Les Véritables régles de l’ortografe francéze

Les Véritables régles de l’ortografe francéze
ou L’Art d’aprandre an peu de tams à écrire côrectemant
.
LES
VÉRITABLES RÉGLES
DE
L’ORTOGRAFE
FRANCÉZE,
OV
L’Art d’aprandre an peu de tams
à écrire côrectemant.
Par LOV̈IS DE L’ESCLACHE.



À PARIS,
Chés L’Auteur, proche le Pont-neuf, an la ruë Neuve Guenégaud.
ET
Lavrant Rondet, ruë S. Iaques, à la longue Alée, vis-à-vis la ruë de la Parcheminerie.

M. DC. LXVIII.
AVEC PRIVILÉIE DV ROI.
LES
VÉRITABLES RÉGLES
DE
L’ORTOGRAFE
FRANCÉZE.

CHAPITRE I.
De la conformité de l’Ortôgrafe Francéze avec la prononſiaſion.


C Omme les régles que je donnerai dans ce petit Traité, ſont opozées à céles que les Grammairiens ont établies ſur l’üzaje ordinaire ; je prie le Lecteur de le lire antiéremant, avant que d’an jujer : car les opinions des hommes ſont trés-diferantes, touchant l’Ortôgrafe Francéze.

Les uns panſent qu’éle doit étre conforme à la parole ; & les autres âſûrent qu’éle doit marquer l’origine des mos que nous amploïons pour exprimer nos panſées.

Ceus qui ne ſavent pas la Langue Latine, & qui ont de l’eſprit, dizent que nous devons écrire comme nous parlons : mais quelques Savans ſoûtiénent que céte metôde, nous faizant perdre l’origine des paroles, nous ampécherét d’an conétre la propre ſignificaſion.

Il ſample que les premiers, qui n’ont pas âſés de force pour bien établir leur opinion, n’aient pas âſés d’autorité pour nous oblijer à la ſuivre. Comme les autres ne peuvent ſoûfrir que l’on face injure à la Langue Latine, ni à la Gréque, ils s’atachent à leurs ſantimans avec beaucoup d’opiniâtreté.

Ie ne veus pas condamner ces deus Langues ; puî qu’éles ont leur beauté, aûſi bien que leur üzaje : mais je puis dire (ſans m’élogner de la vérité) que ceus qui ont un atachemant particulier pour éles, ne ſont pas ordinairement les plus éclairés dans la Langue Francéze. Ils ſont ſamblables à ceus qui parlent continuélemant de ce qui regarde les autres, ſans panſer à leurs propres âfaires : & il ârive ſouvant que dans le chois des chozes qui ſont utiles pour le bien public, le jujemant de ceus qui ont beaucoup de lumiére ſans étude, doit étre préferé à l’opinion de ceus qui ont une Bibliétéque antiére dans leur téte.

Cété vérité parét dans la diſpute que l’on fait ſur l’Ortôgrafe Francéze, où il faut plûtôt ſuivre le ſantimant de ceus qui n’ont point d’étude, que celui de quelques Savans qui le méprizent.

Il peut étre confirmé par de bonnes raizons ; car les mémes principes qui nous enſégnent que la beauté des Siances dépand de l’ordre ; & que la Langue Francéze ét trés-parfaite, prouvent que la prononſiaſion des mos qui la compozent, doit étre la régle de l’Ortôgrafe que nous ï devons obſerver. Car comme nos conſepſions ſont le portrait des chozes que nous pouvons conétre ; & que la parole ét celui de la panſée, il ét aûſi trés-certain que l’écriture ét le portrait de la parole.

L’ordre ne relüit pas dans les écris de tous les Filozofes ; ils avoüent pourtant d’vn commun conſantemant, qu’il nous aide à bien conſevoir les chozes que nous pouvons conétre : car les conſepſions que nous pouvons avoir des chozes qui ſont dans la nature, ou des axions que nous faizons, ſont des portrais qui les reprézantent ; & le portrait d’une choze la doit reprézanter comme éle ét pour étre véritable.

Les chozes qui ſont dans la nature, ï ſont diſpozées par ordre ; & cét ordre ét une preuve tres-évidante de la ſajéſe divine ; c’ét pourquoi il faut conétre les chozes par ordre pour les bien conétre.

Il faut faire le méme jujemant des axions de l’antandemant, de la volonté, & de l’apétit ſanſüel ; c’ét à dire, qu’il faut âſûrer, que celui qui an veut avoir une parfaite conéſance, an doit conétre l’ordre : car éles ſont reſûës par ordre dans les facultés qui les produizent.

Comme la parole ét le portrait de la panſée, la beauté d’une langue conſiſte principalemant à exprimer les chozes ſelon l’ordre des conſepſions : d’où vient que la Langue Francéze ét trés-parfaite, à cauze que l’ordre de ſes expréſions répond à celui des panſées. Comme les Noms ï précédent les Verbes, on ï ſuit l’ordre de la nature ; car les Noms, qui ſignifient les chozes, ou les perſonnes, doivent précéder les Verbes, qui ſignifient ordinairement les axions.

Anfin puîque l’écriture ét le portrait de la parole, la prononſiaſion des mos qui compozent la Langue Francéze, doit étre la régle de l’Ortôgrafe que nous ï devons obſerver.

Nous ſuivrons céte métôde, ſi nous conſidérons les avantajes que le public an poûra reſevoir.

CHAPITRE II.
Des avantajes que le public poûra reſevoir de la conformité de l’Ortôgrafe Francéze avec la parole.


C Omme l’on ârive par degrés à la perféxion, il ï a long-tams que l’on tâche de réduire l’Ortôgrafe Francéze à la prononſiaſion ; & l’ordre que nous voïons relüire à prézant dans la Iuſtice, dans les Finiances, & dans la Police, nous ſôlicite à métre la derniére main à cét ouvraje.

Cand nous conſidérons que nôtre victorieus Monarque, a contraint dans une Campagne les plus grandes vîles de Flandre à le reconétre pour leur Souverain ; & que dans la rigueur de l’Hiver il a pû an tréze jours âſujétir toute la Franche-Comté à ſon obeïſance, nous pouvons crére qu’il ne s’ocupe qu’à faire la guerre. Mais cand nous faizons réfléxion ſur ſes axions à l’égard de la Réligion, de la Iuſtice, des Siances, & des Ars, nous jujons qu’il prand un grand ſoin des principales chozes qui regardent la conſervaſion & la beauté des Etas : car les blasfémateurs ſont punis ſelon la rigueur de ſes Ordonances : il ne donne point de grace aus infracteurs de céles qu’il a faites contre les duels : il veut que l’on obſerue éxactemant céles qu’il a établies pour regler les procédures de la Iuſtice : Les Savans de ſon Roïaume, & méme ceus des Roïaumes les plus élognés, conéſent par les gratificaſions qu’ils an reſoivent l’eſtime qu’il fait de la Siance. Anfin l’établiſemant des Académies, qu’ils antretient poupr la perféxion des plus beaus Ars, augmantera la gloire de la France : car les Peintres, les Sculpteurs, et le Architectes ï poûront atirer à leur tour les Italiens, pour admirer la beauté de leurs ouvrajes. L’ornemant que l’on ajoûte tous les jours à Paris, la néteté de ſes ruës, et la ſûreté d’i marcher la nuit ï feront venir un grand nombre d’Étrangers. Comme ils voudront aprandre nôtre Langue, nous ſommes an quelque faſon oblijés ed leur an faciliter l’intélijance ; et le meilleur moïen que nous puîſions prandre pour âriver à céte fin, ét de réduire nôtre maniére d’écrire à nôtre prononſiaſion.

Nous ne travaillerons pas ſeulemant an cela pour les Etrangers ; mais nous donnerons ancore aus anfans la facilité de lire les livres qui ſeront écris an nôtre Langue : et ſi nous éxaminons d’où vient que la plûpart des Francés ne prononſent pas bien les paroles qu’ils métent an uzaje pour exprimer leurs panſées, nous trouverons que ce defaut vient de celui de l’Ortôgrafe que ne répond pas à la prononſiaſion.

Nous devons donc écrire comme nous parlons ; pour contanter les Étrangers ; pour donner aus anfans la facilité de lire les livres qui ſeront écris an nôtre Langue ; & pour découvrir aus uns et aus autres la véritable

prononſiaſion des mos qui la compozent.
CHAPITRE III.
Des Régles que nous devons ſuivre, pour randre l’Ortôgrafe Francéze conforme à la prononſiaſion.


I L faut donner quelque conéſancne de la diférance des létres, & de quelques marques qui ſervent à l’intélijance de l’écriture, avant que d’établir les régles qu’il faut ſuivre pour écrire comme l’on parle.

Les Grammairiens divizent les létres an Voïéles et Conſones.

Les premiéres ſont céles qui peuvent faire une vois diſtincte ; & qui peuvent compozer un ſilabe, ou un mot, ſans le ſecours des Voïéles.

Les Coſones doivent étre jointes à quelque Voïéle, pour faire ſon diſtinct ; d’où vient qu’on ne peut faire aucune ſilabe ſans Voïéle.

Les Voïéles ſont ; ou Simples, c’éét à dire céles qui ſe prononſent ſeules ; ou Compozées, c’ét à dire céles qui ſe prononſent auec une autre.

Il ï a cinq Voïéles Simples, qui ſont a, e, i, o, u.

Eles ſont ; ou Longues ; ou Bréves.

