Les Vêtemens et les Habitations dans leurs rapports avec l’atmosphère

Les Vêtemens et les Habitations dans leurs rapports avec l’atmosphère
Revue des Deux Mondes3e période, tome 58 (p. 396-439).
LES
VETEMENS ET LES HABITATIONS
DANS LEURS RAPPORTS AVEC L'ATMOSPHERE

I. Pottenkofer, Populäre Vorträge, 1877. — II. F. et E. Putzeys, l’Hygiène dans la construction des habitations privées, 1882. — III. Bouchardat, Traité d’hygiène publique et privée, 2e édition, 1888. — IV. A. Proust, Traité d’hygiène, 2e édition, 1881. — V. H. Dessoliers, de l’Habitation dans les pays chauds, 1882. — VI. A. Morin, Manuel pratique du chauffage et de la ventilation, 1874.

Des milliers de petits faits, saisis par des yeux attentifs, consacrés par des témoignages renouvelés et transmis de générations en générations, constituent lentement ce fonds de notions empiriques où la vie de tous les jours puise ses règles pratiques ; ses recettes et ses axiomes, mélange de sagesse et d’erreurs. Mais une expérience bien conduite qui s’inspire d’une idée générale a une tout autre portée : elle révèle les rapports des choses et met quelque vérité simple à la place d’un amas encombrant des faits particuliers. Cette supériorité de l’expérimentation directe sur la méthode expectante, notre ressource ordinaire, étant depuis longtemps reconnue, on s’étonne parfois d’en rencontrer si peu de traces dans les questions où elle rendrait les services les plus précieux, et notamment dans une foule de questions d’hygiène où l’absence de données positives et précises se fait encore vivement sentir.

C’est ainsi que le nombre des savans qui ont daigné s’occuper des propriétés physiques des étoffes employées à la confection de nos vêtemens est encore fort restreint. Les étoffes, on n’en parle que pour en discuter l’aspect, la couleur ou le prix. De même aussi, les matériaux dont se sert l’architecte ne sont guère étudiés qu’au point de vue économique. Sur la fonction des vêtemens, sur l’hygiène des habitations, bien des recherches resteraient à faire ; à en juger par les résultats déjà obtenus, ceux qui les entreprendraient ne perdraient pas leur temps. C’est en parcourant les remarquables conférences de M. Pettenkofer, ou le livre que viennent de publier MM. F. et E. Putzeys, qu’on peut se faire une idée de la grandeur du champ qui s’ouvre ici aux expérimentateurs familiarisés avec les méthodes scientifiques. J’essaierai, en profitant de ces publications récentes, d’exposer brièvement ce que la science peut nous apprendre sur les maisons et les vêtemens considérés dans leurs rapports avec l’atmosphère.


I

Le vêtement est comme une armure qui nous aide à soutenir le combat contre les élémens, et l’importance de cette enveloppe protectrice s’accroît à mesure que l’homme s’éloigne des contrées chaudes pour habiter des climats plus rigoureux. Est-ce pour lui laisser toute liberté de se vêtir à son gré, de s’accommoder aux climats, aux saisons et aux heures du jour, que la Providence s’est dispensée de le pourvoir d’un vêtement naturel ? Les fourrures et les plumages si libéralement départis aux animaux ne leur constitueraient plus dès lors une supériorité, et ce point de vue n’a pas échappé aux anciens philosophes qui se sont demandé si les animaux avaient été mieux ou moins bien traités que nous.

La maison, à son tour, n’est pour ainsi dire qu’un vêtement amplifié, vêtement temporaire, plus solide que l’autre, et pouvant nous fournir un abri autrement sérieux. Réduite à une simple tente, elle ne laisse pas de présenter quelque analogie avec le manteau. Comme le vêtement, la maison a donc été inventée pour nous protéger ; mais l’une des erreurs les plus communes, erreur qui a donné lieu à bien des contresens en matière d’installation et d’habillement, consiste à regarder la maison et le vêtement comme essentiellement destinés à nous isoler de l’air extérieur. La vérité, c’est que l’une et l’autre ne sont que des régulateurs de nos indispensables et incessans rapports avec l’air ambiant.

Ces rapports ne peuvent être bien compris si nous n’essayons pas de nous rendre compte des phénomènes complexes par lesquels se maintient, au milieu des influences les plus diverses, la température du corps. On sait d’abord que la chaleur animale est produite par les métamorphoses chimiques qui s’accomplissent dans les tissus, et principalement (mais non exclusivement) par la combustion des alimens assimilés et entraînés dans la circulation, que l’oxygène respiré transforme en acide carbonique et en eau. Les combustions élèvent la température du sang, et le liquide chaud, qui pénètre partout, réchauffe l’organisme à peu près comme une maison est chauffée par un calorifère à eau. L’activité de la respiration, et la consommation d’oxygène, se ralentit pendant le sommeil ; elle s’accroît, au contraire, quand nous prenons de l’exercice, une partie de la chaleur produite étant alors transformée en travail mécanique. On peut admettre que les poumons d’un homme adulte qui ne prend que peu d’exercice reçoivent par vingt-quatre heures 10 mètres cubes d’air et absorbent environ le quart de l’oxygène contenu dans cet air, soit 650 grammes d’oxygène. La chaleur dégagée par les actions chimiques qui en résultent peut s’élever, en moyenne, à 2,000 ou 3,000 calories ; elle suffirait pour porter à l’ébullition de 20 à 30 litres d’eau, ou pour faire monter de 3 degrés par heure la température du corps. Depuis sa naissance jusqu’à sa mort, l’homme doit ainsi, sans repos, faire aller les soufflets qui entretiennent le feu au foyer de la vie.

En dépit de cette incessante production de chaleur sensible, qui, selon les circonstances, peut augmenter ou diminuer de 50 pour 100, la température du corps reste à peu près invariable. Dans l’état de santé, elle est toujours très voisine de 37 degrés, et c’est tout au plus si l’on observe des variations de 1 degré en plus ou en moins. Et cependant nous savons que, dans certaines régions du globe, les températures moyennes mensuelles présentent des écarts qui peuvent aller à 64 degrés : à Yakoutsk, en Sibérie, les températures moyennes des mois de janvier et de juillet sont respectivement de — 42° 8 et de + 18° 8 ; à Verkhoïansk, elles sont de — 49°0 et de + 15° 4. On a noté, à Yakoutsk, au mois de janvier, un minimum de — 62° 0 et au mois de juillet un maximum de + 38° 8 ; à Verkhoïansk, — 63° 2 en décembre et + 30° 1 en août[1]. Ainsi, l’écart des températures extrêmes observées à Yakoutsk dépasse 100 degrés. Mais l’écart des extrêmes que l’homme peut supporter est beaucoup plus grand si l’on tient compte des maxima qui ont été observés dans quelques lieux du globe. Dans un village des bords de la Mer-Rouge, MM. Ferret et Galinier ont observé, six jours de suite, au mois d’août 18Ù2, des températures comprises entre 45 et 50 degrés[2]. Ritchie et Lyon ont noté 56 degrés, à l’ombre de l’oasis de Mourzouk ; Sturt, 54 degrés près de la rivière Macquaire, en Australie ; Tamisier, 52° 5 à Abou-Arich, en Arabie. Le 20 juillet 1847, par un sirocco brûlant, M. le docteur Armand a eu 48 degrés dans un gourbi et 63° 7 sous une tente au camp de l’Oued-Merdja, dans les gorges de la Chiffa ; un thermomètre directement exposé au soleil marquait 72° 5. Il est bien connu, au surplus, que pendant un temps très court, l’homme peut supporter des températures encore bien plus élevées, grâce à une abondante inspiration, comme le prouvent les expériences faites dans des étuves ou des fours. Blagden a pu supporter pendant sept minutes une température de 126 degrés ; un certain Martinez pouvait, paraît-il, en s’enveloppant la tête d’une pièce d’étoffe, demeurer un quart d’heure dans un four où le thermomètre accusait 170 degrés. Sous l’influence de ces températures excessives, le sang s’échauffe jusqu’à) 40 ou 42 degrés, et le pouls s’accélère comme dans les fièvres, violentes ; mais ce sont là des situations anormales. Dans les circonstances ordinaires, la température du sang ne s’élève guère au-delà de 38 degrés, même sous les climats les plus chauds.

La constance de la température du corps est une condition indispensable de la santé pour les animaux à sang chaud. Nous avons vu que, chez l’homme, la température normale est de 37 degrés ; elle paraît comprise entre 35 et 40 degrés chez les mammifères en général, entre 39 et 43 degrés chez les oiseaux. Elle ne varie notablement que chez les animaux ; improprement dits à sang froid qui prennent la température du milieu ambiant[3]. Quels sont les moyens dont la nature dispose pour suppléer à l’insuffisance de la chaleur intérieure pour en éliminer le surcroit nuisible et ramener les organes à la température qui convient à l’accomplissement régulier des phénomènes de la vie ? Ces moyens sont très variés. Quand l’alimentation devient insuffisante, la calorification s’effectue aux dépens des tissus de l’animal, que l’on voit alors maigrir ; l’herbivore devient temporairement Carnivore. Quand la chaleur est produite en excès, l’organisme s’en débarrasse encore très vite par une foule d’issues : en effet, le corps peut se refroidir par rayonnement, par évaporation et par conductibilité ou contact[4]. On admet qu’en temps ordinaire le rayonnement enlève la moitié, les deux autres voies chacune un quart de la chaleur nuisible. Mais ces rapports sont loin d’être constans ; ils varient avec les circonstances extérieures. L’évaporation est la soupape qui règle les pertes de chaleur en complétant, à point nommé, l’action de la conductibilité et du rayonnement.

Le rayonnement nous enlève donc une forte partie du calorique produit en excès. L’intensité de cette radiation, par laquelle la chaleur du corps va se dissiper alentour, est proportionnelle à la différence qui existe entre la température propre du corps et celle du milieu ambiant ; elle augmente dans le voisinage d’un objet très froid. On s’explique ainsi, par exemple, cette sensation de froid qui persiste, après que le feu a été allumé dans une pièce qui n’avait pas été chauffée depuis longtemps, quand la température de l’air, dans cette pièce, approche déjà de 20 degrés, tandis qu’on s’y trouve à son aise avec une température de 17 degrés seulement après un chauffage réitéré. C’est que, dans le premier cas, les murs et les meubles sont encore froids et nous soutirent beaucoup de calorique en provoquant le rayonnement du corps. La perte devient moindre, et la sensation de froid disparait, une fois que les objets qui nous entourent ont pris une température d’environ 15 degrés. On comprend aussi qu’il soit dangereux, en hiver, de rester longtemps assis près d’un mur, d’une fenêtre, qui refroidit un seul côté du corps par un rayonnement excessif.

C’est pour une raison analogue qu’on a trop chaud dans une salle remplie de monde, quand la température de l’air n’y dépasse pas 20 degrés. En effet, la présence d’un grand nombre d’individus, qui tous ont une température propre de 37 degrés, empêche le rayonnement latéral, et l’excès de chaleur n’est plus enlevé que par les courans d’air ou par une transpiration plus abondante. On s’évente alors, afin d’activer le refroidissement par convection et par évaporation, en amenant une plus grande quantité d’air au contact de la peau. Et si, quittant la salle où l’on étouffe, on va « respirer » dans une pièce voisine restée vide, on s’étonne d’apprendre que, dans cette pièce, un thermomètre marquerait à peu près la même température que dans la salle ; on y a moins chaud parce que le corps y rayonne plus librement. — L’agréable sensation de fraîcheur que nous procure l’ombre des forêts est due à la température relativement basse des arbres qu’une évaporation active maintient à environ 5 degrés au-dessous de la température de l’air : ils facilitent ainsi le rayonnement de la peau.

Le corps humain se refroidit encore, nous l’avons dit, par convection, en échauffant l’air qui le baigne, et la perte est d’autant plus sensible que l’air est plus froid, et plus souvent renouvelé. Un individu peut se comparer à un calorifère autour duquel montent incessamment de faibles courans qui emportent de l’air chaud ; pour en constater l’existence, il suffit, d’après M. Pettenkofer, de placer un anémomètre très sensible entre le gilet et les vêtemens extérieurs : le petit moulinet se met à tourner sous l’action des courans. L’atmosphère en apparence la plus calme est d’ailleurs agitée, à notre insu, par une foule de mouvemens qui échappent à nos sens parce que les courans d’air ne commencent à impressionner nos organes que lorsque leur vitesse approche de 1 mètre par seconde : une vitesse de 0m,50 n’est généralement pas perçue ; on peut s’en assurer en agitant lentement la main. La facilité avec laquelle les parfums, qui sont des effluves matériels, se répandent dans un air calme est une preuve indirecte de l’existence de ces courans. Il est clair que cette agitation perpétuelle de l’atmosphère contribue puissamment à la réfrigération du corps ; l’effet cependant est beaucoup plus marqué en plein air, où nous sommes exposés à l’action des vents.

Dans nos climats, la vitesse moyenne des courans d’air qui sillonnent l’atmosphère libre peut être estimée à 3 mètres par seconde, de sorte que l’air fait en moyenne onze kilomètres par heure. En admettant maintenant que la surface du corps exposée aux courans est de 1 mètre carré, il passe sur un homme qui se promène pendant une heure en moyenne 11,000 mètres cubes d’air frais. On voit, soit dit en passant, que les médecins qui réclament pour chaque malade, dans une salle d’hôpital, 60 mètres cubes d’air par heure, ne demandent en somme que cent quatre-vingts fois moins que la quantité d’air dont peut jouir un habitant de la campagne. Le nombre de calories que les courans d’air nous enlèvent à chaque instant est difficile à évaluer, car on manque de données sur la température que les couches d’air prennent pendant leur rapide passage sur une surface chaude ; il n’en est pas moins sûr que la perte de chaleur est très sensible par un vent froid, comme chacun a pu le constater par lui-même.

Dans les pays chauds, on recherche l’ombre, non-seulement parce que l’air y est plus frais, mais encore parce qu’il y est plus agité, grâce aux différences de densité qui naissent d’un échauffement inégal. La ressource suprême dans les jours de forte chaleur, c’est, pour les Anglais de l’Inde, retirés dans leurs bungalows, le punka, cette longue pièce de toile suspendue au plafond, à laquelle une corde dans la main d’un indigène imprime un mouvement de va-et-vient par-dessus les têtes des assistans. Les serviteurs se relaient et l’immense éventail s’agite sans relâche ; malgré tout, les maîtres s’aperçoivent que la civilisation dispose de moyens plus variés et plus efficaces pour combattre le froid que pour nous garantir de la chaleur. C’est la raison qui fait que l’Européen s’acclimate si difficilement sous les tropiques. L’Indou réduit sa calorification intérieure en se nourrissant très peu ; mais aussi il manque d’énergie, et sa capacité de travail est extrêmement faible. Le travail assidu exige une plus grande quantité d’alimens, et il en résulte en même temps un excès de chaleur nuisible, car l’organisme ne peut convertir en travail mécanique qu’environ 25 pour 100 du surcroît de chaleur qu’il produit en exerçant un effort soutenu. Il ne faut donc pas chercher à produire moins de chaleur, mais à nous débarrasser de celle qui est produite.

