutôt :

Le 29 septembre 1890, c’est jour de fête à Varacieux (Isère). La petite Olympe Buisson, âgée de 9 ans, va rôder, vers 9 heures du soir, auprès des baraques foraines. Un inconnu l’attire avec des pralines renfermées dans un verre qui sera retrouvé auprès du petit cadavre. Dans une fête de cette nature, qui se préoccupe de cette enfant ? L’occasion sera propice pour un individu confondu dans la foule des gens étrangers au village et agissant dans la pénombre. L’assassin et sa victime passeront donc inaperçus, et deux heures plus tard on retrouvera le long d’un ravin escarpé le corps mutilé de la fillette. Celle-ci n’a pas eu le temps de crier, Vacher l’a étouffée préalablement, selon sa méthode habituelle : « Il étrangle sa victime, puis la saigne au cou, dit le professeur Lacassagne, dans cette partie du très remarquable rapport médico-légal des experts de l’affaire Vacher qui a trait aux crimes commis par ce condamné. La strangulation était produite avec les mains ou à l’aide d’un lien. Vacher connaissait très bien ce que dans l’argot des rouleurs on appelle « le coup du père François. » Une corde, un foulard, une ceinture, sont enroulés autour du cou de la victime, qui, saisie d’effroi et inanimée, est, à l’aide d’un lien, facilement chargée sur l’épaule de l’agresseur. Ces procédés de strangulation empêchent la victime de crier, peuvent déterminer une syncope et même la mort. En immobilisant la victime étranglée, ils permettent toutes les violences, et surtout l’égorgement. »

Le crime une fois découvert, sur qui vont se porter les soupçons ? Infailliblement, sur quelqu’un du village. Entre temps, à travers la nuit, Vacher accomplira une marche forcée, et le lendemain, avant même que la justice soit sur le lieu du crime, il aura franchi 80 kilomètres. Le troisième jour, lorsque se répandra la nouvelle de l’assassinat, il sera tranquillement à Lyon, chez un logeur du nom de Piaso, rue Groslée, et enfin, quinze jours plus tard, il entrera au régiment. Bien qu’aucun doute ne puisse s’élever sur la culpabilité de Vacher, il n’a pu être convaincu de ce crime ; il lui a suffi de le nier. Il l’a fait avec embarras, il est vrai, affectant de n’en pas même connaître l’existence. Cependant, un témoin, le nommé H…, a déclaré dans l’information que, se trouvant en compagnie de Vacher dans une auberge de l’Isère où il était question de ce crime, « le tueur de bergers » lui avait confié que, le jour de l’assassinat d’Olympe Buisson, il se trouvait précisément à la fête de Varacieux, en compagnie d’un autre vagabond du nom de J. F…

A sa sortie de Saint-Robert, les 17 et 18 mai, Vacher tente d’assaillir deux femmes isolées, gardant leur bétail aux environs de Beaurepaire. Le 19, tout près de là, il tue, dans les circonstances que l’on sait, à la nuit commençante, Eugénie Delhomme. C’était encore là une proie facile. Il gagne ensuite à travers champs un bois voisin : on a relevé l’empreinte de ses pas tout le long d’un champ de luzerne qui aboutissait à ce bois. Il marche ensuite toute la nuit. Il sera bien loin, le lendemain, lorsque la justice intervenant s’arrêtera, non pas à l’hypothèse d’un vagabond assassin, mais à celle de quelque amoureux du voisinage. Et voilà le meurtrier parti à grandes enjambées. Il ira jusqu’aux portes de Genève, au Grand-Sacconex, reviendra à Lyon, puis, ayant descendu la vallée du Rhône, assassinera Louise Marcel à la Vaquière. Il faut avoir vu l’endroit du crime pour comprendre combien il était favorable aux desseins du meurtrier. Un lieu désert, un chemin peu fréquenté, une hutte croulante, un bois de pins à proximité. Il n’en faut pas tant à Vacher, qui opère rapidement, puis gagne la forêt et fuit ensuite à une allure telle que, deux heures après, il se trouve assez loin pour que la justice, à laquelle son passage a été signalé, estime que ce vagabond ne saurait être l’assassin, attendu qu’il n’aurait pas eu le temps de franchir en si peu de temps la distance qui séparait le lieu du crime du point où un témoin l’a rencontré. Le soir de ce même jour, il arrive au Canet du Luc, où il simule une attaque d’épilepsie devant le château du marquis de Colbert. Ses vêtemens sont tachés de sang : « Je me suis meurtri, dit-il aux domestiques, en tombant dans des épines au cours d’une crise d’épilepsie. » On lui donne des habits et quelque menue monnaie, et il va, à la faveur de la nuit, grâce à ses excellentes jambes, mettre une distance respectable entre lui et l’arrondissement de Draguignan.

Du Var il se rend dans l’Isère. Après deux mois passés dans une ferme, il regagne Lyon où, à la nuit tombante, dans le quartier de Surville, il tente d’assassiner une marchande d’oranges. Puis il prend bien vite la route de Paris. Le 12 mai, il arrive aux environs de Dijon, où il assassine Augustine Mortureux. Le crime a lieu à dix heures du matin sur une route encombrée de piétons et de bicyclistes qui se rendaient à la fête du Val-Suzon. Du moment que le bois du Chêne est proche, qu’importent les passans à ce scélérat qui, pratiquant — il l’a confié à un codétenu — « le coup du père François, » étranglait en un clin d’œil ses victimes, les transportait à quelques mètres derrière le moindre obstacle, pour les saigner à l’aise, et auquel trois minutes suffisaient pour consommer un crime ?

