VIII
LES MAUVAIS JOURS

L’automne de 1789. L’Assemblée nationale siégeant à Versailles se flatte de posséder la formule de l’eau de Jouvence et jure qu’elle va ramener le monde, rajeuni par ses soins, au temps de l’âge d’or. Le peuple s’étonne d’apprendre que c’est lui le souverain ; il ne s’en doutait pas et vivait bien tranquille. Maintenant, il veut tenir son rôle et les pêcheurs en eau trouble ne manquent pas de le lui souffler. La Bastille est prise : à quelques jours de griserie succède une vague inquiétude ; les riches se restreignent ou boudent ; les services publics se relâchent ; le pain manque : à qui la faute ? À la Cour qui ne se prive de rien et s’obstine en son opposition à la réalisation du bonheur universel. Le 5 octobre, la populace parisienne s’ameute : comme obéissant à un mot d’ordre, des mégères, manifestement stipendiées, arrachent à leurs ateliers et à leurs boutiques des filles honnêtes ; il faut marcher. Où va-t-on ? À Versailles. Six à sept mille femmes et un millier d’hommes, armés de sabres, de hallebardes, de longues gaules, de haches, voire de fouets et de bâtons, sont en route, piétinant dans la boue sous l’averse incessante ; la tête de colonne a des tambours et traîne des canons ; on braille la chanson Vive Henri quatre ! et on vocifère contre la reine. En désordre, on traverse dans sa longueur le jardin des Tuileries, malgré la résistance du suisse Fredain, qui veut fermer les grilles ; on le roue de coups et on le désarme. La horde poursuit sa marche, clabaudant, traînant ses savates clapotantes ; à Sèvres elle fait halte et cherche vainement à boire, tous les estaminets s’étant fermés ; et, vers quatre heures, en débandade, par attroupements espacés, elle avance dans l’avenue royale vers le château.

Là tout est stupeur et confusion ; le roi, revenu en hâte de la chasse, traîne dans ses petits appartements et c’est là que, vers huit heures du soir, on le décidera à recevoir une députation des manifestantes, massées, trépignantes, contre la grille de la cour Royale. Quelques députés de l’Assemblée qui se trouvent auprès de Louis XVI vont à elles, parlementent : Sa Majesté admettra douze femmes, pas davantage ; dix sont aussitôt désignées ; la grille s’entrouvre pour leur livrer passage ; elles s’accrochent aux députés et pénètrent avec eux dans le château ; mais elles ne peuvent franchir la porte de l’appartement : « un seigneur habillé de bleu avec des passepoils rouges leur dit que le roi tient conseil et ne peut les recevoir. » Elles restent dans les antichambres, parmi les courtisans, les huissiers et les gardes qui leur témoignent peu de sympathie. L’une d’elles, Victoire Sacleux, teinturière de son état, se trouve mal ; on l’emporte. Ses compagnes s’obstinent. Enfin, « un monsieur » leur annonce que quatre d’entre elles seulement verront le roi et il laisse passer « les quatre qui sont le plus près de la porte[1] ». On a les noms de trois de ces filles : Pierrette Chabry, dix-sept ans, élève en sculpture ; une bouquetière de vingt ans, Françoise Rollin, et Rose Barré, dentellière, âgée également de vingt ans. Elles sont toutes tremblantes, presque épouvantées des splendeurs qu’elles traversent[2]. De l’Œil de bœuf, on les mène, par la chambre de parade et la salle du Conseil, jusqu’à la chambre à coucher du roi[3], peut-être même jusqu’à la pièce suivante, le cabinet de la pendule, où il se tient d’ordinaire[4]. Françoise Rollin n’arrive pas jusque-là ; repoussée par un suisse dans la salle du Conseil, elle tombe et reçoit « plusieurs coups de pied ». Quand elle se relève, en larmes, ses camarades ont déjà disparu.