Comme réfrigérant, l’eau est bien plus efficace que l’air, à cause de sa conductibilité beaucoup plus grande : à température égale, un bain d’eau nous rafraîchit plus qu’un bain d’air ; mais les bains sont un moyen d’un usage nécessairement limité. L’important serait d’abaisser la température de l’air qui arrive au contact du corps.

Le problème général de la réfrigération en pays chauds, qui est en quelque manière le problème du chauffage retourné, a été étudié à fond par M. H. Dessoliers dans un livre récent où l’on trouve développées toutes les solutions qu’il comporte[5]. Nous y reviendrons plus loin en parlant de la ventilation. Pour le moment, nous n’avons en vue que les moyens naturels par lesquels le corps se débarrasse d’un excès de chaleur, et il nous reste à considérer l’évaporation pulmonaire et cutanée. Sous les tropiques, quand le thermomètre marque plus de 37 degrés à l’ombre, le corps ne peut plus se refroidir ni par contact ni par rayonnement ; il ne reste à la chaleur nuisible qu’une seule voie par où elle puisse s’écouler : il faut qu’elle soit dépensée à vaporiser l’eau que la transpiration amène à la peau et à la muqueuse de l’appareil respiratoire.

La quantité d’eau exhalée par les poumons est, en règle générale, la moitié de celle qui est excrétée par la peau ; à l’état de repos, le corps perd en 24 heures respectivement 300 grammes et 600 grammes par ces deux voies, en tout 900 grammes d’eau qui se transforment en vapeur ; mais ces quantités peuvent être doublées et triplées lorsque, sous l’influence d’un excès de chaleur intérieure, la transpiration ouvre ses écluses. Or la vaporisation d’un kilogramme d’eau à 37 degrés absorbe 580 calories ; la transpiration nous enlève, par conséquent, au moins 500 calories en 24 heures, c’est-à-dire une quantité de chaleur qui suffirait pour faire bouillir 5 litres d’eau. La vapeur qui se dégage ainsi se répand dans l’air ambiant, qui l’absorbe avec d’autant plus de facilité qu’il est plus sec, c’est-à-dire plus éloigné de son point de saturation. En effet, pour une température donnée, il existe toujours une limite de la proportion de vapeur que l’air peut contenir : lorsqu’elle a été atteinte, on dit que l’air est saturé. A 37 degrés, le mètre cube d’air peut contenir 44 grammes d’eau à l’état de vapeur ; à 30 degrés, il en peut contenir 30 grammes, et à zéro 5 grammes seulement. Le plus souvent, ainsi qu’il résulte des indications de l’hygromètre, l’air atmosphérique ne renferme que les trois quarts ou même que la moitié de la quantité de vapeur qui répond à la saturation complète ; mais il n’est jamais tout à fait sec, et la vapeur qu’il contient déjà diminue d’autant la quantité de celle qu’il peut encore recevoir.

La différence qui existe à cet égard entre l’air sec et l’air plus ou moins humide est d’autant plus marquée que la température s’élève davantage, puisque le poids de la vapeur hygroscopique augmente en même temps. A la température de zéro, cette différence ne peut se traduire que par 5 grammes au maximum, tandis qu’â 30 degrés elle peut être six fois plus forte. En effet, un mètre cube d’air sec, échauffé par la respiration jusqu’à 37 degrés, pourrait enlever à nos poumons 44 grammes de vapeur aqueuse. Supposons maintenant que l’air que nous respirons soit à zéro et saturé de vapeur : il en contiendra déjà 5 grammes et n’en pourra plus recevoir que 39 au lieu de 44 en s’échauffant à 37 degrés ; la différence est assez peu sensible. Mais s’il possède déjà une température de 30 degrés et qu’il soit saturé d’humidité, il contiendra naturellement 30 grammes de vapeur par mètre cube, et ne pourra plus en absorber que 14 grammes au lieu de 44 quand sa température s’élèvera à 37 degrés ; l’évaporation ne nous fera perdre que 8 calories au lieu de 25. Pour les 10 mètres cubas d’air que nous respirons en moyenne par 24 heures, cela fait 80 au lieu de 250 calories ; l’écart est de 170 calories. On voit que l’effet réfrigérant de la respiration sera très différent suivant le degré de sécheresse de l’atmosphère, quand la température extérieure approche de 30 degrés. A zéro, la différence ne s’élèverait pas à 30 calories. — Une atmosphère à la fois très chaude et très humide nous paraît si lourde parce qu’elle empêche l’évaporation de l’eau que la transpiration amène à la surface du corps. Le vent lui-même perd alors son pouvoir de dessiccation. Voilà pourquoi les climats chauds et humides sont beaucoup plus malsains que les climats chauds et secs.

Lorsque la calorification intérieure s’accroît par suite d’un exercice violent, l’excès de chaleur sensible est éliminé par un rayonnement plus intense, par des courans d’air ascendans, et surtout par une transpiration plus abondante ; il arrive ainsi qu’après quelques heures d’un effort soutenu, on observe souvent un léger refroidissement du corps. C’est ce que MM. Pettenkofer et Voit ont pu constater plus d’une fois avec un grand appareil à respiration, au moins quand l’appareil était soumis à une ventilation suffisante. Le travail excessif refroidit le corps, parce qu’il use trop rapidement les matériaux disponibles. M. Bouchardat cite, à cet égard, deux exemples propres à frapper les esprits. « Des chiens, dit-il, qui ont été emportés pendant une longue journée par la passion de la chasse, que cherchent-ils tout d’abord en rentrant au logis ? Un foyer à la flamme pétillante qui les garantisse de toutes les chances de refroidissement. Et ces pauvres enfans surmenés, dans les houillères de la Belgique, par un travail excessif pour leurs forces, en rentrant au logis, avant de satisfaire leur appétit, on les voyait s’étendre brisés près d’un feu ardent. »

En somme, les moyens de réfrigération dont la nature dispose sont assez variés ; ils se complètent et se substituent l’un à l’autre, selon les circonstances ; mais il faut éviter les changemens trop brusques qui surprennent l’organisme en plein travail d’accommodation ; il faut éviter les à-coups. « L’organisme, dit M. Pettenkofer, est un serviteur prudent et fidèle, qui se tire d’affaire, lui et son maître, si on lui laisse le temps de se débrouiller et qu’on se garde de le bousculer. »

Le corps, exposé tout nu au contact de l’air, n’est pas tout à fait sans défense contre la chaleur et le froid ; il peut, jusqu’à un certain point, régler lui-même la dépense de calorique par l’intervention des nerfs vasomoteurs qui vont aux capillaires de la peau. Le froid provoque le rétrécissement des petits vaisseaux, et, en restreignant la circulation périphérique, diminue le rayonnement et la transpiration, de façon à protéger pendant quelque temps les organes internes[6]. Au contraire, la chaleur dilate les vaisseaux, le sang afflue à la surface, le calorique est en quelque sorte chassé au dehors. Sous l’action du froid, nous voyons la peau de la main pâlir ; la chaleur produit l’effet inverse ; « il y a là une sorte de réflexe de protection[7]. » Malheureusement ce régulateur automatique dont le jeu est commandé par les nerfs se détraque trop facilement, et ses ressorts se relâchent trop vite. Nous pouvons sans doute le fortifier par l’exercice, nous endurcir, habituer, le corps à supporter les intempéries, et il est des peuples et des individus qui arrivent, sous ce rapport, à des résultats prodigieux. Mais l’endurcissement a des limites, et il n’est point à la portée de tout le monde. Les vrais régulateurs de la chaleur du corps sont les vêtemens.

II

Le voile le plus léger est déjà un vêtement, en ce sens qu’il modère la déperdition de chaleur que le rayonnement fait éprouver au corps nu. C’est ainsi qu’un ciel nuageux protège la terre contre le refroidissement excessif pendant les nuits de printemps ; le serein ne tombe que lorsque les nuages font défaut. En nous couvrant d’enveloppes multiples, dont nous augmentons l’épaisseur protectrice à mesure de la rigueur des saisons, nous arrivons à ralentir le rayonnement du corps comme par une suite d’étapes ou de relais. Le linge, les vêtemens de dessous, le manteau, nous constituent plusieurs épidermes artificiels. La chaleur que la peau abandonne va chauffer ces enveloppes superposées ; elle les traverse d’autant moins vite que les étoffes sont plus mauvais conducteurs ; parvenue à la surface, elle s’échappe, mais sans nous faire éprouver les frissons que nous causerait le contact direct de l’atmosphère, puisque ce sont nos vêtemens qui ont froid pour nous. Les poils et les plumes des animaux remplissent la même fonction par rapport à la peau : ils servent à éloigner du corps le siège de l’échange calorifique. Ce qui rend encore plus efficace la protection que nous devons à nos vêtemens, c’est qu’ils sont toujours ouatés d’une couche d’air tiède dont la température se maintient généralement entre 24 et 30 degrés. Chacun de nous a ainsi sa petite atmosphère particulière qui l’accompagne partout et se renouvelle sans se refroidir. L’animal, sous sa fourrure, trouve aussi un surcroît de protection dans la couche d’air qui remplit les interstices des poils. C’est grâce à l’air qu’elles renferment que les étoffes moelleuses, les fourrures, les plumes, tiennent si chaud, comme nous l’expliquerons dans la suite plus amplement.

Il y avait évidemment un grand intérêt à déterminer par des expériences directes les différences qui existent entre les diverses étoffes au point de vue de la facilité avec laquelle elles se laissent traverser par la chaleur. Le premier qui se soit livré à des expériences de ce genre, c’est, si je ne me trompe, le célèbre comte de Rumford, à qui l’on doit aussi des recherches sur la nature de la chaleur, sur les moyens d’économiser le combustible, sur le pouvoir nutritif des substances alimentaires, et qui a donné son nom à une soupe économique, à un foyer d’une construction particulière, à un thermoscope, etc. Il a été l’un de ceux qui ont pressenti la théorie mécanique de la chaleur. Les expériences dont il s’agit ici furent exécutées vers 1786. Rumford se servait d’une boule de verre de 0m,04 de diamètre, surmontée d’un tube par lequel il introduisait dans la boule un thermomètre enveloppé de la substance à examiner. La boule était plongée d’abord dans l’eau bouillante, puis dans un mélange réfrigérant, et l’on notait le temps que le thermomètre mettait à descendre de 70 degrés à 10 degrés Réaumur, en d’autres termes à perdre 60 degrés Réaumur (75 degrés centigrades). Il nous suffira de citer quelques-uns de ses résultats. Quand le thermomètre était à nu, il se refroidissait en 9 minutes 1/2. Lorsqu’il était recouvert de toile, le refroidissement demandait 13 minutes. Avec des enveloppes formées d’autres substances, il fallait des temps de plus en plus longs : fil de lin ou de coton, 14 ou 15 minutes ; fil de soie ou de laine, 15 ou 16 minutes ; charpie de toile, bourre de coton, 17 minutes ; laine de mouton, 18 minutes 1/2 ; soie grège, 21 minutes ; édredon, poil de lièvre, 22 minutes.

Ces expériences furent répétées, avec quelques modifications, par Senebier, et plus tard par Bœckmann (1812). On doit à ce dernier quelques observations sur le refroidissement, à l’air libre, de boules de bismuth ou d’argent, recouvertes tour à tour d’enveloppes de crêpe, de taffetas, de mousseline, de flanelle, de peau de daim, de duvet ; les trois premiers tissus ont donné sensiblement les mêmes résultats, et la couleur des étoffes s’est montrée à peu près sans influence ; la flanelle, la peau et surtout le duvet ont paru retarder le refroidissement. Une série d’expériences instituée en 1833 par James Starck, avec l’appareil de Rumford, a donné pour la laine noire des durées de refroidissement ou de réchauffement beaucoup plus courtes que pour la laine blanche ; mais il est difficile de dire si ces différences sont dues à la couleur de la laine ou bien à la nature du pigment employé, au mode d’apprêt, etc. En cherchant à coordonner les résultats de ces expériences anciennes, plus nombreuses que précises, on rencontre tant de contradictions qu’on renonce à en tirer des conclusions pratiques. Il est trop clair que l’épaisseur des étoffes, et surtout leur texture, exercent ici une influence plus grande que celle qui est attribuée à la matière dont elles sont faites, ou à leur couleur. En outre, ces expériences sur la perméabilité dès tissus manquent de netteté en ce qu’elles ne permettent pas de démêler ce qui est dû à la conductibilité des matières employées et ce qui dépend de leur pouvoir émissif, c’est-à dire de la nature des surfaces.

On doit à M. Coulier[8] de nouvelles recherches sur cette matière qui ont donné quelques résultats intéressans. M. Coulier observait le refroidissement d’un vase cylindrique de laiton mince, recouvert de chemises de diverses étoffes, et rempli d’eau à 50 degrés. Il a constaté que le refroidissement était plus rapide avec une enveloppe de toile de coton ou de chanvre qu’avec une enveloppe de drap. En exposant au soleil des tubes de verre garnis d’enveloppes, il a vu les tissus blancs de coton s’échauffer beaucoup moins que le drap bleu. A l’ombre, en opérant avec la chaleur obscure, la couleur des étoffes paraissait à peu près indifférente.

Les expériences les plus récentes sont celles du docteur Krieger, dont M. Pettenkofer cite quelques résultats. M. Krieger a observé la marche du refroidissement d’un cylindre de tôle rempli d’eau chaude et recouvert tour à tour de diverses étoffes. En le revêtant successivement d’une enveloppe de laine, de peau de daim, de soie, de coton, de toile, et en notant toujours l’abaissement de la température dans un temps donné, il n’a trouvé que des différences insignifiantes, ne dépassant pas 1 ou 2 pour 100. La couleur des étoffes n’a pas fait varier davantage les résultats. Il semblerait donc que, tant qu’il s’agit de chaleur obscure, le pouvoir émissif, et le pouvoir absorbant qui en est corrélatif, ne varient guère d’une étoffe à l’autre. Il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit de chaleur lumineuse, c’est-à-dire des rayons solaires. Avec des enveloppes de toile, de coton, de flanelle, de soie, M. Krieger a vu l’absorption de chaleur s’élever dans les proportions indiquées par les nombres suivans : 90, 100, 102, 108. Beaucoup plus grande a été l’influence de la couleur ; pour des cotonnades diversement teintes, il a trouvé les nombres ci-après :


Blanc 100 Vert foncé 168
Paille 102 Rouge turc 165
Jaune 140 Bleu clair 198
Vert clair 155 Noir 208

Ces nombres expliquent pourquoi, au grand soleil, un vêtement noir est beaucoup plus chaud qu’un vêtement blanc, tandis que la différence disparaît lorsqu’on se trouve à l’ombre. Au demeurant, l’influence des couleurs sur les pouvoirs absorbans des surfaces avait été déjà mise en lumière par les recherches de Leslie et de Melloni.