Les journaux ne parlent pas encore de l’assassinat qu’il est déjà à Semur. De là il revient sur Lyon, s’achemine vers la Savoie en passant par Bénonces (Ain), puis cherche à attirer, à Corbonod, un jeune berger, dans un bois d’où il était sorti tout à coup. Il passe ensuite en Savoie, d’Annecy se dirige sur Chambéry, assassine chemin faisant la veuve Morand, une vieille femme, à Saint-Ours (24 août). De là il revient en quatre jours à Bénonces, où il tue (31 août) Victor Portalier, dans un pâturage désert, au milieu des bois. Il gagne l’Isère, puis la Drôme, où, sur une route traversant un bois, il donne la mort à Aline Alaise. Il égorge, quatre jours plus tard, auprès d’une bergerie, dans une montagne boisée, à Saint-Etienne-de-Boulogne (Ardèche), le jeune Massot-Pelet.

Comment arrêter la marche du monstrueux assassin qui dissimule rapidement sous des feuillages ses victimes, à quelques mètres de l’endroit où il les tue, pour éviter la découverte immédiate de son forfait et se donner le temps de fuir ; qui accumule les kilomètres entre lui et le lieu de l’assassinat avant que le crime ait été découvert ; qui franchit de nouvelles distances pendant que la famille se perd en conjectures sur les mobiles du crime et fournit au magistrat des données erronées ; qui abat de nouvelles séries de lieues, tandis que la justice cherche encore dans le voisinage du théâtre du meurtre ; et qui, ayant parcouru plusieurs départemens au moment où l’on commence à étendre le cercle des recherches, a déjà effacé sa trace, désormais mêlée et confondue avec celle des nombreux chemineaux errans par les routes.

Lui, tranquille cependant, il échappe dans la forêt de Pescheseul au patron d’Alphonsine Derouet, accouru aux cris de cette enfant, dont il avait labouré le visage du talon de son soulier, pour lui faire lâcher prise. Arrêté fortuitement à Baugé pour coups et blessures, neuf jours après, il s’en va trouver dans une prison, — singulière ironie des choses ! — un abri sûr contre les poursuites du parquet voisin.

On a son signalement, comme son état civil : ce qui ne l’empêche pas, à l’expiration de sa peine, de se rendre tranquillement à Paris, de se placer ensuite dans une ferme, en Seine-et-Marne, à Précy, puis de s’acheminer vers le midi de la France, d’assassiner, en passant, Marie Moussier dans l’Allier, Rosine Rodier dans la Haute-Loire, toujours des victimes isolées dans des pâturages déserts, et d’aller jusque sur les confins de l’Espagne et à Lourdes. Revenant sur ses pas, il restera plusieurs semaines à Couloubrac dans le Tarn. A Lacaune (21 février 1897), à minuit, presque sous les fenêtres du juge de paix, il tue à coups de bâton son compagnon de pèlerinage Gautrais, qu’il sait nanti de 200 francs, le vole, revient sans encombre aux environs de Lyon. Il va commettre deux tentatives d’assassinat à Graffigny et Daillecourt (Haute-Marne) le 26 avril et le 1er mai, toujours sur des bergères, au coin des bois où il rentrera précipitamment, parce que des paysans ont surgi dans le voisinage. Ce même jour 1er mai, vers 6 heures du soir, à Vrécourt, rencontrant Jeanne Henrion, âgée de quatorze ans, il l’étouffera et tentera de la violer, — au coin d’un bois encore, car il faut toujours prévoir l’arrivée de quelque fâcheux et se ménager la possibilité de fuir.

Enfin, comme Lyon est son quartier général, il y reviendra et fera deux victimes en quinze jours : l’une à Courzieu dans la nuit noire, toujours sans bruit, grâce au « coup du père François ; » l’autre à la Demi-Lune, dans une maison inhabitée, où il n’aura pas à redouter les indiscrets. C’est enfin dans un bois qu’il attaquera la femme Plantier, suprême tentative avortée, cause de sa perte. Et là encore, sans la commission rogatoire de Belley, il allait, remis en liberté à l’expiration de la peine de trois mois d’emprisonnement prononcée contre lui, continuer, — combien de temps encore ? — à ensanglanter le pays !

Douze crimes du 1er avril 1894 au 4 août 1897, voilà ce qu’il a avoué. Mais la liste sanglante serait autrement longue si l’instruction à Belley avait pu, avant qu’il avouât, connaître la série nouvelle quelle nota dans la suite. Le juge d’instruction n’avait étudié que huit crimes paraissant être l’œuvre du même individu : dès qu’il les reprocha à Vacher, celui-ci les confessa. Si le juge avait pu lui imputer encore les quinze ou seize crimes qu’il lui attribue en outre aujourd’hui, assurément Vacher, déconcerté et se sentant découvert, les aurait également confessés, car trois nouveaux aveux de crimes inconnus ont pu lui être arrachés.

Vacher, outre les assassinats dont il s’est reconnu coupable, serait encore, selon la conviction du magistrat instructeur, l’auteur des crimes suivans. Le 14 avril 1895, une marchande foraine, vendant des oranges, était assaillie dans le quartier de Surville à Lyon, par un individu dont le signalement est bien celui de Vacher. L’agresseur tente de violer cette femme et la menace de son couteau (fait cité). Le 7 septembre suivant, une fille d’une trentaine d’années, Francine Rouvray, est trouvée morte, la gorge coupée, la tête presque détachée du tronc. C’est lui aussi qui vraisemblablement, à Four (Isère), le 22 septembre suivant, a tué à coups de pierres, ensuite volé Madeleine Martelat, veuve Bacconnet, âgée de soixante-quatre ans. Vacher a dit à un témoin qu’il la connaissait et s’est entretenu avec lui de ce crime ; de plus, il était dans la région lorsque le meurtre fut commis. Or, à la même époque, il a assassiné une vieille femme à Hauterive (Drôme).