Elles sont en présence du roi : Pierrette Chabry répond en balbutiant aux questions qu’il lui pose avec beaucoup de bonté ; il lui demande « si elle veut du mal à la reine ». Elle dit non ; mais, terrifiée de son audace, elle blêmit, chancelle et s’évanouit. Quand elle reprend ses sens, Louis XVI la réconforte, ordonne qu’on lui fasse respirer « des eaux spiritueuses » et qu’on apporte un verre de vin ; on le sert à Pierrette dans un grand gobelet d’or. L’audience terminée, elle se retrouve dans la cour, émerveillée de ce qu’elle a entrevu. La foule, l’entendant raconter l’affable accueil du bon roi, entre en fureur : des femmes la pressent, la brutalisent : « Elle les a trahies ; elle a reçu de l’argent. » En vain proteste-t-elle ; on la bouscule, on la saisit ; elle sent des mains rudes nouer à son cou une jarretière et des harengères, qu’elle reconnaît, — Rosalie et la grosse Louison, — l’entraînent vers une lanterne pour l’y pendre. Des soldats la dégagent ; mais elle doit remonter chez le roi qui la reçoit de nouveau et consent à se montrer avec elle au balcon de sa chambre pour déclarer « qu’elle n’a pas reçu un sol ». Puis il la charge d’un papier, adressé au maire de Paris et donne l’ordre qu’on la ramène chez elle dans une des voitures de la Cour.

On ignore ce que devint par la suite cette jeune fille qui dut, pendant toute sa vie qui, peut-être, fut longue, conserver le souvenir de cette journée fameuse. Mais n’y a-t-il pas matière à philosopher, à cette constatation que la dernière femme présentée à la Cour et, suivant l’immuable étiquette, « dans le cabinet du roi », — ce sanctuaire dont tant de nobles ambitieuses ne franchirent jamais le seuil, — fut une fille du peuple, une pauvre ouvrière, venue là pour demander du pain ?

La nuit — la dernière nuit de Versailles — fut tragique ; dès l’aube du lendemain, 6 octobre, l’émeute triomphait : la reine dut implorer le pardon de la populace qui imposa au roi le retour immédiat à Paris. Le temps pour lui de serrer ses papiers, tandis que la reine mettait en un coffret quelques bijoux, il fallut partir ; la famille royale quitta les appartements « par un petit escalier[5] » afin d’éviter le passage par les antichambres encore souillées des suites du combat contre les envahisseurs. On traversa la cour des Cerfs et l’on monta en voiture aux marches de la cour de marbre, une large voiture où prirent place, sur la banquette du fond, le roi, la reine et le dauphin, sur le devant et sur les côtés, Madame royale, Mme de Tourzel, gouvernante des enfants de France, Madame Élisabeth, sœur du roi, Monsieur, son frère, et Madame.

Depuis deux heures déjà, la foule victorieuse des assiégeants avait repris le chemin de Paris : étrange cortège ; à l’avant-garde marchaient les porteurs des têtes coupées aux deux gardes du corps victimes de leur devoir. Suivait une véritable mascarade de viragos ivres, couvertes de cocardes tricolores depuis les cheveux jusqu’au bas des jupes, cheminant, bras dessus, bras dessous, avec des soldats désarmés, toutes et tous souillés de boue, surexcités, effervescents ; d’autres agitaient en signe de triomphe des branches de peuplier enrubannées, des bandoulières, des chapeaux, des pommes d’épée de gardes du roi et convoyaient une soixantaine de chariots chargés de farine perfidement tirée d’on ne savait quel magasin, afin d’inculquer aux naïfs la croyance que ces denrées, accaparées par la Cour dans l’intention d’affamer le peuple, étaient les glorieux trophées de l’expédition. Une pluie abondante et continuelle ne put dissiper la multitude rassemblée le long de la route pour voir passer le roi[6].

Au tour de roues, souvent obligé de faire halte, le carrosse royal avance à travers cette cohue. La Fayette chevauche à la portière dont un fidèle, M. de Lesigny, « ne quittera pas un instant le pommeau ». Le roi paraît calme ; mais, de temps à autre, il se couvre de son mouchoir pour cacher ses larmes ; le visage de la reine est triste et digne ; le petit dauphin, qui a quatre ans et demi, pleure de faim et de fatigue ; parfois il se montre à la portière, joignant les mains, comme pour implorer la pitié des gens qui tourmentent son papa. Quelques détachements des gardes françaises et plusieurs gardes du corps, l’épée à la main, entourent et suivent le carrosse.