Pour avoir une idée du rôle que joue, dans ces phénomènes, la conductibilité proprement dite des diverses matières, M. Krieger a cherché dans quelle mesure la déperdition de calorique diminuait lorsque le cylindre était recouvert d’une couche double des mêmes étoffes. Il s’est trouvé qu’en doublant la couche de satin, de cotonnade, de toile fine, on ne diminuait la perte de chaleur que de 3 à 6 pour 100 ; le doublement des enveloppes de peau de daim, de flanelle, de drap plus ou moins épais, diminuait la perte de 10, de 20 et même de 30 pour 100. Le résultat le plus clair de ces expériences, c’est que la résistance que les étoffes opposent au passage de la chaleur dépend beaucoup moins de la conductibilité des fibres textiles qui en forment la substance que de l’épaisseur, du volume, de la contexture des tissus. C’est ce qu’on peut aussi mettre en évidence en observant le refroidissement du cylindre enveloppé d’une couche d’ouate ; dès que la ouate est fortement comprimée, la dépense de chaleur augmente de 40 pour 100. C’est pour cette raison qu’une robe de chambre ouatée, un gilet de flanelle épais, sont plus chauds lorsqu’on les met pour la première fois qu’après avoir été portés quelque temps. Le tassement qui rapproche les filamens rend l’étoffe plus perméable à la chaleur.

Si le doublement de l’enveloppe a peu d’influence quand les deux couches sont bien tendues et serrées contre le cylindre, il n’en est plus de même lorsque, entre la seconde et la première, on laisse un demi-centimètre ou un centimètre d’intervalle. Dans ce cas, défalcation faite de ce qui est dû à la conductibilité des deux couches réunies, on constate un retard du refroidissement qui s’élève à 30 ou 35 pour 100, et qui vient de la couche d’air interposée, puisqu’il est indépendant de la nature des enveloppes. Il s’ensuit que, dans certains cas, un vêtement nous tiendra plus chaud s’il est ample que s’il est collant ; on sait que les gants trop justes, les souliers trop étroits, protègent mal contre le froid. Mais ce raisonnement suppose que la couche d’air protectrice reste immobile ; or le plus souvent un vêtement ample et flottant favorise la circulation de l’air, et il nous parait dès lors moins chaud ; c’est pourquoi on le préfère en été, et sous les climats tropicaux.

Nous voilà toujours ramenés à ce fait capital que l’obstacle le plus sérieux que puisse rencontrer la propagation de la chaleur dans un corps est la discontinuité de ses élémens. Cela se comprend si l’on songe que la chaleur est un mouvement : tout ce qui dérange la continuité moléculaire contrarie la transmission des vibrations. La chaleur passe difficilement lorsqu’elle est obligée de sauter d’une fibre à l’autre en traversant des intervalles occupés par un fluide mauvais conducteur ; sa marche est retardée par tous ces transbordemens. Les vibrations sonores sont aussi arrêtées par les corps très divisés, tels que les tissus épais dont on fait les rideaux et les portières. L’expérience de tous les jours nous fournit mille preuves de cette influence de l’état de division des matières. Tout le monde sait à quel point la cendre, le sable sec, le charbon pilé, la paille, sont propres à empêcher la transmission de la chaleur. Les navires qui transportent des cargaisons de glace de Boston à Calcutta reçoivent les blocs emballés dans de la sciure de bois ; on parvient ainsi à les conserver au moins en partie. Des torrens de lave, coulant sur un lit de cendres qui recouvrait une couche de glace, ont laissé la glace intacte ; on garnit de cendre la double paroi des armoires de sûreté. Sous la neige en flocons spongieux, les plantes sont préservées de la gelée, et elles gèlent quand la neige vient à être trop tassée. Pour protéger les espaliers, on les couvre de paille. Des murs à double paroi de bois, garnis de sciure, seraient très utiles, n’était le danger d’incendie. Dans les fourrures des quadrupèdes et dans le plumage des oiseaux, nous retrouvons des corps mauvais conducteurs divisés à l’infini. Le duvet du cygne et celui de l’eider sont des merveilles d’adaptation au but.

Dans la fabrication des tissus destinés à nous vêtir, ces principes sont, d’une manière plus ou moins inconsciente, mis à profit. On obtient des vêtemens très chauds avec des tissus légers, lâches et spongieux, pouvant retenir dans les interstices de leurs fibres un grand volume d’air ; j’ai dit : retenir, il serait plus juste de dire : laisser passer. En effet, l’air tiède que renferment nos habits n’est pas immobile, il circule et se renouvelle sans cesse en filtrant à travers les enveloppes que nous croyons, à tort, destinées à nous isoler du milieu ambiant. C’est même une condition essentielle pour un bon vêtement de ne pas mettre obstacle à la ventilation. Les étoffes les plus chaudes laissent passer l’air plus facilement que les tissus réputés frais. M. Pettenkofer a démontré cette vérité en mesurant les volumes d’air qui traversaient, sous la même pression et dans le même temps, une série de tubes fermés par des morceaux d’étoffes de nature diverse ; les nombres suivans donneront une idée de leur perméabilité relative :


Flanelle 100 Drap fort 58
Toile 58 Peau de daim 51
Soie 40 Peau glacée 1


La flanelle est donc cent fois plus perméable à l’air qu’un gant glacé et cependant nous savons qu’elle tient infiniment plus chaud. En mettant des couches doubles, on ne modifie que très peu les volumes d’air transmis.

Ainsi, nos vêtemens sont continuellement aérés par un échange dont l’activité dépend de la température extérieure, du degré d’agitation de l’atmosphère et de la porosité des tissus ; l’essentiel est que cet échange soit assez lent pour que les nerfs du toucher n’en soient point affectés. Les vêtemens sont des sortes de petits calorifères à circulation d’air chaud, maintenus à une température de 25 ou 30 degrés. Ce qu’il y a de plus chaud, c’est une pelisse de fourrure ; mais ce n’est pas seulement la peau, ce sont surtout les poils qui gardent la chaleur, bien que leur masse soit relativement insignifiante : l’efficacité de cet appareil de chauffage est due, avant tout, à l’air interposé. M. Krieger a fait à cet égard une expérience instructive : il a noté les pertes de chaleur de son calorimètre, entouré d’abord d’une fourrure à l’état naturel, puis de la peau complètement rasée, enfin de la même peau enduite de vernis à l’huile de lin ou d’une solution de gomme arabique ; dans ces quatre cas, les. pertes sont représentées par les chiffres suivans : 100, 190, 258, 296. La peau débourrée laisse donc perdre deux fois plus de chaleur que la fourrure, et la perte est triplée par le vernis, qui bouche les pores.

On a fait mourir des chiens et des lapins en rasant leur peau et en la couvrant d’un vernis ; la mort, dans ce cas, n’est pas due à la suppression de la transpiration, mais au froid, comme l’a déjà reconnu M. Fourcault il y a quarante ans. M. Krieger a constaté qu’un lapin, complètement rasé et enveloppé d’un linge mouillé, se refroidissait à tel point, dans une chambre où l’air était à 19 degrés, qu’au bout de cinq heures la température de son sang était descendue de 39° 8 à 24°5 ; dans le même temps, la fréquence de la respiration allait en diminuant et tombait de 100 à 50 inspirations par minute. Introduit dans une cage chauffée à 30 degrés, l’animal ne tarda pas à se rétablir.

Les fourrures sont d’autant plus chaudes que leur poil est plus fin, sans doute parce que l’air qui circule dans les interstices est ainsi chauffé plus efficacement. Il se forme autour du corps des animaux à fourrure des couches superposées d’air dont la température décroît depuis la peau jusqu’aux extrémités des poils ; en hiver, ces animaux paraissent froids au toucher, et la zone des échanges recule vers la peau à mesure que le froid devient plus vif. Le corps de l’animal se refroidit alors principalement par convection, par la ventilation qui enlève incessamment l’air échauffé. Lorsque l’atmosphère est très agitée, le froid pénètre bien plus facilement à travers les fourrures et aussi à travers nos pelisses, comme le savent bien les voyageurs qui ont visité les pays du Nord.

Il résulte de tout ce qui vient d’être dit que les étoffes appelées imperméables sont en général antihygiéniques parce qu’elles mettent obstacle à l’aération des vêtemens de dessous. Ces sortes de guérites portatives nous protègent, à la vérité, contre la pluie, mais elles excitent la sueur et l’empêchent de se vaporiser ; elles sont très gênantes par les temps doux et calmes. La préparation des tissus imperméables paraît avoir été inventée par les Indiens, on y emploie des dissolutions de caoutchouc fixées par compression entre deux couches d’étoffe, ou bien on double une étoffe très légère de feuilles de caoutchouc excessivement minces. MM. Girardin et Bidard ont indiqué un autre moyen de rendre les tissus imperméables : il consiste à les tremper dans des solutions d’alun et de savon. On peut aussi employer le savon et le sulfate de cuivre. Un manteau de caoutchouc à capuchon, muni d’un respirateur en bourre de coton, comme on a pu en voir cet hiver à l’exposition de la Health Society de Londres, est un vêtement utile pour les visiteurs des hôpitaux en temps d’épidémie.

Une propriété fort importante des étoffes est enfin leur hygroscopicité. Tous les tissus sont hygroscopiques : ils condensent l’humidité atmosphérique et s’en imprègnent d’autant plus vite, que l’air est plus saturé de vapeur et, par conséquent, moins capable de favoriser l’évaporation. Cette condensation, cette espèce de rosée, se produit surtout quand la température s’abaisse. Les recherches auxquelles M. Coulier s’est livré à cet égard prouvent que l’eau absorbée par une étoffe se divise en deux parties : l’une qui ne se laisse pas reconnaître au toucher et qu’on ne peut exprimer, — c’est l’eau hygrométrique proprement dite ; l’autre qui bouche les pores, qu’on peut en faire sortir par la compression et que M. Coulier appelle eau d’interposition. D’après ses expériences, la laine est plus hygroscopique que la toile de chanvre, et la toile l’est plus que le coton.

M. Pettenkofer, de son côté, a comparé sous ce rapport une pièce de toile et une pièce de flanelle de même surface et de poids à peu près égaux (12 grammes et 11 grammes respectivement). Séchées d’abord à la température de 100 degrés, les deux étoffes étaient exposées ensemble dans des locaux plus ou moins humides, et on mesurait les variations de poids qu’elles avaient subies après quelques heures d’exposition. Il s’est trouvé que la laine était beaucoup plus hygroscopique que la toile, — presque deux fois plus ; — ainsi, dans une cave où le thermomètre marquait 3 degrés, le poids de la pièce de flanelle avait augmenté, au bout de 12 heures, de 16 pour 100, celui de la pièce de toile de 8 pour 100 seulement. Dans une autre occasion, l’augmentation constatée fut de 13 et de 11 pour 100. Mais les variations se manifestaient proportionnellement plus vite pour la toile et se continuaient ensuite plus longtemps pour la laine, comme le montrent les chiffres suivans, empruntés à un des tableaux de l’auteur, et qui représentant le poids de l’eau absorbée par 1,000 grammes du tissu :

Toile. Flanelle
Cave à 4°,4 après 12 heures 111 175
Salle à 4°,5 après 4 heures 93 160
4°,5 après 3 heures 94 148
5°,5 après 15 heures 85 146
Chambre à 21°,0 après 10 minutes 73 113
21°,0 après 10 minutes 52 96
21°,5 après 10 minutes 45 87
21°,5 après 10 minutes 43 82
20°,5 après 15 minutes 42 78
20°,0 après 15 minutes 42 77

On peut constater des différences analogues entre les diverses étoffes lorsqu’elles sont humectées directement par immersion, La toile se mouille plus vite que la laine, mais c’est la laine qui, en définitive, absorbe le plus d’eau. De même, la toile sèche plus vite. M. Pettenkofer a trouvé qu’une pièce de toile et une pièce de flanelle, trempées dans l’eau, puis tordues vigoureusement, retenaient encore des quantités de liquide qui représentaient, pour la première, 74 pour 100, pour la seconde 91 pour 100 de leur poids. Les deux pièces ayant été exposées à l’air dans une chambre où le thermomètre marquait 20 degrés, la toile, au bout d’une heure et un quart, avait perdu 51 pour 100, la laine 45 pour 100 seulement ; une heure après, la toile s’était encore allégée de 17 pour 100, la flanelle de 26 pour 100 ; la toile ne retenait donc plus qu’environ 6 pour 100, la flanelle encore près de 20 pour 100 d’eau hygrométrique.

La quantité d’eau que les étoffes sont capables d’absorber est évidemment plus considérable qu’on ne le suppose communément. Un vêtement de laine pesant 5 ou 6 kilogrammes peut se charger de près d’un litre d’eau, qui ajoute un kilogramme à son poids, et qui, pour se vaporiser complètement, devrait emprunter au corps de 5 à 600 calories I On voit aussi que les tissus absorbent plus d’humidité quand la température est basse que lorsqu’elle approche de 20 degrés. Or, les vêtemens mouillés conduisent mieux la chaleur que les vêtemens secs, et par suite nous protègent beaucoup moins contre les refroidissemens ; de là le danger du froid humide. Comment se fait-il cependant que la laine, bien qu’elle soit plus hygroscopique que la toile, nous garantisse mieux des effets de l’humidité ? Cela tient d’abord à la lenteur avec laquelle l’eau est absorbée ou abandonnée par les étoffes de laine, puis aussi à leur indestructible porosité.

A mesure que l’eau bouche les mailles et les pores d’un tissu, ce dernier devient moins perméable à l’air ; les étoffes à mailles serrées, telles que la toile, les cotonnades, la soie, éprouvent cet effet bien plus vite que les étoffes de laine. Comme le fait remarquer M. Pettenkofer, l’élasticité des fibres est pour beaucoup dans cette persistance de la porosité : les fibres de la laine, même mouillées, ne perdent que très peu de leur élasticité et empêchent les pores de se fermer, tandis que les filamens du lin, du coton, de la soie, s’amollissent tout à fait sous l’influence de l’humidité et ne résistent pas à l’envahissement de l’eau. C’est pour cette raison que la laine mouillée nous refroidit beaucoup moins que le linge mouillé. Il est vrai qu’une chemise de toile ou de soie a pour elle d’être plus fraîche, parce qu’elle éponge plus complètement la sueur et la laisse évaporer.

Ces expériences, qu’il y aurait intérêt à reprendre et à multiplier le plus possible, nous font déjà apercevoir nettement l’influence capitale que l’écartement des fibres exerce sur les propriétés physiques des étoffes ; il faut évidemment considérer une étoffe comme un tissu formé de matière textile et d’air. Les propriétés des fibres elles-mêmes ne pourraient nous renseigner que d’une manière très incomplète sur les effets physiques que procurerait leur assemblage ; l’arrangement des fibres, le mode d’apprêt, voilà, le plus souvent, le point important. Il y a lieu de croire qu’en cherchant dans cette voie, encore si peu explorée, on arriverait à des résultats d’un certain intérêt qui permettraient de mieux utiliser quelques-unes des innombrables matières textiles que la nature a mises à la disposition de l’industrie[9].