Le 29 octobre, c’est encore très probablement lui qui a tué, à Parnans, même région, Marie Ageron, veuve Donger, âgée de 66 ans, dont le cadavre a été trouvé dans un bois à 300 mètres de son habitation et à trois mètres d’un sentier, la tête séparée du tronc et le cœur arraché. Deux témoins fort honorables ont fait, le jour du crime, à Parnans même, l’aumône à un vagabond dont le signalement correspond exactement à celui de Vacher. Mais le 23 septembre, le lendemain du crime de Four, il avait étranglé dans la même région, à la Baume-d’Hostun, une autre vieille femme. Il serait encore l’auteur, — selon d’autres témoins, mais le fait n’est pas certain, — du meurtre commis sur le conscrit Louradour, tué à Brive dans les premiers jours de novembre 1896 ; de celui d’Adrienne Reuillard, étranglée à Belfort le 18 mars ; et très sûrement c’est lui qui a assassiné aux Haies, près Condrieu (Rhône), Geneviève Cadet, femme Heymain, trouvée morte dans son habitation, l’artère carotide et la colonne vertébrale tranchées. En juin, il poursuit des jeunes filles et des femmes à Montel-de-Gelat (Puy-de-Dôme). Dans la nuit du 4 au 5 août, il éventre près d’une bergerie, à Volvent (Drôme), la veuve Lagier, âgée de 60 ans.

Enfin, le 24, il prend part à l’assassinat de la veuve La ville, vieille femme du même âge, au Crouzet, commune de Coux (Ardèche). Exceptionnellement, dans l’accomplissement de ce dernier meurtre, il a assisté trois individus, trois « roulans. »

À ce propos, disons que Vacher était connu d’un certain nombre de vagabonds. On l’a vu avec un jeune homme blond dont on observe le passage sur les lieux de certains crimes qui sont demeurés impunis. De plus, il s’est produit au cours de l’instruction un événement singulier. Au moment où la justice était à la recherche du puits où Vacher avait jeté Claudius Beaupied, un vagabond, dont le nom est connu, écrivait de Toulon au juge d’instruction pour indiquer l’emplacement du puits. Cette lettre, tombée au rebut parce qu’elle n’était pas affranchie, revint à Belley un mois plus tard, et le magistrat instructeur put se rendre compte de l’exactitude des indications fournies par son auteur, qui, l’avant-veille de la découverte du puits, en indiquait, depuis Toulon, l’emplacement. L’auteur de la lettre ajoutait : « Si j’étais près de vous, je pourrais vous en dire long sur votre homme aux guêtres et au bonnet à poil. » Il s’agissait de Vacher qui, en effet, était parfois chaussé de guêtres, retrouvées dans son bagage lors de son arrestation.

En résumé, Vacher devait à ses marches et contremarches rapides, à la célérité avec laquelle il opérait, à la disposition des lieux qu’il jugeait propices, l’impunité dont il a si longtemps joui : ce qui revient à dire que c’est précisément son existence de vagabond qui l’a soustrait aux recherches de la justice. On peut affirmer qu’il a fait une éclatante démonstration de l’insaisissabilité des criminels vagabonds.

Ainsi, aux vagabonds assassins qui voudraient égarer les recherches, il ne manquerait que l’habileté pour échapper aux investigations, le secret de l’impunité résidant précisément pour eux, — car Vacher a eu des précurseurs et il a des imitateurs, — dans le mode essentiel de leur existence : à savoir la vie errante éminemment propre à dépister les recherches, et la fréquence des occasions favorables, le passage sur les routes peu suivies, dans les campagnes désertes. Et encore Vacher, parce qu’il obéissait à ses instincts sadiques, n’aurait-il pas fait preuve d’une grande adresse puisqu’en égorgeant, il se couvrait de sang, et diminuait ses chances d’impunité. Nous croyons qu’il a un émule tout aussi expert quant au tour de main, mais plus insaisissable encore, puisqu’il a supprimé cette chance de découverte, les éclaboussures du sang. Nous sommes persuadé, en effet, que parmi les crimes que nous allons énumérer, commis sur de jeunes enfans, la plupart, sinon tous, sont l’œuvre d’un seul et même individu errant à travers la France.

Le 23 avril 1893, à Saint-Germain-Langot, arrondissement de Falaise, une petite fille de 11 ans, Colombe Ledoux, est étranglée et jetée dans un étang. Le 10 juin suivant, dans l’arrondissement de Condom, une petite fille de sept ans est étranglée, souillée, et son cadavre est dissimulé ensuite sous un amas de pierres. Le 18 septembre 1895, à Guise, arrondissement de Vervins, Charlotte Sieur, âgée de 14 ans, est étranglée et jetée dans l’Oise. Le 18 octobre, un mois après, Julien Lefèvre, 16 ans, est étranglé à Saint-Gobert, même arrondissement, et jeté dans la rivière le Vilpin. Le 24 août 1896, à Reims, Maria Clément est étranglée et jetée dans le canal (ce crime pourrait cependant être attribué à Vacher). Le 25 octobre suivant, à Nîmes, le jeune Michel, âgé de neuf ans, est étouffé au tournant de la grande route, par un roulant qui lui fait subir les derniers outrages. Le 18 mars suivant, à Belfort, Adrienne Reuillard, 9 ans, est étranglée avec une corde. Le 30 juin, à Mellecen (Saône-et-Loire), un jeune garçon de 12 ans est assailli dans les champs par un vagabond qui tente de l’étrangler. Même tentative le 6 juillet (six jours après) sur un petit garçon de Nans, à Mercurey. Nous en passons dont nous n’avons pas gardé le souvenir. Chacun de ces assassinats a coïncidé avec la présence d’un vagabond qui a été vu aux environs du lieu du crime.