À sept heures du soir seulement on passait les barrières de Paris ; le maire, Bailly, présenta au roi les clefs de la ville sur un plat d’or ; le peuple, qu’aucun service d’ordre ne maintenait, s’écrasait en poussées furieuses ; les cris de bienvenue se mêlaient aux invectives : « À la lanterne ! — Vive le roi ! — Versailles à louer ! » La reine, excédée de lassitude et redoutant pour ses enfants une si longue et pénible épreuve, espérait se réfugier avec eux aux Tuileries ; mais il lui fallut suivre le roi à l’Hôtel de ville où, deux heures durant, les harangues succédèrent aux harangues ; Louis XVI et Marie-Antoinette durent se montrer aux fenêtres du palais municipal : « Il faisait nuit noire ; on les plaça entre deux flambeaux pour que la foule, entassée sur la place de Grève, put les reconnaître ; ce fut du délire : on criait Vive le roi, Vive la reine, Vive le dauphin, Vivent nous tous ! On sautait de joie, on pleurait, on s’embrassait[7]… » Très tard dans la soirée, — à dix heures, — par les rues illuminées, la famille royale arrivait aux Tuileries.

Dès le matin, vers huit heures, un courrier venant de Versailles, avait apporté l’ordre « d’apprêter en hâte les Tuileries pour y recevoir, le soir même, Sa Majesté[8] ». Coup de foudre pour les locataires. Depuis les souterrains jusqu’aux greniers de l’immense caravansérail, la nouvelle se répand qu’il faut déménager. Les employés des bâtiments ont pris en hâte possession du château ; sans considération ni égards, ils poussent dehors les occupants aux abois : on va, en quelques heures, vider, puis meubler, une centaine de pièces afin d’assurer un gîte, au moins provisoire, à Louis XVI, à la reine et à leurs principaux serviteurs ; dans les sous-sols on doit aménager des locaux pour les cuisines, la rôtisserie, le fourrier de la « Bouche », le « Gobelet », le lavoir, la lingerie, les glacières, la crèmerie, la cave. Car, même prisonnier de l’émeute, le roi de France ne se déplace point sans entraîner une multitude de personnages accoutumés à leurs aises et que leur charge oblige à ne point quitter les maîtres : gentilshommes de la chambre, aumôniers, médecins de quartier, gouvernantes et sous-gouvernantes, dames d’honneur, dames d’atours, grands maîtres de la garde-robe, officiers des gardes du corps, capitaines des suisses… En douze heures il faut, en outre, trouver dans ce palais que, depuis plus de soixante ans, les rois n’ont pas habité, des casernements pour la garde, des remises, des écuries, des bureaux pour les employés de tous genres, des approvisionnements de fourrage, de bougies, de bois à brûler, d’huile pour les réverbères. Comment l’inspecteur du château, à qui incombe cette tâche irréalisable, ne perdit-il point la raison ? Vatel, naguère, pour moins d’embarras, s’était suicidé.

Afin de procéder avec quelque méthode dans ce formidable remue-ménage, à mesure qu’on se débarrassait des locataires, on fixait l’attribution des pièces évacuées d’après leur emplacement et leurs commodités : cela semble ressortir d’un état, daté du 6 octobre, qui porte en lettres et en chiffres les indications des logements et les titres de ceux auxquels ils sont destinés. Pour faciliter aux arrivants la recherche de leur gîte, une note de l’état les avise que les lettres alphabétiques et les numéros sont marqués sur les portes d’entrée[9].

En dépit de cette précaution, ce dut être une terrible confusion quand, vers la fin de l’après-midi, se présenta le flot des premiers débarqués réclamant un asile. Versailles s’était vidé dès le départ du roi ; son carrosse, au dire d’un témoin, avait été suivi par « plus de deux mille voitures[10] ». Toutes ne portaient pas des fonctionnaires de la Cour ; on peut croire cependant que tout ce qui composait la Maison du roi se considérait, en cette circonstance, comme inséparable de sa personne, comptant bien retrouver aux Tuileries les avantages de Versailles. Déception ! On héberge cette phalange d’émigrants dans les maisons du Carrousel, aux vieilles écuries, dans le bâtiment des Invalides, dans certaines maisons de la rue du Dauphin, propriété de la Couronne, dans les baraques qui séparent les trois cours du château, à l’ancien hôtel de La Vallière, à l’hôtel de Brionne. Ce que l’on ne peut dépeindre c’est l’orageux tumulte de cette installation, les exigences, les reproches, les protestations, les jérémiades des mal lotis, les récriminations des vanités froissées. Tel qui amenait un domestique et s’était muni d’une dizaine de malles, était casé dans une étroite mansarde ; le grand maître des cérémonies, M. de Brézé, se voyait confiné au troisième étage du pavillon de Flore, avec un garçon du garde-meuble et le barbier du roi[11].