Les hygiénistes, en parlant de diverses étoffes, se contentent d’ordinaire de les classer vaguement par ordre de « conductibilité, » en désignant par ce mot la facilité plus ou moins grande qu’elles paraissent offrir au passage de la chaleur. On admet que la conductibilité décroît dans l’ordre suivant : lin ou chanvre, coton, soie, laine. Les tissus fabriqués avec le lin, le chanvre et le coton sont réputés les plus frais ; ils se mouillent aisément et refroidissent la peau à la fois par conductibilité et par évaporation. « La toile de chanvre et de lin est donc, dit M. Bouchardat, de toutes les matières destinées aux vêtemens, celle qui favorise le plus les affections résultant de l’impression humide sur la peau. » Mais, pour beaucoup de personnes, cette fraîcheur, cette douceur de la toile est un avantage des plus appréciés.

Le tissu de coton laisse moins échapper de chaleur, absorbe et retient une partie de la transpiration et se refroidit moins vite par évaporation ; son usage est en général plus avantageux que celui de la toile. Une opinion très répandue veut que le coton soit moins sain que le chanvre ou le lin : cette opinion, ou ce préjugé, tient à ce que, moins bon conducteur, hérissé de plus d’aspérités, le coton irrite davantage la peau, examinées au microscope, les fibres du coton paraissent anguleuses et raides, celles du lin sont rondes et lisses. Le coton ne convient pas dans les affections cutanées, mais, dans ce cas, la laine, plus tomenteuse et plus chaude, serait encore plus nuisible. « C’est cela seul, dit M. Bouchardat, qui doit avoir donné lieu au préjugé répandu, et c’est là aussi le seul cas où toute autre matière, que le chanvre et le lin bien lavés, bien fins et bien usés, ne peut être que nuisible. Hors ce cas, le tissu de coton a sur la toile l’avantage d’être plus chaud en hiver et pendant l’été de ne point exposer le corps aux dangers d’un refroidissement trop rapide. Le coton doit être employé de préférence au chanvre et au lin par les habitans des pays froids et humides. » La laine est encore plus irritante que le coton, grâce à la raideur des poils dont elle est hérissée ; mais l’excitation qu’elle produit, lorsqu’on peut la supporter, devient un moyen thérapeutique toutes les fois que la peau a besoin d’un stimulant. Malheureusement l’usage de la laine sur la peau peut devenir la source des infirmités pour la guérison desquelles il est indiqué, lorsqu’une éducation trop douillette nous en fait contracter l’habitude trop tôt et sans motifs. Il en résulte facilement une prédisposition fâcheuse aux rhumes, aux rhumatismes, aux névralgies et, l’habitude une fois prise, on ne peut sans danger y renoncer. Mais l’usage de la laine est précieux dans certains pays et dans certaines conditions de vie.

Un écrivain connu par ses recherches sur la malaria, le professeur Brocohi, attribue à l’habitude de porter des vêtemens de grosse laine la belle santé et la vigueur des anciens Romains : dès qu’ils commencent à les abandonner pour se vêtir d’étoiles plus légères et notamment de tissus de soie, ils deviennent moins vigoureux et ne résistent plus aussi bien à l’influence morbide du mauvais air. C’est l’époque où les femmes portent des étoffes si fines qu’on les appelle vent tissé, ventus textilis, nuage de lin, nebula linea. C’est aussi l’époque où l’on commence à se plaindre de l’insalubrité de l’air de Rome. M. le docteur Balestra, dans son intéressante étude sur l’Hygiène dans la ville de Rome et la Campagne romaine, n’est pas éloigné de reconnaître qu’il y ait dans ces vues une part de vérité, quoiqu’en somme l’insalubrité croissante du climat de Rome s’explique par l’abandon de la culture, et que le changement général de la manière de vivre rende suffisamment compte de l’affaiblissement physique des générations. En tout cas, le vêtement de laine doit être considéré comme un excellent préservatif dans les contrées infectées de malaria. « Dans l’armée et la marine anglaises, dit M. Balestra, on oblige les soldats qui sont en garnison dans des lieux malsains, à porter constamment de la laine sur la peau et à se couvrir de vêtemens suffisans, afin de les protéger contre les fièvres paludéennes, la dyssenterie, le choléra et d’autres maladies[10]. D’après Pâtissier, des mesures semblables ont été trouvées efficaces pour protéger la santé des ouvriers occupés à élever des digues, à ouvrir des canaux et des fossés dans les terrains marécageux, tandis qu’avant l’emploi de ces précautions la mortalité par suite des fièvres était considérable parmi eux. Ce serait encore une sage mesure si nos soldats, dans la zone de la province romaine et dans les régions de malaria, ne cessaient de porter de la laine sur la peau pendant l’été, ou des vêtemens de drap. » En effet, le pantalon et la veste de toile s’imprègnent de sueur pendant la marche et deviennent dangereux quand le soldat se repose ensuite à l’air libre.

Les propriétés hygiéniques de la laine sont dues, d’abord à une légère rudesse de la surface, qui excite les fonctions de la peau, puis à cette porosité qui, ainsi que nous l’avons expliqué, modère la dépense de calorique et empêche le refroidissement trop brusque du corps. En excitant la sécrétion cutanée, M. Balestra pense que la flanelle contribue à éliminer du corps les miasmes paludéens absorbés par les pores en même temps qu’à le débarrasser des dépôts qui causent les affections rhumatismales. Cette hypothèse est confirmée par la singulière connexité qui semble exister, sous ces climats, entre les fièvres rhumatismales et les fièvres intermittentes. En outre, grâce à leur duvet, les étoffes de laine arrêtent au passage une partie des germes charriés par l’air, qui arrive ainsi à la peau filtré et purifié. M. Balestra a constaté ce pouvoir filtrant des tissus de laine épais et velus par des expériences directes faites dans les régions paludéennes. Inutile d’ajouter que ces vêtemens protecteurs devront être souvent mis à la lessive.

Après les tissus de laine, vient le coton, encore préférable à la toile, parce qu’il excite doucement la peau. La soie aussi est chaude à la peau. « Elle peut en hiver être substituée à la flanelle ; si on voulait la porter sur la peau pendant l’été, on la supporterait difficilement, à cause de la chaleur excessive qu’elle provoqua, » Enfin M. Balestra insiste sur l’utilité qu’il y a, pour les habitans des campagnes malsaines, à ne jamais sortir sans un manteau ou une couverture de laine, en prévision des changemens atmosphériques ; les anciens Romains portaient bien sur la tunique les amples vêtemens de dessus, qui ne les quittaient jamais. Il n’est pas moins important de se bien couvrir pendant la nuit ; c’est une précaution recommandée à tous ceux qui séjournent sur un terrain marécageux. Nous nous étonnons parfois de voir les indigènes de quelques pays chauds surchargés de vêtemens de laine : l’Arabe toujours enveloppé dans son burnous, le paysan espagnol toujours drapé dans les plis de son manteau couleur tabac. Ces vêtemens les protègent à la fois contre les rayons du soleil et contre la fraîcheur des nuits : ce sont d’excellens régulateurs de la chaleur. C’est une dangereuse imprudence, lorsqu’on veut voyager dans les contrées méridionales, de ne pas se munir de vêtemens chauds.

Babinet, pour juger a priori du mérite relatif des diverses étoffes, se place à un point de vue particulier. « Les fibres textiles des végétaux, dit-il, ne sont pas, dans la nature, des vêtemens de plantes ou d’animaux ; elles font partie de la plante elle-même, elles n’avaient donc pas besoin d’être isolantes et préservatrices du froid. Passons au coton : c’est déjà le vêtement de la graine d’une plante ; cette substance doit donc être déjà un peu plus préservatrice. Elle est moins conductrice que les filamens qu’on extrait des plantes ligneuses. La soie, qui enveloppe un insecte dans une de ses transformations, habille un être vivant ; de là sa plus grande propriété vêtante. » La laine, les poils, le duvet, étant de chauds vêtemens donnés par la nature à une foule d’animaux, il s’ensuit encore qu’ils sont prédestinés à fournir la matière de nos habits. Au contraire, les fibres minérales de l’amiante, dont on a fait des toiles incombustibles, le byssus de certains coquillages, et notamment la belle soie nacrée de la pinne-marine, dont on fait en Sicile des châles, des gants et des bas, toutes ces matières, qui ne sont pas créées pour servir de vêtement, fournissent des tissus très frais. Il y a dans cette théorie une part de vérité ; mais il ne faut pas oublier que l’industrie fait subir aux matières en. question des transformations qui en modifient profondément les propriétés naturelles.

La coiffure achève le vêtement, comme le toit couronne la maison. Elle préserve la tête de l’insolation ou du froid, la protège contre les accidens. Mais je ne sais s’il faut prendre au pied de la lettre la condamnation sommaire que M. Bouchardat prononce contre nos couvre-chefs lorsqu’il ajoute : « A part ces conditions, dans nos pays tempérés, la meilleure coiffure est de n’en point avoir, comme il était d’usage chez nos aïeux les Gaulois. Jusqu’à l’âge de vingt ans, je n’ai porté aucune coiffure, et je n’ai pas eu à m’en repentir. » Contentons-nous de dire que la coiffure doit être légère et bien aérée. D’après les expériences de M. Troupeau, les coiffures de forme conique et arrondie sont plus fraîches que les coiffures à fond plat, et préférables dans les pays chauds. Le chapeau de soie, de haute forme, s’il n’est guère pittoresque, est cependant une coiffure éminemment hygiénique, appropriée à nos climats d’Europe ; il recouvre la tête d’une couche d’air qui la protège efficacement. Quant à la coiffure féminine, ce sont les cheveux qui en constituent aujourd’hui la partie essentielle.

Le lit n’est pas seulement un meuble indispensable pour assurer notre repos, — meuble insaisissable heureusement, refuge précieux où le moderne Antée retrouve des forces pour les luttes de la vie, — il est, à vrai dire, un vêtement de nuit. Comme les autres vêtemens, il doit être à la fois chaud et perméable à l’air. La chaleur que le corps cède aux matelas et aux couvertures est continuellement enlevée par l’air qui les traverse, a Les couches destinées à régler l’écoulement de la chaleur, dit M. Pettenkofer, sont ici plus épaisses que dans les vêtemens qui nous couvrent pendant le jour, pour deux raisons : d’abord parce que, la circulation étant moins active pendant le repos et le sommeil, il se dégage moins de chaleur ; ensuite parce que, dans la position horizontale, les courans ascendans nous refroidissent plus vite que dans la position verticale, où ils montent des pieds à la tête en parcourant tout le corps. » La chaleur du lit favorise ainsi la circulation périphérique et soulage les organes intérieurs chargés d’entretenir la calorification. Se passer de lit pendant plusieurs jours de suite constitue une grande privation, non-seulement parce que les membres se reposent mal, mais encore parce qu’il en résulte des troubles de l’économie. Mais, d’autre part, un coucher trop chaud et trop mou est mauvais, parce qu’il maintient le corps dans un état de moiteur qui affaiblit le système musculaire et alanguit toutes les fonctions. Les lits de plume sont plus souvent nuisibles qu’utiles ! Ce qui les rend si chauds, c’est l’air qu’ils contiennent. Les matelas d’air, qu’on fait enfler au moyen d’un soufflet, paraissent être aussi chauds que les lits de plume. L’oiseau, lui aussi, veut s’envelopper, pour dormir, d’un peu de chaleur : il se gonfle, hérisse ses plumes, se met en boule ; son vêtement de nuit est une épaisse couche d’air.

Je me suis efforcé de mettre en lumière quelques-uns des principes qui se dégagent des récentes recherches sur la fonction des vêtemens. L’importance de ces principes une fois bien reconnue, nous verrons peut-être s’introduire des modifications de la forme des vêtemens, plus intéressantes que celles qu’amènent les caprices de la mode. Beaucoup de mes lecteurs, sans doute, se rangeront à l’avis de M. Proust, pour qui, sauf les détails assez variables de la coupe, nos habits sont maintenant définitifs, ayant acquis l’inamovibilité des choses utiles ; mais voilà qu’en Amérique il se manifeste une vive agitation en faveur d’un changement du costume féminin. Il faut en convenir, les raisons de goût et d’esthétique dominent encore trop la question du costume, qu’elles réduisent à une question de parure. On ne peut s’empêcher de songer aux profondes et plaisantes considérations qu’inspire à Ch. Darwin le spectacle de riches plumages et des ornemens. parfois gênans, par l’étalage desquels les animaux cherchent à se faire distinguer, aidant ainsi inconsciemment les desseins de la nature en fait de sélection.


III

La maison, elle aussi, est comme un vaste et ample vêtement, destiné à régler nos rapports avec le milieu ambiant, à nous affranchir de sa tyrannie, mais nullement à nous en isoler. Elle ne doit pas, ou plutôt, — car on l’oublie trop souvent ! — elle ne devrait pas nous priver d’air. Heureusement il n’est pas de prison volontaire si bien calfeutrée où l’air du dehors ne trouve accès à notre insu.

Le fait que l’eau pénètre facilement à travers un mur ou un plafond est connu de tout le monde : les taches qui se forment nous en avertissent suffisamment. Mais l’air qui traverse les murs ne se voit pas, et l’on se figure volontiers que rien ne passe au travers. C’est une erreur : les murs ne nous empêchent pas de rester en communication avec l’air extérieur, même en faisant abstraction des jointures des portes et des fenêtres par lesquelles s’introduisent continuellement des courans. Pourquoi d’ailleurs un gaz subtil ne passerait-il pas où l’eau trouve un chemin ? Disons-le tout de suite, cette porosité des murs n’est pas un mal, loin de là ; nous verrons qu’elle est nécessaire pour empêcher l’humidité des habitations.

Une expérience fort simple peut servir à mettre en évidence la perméabilité des matériaux de construction. M. Pettenkofer prend un cylindre de mortier sec, long de 0m,12 et de 0m,04 de diamètre, enduit de cire partout, sauf sur les deux bases circulaires, où sont mastiqués deux entonnoirs de verre, l’un prolongé par un tube de caoutchouc, l’autre terminé par un orifice très fin. En soufflant par le tube, on chasse l’air à travers le cylindre et l’on parvient à éteindre une bougie placée à l’autre extrémité. Dans cette expérience, l’air qui sort de la dernière tranche du cylindre est concentré dans le canal étroit de l’entonnoir, et sa vitesse s’en accroît. L’expérience peut être variée comme il suit. Sur une base inaccessible à l’air, on construit, avec des briques et du mortier un segment de mur dont les parois antérieure et postérieure sont revêtues d’une plaque de tôle percée d’une ouverture où s’insère un tube, tandis que les trois côtés étroits reçoivent un enduit imperméable ; si l’on souffle dans l’un des deux tubes, il s’échappe de l’autre un courant d’air. Le même résultat s’obtient avec du bois et diverses espèces de pierres qui se laissent traverser par l’air sans difficulté ; d’autres, au contraire, comme les calcaires compacts, sont à peine perméables. Il est vrai que, dans les murs construits en moellons calcaires, le mortier entre pour une plus forte proportion (1/3) que dans les murs construits en briques (1/5 ou 1/6), ce qui rétablit un peu l’équilibre. En thèse générale, il faut d’autant plus de mortier que les pierres sont moins régulières de forme, et les moins régulières sont aussi les moins poreuses.