Citons encore, pour mémoire, 76 crimes signalés au juge d’instruction de Belley ; mais, pour ne nous en tenir qu’aux crimes passionnels qui nous semblent avoir pour auteur le même individu, nous ajouterons que, depuis les aveux de Vacher, une longue série d’assassinats, de la nature de ceux que nous venons de citer, a été relevée par les journaux au fur et à mesure de leur perpétration. Parmi ces crimes, dont la nomenclature serait longue et dont beaucoup nous échappent, citons : l’assassinat par strangulation, le 7 septembre 1897, sur une route, dans l’arrondissement de Sens, d’Alice Maillet, 16 ans (un témoin a vu un vagabond qui la suivait) ; l’assassinat, en octobre, à Nîmes, d’un petit garçon, dans les conditions où avait été tué Michel l’année précédente ; l’assassinat d’une petite fille à Marseille, crime qui eut un grand retentissement dans toute la France ; la tentative d’assassinat dont a été victime la jeune Marie Teixier à Villelongue, commune de Saint-Ours-les-Roches (Puy-de-Dôme), le 18 septembre dernier ; l’assassinat par strangulation, à Tigneu-Jameyzieu (près Bourgoin), de Gabrielle Rousset ; enfin une tentative semblable, nettement caractérisée, sur une jeune fille, au Grand-Abergement près Nantua. Quelques semaines plus tard, cette jeune fille a désigné comme étant son agresseur un vagabond brusquement entrevu. Le juge d’instruction de Belley, en étudiant les dossiers qui lui étaient envoyés, a observé en outre une série d’assassinats doubles et quelquefois triples sur des vieillards de soixante-cinq à soixante-dix ans, invariablement assommés à coups de barre de fer. Il a la conviction que cette série de crimes est l’œuvre de deux ou trois individus dont il a cru entrevoir la trace et qui agissent de concert. Aussi est-il permis d’affirmer que la lugubre série n’est point close et qu’elle ne le sera pas de sitôt. Et, lorsque l’auteur des crimes commis sur des enfans sera arrêté, ce qui arrivera seulement le jour où il sera pris sur le fait, alors on instruira contre lui à raison du dernier crime, du flagrant délit ; mais on ignorera, à moins d’aveux spontanés improbables, qu’il a commis bien d’autres assassinats identiques. Il n’en saurait être autrement ; car le magistrat qui instruira sera hors d’état de découvrir un lien entre le crime qui lui sera soumis et des crimes similaires qu’il ignore.


VI

Préoccupé de cette situation, nous parlions un jour à M. le professeur Lacassagne de l’utilité de la création, au ministère de la justice, d’un service chargé de centraliser les dossiers des crimes impunis et d’opérer entre eux des rapprochemens qui, en permettant de découvrir les similitudes frappantes existant entre les assassinats, les circonstances qui les ont précédés, accompagnés ou suivis, la nature des blessures, les signalemens des individus aperçus dans le voisinage du lieu du crime, etc., mettraient sur la voie des criminels insaisissables. C’est exactement la méthode suivie dans l’affaire Vacher : on a pu en apprécier les résultats.

Nous savons combien il est difficile de mettre la main sur les vagabonds criminels, alors même que leurs signalemens et leurs noms sont connus. Que de fois les recherches restent infructueuses, malgré les télégrammes circulaires et la diffusion des signalemens ! Nous trouvons précisément cette idée exprimée dans le rapport de M. le garde des sceaux au président de la République, précédant un des derniers comptes de justice criminelle : « L’accroissement numérique des commissions rogatoires délivrées, y est-il dit, tient à ce que les magistrats instructeurs font largement usage des ressources croissantes que le progrès des communications met à leur service ; mais il tend à prouver aussi que les malfaiteurs utilisent les mêmes avantages, ce qui rend chaque jour plus difficile la tâche de les atteindre et de rassembler la preuve de leurs méfaits dans une région de plus en plus étendue. Cette considération permet de comprendre pourquoi, malgré les recherches toujours aussi actives des juges d’instruction, la proportion de leurs ordonnances de non-lieu, fondées sur le motif qu’il leur a été impossible de découvrir les auteurs des faits incriminés, a notablement augmenté : de 11 pour 100 il y a vingt ans, à 15 pour 100 en 1894. »

Aussi bien, les moyens d’investigation sont insuffisans. Magistrats, gendarmes et agens de police finissent par se perdre dans le fatras sans cesse grossissant des signalemens plus ou moins vagues reçus de toutes parts. Il faudrait une mémoire merveilleuse pour se les rappeler, car on n’en garde pas copie dans les parquets et les cabinets d’instruction, où ils ne font que passer pour être envoyés dans les brigades de gendarmerie ou à la police, et retourner ensuite au magistrat mandant. Et puis, un signalement en chasse un autre, une confusion s’opère, préjudiciable à la découverte du criminel en fuite.

Dans un fort intéressant article qu’il a publié récemment, dans les Archives d’anthropologie criminelle, sous ce titre : Les transformations de l’impunité, M. Tarde se demande si « les malfaiteurs ont trouvé plus ou moins de ressources que la police et les juges dans le développement des routes, des postes, des chemins de fer, des télégraphes, de la photographie, de la presse et des connaissances médico-légales. » Et il répond : « Le raisonnement ici ne peut servir à rien, la statistique seule peut répondre. Quand la poudre a été inventée, quel logicien aurait pu prévoir d’avance que les conséquences nécessaires de cette invention favoriseraient l’attaque au détriment de la défense des places et qu’il s’ensuivrait le recul du régime féodal devant la monarchie envahissante ? Maintenant il s’agit de savoir si l’attaque de la société par le crime est plus favorisée que sa défense pénale, et a priori c’est douteux. Mais la réponse des chiffres semble être jusqu’ici assez nette et malheureusement pessimiste. De 1831 à 1895, le nombre des faits délictueux ou criminels dénoncés au Parquet s’étant élevé de 114 000 environ à 509 012, c’est-à-dire ayant plus que quadruplé, le nombre des affaires classées sans suite par le parquet a grandi beaucoup plus vite encore. Il a passé de 31 563, en 1831, à 267 763 en 1895. Et l’on peut voir, par l’affaire Vacher, la gravité fréquente des affaires classées sans suite par les parquets. Quand il a été arrêté, on a découvert une vingtaine d’assassinats horribles qui n’ont même pas été instruits, qui n’ont pu l’être faute de tout indice. Mais détaillons et prenons notre point de départ un peu moins haut. En 1861, le nombre des vols impoursuivis de la sorte était de 30 581 ; graduellement, il est monté à 86 874 en 1895. Celui des escroqueries non poursuivies dans le même laps de temps, en 35 ans a passé du chiffre de 1 070 à celui de 8 395 ; il a deux fois quadruplé pendant que la proportion des non-poursuites pour vol doublait ou triplait. Pour les homicides volontaires, comme tous ou à peu près, quand ils sont dénoncés, sont mis à l’instruction, regardons aux ordonnances rendues par les magistrats instructeurs. Dans la période de 1861 à 1865, le nombre moyen, par an, des ordonnances de non-lieu motivées de ce chef pour cause d’insuffisance de preuves ou d’impuissance à découvrir l’auteur de l’homicide, le fait d’ailleurs étant certain, était de 194. Peu à peu, il a grandi et, en 1895, il était de 471. »