Les Voïéles longues ſont céles dont la prononſiaſion ét de longue durée, comme dans ces mos pâſaje, étre. Nous tâcherons de les marquer d’un acſant aigu, ou circonflêxe, pour aprandre la véritable prononſiaſion de nôtre Langue.

Les Voïéles Bréves ſont céles qui ſe prononſent promtemant, comme dans ces mos, facilité, docilité.

Les Voïéles compozées (que les Grammairiens apélent diftongues) ſont ; ou propres ; ou impropres.

On antand diſtinctemant dans les premiéres le ſon de deus Voïéles, qui les compozent, comme dans ces mos jeu, Ouvrier.

Les diftongues impropres ſont céles qui font antandre un ſon, qui ne participe point des Voïéles dont éles ſont compozées, comme ai ſe prononſe comme un é ouvert dans les mots ſuivans faire, Palais, je dirai, &c.

Il faut remarquer que l’e, l’i, & l’u, ſe prononſent d’une maniére diferante.

L’é ét ; ou maſculin ; ou féminin ; ou ouvert ; ou plus ouvert.

L’e maſculin marque une prononſiaſion forte et bien articulée, comme celui qui finit ces mos divinité, majorité. On le marque ordinairement d’un acſant aigu.

L’e féminin ét celui dont la prononſiaſion ét préque imperceptible, ocmme celui qui ét à la fin de ces mos force, prudance.

L’é ouvert ét celui qui ſe prononſe d’une bouche plus ouverte que le maſculin, comme celui qui ét dans la derniére ſilable de ces mos objét, ſujét.

L’é plus ouvert eſt celui qui ſe prononſe d’une bouche plus ouverte que l’é ouvert, comme celui qui ét dans la premiére ſilabe des mos ſuivans, étre, téte, &c.

L’i, & l’u deviénent Conſones, cand ils précédent les autres Voïéles ; & qu’ils compozent avec éles une méme ſilabe ; comme dans ces mos jeune, jour, déja, majeſté, vertu, vérité, &c.

L’u ét aûſi Conſone, cand il précéde l’r qui ét devant une Voïéle, au commanſemant d’un ſilable, comme dans ces mos, vivre, livre, vrai, &c.

L’i Conſone ét figuré an céte maniére (j) pour le diſtinguer de l’i Voïéle.

L’u Conſone doit étre figuré an céte faſon (v) au commanſemant ou au milieu des mos, pour le diſtinguer de l’u Voïéle.

Les Grammairiens ajoûtent l’y au nombre des Voïéles ; céte létre ét inutile dans nôtre Langue : car ceus qui la métent à la fin des mos qui ſe terminent par i, ſuivent l’éreur de quelques Maîtres Ecrivains, et des Compoziteurs d’Imprimerie.

Les premiers voïant, qui l’i qui ét à la fin des mos n’étét pas propre à reſevoir l’ornemant des parafes dont l’y ét ſuſceptible, ont amploïé l’i Grec, pour faire parétre davantaje leurs éxamples.

Comme l’amploi de l’i ét tres-commun dans l’écriture, les Compoziteurs d’Imprimerie ont ſouvant recours à l’y, cand la câféte, ou (comme ils parlent) le câſetin du premier eſt vuide.

Cand on met l’i Grec à la fin de ces mos moi, Roi, loi, on an fait deus ſilabes ; car l’i Grec ſe doit prononſer ſéparémant.

Lor qu’il ét au milieu de deus Voïéles, il ſe doit prononſer comme deus i i ſéparés, c’ét pourquoi nous ï pouvons métre l’i avec deus petis poins ſur céte létre, comme dans ces mos moïen, voïant.

Il faut dire la méme choze de l’i Grec que l’on mét au commanſemant de quelques mos, & méme de celui qui fait vn mot, c’ét à dire, que nous ï devons amploïer l’i avec deus petis poins ſur cét létre, au lieu de l’y, comme dans ces mos il ï ét, éle ï parle, il ï a, &c

Comme l’i Grec ne doit pas étre à la fin ; & qu’il n’ét pas necéſaire de le métre au commanſemant, ni au milieu des mos, il doit étre rentranché de nôtre Langue, pour éviter le mauvais üzaje que nous en poûrions faire.

Aprés avoir donné quelque conéſance de la diférance des létres, la propoziſion que nous avons faite au commanſemant de ce Chapitre, nous oblije à parler de quelques marques qui ſervent à l’intélijance de l’écriture, qui ſont l’Apoſtrofe, l’union, & la divizion.

L’Apoſtrofe ét une figure ſemblable à une Virgule, qui marque ordinairemant le retranchemant d’une Voïéle, pour éviter une mauvaize prononſiaſion ; comme l’on écrit, l’eſprit, et non pas le eſprit ; s’étonner, & non pas ſe étonner ; l’eſpérance, & non pas la eſpérance &c.

L’Apoſtrofe ſe fait préque toûjours, cand une Voïéle ét au commanſemant d’un mot qui ſuit les mos d’une ſilbae terminée par une autre Voïéle ; comme nous écrivons l’ame, au lieu de la ame ; j’aime, pour je aime, &c.

Nous ne devons pas toûjours pratiquer céte régle, ſi nous voulons éviter quelqu’obſurité dans nôtre diſcours, comme nous devons écrire ſi éle, et non pas s’éle ; ſi Adam, et non pas s’Adam.

L’Apoſtrofe ſe fait aûſi, cand une h muéte ét au commanſemant d’un mot qui ſuit les mos d’une ſilabe terminée par vne Voïéle ; comme l’on écrit l’homme, et non pas le homme ; l’honneur, et non pas le honneur ; l’hiſtoire, & non pas la hiſtoire, &c.

Lor que la létre (h) ét aſpirée, c’ét à dire, qu’éle ſe prononſe avec quelque véhémance, on ne retranche pas la Voïéle, comme l’on dit la haine, et non pas l’haine ; le Héros, & non pas l’Héros ; la harangue, et non pas l’harangue. Nous devons pourtant dire l’héroïne, et non pas la héroïne.

L’uzaje nous oblije à nous ſervir de l’Apoſtrofe dans ces mos antre, puîque, quelque, et jûque, cand une Voïéle ét au commanſemant du mot ſuivant, comme nous devons écrire, antr’acte, pour antre acte ; puîqu’il, pour puîque il ; qu’elqu’un, pour quelque un ; jûqu’à midi, pour jûque à midi.

L’vsaje autorize l’Apoſtrofe dans le mot, grande, quoi qu’il ſoit ſuivi d’une Conſone ; comme l’on dit grand’ chambre, grand’ chére, &c.

On ajoûte ſouvant une l avec une Apoſtrofe devant on, pour randre la prononſiaſion plus agréable, an évitant la rancontre des Voïéles, comme dans ces faſons de parler, comme l’on écrit ; comme l’on parle.

Anfin cand un Verbe qui ét terminé par une Voïéle précéde il, éle, et on, il faut métre un t, devant ces particules, auec une Apoſtrofe antre-deus, pour randre la prononſiaſion plus agréable, comme dans les paroles ſuivantes, combien ï a-t’il de Commandemans de Dieu ; parla-t’éle de la vertu ; parle-t’on de guerre.

On ſe ſert de l’union, qui ét marquée par une petite lignen, an céte faſon (-) ou cand à la find d’une ligne il faut divizer un mot an deus ; comme propozi-ſion, defini-ſion ; ou pour joindre deus mos an un ; comme trés-mal, bon-heur, mal-heur, Sur-intandant, moi-méme, &c.

Cand on veut ſéparer un Voïéle d’vne autre, on mét deus poins deſus ; ou pour ne pas joindre deus ſilabse an une ; comme ces mos aïant, moïen, Poëte, heroïque, ou pour montrer que l’u doit étre pris pour une Voïéle, et non pas pour une Conſone, comme dans ces mos loüanje, joûïſance, ébloüir, &c.

La multitude des régles que donnent les Grammairiens, pour anſegner l’Ortôgrafe Francéze, peut faire naître la confuzion dans l’Eſprit : car ils confondent ordinairemant les régles qui aprénent à bien parler, avec céles qui regardent la perféxion de l’écriture.

Comme la plûpart des régles qu’ils établiſent, ſont fondées ſur un üzaje qui répugne à la raizon, la maniére d’écrire de leurs Sectateurs, ne peut reſevoir l’aprobaſion de ceus qui ſont raizonnables.

Ils donnent pluzieurs régles pour le plurier des Noms ; comme lor qu’ils âſûrent que les Noms qui ont leur ſingulier terminé en al, ou ail, ont ordinairemant leur plurier terminé an aus ; comme nous dizons animal, animaus ; travail, travaus, &c

Ils donnent aûſi pluzieurs régles pour les Noms Ajectifs ; an la maniére ſuivante.

Les Adjectifs dont la terminaizon maſculine ét an c, chanjent le c, an che, ou que, an leur terminaizon féminine ; comme l’on dit un homme blanc, et une muraille blanche ; un homme public, et une marchande publique.

Ceus qui ſe terminent en é maſculin, ajoûtent ſeulement e, au féminin ; comme l’on dit un Palais doré, et une chambre dorée.

Ces régles, & pluzieurs autres que donnent les Grammairiens ſur ce ſujet, ſont bonnes, pour anſegner la Langue Francéze à ceus qui l’ignorent : mais éles ne doivent pas étre amploïées, pour aprandre l’Ortôgrafe à ceus qui ſavent la Langue Francéze : car éles ne leur aprénent rien de nouveau ; et il ét certain qu’éles regardent la perféxion de la parole, & non pas céle de l’écriture.