La famille royale débarque dans cette bagarre. Pauline de Tourzel qui n’avait pas quitté sa mère, note dans ses Souvenirs sa stupéfaction de pénétrer « dans des appartements sens dessus dessous, pleins d’ouvriers et des échelles de tous les côtés… Les meubles les plus nécessaires y manquaient ; ceux qu’on y trouvait étaient délabrés, les tapisseries vieilles et fanées. Les salles étaient mal éclairées au moment où nous entrâmes, tout respirait un sentiment de tristesse en harmonie avec les impressions que nous rapportions de cette douloureuse journée ». Le plus urgent était de coucher le dauphin ; il dormait à poings fermés dans les bras de sa gouvernante. Il fallut le séparer de sa mère pour qui une chambre du grand appartement était réservée ; on avait oublié le jeune prince dans la répartition des logements ; il fut conduit à celui attribué à ses femmes de chambre, au second étage du pavillon de Flore et dont la porte fermait si mal qu’on la barricada avec des meubles. Mme de Tourzel veilla près de lui ; Pauline passa la nuit sur un canapé dans la pièce voisine.

Le souper du roi, servi à dix heures et demie, fut coupé par une visite du maire accompagné d’une délégation du corps municipal. Ils venaient insister pour obtenir la promesse que Louis XVI fixerait à Paris sa résidence. Il en prit l’engagement en termes assez vagues ; les magistrats municipaux se retirèrent ; le repas s’acheva ; puis on se sépara. Madame Élisabeth s’en alla au pavillon de Flore ; le roi partagea l’appartement de la reine ; Monsieur et Madame gagnèrent leur palais du Luxembourg. Les gardes du corps, la livrée couchèrent sur des banquettes ou campèrent sur les parquets.

Dès le lendemain, on mit un peu d’ordre dans cette installation précaire. La sœur du roi, Madame Élisabeth, fut la première à déloger. Tandis qu’on agençait l’appartement qui lui était attribué au pavillon de Flore, elle se réfugia, — s’il faut en croire un contemporain, — dans trois ou quatre pièces situées au rez-de-chaussée sur la cour. Ce chroniqueur qui la vit là était Gonchon, ardent patriote du faubourg Saint-Antoine, peu disposé à s’attendrir sur les malheurs des princes ; mais, comme tous les Parisiens, en ces temps étranges, il subissait des sursauts de sensibilité fort en désaccord avec ses opinions et voici ce qu’il raconte de sa journée du 7 octobre : il se trouvait dans la cour Royale des Tuileries en compagnie d’une trentaine de badauds, lorsque Madame Élisabeth parut à l’une des fenêtres du rez-de-chaussée. On l’applaudit. « Elle salua respectueusement et se retira ; mais, comme les applaudissements redoublaient, elle revint et dit, avec un sourire plein de bonté, aux personnes qui étaient près de sa fenêtre : « Vous aimez bien toujours le roi ? » Un grand cri de Vive le roi ! répond. « Voulez-vous voir le roi ? Je l’irai chercher. » On applaudit de nouveau et elle courut avertir la reine qui, au bout de quelques instants, arrive avec la jeune Madame royale, se montre à la fenêtre, embrasse sa fille et essaie de parler au milieu des vivat et des bravos. Enfin elle en vient à bout, mais au seul profit des personnes les plus rapprochées, particulièrement de quelques dames de la Halle qui avaient réclamé les premières places. » Gonchon est désolé de n’avoir pu l’entendre. Bientôt le roi, avec le dauphin, vient se joindre aux princesses. Salué « des plus vifs applaudissements, il ne peut retenir ses larmes et, pour les cacher, il embrasse son fils. Madame Élisabeth se tenait derrière Madame royale et semblait laisser tous les empressements du public à son auguste frère, à son épouse et à leurs aimables enfants. Une scène aussi touchante interrompit les acclamations ; ceux qui étaient présents étaient oppressés par les larmes et l’attendrissement[12] ».