Nous avons dit précédemment que les moyens d’investigation étaient parfois insuffisans. Ainsi pense M. Tarde, lorsqu’il déclare « qu’il n’est pas certain ni probable que le mal signalé et bien réel soit imputable aux progrès scientifiques ou industriels. Il l’est bien plutôt, ajoute-t-il, à l’absence des progrès judiciaires, que l’outillage plus perfectionné du crime rendrait nécessaires, et qui sont rendus impossibles par la puérile préoccupation gouvernementale de faire des économies sur le budget de la justice. De là, cette réduction étrange du personnel des cours et tribunaux pendant que la tâche du parquet doublait ou triplait ; de là, cet abus de substituer l’information officieuse, comme moins coûteuse, à l’information officielle plus lente, mais plus sûre, aussi longtemps du moins qu’on n’a pas été obligé de la confier, véritable scandale, aux mains inexpérimentées de jeunes juges suppléans. Enfin, il est notoire que le nombre des brigades de gendarmerie est insuffisant, et que ce corps excellent, le meilleur auxiliaire de la justice, est de plus en plus entravé dans l’exercice de ses fonctions essentielles par les corvées administratives ou militaires dont on le surcharge. Le jour où on le voudra fermement, je suis persuadé qu’on remédiera sans peine à la progression des délits impoursuivis. »

Le tableau tracé par M. Tarde met en une éclatante lumière les vices de l’organisation actuelle et leurs causes. Assurément les magistrats de province, ceux des petites villes surtout, manquent d’auxiliaires, les gendarmes n’ayant pas le temps de les seconder en accomplissant cette partie de leurs fonctions, la plus attachante de toutes, et celle qui a leur préférence, ils ne cessent de le proclamer bien haut. Il convient d’ajouter aussi que les malfaiteurs bénéficient de cette très grave erreur qui consiste à déléguer aux délicates fonctions de l’instruction des magistrats qui n’en ont point le goût, et qui les remplissent sans enthousiasme, sans ardeur, et par suite sans profit pour la sécurité publique. Il ne serait peut-être pas excessif de dire : on ne devient pas juge d’instruction, on naît juge d’instruction.

Parlons enfin d’une question qui a selon nous une importance considérable : les recherches dans les prisons. Les télégrammes, commissions rogatoires, mandats d’arrêt prescrivant des recherches sont transmis par les parquets à la gendarmerie et à la police et quelquefois, mais tout à fait exceptionnellement, ils sont communiqués dans les maisons d’arrêt. La communication aux maisons d’arrêt n’a guère lieu que s’il s’agit de représenter la photographie d’un détenu qui refuse de faire connaître son état civil. Or il arrive très fréquemment que police et gendarmerie explorent en vain les villes et les campagnes, par l’excellente raison que le fugitif qui leur est signalé est détenu en quelque maison d’arrêt, le meilleur des abris contre les recherches. S’il s’agit d’un criminel vagabond, ce cas se reproduira 90 fois sur 100.

Un exemple au hasard. Un individu fut arrêté à Lyon et condamné pour vagabondage. A l’expiration de sa peine, il fut remis en liberté ; le lendemain de son départ, on apprit qu’il s’agissait d’un individu recherché par le parquet d’une ville du Sud-Ouest, dont il avait fui la prison après avoir tué un gardien, et où il avait été condamné à mort par contumace.

Un autre exemple non moins caractéristique de la sécurité offerte aux criminels par le fait de leur détention dans les prisons est le cas déjà cité de Vacher, purgeant tranquillement à Baugé une condamnation à un mois d’emprisonnement pour coups et blessures, tandis que le parquet de la Flèche, arrondissement limitrophe, le recherchait, connaissant son état civil, pour l’attentat commis par lui sur Alphonsine Dérouet huit jours auparavant. Or, l’envoi pur et simple à la prison de Baugé, par le parquet de la Flèche, d’une note indiquant son nom, l’eût mis aussitôt sous la main de la justice. Et plus tard, lors de son arrestation à Champis, si le signalement venant de Belley n’était pas arrivé, par un hasard providentiel, dans le cabinet du juge d’instruction de Tournon au moment où Vacher s’y trouvait, le tueur de bergers, trois mois après, à l’expiration de sa peine, reprenait sa terrible marche, dont il marquait les étapes par du sang et des larmes, des souffrances matérielles et morales : le sang des victimes tombées sous ses coups, les larmes et les souffrances de leurs familles et des malheureux innocens injustement soupçonnés.

Dès lors, une nouvelle mesure s’impose, qui donnerait des résultats très appréciables au point de vue de la découverte des criminels en fuite : l’envoi, dans toutes les prisons, des signalemens des fugitifs et l’obligation pour les gardiens de consulter ces signalemens chaque fois qu’un détenu leur est amené. Le service central de l’identité judiciaire, qui rend d’immenses services en ce qui concerne les individus déjà mensurés, ne saurait suppléer aux recherches dans les prisons, puisqu’on ne peut lui envoyer la fiche anthropométrique du criminel en fuite.