Il faut ſuivre les maniéres d’écrire qui ſont autorizées par l’uzaje, cand éles ſont conformes à la prononſiaſion : d’ou vient que nous devons écrire, faire, je ferai, je dirai, j’aimerai, et non pas fére, je feré, je diré, j’aimeré : car l’Ortôgrafe des premiers mos, qui ét aprouvée par l’uzaje, ét trés-conforme à la prononſiaſion.

Le précepte que nous venons d’établir, prouve que nous devons ſuivre l’vzaje dans les premiéres ſilabes des mos prononſés an ſe, qui commanſent ; ou par ſ ; comme dans ces mos ſes, ſegond, ſéance, Secretaire, ſecours, ſecret, ſéculier, &c. ou par c ; comme dans ces mos, célébre, cercle, cérémonie, cerneau, certificat, cerize, certitude, certain, cerveau, Céleſtin, &c.

Il faut aûſi ſuivre l’uzaje dans les premiéres ſilabes des mos prononſés an ſi, qui commanſent ; ou par ſ ; comme dans ces mos, ſigne, ſiécle, ſignature, ſiéje, ſignificaſion, ſiance, &c. ou par c ; comme dans ces mos cierge, ciboire, Ciel, cilice, cizeau, cité, cinq, citron, circonférance, cidre, civilité, &c.

Il ne faut pas ſuivre aveuglémant l’vzaje : car comme il faut côrijer les defaus d’vn portrait par ſon originial, ſi les maniéres d’écrire ne répondent pas à la prononſiaſion, il ét tres-utile de les chanjer, puîque le portrait d’une choze la doit repréſanter comme éle ét pour étre véritable.

Il faut demander aux grans protecteurs de l’uzaje, de quéle maniére on écrivét autrefois le mos écriture : s’ils veulent parler véritablement, ils diront qu’on l’écrivét an céte faſon eſcripture. Il ï a long-tams que l’on a retranché le p, ſans reſpecter la Langue Latine. On a aûſi retranché l’ſ, an metant un acſant aigu ſur l’é ; & par ce moïen l’Ortôgrafe de ce mot a été réduite à ſa prononſiaſion. On doit faire la méme choze à l’égard des autres mos ; car la méme raizon qui nous a fait retrancher de tams an tams pluzieurs létres dans nôtre maniére d’écrire, nous oblije à retrancher céles qui ne ſe prononſent pas.

La méme raizon qui nous a fait ôter l’ſ de la premiére ſilabe du mot eſtre, an métant un acſant aîgu ſur l’é, nous oblije à l’ôter du mot eſt ; c’ét pourquoi nous devons écrire il ét ; puîque nous écrivons étre.

Il ét urai que ceus qui ont quité le parti du bon ſans, pour ſuivre aveuglémant celui de l’uzaje, ont ſouvant condanné les auteurs de ces chanjemans : mais ils ont été contrains (malgré leurs exclamaſions) ou de pâſer pour ignorans dans l’Ortôgrafe Francéze ; ou de reſevoir les maniéres d’écrire qu’ils aveent condamnées. Ils ſont en peril de tomber dans la méme confuzion, s’ils s’opozent à la metôde qui nous preſcrit d’écrire comme nous parlons.

Il ne faut pas condamner dans les vieus livres ces faſons d’écrire, j’aimois, il aimoit, je parlois, il parloit, ils parloient, car éles ont été conformes à la parole de leurs auteurs : mais comme la prononſiaſion an a été adoucie, ceus qui les retiénent à prézant, aprés avoir aprouvé le chanjemant de leur original, ſont ridicules de préferer vn mauvais uzaje à la raiſon. Nous devons donc écrire j’aimés, il aimét, je parlés, il parlét, ils parléent, &c.

Si nous voulons donner le moïen d’écrire côrectemant, nous devons éxaminer les cauzes des fautes que nous ï pouvons faire.

Éles viénent du déréglemant ordinaire des hommes, et du grand atachemant que les Grammairiens ont à la Langue Latine, & à la Gréque.

La plûpart des hommes ſont ſi déreglés, qu’ils font ce qu’ils devréent éviter ; & qu’ils ne font pas ce qu’ils devréent faire. Si nous cherchons avec ſoin la premiére cauze de ce déréglemant, nous trouverons qu’il vient ; ou de la pâſion ; ou de l’ignorance ; ou de l’uzaje.

La pâſion, qui fait tomber les hommes dans le vice qu’ils devréent éviter, les élogne de la vertu qu’ils devréent pourſuivre.

L’ignorance ét cauze que pluzieurs Filozofes cherchent la conéſance des chozes qui leurs ſont inutiles ; & qu’ils ne s’appliquent pas à céles qui poûréent les conduire à la conéſance, & à l’amour de Dieu.

Cand les Grammairiens veulent regler nôtre maniére d’écrire par l’uzaje ordinaire, ils ſe trompent ſouvant ; ou an metant des létres où éles ne doivent pas étre ; ou an mancant de les métres à la place qu’éles doivent ocuper.

Ils tombent principalemant dans ce defaut, à l’égard du z, & de la létre x.

Ils métent ordinairemant le z, au plurier des Noms qui ſont terminés an é maſculin ; comme dans ces mos, les bontez, les dignitez, les beautez, &c.

Mais l’s ét âfectée aus pluriers ; et ſi nous conſidérons bien la prononſiaſion de céte ſilabe és, marquée d’un acſant aigu, nous trouverons que la létre s ï ét plus naturéle que le z ; comme dans ces mos les bontés, les dignités, les beautés. Nous devons par la méme raizon métre l’s, & non pas le z, à la fin de ces Verbes vous avés, vous parlés, vous parlerés, vous aimerés, &c.

Cand ils dizent que l’s antre-deus Voïéles ſe doit prononſer comme un z, ils ne métent pas le z à la place qu’il doit ocuper : car ſi l’s antre-deus Voïéles ſe prononſe comme un z ; pourquoi n’ï métra-t’on pas le z ? c’ét pourquoi nous devons écrire choze, roze, dezirer, propozer, et non pas choſe, roſe, deſirer, propoſer. Mais cand la létre ſ, ſe rancontrerar antre-deus Voïéles, éle ï retiendra ſa prononſiaſion naturéle ; comme dans ces mos pâſaje, ſajéſe, puîſante, fôſe, aûſi, &c.

Cand on mét la létre x, à la fin de la plûpart des mos, on la mét où éle ne doit pas étre ; d’où vient que nous ne devons pas écrire deux, dix, les animaux, la voix, les loix, &c ; mais nous devons écrire deus, dis, les animaus, la vois, les lois, &c. car ſi nous conſidérons la prononſiaſion de tous ces mos, nous trouverons qu’ils doivent étre terminés par l’s, & non pas par l’x. Le defaut des Grammairiens ſur ce ſujét, vient des Compoziteurs d’Imprimerie, qui ont abuzé de la létre x, pour épargner l’s, dont la câſéte étét trop tôt épuizée.

Si l’on ſe trompe, an metant la létre x où éle ne doit pas étre ; on ſe trompe aûſi, an mancant de la métre à la place qu’éle doit ocuper ; comme au lieu de ces trois létres cti, on doit métre la ſilabe xi, dans les mos qui ſe prononſent par xi ; comme nous ne devons pas écrire action, traduction, perfection ; mais nous devons écrire axion, traduxion, perféxion, ſi nous voulons randre l’écriture de ces mos conforme à leur prononſiaſion.

L’atachemant que la plûpart des Grammairiens ont à la Langue Latine, & à la Gréque, les oblije d’établir des régles ſur un üzaje qui répugne à la raizon, cand ils veulent anſegner l’Ortôgrafe Francéze ; comme lor qu’ils dizent que l’on doit écrire les Noms qui ſont prononſés an ca, ou can, tantôt par qua, ou quand ; & tantôt par ca, ou can. Céte régle réduit tout les Francés à la necéſité de ſavoir la Langue Latine, pour aprandre l’Ortôgrafe de leur Langue ; c’ét pourquoi il faut âſûrer que nous devons écrire par ca, ou can tous les mos qui ont les mémes prononſiaſions ; comme les mos ſuivans, calité, catre, catriéme, carante, cadruple, carte, catorze, cantité, cand, cant, &c.

Ils établiſent aûſi une régle ſur un üzaje qu’il faut méprizer, cand ils ſoû tiénent que les Noms qui ſont terminés par ça, & çon ; et que l’on prononſe comme ſa, & ſon, demandent une petite marque ſous le c, pour montrer qu’il doit étre prononſé comme un ſ ; comme dans ces mos il prononça, il commança, façon, garçon, leçon, &c.

Comme la petite marque qui ét ſous le c, ſignifie qu’il doit étre prononſé comme un ſ, nous ï devons métre l’ſ ; an la maniére ſuivante, il prononſa, il commanſa, faſon, garſon, leſon, &c. Puîque nous devons écrire ces mos il prononſa, il commanſa par un ſ, nous devons amploïer la méme létre dans ces mos prononſer, prononſiaſion, commanſer, commanſemant. Céte régle nous aprand, que nous devons écrire par un ſ ces mos conſevoir, conſepſion, reſevoir ; puî que nous devons écrire par la méme létre ces mos ils conſoivent, ils reſoivent.