Mouillés, tous ces matériaux deviennent imperméables à l’air. L’expérience du cylindre de mortier ne réussit plus quand le mortier a été humecté par aspiration en plongeant l’orifice de l’entonnoir libre dans l’eau. On constate aussi qu’il est beaucoup moins aisé de chasser l’eau à travers les briques et le mortier que d’y faire passer l’air ; à peine réussit-on à faire apparaître à la surface libre quelques gouttes du liquide. L’eau n’est donc pas facile à déloger des pores qu’elle a envahis ; elle n’en sort que très lentement, par évaporation. Or, tant qu’elle bouche les pores, elle empêche l’air d’y circuler, et cette influence fâcheuse de l’humidité sur la perméabilité des divers matériaux de construction est d’autant plus sensible que leur grain est plus serré et plus fin ; c’est une remarque que nous avons déjà pu faire à propos des étoffes. Les murs humides se laissent donc difficilement traverser par l’air, et M. Märker a trouvé qu’il suffisait d’un jour de pluie pour diminuer d’une manière frappante les coefficiens de porosité.

En temps ordinaire, et lorsqu’ils sont bien secs, les murs transpirent ; ils sont incessamment traversés par de faibles courans qui renouvellent l’air des chambres fermées et le débarrassent de l’humidité dont il est chargé. L’atmosphère d’une maison est saturée de vapeur par la respiration et la transpiration des habitans, par l’eau qui est journellement employée dans les ménages, sans compter la rosée qui se dépose partout lorsque un air tiède pénètre du dehors dans les chambres restées froides. Cette humidité qui renaît sans cesse, les murs doivent l’absorber pour la laisser évaporer au dehors, sous l’action du soleil et du vent. C’est pour cette maison qu’il est bon que les matériaux le construction soient poreux et perméables et qu’ils ne mettent, pas obstacle à la circulation de l’air qui doit activer l’évaporation. Cette remarque s’applique surtout aux pays du Nord, où les fenêtres ne peuvent rester largement ouvertes ; elle n’a peut-être pas la même importance pour les pays méridionaux, où le soleil tient lieu de blendes choses.

Pour montrer combien d’idées fausses règnent encore sur cette matière parmi les architectes » M. Pettenkafer cite l’exemple d’une grande usine autour de laquelle s’élèvent de nombreuses maisons d’ouvriers, bâties. avec les scories des hauts fourneaux. Les scories, légères et compactes, remplacent très bien la brique ; mais, très irrégulières de forme, celles exigent beaucoup de mortier. On eut l’idée de construire une maison modèle avec de gros blocs de scorie soigneusement équarris, en réduisant à un minimum le mortier, regardé comme une cause d’humidité. La bâtisse avait belle apparence, elle sécha très vite ; mais, à peine installés, les habitans virent paraître des taches sur les murs, et la maison en question est restée la plus humide de toute la cité ouvrière.

Il faut aussi se défier des novateurs inconsidérés qui rêvent de substituer le fer et le zinc à la pierre et au bois employés par nos pères. On supprimerait ainsi cette transpiration insensible des murs, si importante pour nous débarrasser de l’humidité. Quelques Américains, entre autres M. Mayo, ont proposé de construire avec des plaques de fer galvanisé des habitations d’une forme spéciale, sortes de cloches à plongeur qui permettraient de séjourner au sein de la malaria : elles seraient ventilées par un courant d’air artificiel lancé par une machine et filtré à travers une toile ou une couche épaisse de coton et de charbon. — On a aussi imaginé des maisons de fer pour les pays sujets aux tremblemens de terre. En 1875, une maison de ce genre, sortie des ateliers de MM. Cockerill, de Seraing, a été expédiée au Chili. Elle se composait de plaques de fonte maintenues par des poutrelles de fer à coulisses, solidement boulonnées. Mais il s’est trouvé que le métal s’échauffait outre mesure sous l’action du soleil ; l’air du dehors pénétrait par tous les joints ; enfin « cette cage métallique, d’une sonorité fort gênante, ne semblait pouvoir convenir qu’à des sourds de naissance[11]. » Je ne sais s’il a été possible de venir à bout de ces inconvéniens. En bouchant les jointures, on arrêterait évidemment d’une manière trop complète la ventilation spontanée.

L’humidité que les murs reçoivent de l’atmosphère extérieure, par les temps de brouillard et de pluie, disparaît d’ordinaire assez vite sous le souffle des vents qui lèchent incessamment la surface des habitations. Au contraire, l’humidité qui vient de l’intérieur, qui se dépose sur les murs des chambres mal aérées, s’en va difficilement quand les murs ne sont pas poreux ; le chauffage même ne fait que la déplacer ; elle quitte les surfaces dont la température s’est élevée pour se fixer plus loin. L’inconvénient est surtout sensible dans les maisons de construction récente, dont le mortier contient encore une forte proportion d’eau, et dans les rez-de-chaussée bâtis sur un sol humide, qui s’imprègnent d’eau par capillarité. Cette eau bouche les canaux invisibles où l’air devrait circuler, et la muraille reste humide nonobstant l’évaporation qui a lieu à la surface, et au grand détriment des habitans. On sait combien il est malsain « d’essuyer les plâtres » d’une maison fraîchement bâtie. Comme les vêtemens mouillés, les murs humides sont froids d’abord parce que l’eau qu’ils renferment a pour effet d’augmenter leur conductibilité et, par suite, l’écoulement de calorique du dedans au dehors ; puis encore parce que l’évaporation absorbe ou détruit beaucoup de chaleur. De là le cortège de rhumatismes et de catarrhes qui attend les malheureux locataires.

M. Bouchardat, dans son Traité d’hygiène, déclare qu’à ses yeux la grande cause d’insalubrité des habitations, sous nos climats, c’est qu’elles défendent mal contre le froid ou même le font naître. « Quelles sont, dit-il, les habitations du pauvre dans les grandes villes ? Des mansardes exposées à tous les vents et, par conséquent, froides, des rez-de-chaussée dont les murs sont toujours imprégnés d’eau comme des alcarazas, et par conséquent froids. Grelotter l’hiver dans un grenier ; être soumis en été dans les rez-de-chaussée humides à des refroidissemens non suivis de réaction ; être exposé aux mêmes inconvéniens dans les maisons nouvellement construites, dont les intérieurs sont divisés par des cloisons en plâtre encore gorgées d’eau : voilà bien les principaux vices des habitations, si l’on ne s’arrête qu’aux choses qui peuvent déterminer des maladies. » Et c’est à tort, selon M. Bouchardat, que les commissions des logemens insalubres placent au premier rang les dangers qu’entraînent l’encombrement et la malpropreté.

La quantité d’eau que retiennent les murailles de construction récente est assez considérable. M. Pettenkofer a cherché à l’évaluer pour une maison élevée sur caves, d’un rez-de-chaussée et de deux étages, composés chacun de cinq chambres et d’une cuisine. D’après son calcul, une maison de cette dimension exige au moins 800,000 kilogrammes de briques, qui retiennent environ 40,000 kilogrammes d’eau ; le mortier, bien que sa masse soit beaucoup plus faible, pourrait bien en retenir autant ; on trouve ainsi que la maçonnerie entière renferme, dans les premiers temps, 80,000 kilogrammes (80 mètres cubes) d’eau, dont l’expulsion n’est pas chose aisée.

On s’est ingénié à chercher des moyens de sécher rapidement les murs des maisons neuves avant l’installation des habitans. Il n’y a de sérieux que les procédés qui reposent sur l’emploi de la chaleur combinée avec une aération activé. Tout revient en effet à favoriser l’évaporation. Il y faut d’autant plus d’air que la température est moins élevée. A 10°, le mètre cube d’air, que nous devons supposer aux trois quarts saturé, contient déjà 7 grammes de vapeur d’eau, et ne pourra plus en recevoir qu’un peu plus de 2 grammes ; il s’ensuit que, pour absorber les 80,000 kilogrammes d’eau contenus dans la maçonnerie en question, il faudrait près de 40 millions de mètres cubes d’air à la température de 10°. Ce volume d’air, un vent modéré pourrait, à la vérité, l’amener en vingt-quatre heures sur la superficie exposée ; mais il est clair que l’humidité ne sera enlevée qu’à mesure qu’elle sortira de l’épaisseur des murailles pour arriver à la surface, et qu’ainsi le temps exigé, pour la dessiccation plus ou moins complète pourra être très long. Un chauffage convenable hâtera beaucoup l’assèchement des murs, à la condition que l’air soit sans cesse renouvelé. En portant, par exemple, la température d’une chambre, de 10° à 20°, on obtiendra en effet cinq ou dix fois plus grand : d’abord parce qu’on aura augmenté la capacité d’absorption de l’air (100 mètres cubes d’air, qui, à 10°, ne pouvaient recevoir que 200 ou 250 grammes de vapeur, en pourront maintenant recevoir près de 1,000 grammes) ; ensuite, parce que l’élévation de la température favorisera la ventilation. — A Paris, on se sert maintenant, pour le séchage des bâtimens neufs, de foyers mobiles remplis de coke et munis de réflecteurs en tôle ; ils sont surmontés de tuyaux qu’on peut incliner vers les murs, et portés par des chariots qui permettent de les promener de chambre en chambre.

Dans les villes où il existe des règlemens de police concernant l’occupation des maisons nouvellement bâties, des experts sont chargés de constater l’état de siccité des murs. Mais quel est le critérium sur lequel on se fonde ? L’expert regarde, tâte, frappe les murs avec un petit marteau ; il faut une grande habitude pour établir ainsi un diagnostic sérieux. On arrive à des résultats un peu plus sûrs par l’analyse de fragmens de plâtre ou de mortier détachés des murs en des points convenablement choisis. MM. Putzeys, dans l’excellent traité d’hygiène appliquée à l’art des constructions qu’ils viennent de publier[12], citent plusieurs méthodes qui servent à déterminer les proportions d’eau libre et d’eau d’hydratation dans les matériaux recueillis (méthodes de Lassaigne, de Glässgen). Malheureusement l’état du mur peut être très différent suivant l’endroit qu’on examine, et l’on s’y trompera facilement. On n’est pas d’accord sur la proportion limite qui devra être tolérée. Lassaigne fixe à environ 20 pour 100 la proportion d’eau, tant libre que combinée, que le plâtre pourra contenir sans danger au moment de l’entrée dans les habitations. D’après M. Pettenkofer, il convient que l’eau libre, dans le mortier, ne dépasse pas 4 ou 5 pour 100. Le célèbre hygiéniste cite le cas d’un vieux presbytère, réputé malsain bien qu’il eût été habité depuis cent ans, et dont les murs furent examinés sur les instances du curé ; le mortier contenait encore 18 pour 100 d’eau libre, sans trace d’eau d’hydratation. A son avis, le mieux serait encore de chauffer plusieurs pièces et d’y déterminer le degré hygrométrique de l’air avant et après le chauffage. La question demande à être étudiée d’une manière plus complète.

On s’étonne souvent de voir l’humidité reparaître sous forme de taches lorsqu’une maison, en apparence complètement sèche, commence à être occupée. Quelques chimistes ont voulu expliquer ce phénomène en l’attribuant à un dégagement d’eau qui aurait lieu dans la substance même du mortier. Cette eau, disent-ils, est mise en liberté par la transformation définitive de l’hydrate de chaux du mortier en carbonate de chaux, sous l’influence de l’acide carbonique qui existe dans l’atmosphère des appartemens habités. D’après M. Pettenkofer, cette explication est inadmissible, car la quantité d’eau que, peut encore retenir l’hydrate de chaux à l’état de combinaison représente à peine 5 pour 100 du poids d’eau libre que renferme la maçonnerie quand la maison vient d’être terminée, et il faudrait que tout ce liquide eût été éliminé par l’évaporation pour que l’eau de l’hydrate pût jouer un rôle dans la production de l’humidité. L’apparition des taches a une cause beaucoup plus simple : elles sont produites par la condensation de la vapeur atmosphérique, qu’un faible abaissement de température suffit à provoquer. L’eau se dépose alors en gouttelettes sur les vitres des fenêtres fermées, tandis qu’elle est absorbée par les tentures sans en altérer l’apparence, si les murs sont déjà secs dans toute leur profondeur. Mais les murs d’une maison neuve, trop souvent, ne sont encore secs qu’à la surface, et alors il suffit d’une condensation relativement faible pour remplir d’eau les pores des tentures et faire apparaître des taches d’humidité. C’est surtout lorsqu’on commence à chauffer les chambres que cet inconvénient se produit fréquemment : l’eau s’évapore là où l’action du feu échauffe les murs, et va se condenser sur ; les surfaces qui sont restées froides.

Ainsi l’aération est le remède souverain pour l’humidité des maisons, et elle est favorisée par l’emploi de matériaux poreux. À ce point de vue, des déterminations directes de la porosité, de la perméabilité et. de l’hygroscopicité des divers matériaux de construction offrent un grand intérêt. MM. Putzeys, dans le livre que j’ai déjà cité, ont réuni à peu près tout ce qui a été publié sur cette matière. On y verra, par exemple, que, dans les pierres les plus employées pour la bâtisse, les pores occupent une fraction importante, du volume total. D’après Hunt, cette fraction qui exprime la porosité est de 0,07 à 0,20 pour certains grès, de 0,06 à 0,14 pour diverses dolomites, de 0,30 pour le calcaire tendre de Caen. La prorosité du grès filtrant de Malte est aussi de 30 pour 100). Mais ces chiffres ne permettent pas de prévoir quelle sera la perméabilité relative des maçonneries dans lesquelles entrent les matériaux en question ; cette perméabilité dépend essentiellement de la proportion de mortier employée et de la nature du revêtement ; il faut donc là déterminer par des expériences directes.

On possède déjà, à cet égard, des données assez nombreuses. Les expériences de Märker, exécutées à l’aide d’une méthode indirecte sur laquelle nous reviendrons plus loin, ont montré que des murs de briques laissaient passer plus d’air que des murs construits en-grès taillé ; rangés par ordre de perméabilité croissante, les matériaux expérimentés forment la série suivante : grès, moellons, calcaires, briques, tuf calcaire, pisé. Le pisé (briques d’argile séchées à l’air) a été trouvé deux fois plus perméable que la maçonnerie de briques cuites ; ajoutons que les pores de la brique cuite occupent environ 25 pour 100 du volume total, tandis que, dans la brique crue, ils occupent 60 pour 100 du volume. — Les résultats de M. Marker ne sont pas toutefois à l’abri de toute critique. On doit à M. Lang des recherches plus complètes sur les coefficiens de perméabilité des divers matériaux : en tête du tableau figure le tuf calcaire ; puis viennent, par ordre de perméabilité décroissante, les briques de laitier (scories mélangées avec de la chaux éteinte, puis séchées à l’air), le bois de sapin, le mortier, le béton, les briques à la main, le grès vert, le plâtre coulé, le bois de chêne, les briques émaillées. Le plâtre est donc extrêmement compact et peu favorable à la ventilation naturelle.