Quelquefois aussi, les juges d’instruction sont aux prises avec de vrais casse-tête chinois imaginés par les vagabonds. On en a vu qui, pour se promener, pour quitter pendant un certain temps la maison centrale, écrivent au magistrat en s’accusant de crimes réellement commis dans son arrondissement, mais dont ils ne connaissent l’existence que par les récits d’autres vagabonds, qui en étaient les auteurs ou qui en avaient entendu parler par leurs auteurs. Ces mystificateurs donnaient sur ces crimes des détails tellement circonstanciés qu’on était tenté d’ajouter foi à leurs aveux. Il y a dix-huit mois, deux inculpés détenus à Grenoble, où ils venaient de subir une condamnation aux travaux forcés, s’accusèrent de vols qualifiés faisant l’objet d’une instruction à Belley. Les aveux étaient précis, circonstanciés, l’information était sur le point d’être close lorsque le juge reçut une lettre d’un troisième individu détenu à la maison centrale de Clairvaux, qui s’accusait de vols commis dans la même région que celle où avaient soi-disant opéré les deux premiers. Il fut transféré à Belley comme ceux-ci ; mais le juge, trouvant étrange cette épidémie d’aveux spontanés et flairant quelque machination, le fit mettre au secret dès son arrivée. Fatigué bientôt de ce régime inattendu, ce prisonnier rétracta ses aveux. Les deux autres persistaient dans les leurs. L’instruction fut serrée de près. Le juge leur demanda des renseignemens détaillés sur la situation topographique des villages où avaient été commis les crimes dont ils s’accusaient, les accula à des contradictions radicales, et finalement établit que les trois compères, qui se connaissaient de longue date, ayant appris la maladie du gardien-chef de Belley, s’étaient donné rendez-vous en cette ville dans l’espoir de garrotter et au besoin de tuer le seul gardien valide restant et de s’évader. Ces trois détenus étaient encore des vagabonds !

Les vagabonds criminels sont aussi, à d’autres égards, une source d’embarras lorsqu’on parvient à les saisir ; quand ils se donnent comme étrangers, par exemple, le contrôle de leur identité n’est point facile. S’il s’agit d’un homme du pays ayant donné un faux état civil, le retour du casier judiciaire, avec la mention : Pas d’acte de naissance applicable, indique au magistrat qu’il a été trompé. Il a alors la ressource d’appeler l’attention du service central de l’identité judiciaire sur la fiche du simulateur, qui sera fatalement démasqué s’il a été condamné déjà, mais seulement s’il a été condamné. S’il s’agit, au contraire, d’un individu se disant né à l’étranger, mais en réalité né en France, le casier central ne portera point la mention : Pas d’acte de naissance applicable, mais seulement la mention : Rien au casier, et par suite le magistrat ignorera qu’il a peut-être devant lui un repris de justice. Ne se trouvant point en présence de la mention : Pas d’acte applicable, il ne demandera pas au service de l’identité de rechercher si l’état civil donné par l’inculpé est bien le sien. Il nous est arrivé, un jour où nous soupçonnions la supercherie d’un détenu qui cachait son identité, de nous adresser vainement à la Préfecture de police pour connaître son état civil. Ayant trouvé cependant, en persévérant dans nos recherches, une indication à la Sûreté de Lyon, nous avons fait photographier l’inculpé, présenté son portrait à sa famille en Corse et obtenu le résultat cherché, alors que le service de l’identité judiciaire possédait cependant, et ne nous envoyait pas, la photographie de l’individu dont il s’agit. C’est celui qui avait été arrêté à la Chambre lors de l’attentat Vaillant. Cet individu était relégable.

L’intérêt des repris de justice à ne pas être reconnus se manifeste surtout lorsqu’ils sont sur la limite de la relégation où les entraînera la première condamnation qui complétera la série exigée pour l’application de cette peine accessoire. À ce propos, nous pouvons affirmer que cette peine de la relégation perpétuelle est, pour la plupart, un sujet d’effroi. Nous avons vu des criminels endurcis, irréductibles, manifester une horreur profonde, une appréhension excessive de ce genre de condamnation. N’est-ce point la meilleure preuve de l’efficacité de cette peine, en tant que préventive et répressive à la fois ? Appliquée rigoureusement, elle aurait le mérite de débarrasser le pays d’une quantité considérable de malfaiteurs dangereux. Si elle ne produit pas tous ses effets, c’est que, en thèse générale, les tribunaux, beaucoup plus indulgens qu’autrefois, prononcent fréquemment des condamnations qui n’entrent point en ligne de compte pour la relégation, alors même qu’il s’agit de criminels endurcis, de récidivistes irréductibles.

L’article 271 du Code pénal punit les vagabonds d’une peine de trois mois à six mois de prison. La peine est de six mois à deux ans, s’ils sont porteurs d’un ou plusieurs effets d’une valeur supérieure à 100 francs dont il ne justifient point la provenance ; elle est de deux ans à cinq ans, s’il s’agit de vagabonds munis de limes et de crochets ou autres instrumens propres à commettre des vols ou autres délits, ou s’ils ont tenté d’exercer quelque acte de violence envers les personnes. Enfin, si les vagabonds qui tentent d’exercer des violences sont munis des instrumens dont il est parlé ci-dessus, ils seront punis de la réclusion. Le maximum de toutes ces peines, applicables aussi aux mendians, sera prononcé contre les individus porteurs de faux certificats, faux passeports ou fausses feuilles de route. D’autre part, les vagabonds peuvent être, accessoirement, condamnés à la relégation perpétuelle en vertu du § 4 de l’article 4 de la loi du 27 mai 1885 sur les récidivistes : il faut pour cela qu’ils aient encouru, outre deux des condamnations prévues par les §§ 2 et 3 (condamnations pour faits qualifiés crime, ou à plus de trois mois pour vol, abus de confiance, escroquerie, etc. ), cinq condamnations, dont deux à plus de trois mois pour vagabondage ou infraction à interdiction de résidence de l’article 19 de la même loi.

En fait, les tribunaux sont peu portés à prononcer des peines sévères contre les vagabonds. On voit de très nombreuses condamnations, à moins de trois mois, se succéder sur les bulletins n° 2 de vagabonds irréductibles, dont la relégation ne dépend plus que d’une ou deux condamnations à plus de trois mois pour vagabondage et qui appartiennent à la catégorie des criminels insaisissables.