Les Grammairiens ſe trompent aûſi, à cauze du grand atachemant qu’ils ont à la langue Latine, lor qu’ils dizent que les Nomes qui ſont prononſés an ſion, ſont ordinairemant terminés par tion ; comme ces mos definition, propozition. Mais comme ils ſont prononſés an ſion, ils doivent étre écris an la maniére ſuivante définiſion, propoziſion.

Les Grammairiens donnent pluziers régles, pour montrer qu’il faut écrire, tantôt par a ; & tantôt par e les Noms qui ſont prononſés an dance, gance, lance, mance, pance, rance, ſance, tance, zance.

Les régles qu’ils donnent ſur ce ſujét ſont ; ou inutiles ; ou fondées ſur un üzaje qui répugne à la raizon : car il faut amploïer l’a, & non pas l’e dans tous les Noms qui ſont prononſés an ance ; comme dans les mos ſuivans prudance, intélijance, violance, clémance, continance, diſpance, conferance, éſance, pénitance, prézance. On prononſét autrefois tous ces mos an ence, aûſi bien que les mos Latins dont ils dérivent : mais comme leur prononſiaſion a été chanjée, il an faut aûſi chanjer la maniére d’écrire ; puî qu’un protrait doit répondre à ſon original.

La régle que nous venons d’établir, détruit céle que donnent les Grammairiens, cand ils âſûrent que l’e devant l’m, et l’n, ſe prononſe quelquefois comme vn a ; comme dans ce mot entendement : car ſi l’e, ſe prononſe comme un a ; pourquoi n’ï metra-t’on pas un a ? pour donner aus Etrangers, & aus anfans la facilité de lire les mos ſuivans antandemant, antandre, antre, commanſemant, tams, &c.

On dira que la pratique de céte régle, ſera cauſe d’une mauvaize prononſiaſion, lor que l’e qui précédera l’n, ſera aprés le c, et le g : car ſi nous chanjons l’e an a dans ces mos innoncent, diligent, nous les écrirons an céte maniére innocant, diligant.

Nous éviterons ces mauvaizes prononſiaſions, ſi nous chanjons le c an ſ, & le g an j Conſone dans ces mos innoſant, dilijant.

Comme les Grammairiens ſont d’accord que le g devant l’e, ſe prononſe comme un j Conſone, nous ï devons amploïer l’j Conſone, plûtôt que le g : c’ét pourquoi nous ne devons pas écrire agent, engendrer, génération, jugemant, juger, changer, ſagéſe, &c. mais nous devons écrire ajant, anjandrere, jénéraſion, jujemant, jujer, chanjer, ſajéſe, &c.

On ſe ſert ordinairemant de ph, au lieu de la létre f, dans les mos qui ſont dérivés de la Langue Gréque, pour an marquer l’étimologie : mais il ne faut pas réduire tout le monde à la necéſité de ſavoir la Langue Gréque, pour aprandre l’Ortôgrafe Francéze ; c’ét pourquoi nous devons écrire les mos ſuivans par f, Filozofie, Ortôgrafe, Coſmografie, Blasfème, Epitafe, Fizique, &c.

Le méme raizon nous oblize d’écrire les mos ſuivans ſans b, Téologie, metôde, Catôlique Crétien, &c.

Il faudrét ſans doute condamner un Médecin, qui cauzerét une maladie pour an combatre une autre ; et un Orateur, qui ferét naître l’ambiſion dans le cœur d’un Prince, pour ï étoufer le dezir de vanjancne. Il faut aûſi blâmer les Grammairiens, qui ſont cauze d’une mauvaize prononſiaſion, par la méme régle qu’ils donnent pour an éviter une autre.

Ils dizent que le g, ſe prononſe quelquefois comme un j Conſone, devant a, o, u, an metant un e, antre le g, et a, o, u ; comme dans ces mos, jugea, jugeons, gageure. Lis métent ſans doute un e, antre le g, & a, o, u pour éviter ces prononſiaſions juga, jugons, gagure ; mais ils ne conſidérent pas qu’ils ſont cauze d’une mauvaize prononſiaſion, par la méme régle qu’ils donnent pour an éviter une autre. Nous ne tomberons pas dans leur faute, ſi nous amploïons l’j Conſone, au lieu du g, an céte maniére juja, jujons, gajure : car puî qu’ils avoüent que le g, ſe prononſe quelquefois comme j Conſone, devant a, o, u ; pourquoi n’ï métent-ils pas un j Conſone ?

Sextus Pompeïus nous apland qu’avant Enniuns les Romains ne doubleent point les Conſones dans leurs écritures, ce Poëte aïant été le premier qui comme Grec prit céte liberté, qu’on ſuivit dépuis à ſon éxample. Il ne faut pas ſuivre les régles que donnent les Grammairiens pour les doubler dans l’Ortôgrafe Francéze ; car éles ſont fondées ſur un üzaje qui répugne à la raizon ; comme cand on prononſe la lettre ſ, antre-deus Voïéles, ils la doublent toûjours ; à cauſe (dizent-ils) qu’un ſ ſeul antre-deus Voïéles, ſe prononſe comme un z. Mais cand il ſe prononſe comme un z, on ï doit métre le z ; c’ét pourquoi il n’ét pas necéſaire de le doubler, lor qu’il ſe rancontre antre-deus Voïéles ; puî qu’il ï retient ſa prononſiaſion naturéle ; et il faut métre ordinairemant un acſant circonfléxe, ou aigu ſur la Voïéle qui le précéde ; comme dans ces mos pâſaje, ſajéſe, puîſance, pôſéſion, aûſi, &c.

Il ne faut pas pourtant retrancher toutes les létres doubles ; car il faut retenir céles qui ſe prononſent ; comme dans ces mos honneur, homme, guerre, terre, donner, couronne, commandemant, travailler, &c. Il faut méme les doubler contre l’üzaje ordinaire, cand la prononſiaſion la demande ; comme on écrit le mot Romme, par un ſeul m ; mais ſi nous an conſidérons la prononſiaſion, nous trouverons qu’éle ét ſamblable à céle du mot comme ; il faut donc doubler l’m, dans le premier de ces mos, aûſi bien que dans le ſegond.

On ſe trompe ſouvant dans l’écriture de la Particule ce ; et dans céle des Pronoms ſes, et leur.

Cand la particule ce ſert à démontrer quelque choze, on la commanſe toûjours par c, comme ce Filozofe, ce Marchand, ce Capitaine, cét animal, cét homme, &c. Mais cand éle a du raport avec la perſonne d’un Verbe, on la commanſe toûjours par ſ ; comme le Maître ſe mét an colére, mon pére ſe repoze, les jans de bien ſe conſolent.

Le Pronom ſes, ſe doit écrire par ſ, cand il marque quelque pôſéſion ; comme un pére aime ſes anfans : et par c, cand il ne marque point de pôſéſion C; comme ces choſes là ſont admirables.

Cand le Pronom leur ét joint au plurier d’un Nom Subſtantif, on mét un ſ, à la fin ; comme j’aï lû leurs livres, j’ai condamné leurs diſcours : mais lor qu’il précéde immédiatemant un Verbe, il n’ï faut point d’s, quoi que le Verbe ſoit au plurier ; comme jeu leur ai parlé, nous leur parlerons.

Il ï a quelques années que j’antandis un plaizant Dialogue, antre une Dame de calité et le Précepteur de ſes anfans. Aprés qu’éle lût prié de lui anſegner l’Ortôgrafe Francéze, il lui fit conétre par le chanjemant de ſon viſaje, que la propoziſion qu’éle lui fezét ne lui étét pas agréable : Ele ſe perſüada que ſon ſilancne été un éfét de la crainte qu’il avét de n’étre pas bien recompanſé : ce qui l’oblija à lui dire qu’il ne travaillerét pas inutilemant. Ie n’an doute pas Madame (lui répondit-il) mais vous me demandés une choze trés-dificile. Vous panſés, peut-étre, que je n’ai pas âſés de lumiére pour bien profiter de vos leſons (lui dit-éle avec douceur) il lui replica bruſquemant, que la conéſance de la Langue Latine, et de la Gréque étét necéſaire pour ſavoir l’Ortôgrafe Francéze.

Si vous me réduizés à la necéſité d’aprandre le Grec, et le Latin, pour ſavoir écrire la Langue Francéze (reprit-éle an riant) je ne vous donnerai pas la péne de m’inſtruire.

Céte Dame a été trés-heureuſe, de n’avoir pas reſû l’inſtruxion d’un tel Maître ; et il ſerét heureus à ſon tour, s’il ſe metét an état de la conſulter, pour avoir la conéſance qu’éle lui avét demandée. Car comme les fames prononſent ordinairemant nôtre Langue, plus agréablemant que les hommes qui pâſent leur vie dans leur cabinet, à lire des livres Grecs, et Latins, il leur ét trés-facile de ſavoir l’Ortôgrafe Francéze ; puîque nous devons écrire comme nous parlons.

Ie me perſüade facilemant, que ceus qui ſont raizonnables aprouveront céte métôde ; mais ceus qui ſont eſclaves de l’üzaje, diront qu’éle ſera cauze d’un trés-grand mal. Ie n’antre-prandrai pas de les guerir de celui qu’ils ont dans l’eſprit : car comme ils s’atachent à leurs ſantimans avec beaucoup d’opiniâtreté, ils ſont incurables. Ie répondrai pourtant à leurs raizons, pour donner aus autres le

moïen de les combatre.
CHAPITRE IV.
Des réponſes qu’il faut faire aus raizons de ceus qui ſoûtiénent, que nous ne devons pas écrire comme nous parlons.