Les couleurs et les papiers de tenture diminuent la pénétrabilité des murs ; d’après Lang, on peut, sous ce rapport, les ranger comme il suit : le fait de chaux, la couleur à la colle, les papiers glacés, les papiers ordinaires, la couleur à l’huile. Si l’effet est plus marqué pour les papiers ordinaires que pour les papiers glacés, cela tient, comme le font remarquer MM. Putzeys, à ce que les premiers sont imprégnés de plus d’empois. La diminution très sensible de la ventilation naturelle par la peinture à l’huile a encore été constatée par une série d’expériences exécutées à l’hôpital militaire de Bonn. M. Lang a aussi déterminé la quantité d’eau que peuvent retenir divers matériaux, quantité qui dépasse quelquefois 20 pour 100 en poids ou 50 pour 100 en volume ; les briques surtout paraissent se mouiller facilement.

Il serait à désirer que de semblables expériences fussent instituées-dans des conditions très variées. M. le docteur Layet, professeur d’hygiène à la faculté de médecine de Bordeaux, a imaginé, pour ces recherches, deux dispositifs aussi simples qu’ingénieux. Le premier consiste à placer le bloc de pierre qu’il s’agit d’étudier sous une cloche où l’on fait arriver du gaz d’éclairage : le gaz pénètre dans la pierre par la surface libre et en ressort par un tube de dégagement, fixé au cœur du bloc, qui traverse le sommet de la cloche ; on peut l’allumer à l’extrémité de ce tube au bout d’un temps qui dépend de la porosité de la pierre. Le second procédé consiste à plonger le tube dans une éprouvette remplie de liquide : le liquide monte dans le tube en chassant l’air qu’il contient, et il y monte d’autant plus haut que la pierre est plus perméable. M. Poincarré, professeur d’hygiène à la faculté de Nancy, a étudié, de son côté, l’hygroscopicité de diverses espèces de pierres et de cimens, en plongeant les échantillons, ramenés tous au même volume, dans un bain d’eau d’une faible profondeur, et en déterminant l’augmentation de poids due à l’absorption du liquide. Il a constaté, à cette occasion, que les vernis hydrofuges offrent moins de sécurité qu’on n’est généralement porté à le croire.


IV

Si le renouvellement de l’air est indispensable pour éviter l’humidité des habitations, il l’est surtout pour empêcher l’accumulation des impuretés de toute sorte qui finiraient par rendre l’air impropre à la respiration. Il s’agit donc de savoir à quel signe on reconnaît qu’une atmosphère est viciée, et quel est le volume d’air irais dont un homme a besoin pour respirer librement dans une enceinte fermée.

L’air ordinaire renferme (en volumes) 21 parties d’oxygène et 79 d’azote, avec 0,03 d’acide carbonique ; l’acide carbonique ne s’y trouve donc que dans la proportion de 3 pour 10,000. C’est la moyenne des résultats obtenus depuis cinq ans à l’observatoire de Montsouris, qui varient entre 0,00024 et 0,00036. Pour l’intérieur des villes, il suffira d’adopter le chiffre encore très faible de 0,0004. La quantité d’acide carbonique que produit journellement la respiration des habitans d’une grande ville, et la quantité encore bien plus considérable qui provient du combustible employé, représentent pourtant des millions de mètres cubes ; si l’air n’en est pas sensiblement vicié, c’est grâce à la mobilité de l’atmosphère, qui est continuellement brassée par les vents. Il en va de même de l’influence hygiénique de la végétation, qui détruit l’acide carbonique en y puisant son carbone, et dégage l’oxygène : elle ne modifie guère la composition chimique de l’océan aérien, qui reste partout la même. Nous pouvons donc admettre que la proportion d’acide carbonique dans l’air libre ne dépasse pas 0,0004.

Voyons maintenant ce qui se passe dans une enceinte fermée, telle qu’un dortoir, une salle d’école, un lieu de réunion publique. L’air s’altérant d’une manière progressive par la diminution de l’oxygène, par les exhalaisons pulmonaires et cutanées, si la ventilation est insuffisante, il arrive un moment où il devient impropre à la ; respiration. C’est le moment où les impuretés dont l’atmosphère est chargée deviennent perceptibles à l’odorat et provoquent le malaise caractéristique de l’air « confiné. » On admet généralement que cet état se manifeste quand la proportion d’acide carbonique approche de 0,001[13]. L’observation montre, en effet, que l’acide carbonique augmente comme le degré d’insalubrité de l’air et peut, jusqu’à un certain point, en fournir la mesure, quoiqu’à la vérité le malaise qu’on éprouve dans l’air confiné doive être plutôt attribué aux matières organiques putrescibles que renferment les produits de la respiration et de la transpiration. D’après Péclet, l’air expulsé par des cheminées d’appel destinées à la ventilation de salles d’assemblées nombreuses exhale une odeur tellement infecte qu’on ne saurait la supporter impunément, même pendant un temps très court. L’odeur désagréable qui caractérise l’air confiné (odeur de renfermé) serait due, d’après quelques chimistes, à une substance particulière qui s’échappe des poumons, substance qui présente une réaction alcaline et dégage de l’ammoniaque[14].

Les vrais coupables, ce sont ces miasmes qui affectent l’odorat. L’acide carbonique, gaz relativement inoffensif, n’est que l’indicateur de l’altération progressive de l’air. Il résulte des expériences de MM. Regnault et Reizet qu’un animal peut vivre dans une atmosphère contenant 0,07 d’acide carbonique, pourvu que la proportion d’oxygène y soit maintenue à 0,21. On a vu, d’autre part, des animaux périr dans une enceinte close, lors même qu’on éliminait l’acide carbonique à mesure qu’il se formait, et qu’on restituait à l’air l’oxygène perdu. Enfin, Mantegazza a fait voir que, si l’on place deux oiseaux sous deux cloches de verre et qu’on absorbe par la chaux vive l’acide carbonique fourni par le premier, et par le charbon animal les matières organiques exhalées par le second, ce dernier résiste beaucoup plus longtemps que l’autre. Ajoutons que M. Pettenkofer a pu respirer pendant quelques heures, sans en être incommodé, de l’air qui contenait 0,01 d’acide carbonique développé non par la respiration, mais par une opération chimique.

Tout cela prouve bien que les quelques millièmes d’acide carbonique que renferme une atmosphère viciée par la respiration ne sont pas la cause des effets qu’elle produit. L’oxygène diminue à peu près dans la même proportion qu’apparaît l’acide carbonique ; mais le défaut d’oxygène n’explique pas davantage ces effets. Il est permis de se demander si une diminution de 1 pour 100 dans la proportion d’oxygène peut causer des troubles sensibles ; ne serait-elle point compensée par une respiration plus fréquente ?

L’acide carbonique a été souvent accusé à tort d’effets qui étaient, en réalité dus à une faible dose d’oxyde de carbone, provenant de combustions incomplètes ou d’une réduction de l’acide carbonique. L’oxyde de carbone est un véritable poison qui détruit la vitalité des globules rouges du sang. M. Leblanc a constaté qu’un chien était asphyxié par un air confiné qui contenait 3 pour 100 d’acide carbonique et 1/2 pour 100 d’oxyde de carbone, tandis que l’acide carbonique seul ne produisait l’asphyxie qu’à la dose de 20 pour 100 (en volume). C’est aussi par un dégagement d’oxyde de carbone que s’expliquent les fâcheux effets des poêles de fonte, signalés il y a quinze ans par M. le docteur Carret, qui crut de voir attribuer à cette cause une épidémie de fièvre typhoïde observée au collège de Chambéry. Les expériences auxquelles s’est livré à cette occasion le général Morin ont mis hors de doute la présence de l’oxyde de carbone dans l’air d’une salle où se trouvaient des poêles de fonte chauffés au rouge et dans le sang des lapins qu’on y avait laissés plusieurs jours, tandis que les poêles en tôle de fer ne produisaient pas les mêmes effets. Que l’oxyde de carbone soit dû à la perméabilité de la fonte surchauffée, à l’oxydation du carbone de la fonte ou à une décomposition de l’acide carbonique de l’air, il est révélé par les analyses et donne lieu à des effets toxiques, qu’on a cependant un peu exagérés, d’après l’enquête contradictoire de M. Coulier. L’oxyde de carbone se rencontre aussi en doses assez fortes dans le gaz d’éclairage mal préparé, et devient alors une cause d’accidens s’il se produit des fuites.

Quoi qu’il en soit, on prend d’habitude pour mesure du degré d’insalubrité d’un milieu sa teneur en acide carbonique. C’est ce gaz, on le sait, qui donne leur saveur piquante à l’eau de Seltz et aux vins mousseux. Pour en constater la présence dans l’atmosphère, il suffit d’exposer à l’air une soucoupe remplie d’eau de chaux limpide ; au bout de quelques heures, le liquide se recouvre d’une mince pellicule blanchâtre qui est du carbonate de chaux, formé par la combinaison de la chaux avec l’acide carbonique de l’air. De même, en respirant avec une paille dans un verre d’eau de chaux, on peut voir le liquide devenir laiteux à mesure qu’il absorbe l’air expiré ; un peu de vinaigre lui rend sa limpidité en dégageant l’acide combiné. À l’eau de chaux on préfère pour les dosages l’eau de baryte, recommandée par M. Pettenkofer, ou la potasse caustique : c’est ce dernier réactif qui est employé à l’observation de Montsouris.

Les résultats que l’on cite le plus souvent sont ceux que M. Félix Leblanc a obtenus en 1842 par des dosages exécutés dans un certain nombre de lieux de réunion. Le point de départ est une serre du Jardin des Plantes, dans laquelle, après douze heures de clôture, on ne trouve plus trace d’acide carbonique, grâce à la respiration des plantes, qui s’exerce en sens inverse de la respiration animale. Dans une salle de l’hôpital de la Pitié, d’une capacité de 2,000 mètres cubes, qui contenait cinquante-quatre malades et était restée fermée pendant la nuit, on constata, le matin, une proportion de 2 millièmes[15] d’acide carbonique et une diminution correspondante de l’oxygène. Même résultat dans une salle d’asile très basse de plafond, de 230 mètres cubes, contenant cent seize enfans, après trois heures de séjour, avec les portes entr’ouvertes. Dans une salle d’école trois fois plus spacieuse, qui renfermait cent quatre-vingts enfans de sept à dix ans (4 m. c. par tête), la proportion d’acide carbonique atteint6 millièmes après quatre heures de séjour ; avec une ventilation qui introduit 6 mètres cubes d’air frais par tête et par heure, elle tombe à 1 ou 2 millièmes. Dans un dortoir mansardé de la Salpêtrière, 5 millièmes ; dans la salle de l’Opéra-Comique (3,500 mètres cubes, mille spectateurs, bonne ventilation), à la fin d’une représentation, 1 millième 1/2 au parterre et 3 millièmes en haut. Le résultat le plus défavorable est fourni par l’amphithéâtre de la Sorbonne, où près de mille auditeurs sont parqués dans un espace de 1,000 mètres cubes : 1 mètre par tête. A l’ouverture d’une leçon de M. Dumas, quatre cents auditeurs étant déjà présens, il y a un peu plus de 4 millièmes d’acide carbonique ; après la leçon, qui a duré une heure et demie, et malgré les portes restées ouvertes, la proportion d’acide due à la présence de neuf cents auditeurs atteint 7 millièmes, et l’oxygène a diminué de près de 1 pour 100.

Dans tous ces cas, ainsi qu’il est facile de s’en assurer, la proportion d’acide carbonique est restée fort au-dessous de ce qu’elle ; eût été dans un espace parfaitement clos. A la Sorbonne, elle aurait dépassé le triple du chiffre réellement observé, si l’air n’avait été périodiquement renouvelé par les courans que devait provoquer l’élévation de la température. On peut faire la même remarque à propos des observations consignées dans le rapport de la commission militaire d’aération de 1849, dont M. Leblanc faisait partie. Des dosages exécutés dans trois casernes différentes ont donné la quantité d’acide carbonique et de vapeur d’eau contenue dans Vair, le matin, après dix heures de séjour. A la caserne de l’Assomption et à celle de la rue de Babylone, où l’espace cubique alloué par homme était respectivement de 13mc,6 et de 11mc,5 ; on a trouvé un peu plus de 3 millièmes d’acide, et de 7 à 8 grammes de vapeur d’eau. Or la respiration des soldats avait dû dégager quatre ou cinq fois plus d’acide, et leur transpiration quatre ou cinq fois plus de vapeur ; l’air avait donc été renouvelé plusieurs fois, grâce à la ventilation naturelle, favorisée ici par l’ouverture fréquente des portes. En outre, une partie de la vapeur d’eau s’était sans doute condensée sur les murs (l’air n’était saturé qu’aux trois quarts). Dans une chambre de la caserne du quai d’Orsay, où les conditions étaient assez défavorables (espace cubique : 8m,5), on a trouvé 9 millièmes d’acide carbonique et 9« r,6 de vapeur d’eau : la moitié de l’acide et à peine le quart de la vapeur dégagée, qui avait dû se condenser en grande partie. Enfin, dans une chambre close de 13 mètres cubes, où M. Leblanc avait séjourné pendant dix heures, après avoir collé du papier sur toutes les jointures, la proportion d’acide carbonique n’a atteint que 6 millièmes 1/2, à peu près la moitié de la dose que pouvait fournir la respiration. — Une série de déterminations entreprises plus récemment en Angleterre par le docteur F. de Chaumont dans un grand nombre de casernes, d’hôpitaux et de prisons, ont donné, au maximum, 2 millièmes pour les casernes et les hôpitaux, 3 millièmes 1/2 pour les cellules des prisons.

M. Pettenkofer a eu l’idée ingénieuse de se servir du dosage de l’acide carbonique pour mesurer la ventilation spontanée, ou la vitesse avec laquelle l’air se renouvelle peu à peu. Il suffit pour cela de développer artificiellement, dans une chambre, une quantité exactement connue de ce gaz, et de déterminer, par des dosages répétés, la quantité d’acide qui disparait dans un temps donné[16]. Ce procédé donne de bons résultats toutes les fois qu’on n’a pas à craindre l’absorption de l’acide carbonique par le mortier encore trop frais des murs. En évaluant, par ce moyen, la ventilation de divers locaux, et en observant ensuite, dans les mêmes locaux, le degré d’altération de l’atmosphère résultant de la présence d’un certain nombre de personnes, M. Pettenkofer a trouvé que l’atmosphère conservait une qualité satisfaisante quand l’air était renouvelé à raison de 60 mètres cubes par heure et par tête. La proportion d’acide carbonique restait alors inférieure à un millième. Je crois que ce résultat pourrait s’obtenir à moins de frais, avec 30 ou 40 mètres cubes par heure ; mais je veux d’abord citer quelques faits curieux, constatés par le procédé qui vient d’être expliqué.