VII

Cet aperçu rapide des pénalités édictées contre les vagabonds étant esquissé, il convient de se demander si les sanctions de notre droit pénal sont suffisantes et s’il est permis de croire à leur efficacité. Sinon, le système de répression devrait-il être modifié et de quelle façon pourrait-il l’être utilement ? Il est certes impossible au législateur de faire disparaître les causes du vagabondage, puisqu’elles résident surtout dans la substitution des machines à la main-d’œuvre, le marasme de l’agriculture, la dépopulation des campagnes, la concurrence résultant de l’envahissement des chantiers par des ouvriers étrangers qui se contentent de salaires plus modiques, et autres faits analogues. Mais si les pouvoirs publics sont impuissans quand il s’agit de prévenir ce genre de délit, leur action s’exerce utilement pour restreindre le nombre des vagabonds, ou mieux, le nombre des délits de vagabondage : le mal que l’on ne saurait empêcher de naître peut être enrayé, limité. Toutefois, ce n’est point dans la seule organisation de la police rurale que réside la solution de cette importante question. Vainement des agens de répression plus nombreux, chargés de la police des campagnes, arrêteraient-ils une plus grande quantité de vagabonds ; vainement les tribunaux prononceraient-ils des peines plus longues, et l’emprisonnement cellulaire serait-il substitué à la prison en commun : ces moyens, préconisés par M. Gomot (cité par M. Bérard), seraient inefficaces. Pour s’en rendre compte, il suffit de réfléchir à la situation faite aux vagabonds à l’expiration de leur peine. Dans la plupart des maisons d’arrêt, en effet, les détenus en cours de peine ne peuvent se constituer que des pécules insignifians quand ils ne sont pas nuls. Par le temps qui court, un ouvrier résolu et courageux et d’un passé irréprochable peut ne point trouver, du jour au lendemain, de l’occupation ; mais la situation est pire encore pour un homme démoralisé par la détention et plus ou moins déguenillé, qui vient de subir sa peine. Quelle confiance inspirera-t-il avec des vêtemens en loques, un air misérable et, pour toutes références, un certificat constatant qu’il sort de prison ? S’il n’a pas de pécule, il lui faudra mendier ; s’il a un pécule, celui-ci ne sera pas suffisant pour lui permettre de vivre jusqu’à ce qu’il ait trouvé du travail. Aussi est-il voué à la vie errante, à la mendicité, en attendant le vol inévitable, le crime probable, la relégation. L’emprisonnement cellulaire, s’il le soustrait au contact dissolvant, meurtrier, des détenus parvenus à l’état de corruption irrémédiable, ne lui évite pas la rechute à bref délai. S’il demande du travail, ayant un reste d’énergie, on le repoussera, car, pour reprendre une expression de M. l’avocat général Bourdon, il est disqualifié aux yeux du public, un libéré étant toujours un suspect. Aussi, de tous les détenus, les vagabonds sont-ils ceux qui protestent le plus hautement contre le casier judiciaire, obstacle, pour eux souvent insurmontable, à la reprise du travail.

Donc, ni l’augmentation du nombre des agens de répression, ni l’emprisonnement cellulaire ne seraient un remède suffisant ; et les peines plus longues ne rempliront le but qu’en tant qu’elles compléteront le nombre de condamnations requis pour la relégation.

Naturellement, nous ne nous occupons pas ici des vieillards et des infirmes, de ces pauvres créatures promenant leurs souffrances, leurs plaies, leurs corps mutilés sur tous les points du territoire et que les principes de solidarité sociale font un devoir à la nation de retirer de la circulation en les recueillant dans des asiles. Ceux-là relèvent des principes de charité qui ont leur source dans la pitié, une des meilleures choses qui soient en l’homme. Nous ne traitons ici que la question des vagabonds valides et dangereux.

On a proposé, comme remède au mal, de détenir les vagabonds pendant le temps nécessaire à l’acquisition d’un pécule suffisant pour leur permettre de subsister en attendant de trouver de l’occupation. Nous considérons que le moyen serait encore inefficace. D’abord le libéré a toujours contre lui sa situation d’ancien détenu, mais ce n’est pas la seule raison qui nous a déterminé à contester l’efficacité du remède proposé. Nous savons, en effet, pour avoir observé attentivement de nombreux vagabonds, de tempéramens les plus divers, que le pécule, même considérable, sera rapidement gaspillé. Un détenu vagabond fort intelligent, auquel nous avons demandé son sentiment sur ce point, nous a fait une réponse intéressante : « Lorsque le détenu sortira de prison, même après cinq ans de détention, son pécule fût-il de 1 000 francs, il l’emploiera à boire et à s’amuser. Il ne saura pas l’utiliser ; chez lui, le moral est affaibli fatalement, quelle qu’ait été son énergie primitive. Il lui faut, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’éducation de l’argent ; il lui faut quelqu’un pour le guider dans la mise en œuvre de ses ressources pécuniaires. » Ainsi me parla mon vagabond et il tint, en cette circonstance, le langage de la logique et du bon sens. Il aurait pu ajouter qu’une période de privation est nécessairement suivie d’une réaction qui porte davantage vers le plaisir l’homme qui a souffert : le fruit qui lui a été si longtemps défendu exerce sur lui une attraction d’autant plus irrésistible. Pourquoi, sinon pour cette cause, tant d’ouvriers gaspillent-ils en deux ou trois jours le salaire de toute une semaine ? Et n’est-ce point en vertu de ce principe que le règne du plaisir s’est établi triomphant, au lendemain du 9 Thermidor, sur les ruines de la Terreur ?