I L ï a une grande diferance antre ceus qui font des dificultés contre quelque vérité, pour an avoir une claire conéſance : car les premiers l’aprouvent ; mais les autres ne la veulent pas reſevoir : les premiers dezirent d’étre éclairés ; mais l’inclinaſion de vaincre, qui regne dans l’ame des autres, les ampéche de ſortir de leur éreur. Anfin les premiers propozent ordinairemant leurs doutes avec beaucoup de modeſtie ; mais la contanſion, qui acompagne la parole des autres, ét une preuve trés-évidante de leur vanité.

Nous ne douterons pas de ces vérités, ſi nous conſidérons les diferans mouvemans de ceus qui font des dificultés, contre la conformité de l’Ortôgrafe Francéze avec la parole.

Les uns, qui aprouvent céte maniére d’écrire, propozent des doutes, pour an reſevoir la ſoluſion ; mais les autres s’opozent à ſon établiſemant.

Il ſamble (dizent les premiers) que la prononſiaſion, étant ſujéte au chanjemant, ne puîſe étre la régle infalible de l’Ortôgrafe. Ils ajoûtent à céte raizon la dificulté qu’aureent les anfans qui aureent été inſtruis ſelon cét metôde, à lire les livres qui ſont imprimés an nôtre Langue.

Ie demeure d’acord que nôtre prononſiaſion, ét aûſi bien que nôtre Langue ſujéte au chanjemant ; puî que les lois humaines qui ſont juſtes n’an ſont pas éxamtes ; à cauze de l’inconſtance des axions qu’éles doivent regler ; et de la nature de nôtre raizon, qui ârive par degrés à ſa perféxion. Mais ces propoziſions, qui prouvent ſeulemant que l’inconſtance de l’Ortôgrafe doit ſuivre céle de la prononſiaſion, ne doivent pas nous ampécher de dire que la prononſiaſion doit étre la régle de l’écriture ; parce que le portrait d’une choze la doit reprézanter comme éle ét pour étre véritable.

Si l’Ortôgrafe répond à la prononſiaſion, les anfans aprandront à lire trés-facilemant ; et ceus qui auront été inſtruis ſelon céte métôde, n’auront point de péne à lire les livres qui ſont imprimés an nôtre Langue : car l’Ortôgrafe ï ét an partrie conforme à la prononſiaſion ; et on leur fera conétre les defaus de l’autre partie, an leur montrant à lire comme l’on parle. Ajoûtons à ces raizons que les livres qui ſont imprimés an nôtre Langue ſont ; ou bons ; ou mauvais. S’ils ſont bons, on an fera bien-tôt une ſegonde impréſion, qui côrijera les defaus de la premiére ; mais s’ils ſont mauvais, le tams, qui nous doit étre trés cher, ne doit pas étre amploïé à leur lecture.

Comme ceus qui font les dificultés précédantes, dezirent que l’Ortôgrafe ſoit réduite à la prononſiaſion, je panſe qu’ils ſeront contans des réponſes que je viens de leur faire ; mais je n’eſpére pas de pouvoir guerir ceus qui nepeuvent ſoûfrir céte faſon d’écrire : car comme un Médecin qui antreprandrét de combatre une maladie incurable, et un Orateur qui voudrét exciter la compâſion dans l’ame de ceus qui ſont miſérables, travaillereent inutilemant, il faut fait faire le méme jujemant de celui qui voudrét oblijer les grans protecteurs de la Langue Latine, à donner leur aprobaſion à l’Ortôgrafe Francéze que nous voulons établir.

Il faut pourtant écoûter leurs raizons, & ï répondre, pour ampécher que leur maladie n’infecte les autres.

L’üzaje qu’il faut ſuivre ; les équivoques qu’il faut éviter ; et l’origine des mos de la Langue Francéze, ſont les fondemans qui les antretiénent dans leur éreur.

Il dizent que l’üzaje doit étre la régle de la parole, & de l’écriture : Mais ils doivent ſavoir que l’üzaje dans une Langue, aûſi bien que dans l’Ortôgrafe, ét un tiran dont on peut abandonner la loi, ſans agir contre céle de Dieu ; et que l’on doit ſouvant quiter pour ſuivre la raizon. Lor que les faſons de parler, & d’écrire ſont indiferantes, l’üzaje doit regler la parole, & l’écriture : mais ſi l’üzaje an ét mauvais, il faut ſe ſervir de la raizon pour le combatre. Ie demande à ces grans protecteurs de la coûtume, d’où vient que les actes publics ne ſe font pas en Latin, comme ils ſe faizeent avant Franſois Premier ? que nous ne parlons pas à prézant comme on parlet il ï a cincante ans ? & que nous avons retranché pluzieurs létres dans nôtre maniére d’écrire ? ils diront, peut-étre, que ces defaus ſont des éfés de la corrupſion de nôtre nature : mais ceus qui ſont plus raizonnables qu’eus, diront que ces avantajes ſont des éfés de la lumiére de ceus qui ont travaillé à la perféxion de la Langue, et de l’Ortôgrafe Francéze.

Ie demeure d’accord qu’il ét trés-ütile, de ſavoir les diferantes ſignificaſions qu’on peut donner aus mos qui ſont équivoques : car céte diſtinxion des mos ét necéſaire, pour découvrir clairemant la verité des propoziſions qu’ils compozent ; & pour acorder les Filozofes, qui diſputent ordinairemant du nom, plûtôt que de la choze qu’il ſignifie ; comme ſi nous voulons ſavoir, ce que nous devons antandre par le mépris de la vie, & par celui de la mort, nous devons conſiderer, que le mot de mépris ét équivoque. Car comme nous ne méprizons pas le chozes que nous eſtimons, ni céles que nous craignons, le mépris ét opozé à l’eſtime, et à la crainte. Comme les chozes que nous eſtimons, ſont du nombre des biens ; que céles que nous craignons ſont du nombre des maus ; que la vie ét un bien ; & que la mort ét un mal, il faut âſûrer que celui qui méprize la vie, ne l’eſtime pas ; & que celui qui méprize la mort, ne la craint pas.

Si nous voulons acorder les opinions de ceus qui demandent, ſi la vertu morale ét naturéle à l’homme, nous devons ſavoir que le mot de naturel peut reſevoir pluzieurs ſignificaſions ; comme il peut étre pris ; ou pour ce qui vient de la nature ; ou pour ce qui ét conforme à la nature de quelque choze. La vertu morale n’ét pas naturéle à l’homme, an la premiére faſon ; mais éle lui ét naturéle an la ſegonde. Si nous prenons le mot de naturel, pour ce qui nous ârive naturélemant ſans péne, la vertu morale ne nous ét pas naturéle ; parce que nous devons travailler avec ſoin pour l’aquerir : Si nous le prenons, pour ce que nous pouvons obtenir par l’éfort de nôtre nature, la vertu morale nous ét naturéle : car il ï a céte diferance antre les vertus morales, & les téologales, que les premiéres ſont des éfés de l’axion de la faculté que les reſoit ; & que les autres doivent leur naîſance à la bonté de Dieu, qui les imprime dans nos ames, pour nous élever à la joüïſance de ſa gloire. Anfin ſi nous prenons le mot de naturel, pour une choze pour qui nous avons de l’inclinaſion, la vertu morale nous ét naturéle.

Pour avoir une claire conéſance de céte vérité, il faut conſiderer l’homme, avant qu’il tombe dans le peché, & aprés qu’il ï ét tombé.

Si nous le conſidérons dans le premier état, le combat qui ſe rancontre antre ſa volonté, & ſon apétit, nous fait conétre que ſa volonté ſe porte à la vertu ; & ſi nous le conſidérons dans le ſegond, la douleur qu’il a d’avoir quité la vertu, nous aprand qu’il a ancore quelque inclinaſion pour céte calité.

Puî qu’il faut ôter les équivoques, pour conétre clairemant la vérité des propoziſions qu’ils compozent ; et pour acorder les Filozofes, qui diſputent ordinairemant du nom, plûtôt que de la choze qu’il exprime, il ſamble que l’Ortôgrafe Francéze ne doit pas répondre à la prononſiaſion.

Il ét urai que ſi nous écrivons comme nous parlons, pluzieurs mos qui ſignifient des chozes trés-diferantes, ſeront écris de la méme maniére ; mais nous an poûrons facilemant ôter les équivoques ; ou par la diferance qui ſe rancontre antre l’i Voïéle, & l’i Conſone ; ou par des acſans ; ou par la ſuite du diſcours : et c’ét principalemant de céte troiziéme ſource que nous devons tirer la ſoluſion de toutes les dificultés qu’on peut faire ſur ce ſujét.

I’antant un Grammairien qui ſe mét an colére, cand on lui parle du retranchemant que je veus faire de l’y. Si l’on retranche (dit-il) céte létre de la Langue Francéze, on confondra les jeus de Cartes, qui peuvent étre la ſource de pluzieurs maus, avec l’organe de la ûuë, qui ét le plus noble de tous les ſans ; mais ſi nous écrivons le mot jeus par un j, nous exprimerons les jeus de Cartes, ou d’autres divertiſemans ; et ſi nous l’écrivons par un y, nous parlerons de l’organe de la ûuë.

Si ce Grammairien fezét réfléxion ſur la diferance qui ſe rancontre antre l’i Voïéle, et l’j Conſone, il conétrét que ſa plainte ét mal fondée : car ſi nous écrivons le mot ïeus par un i Voïéle, nous parlerons ſans doute de l’organe de la ûuë ; mais ſi nous l’écrivons par un j Conſone, nous exprimerons les jeus de Cartes, ou d’autres divertiſemans.