Les expériences ont été faites dans une chambre à murs de Briques, d’une capacité de 75mc. Le premier jour, l’air de la pièce étant à la température de 18 degrés pendant que le thermomètre extérieur marquait 1 degré au-dessous de zéro, cette différence de 19 degrés a suffi pour évacuer 75mc, et par suite pour renouveler l’air de la chambre, dans l’espace d’une heure. Un bon feu allumé dans le poêle porte la ventilation à 94 mc par heure. En collant du papier sur les jointures des portes et des fenêtres et sur les trous des serrures, on la réduit à 54 mc. — Un autre jour, le thermomètre marquant 18 degrés à l’extérieur et 22 degrés à l’intérieur, la ventilation tombé à 22mc, qui représentent l’effet d’une différence de 4 degrés : En ouvrant la moitié d’une fenêtre, elle n’est augmentée que de 42mc ; une ouverture de 80 décimètres carrés produit donc ici moins d’effet que la seule transpiration des murs avec une différence de température de 19 degrés.

Un calcul fondé sur ces expériences a montré qu’une différence de température de 1 degré faisait passer, en une heure, environ 245 litres d’air par chaque mètre-carré de la surface libre du mur. C’est par la même méthode qu’ont été faites les expériences de M. Märker sur la perméabilité des matériaux de construction dont nous avons déjà parlé. Elles nous font mieux comprendre pourquoi le degré d’altération que l’air offre dans des circonstances données est le plus souvent fort éloigné de celui que les sources d’infection connues auraient dû produire dans un espace parfaitement clos ; résultat important, qu’il ne faut pas perdre de vue dans les calculs relatifs à la ventilation.


V

Quel est le volume d’air dont un homme a besoin pour respirer librement ? C’est là une question assez complexe, sur laquelle les hygiénistes ont beaucoup de peine à s’entendre. Il est clair que la réponse dépendra non-seulement des conditions extérieures qu’on aura en vue, mais encore de la limite de variation, ou tolérance, qu’on admettra pour la composition normale de l’air.

Prenons d’abord le cas le plus simple, celui du séjour dans un espace hermétiquement clos. Ici, le volume d’air disponible a pour mesure la capacité de l’enceinte ; « l’espace cubique » concédé à chaque habitant représente en même temps la quantité d’air dont il peut disposer. L’air s’altérant peu à peu, la dose d’acide carbonique finira par atteindre le chiffre de 0,001, que nous avons adopté comme limite admissible. Mais il est clair que le moment critique où se fera sentir le manque d’air arrivera d’autant plus vite que l’espace accordé sera moins grand ; on le retardera en augmentant la capacité de l’enceinte. Il s’ensuit que le volume d’air devra être proportionné à la durée du séjour. Ceci posé, en prenant pour base la proportion de 1 millième d’acide carbonique en volume (1 litre par mètre cube), et en admettant, avec M. Gavarret, que i&quantité d’acide exhalée par les poumons d’un homme adulte est d’environ 20 litres par heure, on trouve que le volume d’air à fournir par heure et par individu est de 33 mètres cubes. En effet, 33 mètres cubes d’air contenant déjà 13 litres d’acide (0,4 par mètre cube), en y ajoutant les 20 litres fournis par la respiration, on arrive à un total de 33 litres, et l’on voit que la proportion limite de 0,001 sera atteinte au bout d’une heure. Par conséquent, l’espace cubique à fournir par individu, pour une heure de séjour dans une enceinte hermétiquement close, est de 33 mètres cubes ; de 66 mètres cubes pour deux heures, et ainsi de suite. Il en faudrait davantage, s’il y avait en même temps des bougies, des lampes ou des becs de gaz allumés, car la combustion d’une bougie, par exemple, consomme autant d’oxygène que la respiration d’un homme. Il est vrai qu’elle ne dégage pas les mêmes produits nuisibles, de sorte que l’acide carbonique a une signification moins dangereuse lorsqu’il provient de l’éclairage. On conçoit, d’autre part, que le volume d’air puisse être beaucoup réduit en acceptant comme tolérable une proportion d’acide plus élevée. Il ne faut pas oublier, en effet, que l’altération a lieu peu à peu, et que le maximum n’est supporté que vers la fin du séjour. Mais il sera bon aussi de se rappeler quelquefois ces 300 prisonniers autrichiens enfermés dans une cave, dont 260 furent trouvés morts au bout de quelque temps.

Le cas d’un espace complètement clos, que nous venons de considérer, ne sera pour ainsi dire jamais réalisé, car on a beau fermer portes et fenêtres, l’air s’introduira toujours par quelque fissure ; n’y aurait-il pas de fissure, il passerait par les murs. Les chambres les mieux calfeutrées ne sont pas à l’abri de la ventilation naturelle qui résulte des inégalités de température. Par un temps froid, les maisons sont de vastes foyers d’appel. Cette ventilation spontanée dépend aussi du degré d’agitation de l’atmosphère extérieure, du nombre et de la dimension des ouvertures, telles que portes et fenêtres, de l’état des cheminées, et enfin, comme on l’a déjà vu, de la perméabilité des murs. Elle pourra être augmentée par des ventouses convenablement distribuées. Elle est favorisée à un haut degré par le tirage qui se produit quand on allume le feu dans la cheminée ; mais les foyers en activité pourraient déjà être compris parmi les moyens de ventilation artificiels.

Les causes assez nombreuses, comme on voit, qui concourent à entretenir la ventilation naturelle diminuent singulièrement les dangers que présente la stagnation de l’air dans l’intérieur des maisons. C’est grâce à ces échanges incessans et souvent inaperçus que l’air n’est jamais vicié au point qu’on pourrait craindre, par l’humidité qui se développe, par l’acide carbonique provenant de la respiration, de l’éclairage et du chauffage, par les effluves et les poussières de toute sorte que soulève le tourbillon de la vie. Il est indispensable de tenir compte de cette avance gratuite que nous fait la nature, lorsqu’il s’agit de fixer l’appoint qu’il y a lieu de demander à des moyens artificiels ; autrement on s’expose à tomber dans de grandes exagérations.

Lorsqu’une enceinte fermée où se trouve un nombre donné de personnes est soumise à une ventilation régulière, il s’établit, au bout d’un certain temps, un régime permanent : l’altération de l’air, arrivée à une certaine limite, ne varie plus, les gaz nuisibles étant éliminés au fur et à mesure qu’ils se développent. La proportion d’acide carbonique est dès lors constante ; on l’obtient simplement en supposant que l’acide dégagé se distribue dans le volume d’air introduit par la ventilation. Cette proportion limite est donc indépendante de l’espace cubique disponible[17]. Une ration d’air de 40 m.c., par exemple, avec une production d’acide carbonique de 20 litres, auxquels s’ajoutent les 16 litres d’acide contenus dans les 40 m. c. d’air frais, donne une proportion de 0,0009, quel que soit d’ailleurs l’espace disponible. La capacité de l’enceinte n’a d’autre rôle que celui de retarder le moment où s’établit le régime constant : elle agit comme un réservoir qui se remplit peu à peu, jusqu’à ce qu’il renferme la même proportion d’acide que le courant d’air qui le traverse ; mais, une fois saturée, elle n’intervient plus dans la marche du phénomène. L’avantage d’un espace cubique considérable consiste donc, avant tout, en ce qu’il retarde le moment où l’altération de l’air atteint sa limite, qui ne sera plus dépassée. S’il s’agit d’un local qui ne doit être occupé que pendant quelques heures, comme les dortoirs, les lieux de réunion, cette considération a son importance, car on pourra toujours s’arranger de façon que la proportion limite ne soit pas atteinte avant la fin du séjour prévu.

Supposons, par exemple, que la ventilation puisse fournir 6 mètres cubes d’air frais par individu et par heure. C’est la ration d’air qui, d’après Péclet, pourrait à la rigueur suffire, parce que 6 mètres cubes d’air à moitié saturé à 15 degrés peuvent dissoudre les 35 ou 40 grammes de vapeur d’eau fournis par la transpiration. L’air frais contenant déjà une dose de 0,0004 d’acide carbonique, à laquelle la respiration ajoute 0,0033, on trouve que la proportion limite sera de 0,0037. Cette limite sera presque atteinte et le régime deviendra constant quand l’air aura été renouvelé trois fois, car la proportion d’acide dépasse dès lors 0,0035. Si l’espace alloué n’est que de 1 m. c., comme nous savons que cela arrive parfofs dans les amphithéâtres et autres lieux de réunion, il suffira d’une demi-heure pour amener cet état de choses ; si l’espace cubique est porté à 10 m. c, il faudra cinq heures, et dix heures s’il est porté à 20 m. c, pour atteindre le même degré d’altération.

Tel serait donc l’effet d’une ventilation à raison de 6 m.. c. par heure, suivant la capacité de l’enceinte. En élevant la ration d’air à 30 m. c, la proportion limite devient 0,0011, et on peut admettre qu’elle est atteinte quand l’air a été renouvelé deux fois (la proportion actuelle étant alors 0,0010). Cela arrive au bout de 4 minutes pour un espace de 1 m. c, après 40 minutes pour 10 m. c, etc. Mais le retard ainsi obtenu n’a plus la même importance que dans le cas précédent, puisque la limite de 0,001 caractérise l’air respirable.

La considération de l’espace cubique peut donc être reléguée au second plan, lorsqu’on est assuré d’une ventilation énergique, d’au moins 30 m. c. par heure. Elle reprend son importance lorsqu’on n’a d’autre ressource que la ventilation naturelle, car il est évident que cette ventilation sera facilitée par l’étendue des surfaces libres exposées à l’air extérieur, par le nombre des portes et des croisées, etc. Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu’une même quantité d’air traversera plus facilement un grand espace qu’un espace très petit, sans produire des courans incommodes ; un grand espace permettra de modérer la vitesse du mouvement, et de renouveler l’air moins souvent. De l’avis de MM. Putzeys, il convient de ne pas le renouveler plus de trois fois par heure.

Il faut nous garder de confondre la ventilation, qui peut s’opérer d’une manière uniforme et presque insensible, avec les vents coulis ou a courans d’air, » dont tout le monde connaît les fâcheux effets. Les courans d’air nous incommodent en refroidissant une seule partie du corps. Bien souvent d’ailleurs la sensation de froid n’est produite que par le rayonnement du corps vers des objets voisins qui sont à une température basse ; ces sortes de « courans » sont arrêtés par un simple rideau de laine, qui est cependant très poreux, mais qui suffit pour intercepter les rayonnemens calorifiques. Les refroidissemens occasionnés par les courans d’air portent le trouble dans les fonctions des nerfs vasomoteurs ; ils provoquent un resserrement trop brusque des capillaires de la peau et, par là, bouleversent la circulation. C’est ainsi qu’un verre d’eau froide, bu lorsqu’on est échauffé, peut troubler la circulation du dedans au dehors.

En somme, la ventilation naturelle suffira le plus souvent pour empêcher l’air d’atteindre en quelques heures le degré d’altération que révèle une proportion de 3 ou 4 millièmes d’acide carbonique, pourvu que l’espace alloué ne soit point trop exigu. Il semble pourtant que 10 m. c, pour la durée de la nuit, représentent une limite inférieure trop faible. Leblanc voulait 50 m. c. par individu dans un dortoir ou autre enceinte fermée et dépourvue de moyens de ventilation.

Les règles admises en cette matière sont encore assez incertaines. L’ordonnance de 1788 prescrit de 42 à 14 m. c. d’air par nuit et par homme dans les casernes. On en demande maintenant 16 m. c. pour les casernes de France, 17 en Angleterre, 18 en Allemagne ; 20 dans un rapport du conseil de salubrité de Paris. La capacité moyenne par malade des salles d’hôpitaux est de 43 m. c. à Paris et de 42 à Londres[18]. Pour les salles d’école, on demande, en France, 4 m. c. par tête (1 mètre carré, avec une hauteur de 4 mètres) ; dans d’autres pays, on se contente d’un cubage encore plus faible[19]. Pour les garnis, l’ordonnance de 1878 exige 14 m. c. par personne ; on peut espérer qu’elle sera désormais respectée.

Il est vrai que la ventilation naturelle est souvent en défaut : « L’on croit généralement, dit M. Morin, qu’il suffit toujours d’ouvrir les fenêtres d’une vaste salle pour y produire le renouvellement complet de l’air, et un grand nombre de médecins pensent que, dans les hôpitaux, l’ouverture d’un certain nombre de fenêtres placées sur les deux faces opposées conduit à ce résultat. Cela n’est pas aussi exact qu’on le suppose, et l’été, quand le temps est calme et qu’il n’y a pas de vent, il arrive souvent que l’ouverture complète de cinq à six fenêtres opposées sur chaque face d’une grande salle de réunion, d’un hangar, d’une gare, d’un manège, ne détermine qu’un renouvellement très imparfait de l’air et n’empêche nullement une élévation anormale de la température. » C’est donc surtout dans les lieux destinés à recevoir un grand nombre de personnes : salles d’assemblées, amphithéâtres, salles de spectacle, hôpitaux, casernes, que la Ventilation artificielle doit intervenir d’une manière plus ou moins énergique. Le général Morin, qui s’était constitué, on peut le dire, l’apôtre de la ventilation, a rendu de très grands services par les efforts qu’il a faits pour procurer à nos palais, à nos théâtres, à nos écoles, à nos ateliers, un renouvellement d’air largement suffisant. Son Manuel pratique du chauffage et de la ventilation[20] contient à cet égard les indications les plus précises fondées sur de nombreuses expériences et une longue pratique, Voici, d’après M. Morin, le volume d’air à extraire et à introduire, par heure et par individu, dans divers édifiées publics :

Écoles d’enfans, 12 à 15 m. c., écoles d’adultes, 25 à 30 ; amphithéâtres, 30 m. c, Salies d’assemblées et de réunions prolongées, 60 m, c ; salles de spectacle, 40 m. c. Casernes, de jour, 30 m c. ; de nuit, 40 à 50 m. c. Ateliers ordinaires, 60 m. c. ; ateliers insalubres, 100 m. e. Hôpitaux : malades ordinaires, 60 à 70 m. c, ; blessés et femmes en couches, 100 m. c ; en temps d’épidémie, 150 m. c, Prisons, 50 m. c. Écuries, étables, 180 à 200 m. c. Ces nombres représentent certainement le maximum de ce qu’on peut raisonnablement demander. M. Mouchardat en trouve quelques-uns exagérés ; la clinique, dit-il, n’a pas confirmé l’utilité des ventilations excessives.

En dehors du renouvellement de l’air, la ventilation donne encore le moyen d’obtenir une température à peu près constante, — en hiver, par l’introduction d’un air préalablement chauffé ; en été, par l’introduction d’air frais puisé dans les caves. D’après M, Morin, les températures qu’il ne faudrait pas dépasser dans les lieux de réunion sont les suivantes : salles d’asile, écoles, ateliers, casernes, 15 degrés ; salles de spectacle, amphithéâtres, salles d’assemblées, 19 à 20 degrés ; hôpitaux, 16 à 18 degrés (10 à 12 degrés dans les salles d’opérations et de blessés). Lorsqu’on peut disposer d’un souterrain salubre, exempt d’humidité, il est quelquefois facile de se procurer, pendant l’été, une température agréable sans trop de frais. « Depuis plusieurs années déjà, dit le général Morin, le cabinet de la direction du Conservatoire des arts et métiers, situé au rez-de-chaussée et exposé au midi, est, pendant les journées de grandes chaleurs, maintenu à volonté à la température de 23 à 24 degrés, quand celle de l’air extérieur est de 25 à 30 degrés. Il a suffi pour cela d’y déterminer à l’aide de trois becs de gaz placés dans la cheminée, l’introduction de 500 à 600 m. c. d’air aspiré des caves par heure. A l’aide d’une disposition plus simple encore, le laboratoire de M. fl. Deville, à l’École normale, est également maintenu à la température de 23 degrés quand celle de l’air extérieur est de 32 degrés, l’air des caves y afflue par le seul effet de l’aspiration naturelle qu’exerce la toiture vitrée, dont il suffit d’ouvrir quelques châssis. » Des résultats analogues ont été obtenus au palais du Corps législatif.