Notre vagabond philosophe nous dit encore que ses nombreuses observations l’avaient amené à concevoir le plan d’un système de colonie permettant d’enrayer le vagabondage. Il avait étudié de près diverses colonies agricoles qui lui paraissaient défectueuses, en ce sens que l’on n’y distinguait pas entre les bons et les mauvais naturels. La colonie de son rêve comprendrait trois catégories : dans un premier local, les arrivans seraient mis en observation, puis ils passeraient dans un deuxième local où ils seraient soumis à un contrôle ; on noterait leur caractère, leurs aptitudes, etc. Ils seraient traités selon leur tempérament, car le vice fondamental des colonies existantes, c’est l’application d’un régime uniforme à des gens de natures diverses réunis pêle-mêle. « Si vous mettez, ajoutait-il, des fruits sains en contact avec des fruits qui se gâtent, ils ne tarderont pas à se gâter à leur tour : pourquoi voulez-vous que la corruption des vagabonds vicieux avec lesquels ils sont entassés n’atteigne pas les vagabonds capables encore de bons sentimens et susceptibles d’être régénérés ? Pour les mêmes raisons, disait-il, chacun aurait sa cellule, à cause des mœurs, car vous ne vous faites pas une idée de ce qui se passe dans la prison en commun et des habitudes qu’y contractent les jeunes détenus ; certains souffrent de la vue de choses révoltantes, mais ils se taisent : on ne tient pas à se faire tuer à sa sortie de prison. Les uns travailleraient donc à l’exploitation agricole adjointe à l’établissement et l’on soumettrait les autres à des travaux conformes à leurs aptitudes. Une part de la rémunération impartie à chacun lui serait abandonnée ; l’autre moitié servirait à lui constituer un pécule ; au bout d’un certain temps, il serait loisible aux colons de reprendre leur liberté, mais on les avertirait en même temps qu’ils ne seraient plus reçus qu’une fois seulement dans la colonie. On leur remettrait au départ leur pécule et un carnet indiquant les notes qu’ils auraient obtenues et surtout des données sur leur caractère. Si, après un deuxième séjour, ils reprenaient de nouveau leur liberté, on les avertirait qu’ils s’en vont définitivement, et que le premier délit qu’ils commettront entraînera pour eux la relégation : ainsi en disposerait une loi. C’est le seul moyen, concluait notre vagabond, de faire une sélection et d’éliminer les criminels irréductibles. »En l’écoutant, je pensais vaguement à l’abbaye de Thélème.

Cette théorie nous a cependant paru digne d’être citée, en tant qu’elle révèle un état d’esprit assez inattendu chez un malheureux dont le casier judiciaire est chargé d’assez nombreuses condamnations.

A propos de la loi sur la relégation, il s’anima. « Ah ! monsieur, on parle de la création d’une armée coloniale : mais nous en avons une toute faite ! Que de travaux n’exécuterait-on pas avec tous ces milliers de gens sans feu ni lieu et sans espoir ! Pourquoi ne pas utiliser tant de bras inertes aux colonies, au lieu de sacrifier des jeunes gens utiles à leurs familles dans la métropole ? Si la relégation, au lieu d’être une peine, était une chose facultative et que l’on vînt dire dans les prisons : « Quels sont ceux qui veulent aller en relégation ? » tous lèveraient la main ; et la France continentale serait débarrassée de cette multitude d’individus nuisibles dans leur misère. Ces êtres lamentables rendraient des services si l’on savait les utiliser. Beaucoup de vagabonds avaient vu autrefois un débouché dans le remplacement militaire : ne pourrait-on leur offrir le débouché de l’armée coloniale, en leur faisant entrevoir l’espoir d’une concession quelconque, la perspective d’une situation stable dans l’avenir ? »

Ainsi, notre vagabond avait une dose de philosophie qui lui avait permis de séjourner dans les milieux les plus corrompus sans devenir assassin ou voleur. Il n’avait subi que des condamnations pour vagabondage. En dernier lieu cependant, mourant de faim, il était entré dans une auberge où il s’était fait servir quelque nourriture qu’il était hors d’état de payer ; encore s’était-il montré raisonnable, n’ayant consommé que pour 1 fr. 50. « A la dernière extrémité, nous dit-il, je préfère encore cela au vol : ce n’est après tout que la filouterie d’alimens, et il y a une nuance. »

En somme, cette question du vagabondage est un problème extrêmement grave. Celui qui le résoudra aura bien mérité de la société ; il aura réduit le nombre des voleurs et des assassins ; il aura sauvegardé la propriété et prévenu de nombreux attentats contre la vie humaine ; et il aura enfin tari la source infinie des souffrances souvent imméritées de tant de milliers d’êtres humains promenant, d’un bout à l’autre d’un pays prospère, leurs vêtemens en haillons, leur cœur ulcéré, leur corps meurtri, triste asile d’une pauvre âme sans espoir. Pour nous, dont le but a été surtout de consigner ici une série d’observations prises sur le vif et qui n’avons pas la prétention de résoudre le redoutable problème, nous nous contentons de soumettre à qui de droit l’opinion de notre vagabond philosophe. Y a-t-il vraiment là une indication ? c’est à d’autres que nous d’y regarder de plus près. En tout cas, cette solution elle-même soulèverait une foule d’autres questions qui devraient être débattues avant qu’on l’adoptât et que nous ne nous sommes pas proposé aujourd’hui d’examiner.


E. FOURQUET.

  1. Nombre des vagabonds arrêtés dans le département de l’Ain avant et après l’affaire Vacher : 1897 : Bourg 83, Helley 16, Nantua 11, Gex 6, Trévoux 28. — 1898 : Bourg 173, Belley 102, Nantua 34, Gex 25, Trévoux 122.
  2. Alfred Rambaud, Histoire de la Civilisation contemporaine en France, p. 486.
  3. Alfred Rambaud, ouvrage cité, p. 708.
  4. Voyez le rapport présenté par M. de Marcère, sénateur, au nom de la commission extra-parlementaire, nommée à cet effet, et dont il a été le président.
  5. M. Lacassagne. Note extraite de La loi de sursis (Discours de M. l’avocat général Bourdon à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Lyon du 17 décembre 1898).
  6. Alfred Rambaud, Ouvrage cité, p. 506.