Il dira que ceus qui ne conéſent pas la diferance qui ſe rancontre antre l’i Voïéle, et l’j Conſone, poûront tomber dans l’éreur ; mais ils poûront l’éviter trés-facilemant, par la ſuite du diſcours : car cand on leur dira qu’un homme a mal aus ïeus, ou qu’il aime les jeus, ils contéront clairemant qu’on parle de l’organe de la ûuë dans la premiére propoziſion ; & que l’on parle de quelque divertiſſemant dans la ſegonde.

Il ï a pluzieurs mos dans nôtre Langue qui ſignifient des chozes dïferantes, et qui ont été toûjours écris d’une méme maniére ; comme cand on dit qu’on a fait grand’ chére, et qu’un marchandize ét chere, on écrit le mot chére de la méme faſon dans la premiére propoziſion que dans la ſegonde ; mais on peut conétre la diferante ſignificaſion de ce mot, par l’acſant qui ét ſur l’é dans la premiére propoziſion.

Les Grammairiens dizent qu’il faut écrire le mot jeune, ſans ſ, cand il ſignifie un anfant ; et par ſ, cand il exprime une axion d’abſtinance ; mais il faut toûjours l’écrire d’une méme faſon, pour éviter vne mauvaize prononſiaſion. Cand on l’écrira ſans acſant, il ſignifiera un anfant ; & cand on metra un acſant circonfléxe ſur la premiére ſilabe, on exprimera une axion d’abſtinance. Ceus qui ne font pas réfléxion ſur les acſans poûront facilemant éviter l’équivoque du mot jeune, par la ſuite du diſcours : car cand on leur dira que les jeunes jans ſuivent le mouvemant de la pâſion qui les agite, et que les jans de bien obſervent les jeûnes qui ſont commandés par l’Eglize, il leur ſera facile de conétre que le mot jeunes ne ſe prand pas de la méme faſon dans la premiére propoziſion que dans la ſegonde.

Il faut (dizent les Grammairiens) écrire le mot maſtin par ſ, cand il ſignifie un chien ; & ſans ſ, cand il ſignifie la premiére partie du jour : mais il faut toûjours l’écrire ſans ſ, pour éviter une mauvaize prononſiaſion. Cand on metra un acſant circonflêxe ſur la premiére ſilabe, il ſignifiera un chien ; et cand on n’ï metra point d’acſant, il exprimera la premiére partie du jour. La ſuite du diſcours donnera à tout le monde la facilité d’an ôter l’équivoque : car cand on dira qu’un homme ſe leve de bon matin, ou qu’ils a rancontré un mâtin an ſon chemin, on conétra facilemant de qu’éle maniére le mot matin ſe prand dans la premiére propoziſion, & dans la ſegonde.

I’antans un Grammairien, grand protecteur de l’üzaje, faire ces exclamaſions ô tams ! ô mœurs ! ô ſiécle mal-heureus ! on veut nous oblijer à écrire comme nous parlons ; on veut donc confondre les Noms avec les Verbes ; l’axion des Laquais avec céle des Architectes ; l’axion d’un maſon avec un partie du vizaje ; & les cors humain, qui peut reſevoir an quelque faſon la félicité éternéle, avec un inſtrumant qui ſert à la chaſe.

Si l’on ôte la létre l du mot fils, on confondra (dit-il) un Nom avec le Verbe je fis. Mais il devrét conſiderer qu’on poûra facilemant ôter l’équivoque de ce mot, par la ſuite du diſcours : car cand vn homme dira j’aime mon fis, ou je fis un diſcours, il nous aprandra clairemant par la premiére propoziſion, qu’il aime celui qui lui doit la vie ; & par la ſegonde, qu’il fït une harangue.

Si l’on écrit le mot batirent toûjours de la méme faſon, on confondra (dit-il) l’axion de quelques Laquais, qui ſe batirent au Cours, avec céle des Architectes, qui bâtirent une maizon ; mais on diſtinguere facilemant ces deus axions, ſi l’on écrit le mot batirent ſans ſ, cand on exprimera l’axion des Architectes, qui baſtirent une maizon. On poûra éviter céte mauvaize prononſiaſion, & ôter l’équivoque du mot bâtirent, an metant un acſant circonfléxe ſur la premiére ſilabe ; cand on voudra exprimer l’axion des Architectes, qui bâtirent une maizon : on poûra aûſi conétre la diferante ſignificaſion de ce mot par la ſuite du diſcours.

Si l’on écrit le mot bouche toûjours de la méme faſon, on confondra (dit-il) une partie du vizaje avec l’axion d’un Maſon ; mais on ï metra une claire diſtinxion ; ſi l’on écrit le mot bouche ſans ſ, cand on voudra ſignifier vne partie du vizaje ; et par ſ, cand on voudra exprimer l’axion d’un Maſon, qui bouſche un trou. On poûra éviter céte mauvaize prononſiaſion, & ôter l’équivoque du mot boûche, an metant un acſant circonflêxe ſur la premiére ſilabe, cand on voudra exprimer l’axion d’un Maſon, qui boûche un trou. On poûra aûſi conétre la diferante ſignificaſion de ce mot, par la ſuite du diſcours.

Anfin ſi l’on écrit le corps humain ſans p, on le confondra (dit-il) avec un inſtrumant qui ſert à la chaſe. Mais ſi l’üzaje, qu’il ſuit aveuglémant, n’avét pas obſcurci la lumiére de ſa raizon, il ſaurét qu’il ét facile d’ôter l’équivoque du mot cors, par la ſuite du diſcours : car ſi l’on dit qu’un homme a le cors bien fait, ou qu’il ſonne bien du cors ; on juje facilemant que le mot de cors, ét pris dans la premiére propoziſion, pour une partie de l’homme ; & qu’il ét pris dans la ſegonde, pour un inſtrumant qui ſert à la chaſe.

Il faut faire le méme jujemant des autres équivoques qui peuvent naître de la conformité de l’écriture avec la parole ; c’ét à dire, qu’il faut âſûrer qu’il ét facile de les ôter, par la ſuite du diſcours.

Il nous reſte à répondre au troizième fondemant des Grammairiens, qui ſoûtiénent que nous ne devons pas écrire comme nous parlons, à cauze que l’écriture doit marquer l’origine des mos que nous amploïons pour exprimer nos panſées. Si l’on écrit comme l’on parle, on ne conétra point (dizent-ils) l’origine des mos que nous metons an üzaje pour découvrir nos panſées ; & on détruira la beauté de la Langue Francéze, qui conſiſte dans le raport qu’éle doit avoir avec la Latine, & la Gréque.

Ces Grammairiens demeurent d’accord, que le public poûrét tirer de grans avantajes de la conformité de l’écriture avec la parole : mais l’origine des mos de la Langue Francéze ét cauze qu’ils s’opozent à l’établiſſemant de la metôde qui nous preſcrit d’écrire comme nous parlons.

Il faut combatre leur éreur par ce raizonnemant : ou les Francés ignorent la Langue Latine, et la Gréque, ou ils an ont la conéſance. Le nombre de ceus qui les ignorent, ſurpâſe ſans doute le nombre de ceus qui les ſavent.

S’ils ignorent la Langue Latine, & la Gréque, ils ne peuvent conétre le raport de la Langue Francéze avec éles ; il ne faut donc pas les ampécher d’écrire comme ils parlent ; car il n’ét pas raizonnable de les priver d’un grand avantaje pour une choze qui leur ét inutile.

S’ils ſavent la Langue Latine, & la Gréque ; il poûront conétre le raport de la Langue Francéze avec éles, quoi que l’écriture de la Langue Francéze ſoit réduite à ſa prononſiaſion ; comme bien que l’on écrive ce mot propoziſion, par un z dans la troizième ſilabe ; et par un ſ dans la catriéme, on conétra pourtant qu’il dérive du mot Latin propoſtio : quoi que l’on écrive ce mot perféxion, par x, on conétra facilemant qu’il dérive du mot Latin perfectio. Ceus qui ſauent la Langue Gréque conétront clairemant que ces mos Filozofie, Fizique dérivent des mos Grecs Φιλοσοφία, Φυσικὸ, quoi que l’écriture des mos Francés ne réponde pas antiéremant à céle des mos Grecs dont ils dérivent.

Vn grand protecteur des Etimologies dira, que l’origine de pluzieurs mos nous ſera inconuë, ſi nous écrivons comme nous parlons : mais ! quel mal an ârivera-t’il ? les plus habiles Grammairiens ne ſont pas d’acord de la ſignificaſion de pluzieurs mos ; et ceus qui pâſent les plus beaus jours de leur vie dans la recherche des Etimologies, devreent donner à leur conſtance une fin plus conſidérable.

Les réponſes que nous venons de faire aus Grammairiens, qui ſoûtiénent que nous ne devons pas écrire comme nous parlons, nous oblijent d’établir trois vérités qui ſont trés-importantes.

Premiéremant, que nous devons écrire an nôtre Langue, comme châque naſion doit écrire an la ſiéne.

An ſegond lieu, qu’il nous ét trés-utile d’aprandre la Filozofie an Francés.