La réfrigération artificielle de l’air est une question vitale pour l’avenu : des colonies que nous essayons de fonder sous des climats torrides. Si l’on parvenait à la résoudre d’une manière satisfaisante, l’art de l’acclimatation aurait fait un grand pas. Il faudrait que, dans les contrées tropicales, la maison fût un réservoir de fraîcheur, comme, dans les pays du Nord, elle garde une provision de chaleur au cœur de l’hiver. Pour les enfans surtout, si difficiles à élever sous ces climats, il importerait de créer ainsi un milieu tonique, vivifiant. C’est la question que M. Dessoliers a tenté d’aborder de front dans le livre que j’ai déjà cité. Il y étudie avec soin les conditions de la réfrigération de l’air par des moyens très variés. Nous venons de voir comment l’air peut être rafraîchi par circulation souterraine. L’emploi de la glace et de la neige est aussi tout indiqué ; mais le moyen serait peut-être assez dispendieux. M. Dessoliers a imaginé une série d’autres procédés fondés les uns sur l’évaporation, les autres sur l’utilisation du froid nocturne. Pour les climats secs, il propose des cheminées d’évaporation, où l’air se refroidit en passant sur des toiles humectées ; pour les climats chauds et humides, il convient de construire des cloisons frigorifiques où circule de l’air refroidi par évaporation et desséché au moyen du chlorure de calcium. Enfin il serait possible d’emmagasiner en quelque sorte le froid nocturne pour la circulation naturelle qui s’établirait dans des murs doubles ; refroidis pendant la nuit par l’air frais du dehors, ils serviraient pendant le jour à rafraîchir l’air chaud avant son entrée dans les pièces habitées. M. Dessoliers entre dans tous les détails nécessaires sur la réalisation pratique de ces idées.

Sous nos climats tempérés, le but principal de la ventilation est le renouvellement de l’air vicié. La ventilation artificielle est produite soit par aspiration, au moyen de divers systèmes de cheminées d’appel, comme ceux qui fonctionnent à Charenton, à la Madeleine, soit par insufflation, au moyen de ventilateurs mécaniques. A l’hôpital Lariboisière, on a expérimenté le système de ventilation par appel de Duvoir à côté d’un ventilateur à force centrifuge de Thomas et Laurens, qui, mû par une machine à vapeur, aspire de l’air pris sur les toits et le pousse dans un tuyau dont les ramifications aboutissent aux salles à ventiler ; au moment où il entre dans les salles, cet air s’échauffe au contact des tuyaux de vapeur et des poêles à eau chauffés par la vapeur. Grâce à cette ventilation, l’atmosphère des salles est maintenue à une température toujours égale (15 degrés) et l’on n’y perçoit aucune odeur ; on peut donc admettre que l’air qu’on y respire est très pur. Malgré tout, la mortalité n’est pas inférieure à celle des hôpitaux non ventilés. M. Bouchardat pense que cela tient à une influence malencontreuse de cette chaleur douce qu’on s’efforce de maintenir, et il préfère le chauffage et la ventilation par de larges cheminées.

« Dans les hôpitaux de Londres, dit le savant hygiéniste, on donne la préférence à ce mode de ventilation. Le chauffage s’opère dans de grandes cheminées ouvertes : chaque salle en possède au moins une, quelquefois trois ou quatre ; il y a des cheminées allumées jusque dans les corridors, les escaliers, les vestibules d’entrée. En été comme en hiver on y fait du feu, au moins dans la cheminée de l’office, et toujours les fenêtres sont largement ouvertes. En Angleterre, on n’use que par exception d’appareils ventilateurs mécaniques ou autres : l’air, appelé par le puissant tirage des cheminées, entre par les jointures des portes et fenêtres. Les malades jouissent ainsi de la vue du feu, de l’utile impression du rayonnement direct ; ils se groupent autour des foyers et respirent un air qui n’a pas été modifié par le contact de surfaces de chauffe, de conduites brûlantes. » Peut-être même va-t-on parfois trop loin dans cette voie. « L’importance de l’air pur, dit M. Proust, a été peut-être exagérée, dans certains cas, par les médecins anglais, dont les Américains ont suivi l’exemple. Il convient, d’après eux, de laisser toutes grandes ouvertes, et par n’importe quel temps, les fenêtres des dortoirs, des casernes et des chambres à coucher pendant la nuit. Ce précepte, presque universellement suivi dans les pays que nous venons d’indiquer, présente, à notre avis, de grands inconvéniens. » Il y a, en effet, quelque danger à s’exposer au froid pendant le sommeil. Je dois ajouter qu’à ma connaissance l’habitude de dormir avec les fenêtres ouvertes est loin d’être générale en Angleterre.

L’étude des questions de chauffage et de ventilation a fait de sérieux progrès en France depuis quinze ou vingt ans. La construction de nombreuses salles d’école, notamment, a été l’occasion naturelle d’une série d’améliorations qui méritent d’être louées. Malgré tout, il reste beaucoup à faire. « Les règlemens sur les constructions, disent MM. Napias et Martin[21], sont imparfaits ; ils ne répondent guère aux besoins de l’hygiène, dont on s’est trop peu préoccupé jusqu’ici. » A Paris, la commission des logemens insalubres a préparé un règlement nouveau qui, remanié plusieurs fois, sera sans doute prochainement adopté. Il s’agit de modérer la hauteur des maisons, de la proportionner à la largeur des voies, de fixer l’élévation minimum des étages, la surface minimum des cours, etc. Bien des points restent à étudier et à mettre en lumière. Ainsi M. le docteur Layet, dans un intéressant travail sur les habitations rurales, a signalé le rapport qui existe entre le nombre d’ouvertures que vise l’impôt des portes et fenêtres et la mortalité. La moyenne générale, pour la France, du nombre d’ouvertures par habitant est 11/2. Or, sur 100 départemens où ce chiffre est inférieur à la moyenne, 55 présentent une mortalité supérieure, 45 une mortalité égale à la mortalité générale ; au contraire, sur 100 départemens où le chiffre d’ouvertures est supérieur à la moyenne, 69 offrent une mortalité inférieure à la mortalité générale, et 25 seulement une mortalité supérieure.

Un autre point qu’on oublie trop facilement, c’est que, comme les murs, les planchers sont perméables à l’air. L’atmosphère ne s’arrête pas au niveau du sol, elle se continue encore jusqu’à une certaine profondeur. Les terrains les plus compacts renferment un volume appréciable d’air, tout aussi bien qu’une quantité sans cesse changeante d’humidité. En versant de l’eau dans un vase rempli de gravier bien tassé, on déplace l’air qu’il contient, et l’on s’assure que cet air occupe ordinairement un tiers du volume total. La porosité de la terre atteint quelquefois 50 pour 100. N’a-ton pas vu des mineurs ou des puisatiers, ensevelis par accident sous un écoulement de terrain, résister pendant plusieurs jours, grâce à l’air qui traversait les murs de leur prison ?

Le sol poreux ne devient imperméable à l’air qu’au-dessous du niveau où s’arrête la nappe d’eau souterraine. La terre gelée ne perd pas sa porosité par la solidification de l’eau. Entre l’air souterrain et l’atmosphère libre il se fait des échanges incessans. C’est ainsi que les infiltrations du gaz de l’éclairage peuvent imprégner le sol d’une rue, pénétrer dans les maisons et causer des accidens qui seront à tort attribuées à des affections typhoïdes ; c’est surtout en hiver que les gaz du sol s’insinuent aisément dans un rez-de-chaussée, appelés par le tirage les cheminées. La ventilation se fait donc en partie par le plancher ; l’atmosphère d’une chambre contient parfois de 10 à 15 pour 100 d’air souterrain. On doit à M. Renk d’intéressantes observations sur ces courans ascendans. De là le danger des immondices absorbées par le sol : elles remontent, revenans implacables, du fond de la terre, comme châtiment de notre incurie.

L’air confiné dans la terre végétale, et en général dans un sol riche en matières organiques, contient toujours une forte proportion d’acide carbonique. En même temps l’oxygène diminue, ce qui prouve que l’acide carbonique provient de combustions lentes, et non d’émanations souterraines. D’après les observations de Pettenkofer, de Fieck, de Fodor, la proportion d’acide augmente avec la profondeur : à quelques mètres au-dessous de la surface, elle dépasse quelquefois 10 pour 100. Cette présence de l’acide carbonique dénote l’activité de la vie dans le sol. Nous ne savons pas au juste de quelle manière le sol et le sous-sol interviennent dans l’étiologie de certaines maladies endémiques et dans l’éclosion des épidémies ; c’est un sujet fort controversé. On doit toutefois approuver les hygiénistes qui conseillent de rendre les habitations indépendantes du sol par des chambres d’aération ménagées dans les soubassemens, ou simplement par des planchers imperméables.

Les parcs et les jardins sont utiles non-seulement parce qu’ils nous procurent un peu d’ombre et de fraîcheur pendant la saison chaude, mais encore parce que la végétation absorbe les détritus et purifie le sol ; elle diminue ainsi les chances d’épidémie[22]. Il importe d’ailleurs de multiplier dans les villes ces oasis où l’atmosphère n’est pas directement viciée. Mais la quantité d’oxygène que les plantes dégagent est trop peu de chose pour en tenir compte. Les phénomènes de végétation s’accomplissent avec une extrême lenteur : il faut dévastes espaces et un longtemps pour fournir l’herbe ou le bois qui sera ensuite consommé en quelques heures ; l’oxygène est plus vite absorbé que produit. On voit qu’il faut aussi renoncer au préjugé très répandu qui veut qu’un peu de verdure puisse assainir l’atmosphère d’un appartement ; l’avantage des plantes, comme le fait remarquer M. Pettenkofer, consiste ici plutôt dans une influence d’ordre moral que d’ordre physique. Les jardins publics se recommandent aussi par cette considération qu’ils égaient la vue. À Paris surtout, on sait que le pauvre comme le riche, a besoin de fleurs. Même au point de vue de l’hygiène, gardons-nous de méconnaître l’importance de tout ce qui agit sur l’esprit.


Nous nous étions proposé, dans cette étude, de considérer les vêtemens et les habitations au point de vue particulier de leurs rapports avec l’atmosphère ; même ainsi délimité, le sujet s’est montré fort complexe, et, chemin faisant, nous avons rencontré plus d’une question encore mal élucidée. Mais peut-être n’aura-t-il pas été inutile d’attirer l’attention sur ces questions, qui demandent de nouvelles recherches. Les sociétés d’hygiène se multiplient ; des bureaux d’hygiène sont créés dans un grand nombre de villes ; les congrès de Paris, de Turin, de Genève, témoignent de l’intérêt toujours plus vif qui s’attache au développement d’une science dont toutes les conquêtes tournent au profit de notre bien-être physique et moral. Il importe qu’on lui permette d’agrandir son champ et d’étendre sa sphère d’action. Les maladies qui auraient pu être évitées représentent pour une ville le plus lourd de tous les impôts.


R. RADAU.

  1. Wild, Temperaturverhältnisse des Russischen Reichs.
  2. Ces températures se développent aussi quelquefois dans l’intérieur des navires qui parcourent la Mer Rouge, et il en résulte de graves accidens.
  3. Les animaux hibernans se rapprochent de ces conditions d’existence pendant qu’ils sont engourdis.
  4. Les molécules d’air échauffées par contact se déplacent et se renouvellent sans cesse ; pour désigner ce mode de propagation de la chaleur, on se sert quelquefois du mot de correction.
  5. De l’Habitation dans les pays chauds. Contribution à l’art de l’acclimatation, par M. H. Dessoliers. Alger, 1882 (Paris, Baudry).
  6. Les frissons qu’on éprouve pendant un accès de fièvre intermittente, quand les capillaires de la peau se contractent sous l’influence du poison de la malaria, n’empêchent pas la température de s’élever beaucoup à l’intérieur du corps.
  7. Physiologie des muscles et des nerfs, par M. Charles Richet. Paris 1882, p. 762.
  8. Expériences sur les étoffes qui servent à confectionner les vêtemens militaires (Journal de physiologie, 1858. — A. Proust, Traité d’hygiène, p. 514.)
  9. Bernardin, Nomenclature usuelle de 550 libres textiles. Gand, 1872.
  10. Chez nous, le pantalon de flanelle bleu foncé a été adopté depuis peu pour les troupes de la marine, et il est question de remplacer aussi le paletot de molleton par le paletot de flanelle. (Napias et Martin, Progrès de l’hygiène en France, 1888.)
  11. Chili, par le comte Eugène de Robiane. Paris, 1882.
  12. L’Hygiène dans la construction des habitations privées, par le docteur Félix Patzeyd, professeur d’hygiène à l’université de Liège, et M. E. Putzeys, lieutenant du génie. Bruxelles, 1882 ; H. Manceaux.
  13. D’après les observations que M. de Chaumont a faites dans les casernes anglaises, l’odeur commence à se manifester quand la proportion atteint 0,0008, et cet hygiéniste voudrait réduire la dose admissible à 0,0006 ; mais je crois qu’il suffira d’adopter 0,001 pour la limite qu’on sera trop heureux de ne pas dépasser dans la pratique.
  14. Elle noircit l’acide sulfurique, décolore le permanganate de potasse et communique à l’eau, en s’y dissolvant, une odeur fétide. (A. Proust, Traité d’hygiène, p. 341.)
  15. Les nombres originaux donnent les proportions en poids ; je les ai réduits en volumes.
  16. Le calcul montre que l’excès d’acide diminue en progression géométrique, de telle façon qu’il se trouve réduit à moitié quand la ventilation a renouvelé 7 dixièmes de l’air confiné, au quart après un temps double, au huitième après un temps triplé, et ainsi de suite.
  17. Ce résultat, qui rectifie une erreur du général Morin, peut se déduire des formules de M. Ch. Herscher. La différence entre la dose actuelle d’acide carbonique et la dose limite décroît en progression géométrique ; lorsqu’elle est suffisamment réduite, on peut admettre que le régime devient constant.
  18. Bouchardat, Traité d’hygiène, pages 724, 1011, 1044.
  19. A. Riant, Hygiène scolaire. Paris, 1874.
  20. Paris, 1874 ; Hachette.
  21. L’Étude et les Progrès de l’hygiène en France de 1878 à 1882.
  22. Faut-il accepter comme praticable le projet de M. Autier, qui propose de servir aux citadins l’air pur des forêts à domicile, on l’amenant par une canalisation spéciale ?