An troiziéme lieu, que nous pouvons étre ſavans, ſans avoir la conéſance de

la Langue Latine.
CHAPITRE DERNIER.
Des raizons qu’il faut métre an vzaje pour montrer que nous devons écrire an nôtre Langue, qu’il nous ét trés-utile d’aprandre la Filozofie an Francés ; & que nous pouvons étre ſavans, ſans avoir la conéſance de la Langue Latine.


C omme Ariſtote nous anſégne au premier Chapitre du ſegond livre de ſa Fizique, que celui qui voudrét prouver l’exiſtance de la nature, qui ét trés-claire, ſerét ridicule, on poûrét condamner le deſein que j’ai de prouver que nous devons écrire an nôtre Langue ; puî que céte vérité ét trés-évidante. Mais comme les chozes les plus claires peuvent étre combatuës, il faut répondre aus raizons de quelques eſpris malades, qui ſoûtiénent que ceus qui font des livres an Latin, travaillent ütilemant pour le bien public ; & que ceus qui an compozent an Francés, n’anfantent que des monſstres qu’il faudrét étoufer dans leur naîſance.

La Langue Francéze (dizent-ils) ét défectueuze ; les frazes de la Latine ſont admirables ; le tour de ſes périodes charme l’ouïë ; et on ï peut trouver, aûſi bien que dans la Langue Gréque, un grand nombre des mos qui ſignifient une méme choze. Comme la Langue Francéze ét privée de tous ces avantajes, éle ét inférieure aus autres.

Ces acuzaſions ſont mal fondées ; et ceus qui les font devreent étre châſés de la République des létres, comme les faus délateurs furent banis de céle de Romme.

Ils font parétre qu’ils ne lizent pas les bons livres qui ſe font an nôtre Langue : car s’ils ſaveent que l’on a randu an Francés châque racine Gréque mot pour mot, ils jujereent que la Langue Francéze n’a pas faute de mos pour exprimer ce que ſignifient ceus des Langues qu’on lui préfére. Ele a des frazes trés-riches, et an abondance ; et le tour de ſes périodes ét trés-parfait.

Il ét urai qu’éle n’a pas comme la Langue Gréque, ni comme la Latine un grand nombre de mos qui ſignifient une méme choze. Mais c’ét une perféxion de la Langue Francéze, qui prouve qu’éle doit étre préferée à la Gréque, et à la Latine.

Comme un méme mot de la Langue Gréque ſignifie pluzieurs chozes, éle ét ſujéte aus équivoques, qui ét un grand defaut dans toutes les Langues ; et c’ét le ſujét des veilles, & des méditaſions des Grammairiens, qui travaillent avec plus de ſoin pour ôter les équivoques de la Langue Gréque, et de la Latine, qu’ils ne fereent pour le bien de l’Etat, ni pour détruire les éreurs qui ataquent la Réligion.

Ces grans protecteurs de la Langue Latine, apélent à leurs ſecours un grand nombre de peuples, qui préférent la Langue Latine à céle de leur péïs : mais la raizon doit toûjours l’amporter ſur les éxamples : car éle n’ét que pour les ſajes ; et comme le nombre des fous ét infini, les plus fous ont toûjours leurs ſamblables.

Ie demeure d’acord que l’on doit aprandre le Latin, & les autres Langues, pour pluzieurs üzajes ; comme pour ſe faire antandre aus Etrangers ; pour lire le nouveau Teſtamant ; et pour antandre les divins Interprétes de l’Ecriture Sainte. Mais je ſoûtiens que châque Naſion doit écrire an ſa Langue ; et que celui qui écrit an Langue Etrangére fait préque une ſi grande faute, que celui qui porte les armes contre ſon péïs : car c’ét un ſigne trés évidant qu’il ne veut pas le reconétre pour ſa patrie. Les Romains oblijeent les Colonies qu’ils anvoïeent dans les Provinces qui éteent âſujéties à leur obéïſance, à ſuivre leurs Dieus, et leur Langue. Nous avons été garantis de leur Idolatrie par la Foi ; & la raizon doit nous délivrer de la ſervitude de leur Langue.

Puî que nous devons écrire an nôtre Langue, il nous ét trés-utile d’aprandre la Filozofie an Francés ; car éle nous donne le moïen de bien parler.

Ceus qui dizent que le vulgaire ét l’auteur des mos que nous amploïons pour exprimer nos panſées, poûront douter de la vérité de céte propoziſion ; mais ils doivent ſavoir que les Noms ſont ; ou primitifs ; ou dérivés.

Il ét urai que les premiers depandent du vulgaire : mais comme les autres doivent exprimer la nature des chozes, ou leurs cauzes, ou leurs propriétés, il n’apartient qu’aus Sajes de les invanter ; c’ét pourquoi la Filozofie nous donne le moïen de bien parler. Car comme pour bien parler il faut donner des mos propres aus chozes, & aus axions, il an faut conétre la nature par la Filozofie ; comme éle nous découvre la diferance qui ſe rancontre antre l’amour, la bienveillance, et l’amitié. L’amour ét une pâſion qui nous fait tandre à quelque bien, pour an reſevoir quelqu’avantaje ; la bieveillance nous fait vouloir du bien à la perſonne que nous aimons ; & l’amitié nous oblije à faire quelque choze pour éle.

Nous pouvons facilemant confondre l’indignaſion, et l’anvie ; mais la Filozofie nous anſégne que l’indignaſion ét une douleur que nous avons de la proſpérité de ceus qui ſont indignes des biens qui pôſédent ; et que l’anvie ét une douleur que nous avons de la proſpérité de nos ſamblables.

Nous ne pouvons ſavoir quel nom nous devons donner propremant à celui qui nuit aus autres, ſans le ſecours de la Filozofie, qui nous aprand qu’il peut étre apelé ; ou infortuné ; ou imprudant ; ou injurieus ; ou injuſte ; car il agit ; ou involontairemant ; ou volontairemant.

Il ét trés-évidant que celui qui nuit involontairemant à quelqu’un ne doit étre apelé injuſte ; mais il doit étre apelé infortuné ; comme celui qui bléſe ſon ami, an voulant s’opozer à la violance de l’ennemi qui l’ataque.

Celui qui nuit volontairemant aus autres agit ſans malice ; ou ſon axion ét acompagnée de malice.

Le premier doit étre apelé imprudant.

Tous ceus qui ôfanſent quelqu’un par malice ne ſont pas injuſtes ; car an céte rancontre celui qui obéït à quelque pâſion, comme à la colére, ét diferant de celui qui agit avec chois.

Le premier doit étre apelé injurieus, et le ſegond reſoit propremant le nom d’injuſte.

Nous poûrions montrer par d’autres éxamples, que la Filozofie nous donne le moïen de bien parler, c’ét pourquoi nous devons âſûrer que les Francés doivent l’aprandre an leur Langue. La facilité qu’ils auront à la conſevoir ; et l’üzaje qu’ils an doivent faire, perſüaderont facilemant céte uérité à ceus qui ne ſont pas eſclaves de la coûtume.

Lor qu’on leur anſégne la Filozofie an Latin, leur eſprit ét ocupé à deus chozes ; car il travaille à bien antandre le Latin, & la choze qu’il exprime. Mais lor qu’on leur anſégne la Filozofie an Francés, leur eſprit n’étant ocupé qu’à bien antandre les chozes, ils les conſoivent plus facilemant que céles qui leur ſont expliquées dans une Langue étrangére.

Ils peuvent ſe ſervir de la Filozofie dans la converſaſion, pour ï débiter agréablement les chozes qui ſont ütiles à la ſociété ; dans le bâreau, pour ï faire regner la juſtice ; & dans la chaire pour exciter leurs Auditeurs à faire le bien qu’ils doivent pourſuivre, & à s’élogner du mal qu’ils doivent éviter. Comme ils doivent parler an leur Langue dans la converſaſion, dans le bâteau & dans la chaire, il leur ét trés-ütile d’aprandre la Filozofie an Francés ; car ils an poûront tirer de grans avantajes dans la converſaſion, pour ſavoir ce qu’ils doivent faire cand ils antandent médire de leur prochain ; pour régler le plaizir qu’ils doivent donner aus autres dans les axions ſérieuzes ; & pour conétre les defaus qu’ils doivent éviter dans les railleries. Ele fournira aus Avocas des lumiéres, pour protéjer l’innoſance contre la perſécuſion. Ele donnera anfin aus Prédicateurs la conéſance de toutes les vertus qu’il faut pratiquer, & céle des vices qu’il faut combatre.

Si nous conſidérons les chozes qui doivent étre expliquées dans la Filozofie, nous conétrons clairemant que nous an pouvons tirer de grans avantajes : car nous ï devons principalemant établir les préceptes qu’il faut pratiquer, pour s’opozer à la naîſance de l’éreur qui acompagne ordinairemant les axions de la raizon : on ï doit diſpozer par ordre les principes jénéraus qui ſont les fondemans de toutes les Siances : éle nous doit faire conétre ce que nous ſommes, & ce que nous devons faire, pour nous conduire à la conéſance & à l’amour de Dieu. Ele doit anfin nous faire conétre Dieu, pour l’honorer.

Comme éle nous éclaire dans les chozes que nous devons faire pour la conduite de nôtre vie, éle ét trés-ütile aus fames ; puî qu’éles doivent aûſi bien que les hommes éviter le vice, & pratiquer la vertu. Nous avons prouvé amplemant cét vérité dans le traité que nous avons fait de la perféxion des fames par la Filozofie, où nous avons répondu aus objéxions de quelques enmis de ce ſéxe ; & qui le ſont aûſi de la lumiére, & de la raizon.

Ces vérités prouvent que nous devons enſegner la Filozofie Francés, pour donner aux fames, & à ceus qui ne s’atachent pas à la Langue Latine les conéſances qui leur ſont necéſaires, pour aquerir la perféxion de leur antandemant, & de leur volonté.

La preuve de la troiziéme vérité que nous devons établir pour finir ce petit traité, peut étre facilemant tirée des précédantes ; c’ét à dire, qu’aprés avoir montré que les Francés doivent écrire, & aprandre la Filozofie an leur Langue, il ſera facile de prouver qu’ils peuvent étre ſavans, ſæns avoir la conéſance de la Langue Latine.

Ariſtote ſans doute a été trés-ſavant ; puî qu’il nous a donné des régles infalibles pour éviter l’éreur dans nos raizonnemans ; qu’il a parlé des bonnes mœurs plus parfaitemant que ceus qui l’ont précedé ; que les plus béles concluzions de ceus qui l’ont ſuivi ſont fondées ſur la vérité de ſes principes ; & qu’il a parlé de Dieu plus admirablemant que tous les Filozofes qui n’ont été éclairés que de la lumiére de la nature. Il ét pourtant trés-certain quel la Langue Latine lui a été inconnuë. Comme il a expliqué la Filozofie an ſa Langue, pourquoi ne poûrons-nous pas faire la méme choze an la nôtre ? Ses plus beaus livres ſont traduis an Francés ; & Méſieurs de l’Académie ont travaillé ſi heureuzemant à la perféxion de nôtre Langue, & à la traduxion des plus beaus livres Grecs, & Latins, qu’ils font avoüer à tous ceus qui ſont raizonnables que les Francés peuvent étre ſavans, ſans le ſecours de la Langue Latine.

Si céte vérité été bien imprimée dans l’eſprit des hommes, la plûpart des jans de calité s’apliquereent aus Siances avec autant d’ardeur, qu’ils font parétre de promtitude à les abandonner. Comme les principes de la Langue Latine ne leur donnent point de plaizir ; ils quitent facilemant le Latin, & anſuite les Siances : mais s’ils éteent perſüadés qu’ils poûreent étre Savans, ſans avoir la conéſance de la Langue Latine, comme ils ſont mieus élevés que les hommes ordinaires ; & que la Siance ét agréable, il travaillereent auec ſoin pour ajoûter l’éclat qui rejalit de cét calité à celui de leur naîſance. Ie poûrés confirmer céte vérité par l’éxample d’vn grand Capitaine, îluſtre par le rang qu’il tient dans le monde, & plus îlusſtre ancore par ſon mérite que par ſa naîſance. Ses axions, qui le font eſtimer de tout le monde, me perſüadent facilemant qu’il ſerét trés-ſavant, s’il avét apris les Siances an ſa Langue. On admire dans la guerre ſon couraje, ſon jujemant, & ſa prudance. Il ét ſi intrépide dans le peril, qu’on n’a jamais ûu un plus brâve ſolta : il ét ſi judicieus dans le Conſeil de guerer, qu’on ne ſaurét trouver un plus ſaje politique ; & il conduit les troupes qui depandent de lui avec tant de prudance, que les Capitaines les plus expérimantés font gloire d’imiter ſes axions. Son pére lui avét laîſé une Maiſon ſi charjée de détes & d’âfaires, que le réglemant an paréſét impôſible : mais il lui a fait chanjer ſi parfaitemantn de face, que les hommes les plus éclairés dans les âfaires le reconéſent avec plaizir pour leur Maître. Il écrit & parle trés-propremant : il écoûte avec douceur ceus qui lui parlent : & les réponſes qu’il leur fait, ſont toûjours des preuves de la ſolidité de ſon jujemant. Il ne faut pas s’étonner, s’il n’a pas û beaucoup d’atachemant à la Langue Latine dans ſa jeunéſe ; puî que c’ét un choze commune aus perſonnes de grande calité que l’on ne contraint pas. Mais ! s’il avét apris les Siances an ſa Langue, il ſerét par la Siance, aûſi bien que par ſes autres calités, l’ornemant de nôtre Siécle, & l’admiraſion des Siécles futurs.

Comme la beauté des Siances depand de l’ordre, je découvrirai ici celui que j’ai gardé dans les livres que j’ai fais, pour expliquer la Filozofie ; & pour établir les Fondemans de la Réligion Crétiéne.

Ie découvre dans le premier l’ordre des principales chozes dont il ét parlé dans la Filozofie, qui ét divizée an cinq parties, & contenuë en dis petis volumes.

Ie donne dans le méme traité l’art de diſcourir des pâſions, des biens, & de la charité, pour faire conétre les avantajes qu’on peut tirer de l’ordre des chozes, & de celui des propoziſions qu’il faut prandre pour an bien parler ; pour établir la metôde dont je me ſervirai dans toute la Filozofie ; & pour donner le premiéres conéſances qui ſont necéſaires à ceus qui veulent s’apliquer à ſon étude.

Ie montre à la fin du méme ouvraje, que la Filozofie doit étre diviſée an cinq parties, qui ſont la Logique, la Siance jénérale, la Fizique, la Morale, & la Téologie naturéle. Car comme nôtre raizon ſe trompe ſouvant, nous pouvons tirer de grans avantajes de la Logique, qui s’opoze à la naîſance de l’éreur qui acompagne ordinairemant les axions de nôtre raizon.

S’il ét utile d’éviter l’éreur, il n’ét pas moins necéſaire d’aquerir la conéſance de pluzieurs vérités par les principes de la Siance jénérale.

Nous ne devons pas nous contanter d’éviter l’éreur par la Logique, ni de chercher pluzieurs vérités par les principes de la Siance jénérale ; nous devons ancore tandre à la derniére perféxion de nôtre raizon, qui conſiſte dans la contemplaſion de Dieu.

La Téologie naturéle nous conduit à céte preféxion. Mais comme éle ét tres-relevée, nous n’ï pouvons âriver que par quelques degrés, qui ſont la Fizique, & la Morale. Car comme nous ne pouvons conétre Dieu par lui-méme, nous devons tâcher d’an avoir quelque conéſance par ſes éfés, que nous pouvons conétre par la Fizique.

Puî que les pâſions nous détournent de la contamplaſion de Dieu, nous devons tandre à la pourſuite des vertus qui s’opozent à leur violance ; c’ét pourquoi nous pouvons tirer de grans avantajes de la Filozofie Morale, qui nous donne des préceptes pour des aquerir.

Aprés que nôtre antandemant, & nôtre volonté auront reſû les diſpoziſions qui ſont necéſaires pour conétre Dieu, nous reſevrons beaucoup d’utilité de la Téologie naturéle, qui nous atachera à la contamplaſion de céte premiére cauze.

Le ſegond Volume contient les trois premiéres parties de la Logique ; c’ét à dire, qu’il nous anſégne à bien conſevoir ; à bien jujer ; & à bien tirer toutes ſortes de concluzions.

La catriéme partie de céte Siance ét contenuë dans le troiziéme volume, qui découvre la metôde qu’il faut ſuivre dans toutes les Siances, & dans tous les diſcours.

Le catriéme volume traite de la Siance jénérale, qui ét la ſegonde partie de la Filozofie.

La Fizique ét contenuë dans le cinquiéme.

Il é urai que les Filozofes anſégnent ordinairemant la Fizique aprés la Filozofie morale ; l’explicaſion de la Fizique doit précéder céle de la Filozofie morale : car il faut conétre la nature, & l’origine de l’homme, par la Fizique, pour découvrir par la Filozofie morale ce qu’il doit faire, & où il doit âriver.

Ie divize céte Siance an catre parties.

La premiére traite de nôtre derniére fin, qui reſoit le nom de Félicité.

La ſegonde explique les principes des axions humaines.

La troizéme établit l’ordre des axions humaines.

Anfin la catrième nous découvre les vertus que nous devons pratiquer, & les vices que nous devons combatre.

Il ét parlé de la félicité dans le ſiziéme volume ; des principes des axions humaines, & des actions humaines dans le ſétiéme ; les deus ſuivans traitent des vertus, & des vices ; & le diziéme traite de la Téologie naturéle ; qui ét la derniére partie de la Filozofie.

I’ai fait ancore catre petits volumes an Dialogues, pour établir les Fondemans de la Réligion Crétiéne, avec pluzieurs préceptes pour la conduite de la vie humaine, & principalemant pour l’éducaſion de la jeunéſe.

Le premier Dialogue découvre l’ordre des chozes qui ſont contenuës an ces catres volumes.

Anfin j’ai fait un petit Traité, pour faire conétre les avantajes que les fames peuvent reſevoir de la Filozofie, & principalemant de la Morale.

FIN.


EXTRAIT DV PRIVILEIE du Roi.


PAr Grace & Priviléje du Roi, il ét permis à Loüis de Lesclache, de faire imprimer, vandre & debiter, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra Les véritables Régles de l’Ortôgrafe Francéze ; & defanſes ſont faites à tous Imprimeurs & Libraires, à péne d’amande arbitraire, d’imprimer ni debiter ledit Livre, pandant l’eſpace de cinq ans, à commanſer du jour qu’il ſera achevé d’imprimer, ainſi qu’il ét contenu plus au long auſdites Létres données à Saint Germain en Laïe, le diziéme jour d’Avril, de l’année mile ſis ſans ſoiſante & huit.

Par le Roi an ſon Conſeil.
BRVNOT.