On jugera certainement qu’un tel témoignage valait d’être cité intégralement, encore que la véracité de Gonchon puisse inspirer quelque méfiance ; il est étonnant, en effet, que, au lendemain d’une invasion de la populace, on laissât les curieux s’approcher librement de la demeure royale et engager la conversation avec les princesses. Et pourtant rien n’est plus vrai ; durant les premières semaines de son séjour aux Tuileries, la reine dut se montrer presque incessamment à sa fenêtre, causer avec les femmes du peuple qui se pressaient devant son appartement ; « beaucoup se faisaient soulever pour atteindre et baiser ses mains et celles du dauphin[13] ; sans façons, elles lui demandaient les rubans et les fleurs qui ornaient son chapeau et qu’elle détachait et partageait elle-même ; alors éclataient des cris d’adoration : Vive Marie-Antoinette ! Vive notre bonne reine ! ». « Je parle au peuple ; milice, poissardes, tous me tendent la main, je la leur donne », écrivait-elle[14].

Cependant, on s’organise : continuellement, arrivent, « par longues files, à perte de vue, des voitures, des carrioles, des camions[15] » apportant de Versailles des meubles, du linge et des couchages. On va chercher à Choisy des glaces pour les appartements de Mesdames, tantes du roi, qu’on installe au pavillon de Marsan. Louis XVI prend possession des pièces du premier étage ayant vue sur le jardin : il aura là un cabinet, sa chambre de parade, sa chambre à coucher, puis, à la suite, deux pièces qu’habiteront le dauphin et sa sœur. Cet appartement est de plain-pied avec les grands salons d’apparat donnant sur la cour et qui sont, après la salle des Gardes du pavillon central, la première antichambre, ou salle des Suisses ; la seconde antichambre à laquelle, pour ne pas trop changer les habitudes et par similitude avec Versailles, on donne le nom de l’Œil de bœuf ; viennent ensuite la chambre du Lit, la salle du Conseil et enfin la galerie qui a une sortie sur l’escalier de la reine touchant au pavillon de Flore. Marie-Antoinette sera au rez-de-chaussée sur le jardin : on entre chez elle au premier palier de cet escalier ; on traverse successivement une grande antichambre où prend ses repas la famille royale, une salle de billard, un salon de compagnie, pour arriver à la chambre de la reine, située exactement au-dessous de celle où couche le dauphin. Enfin, se trouvent un cabinet de toilette puis trois pièces encore où le roi a ses archives, son atelier de serrurerie et une chambre de repos[16] ; d’étroits escaliers dérobés dans l’épaisseur des murs et fort sombres, des couloirs obscurs, facilitent les communications discrètes entre le premier étage et ce rez-de-chaussée qui avait été quelque temps habité par Louis XIV, puis, sous la Régence, par le duc du Maine ; il se complétait d’un certain nombre de petites pièces pratiquées en entresols, et l’on y voyait encore les peintures mythologiques dont, au XVIIe siècle, Nicolas Mignard en avait orné les plafonds[17].

Le garde-meuble était si riche, ses fonctionnaires si habiles, que ces appartements reçurent, malgré le peu de temps dont on disposait, une décoration fort élégante ; ainsi dans la chambre de la reine, le lit était placé dans une alcôve formée par quatre colonnes creuses « et propres à cacher chacune une personne », au dire d’un visiteur qui, en 1793, dressa un minutieux inventaire de cette partie du château[18]. La chambre de parade de Louis XVI était tendue d’une étoffe de brocart rouge brochée d’or ; des rideaux de pareille étoffe garnissaient le lit et les deux fenêtres ; dans la chambre où couchait le roi, point de luxe, nul raffinement : le lit, placé dans un enfoncement, s’abritait sous des rideaux de pékin à flammes. Au moyen d’un vasistas vitré dont Louis XVI avait lui-même forgé grossièrement le loquet, il pouvait, de son lit, surveiller le dauphin, logé dans la chambre voisine. Le lit de l’enfant, drapé de damas vert, ne se distinguait de celui de sa gouvernante que par une frange d’or[19].

Ces descriptions sont proprement illisibles ; on s’en rend compte et on s’en excuse ; mais la topographie d’un palais tel que les Tuileries, dont la distribution et les aménagements changeaient à chaque nouveau règne, demeure si ténébreuse qu’il importe de fixer, de temps à autre, certain point de repère, sans grand espoir de localiser, même sommairement, le lecteur soucieux d’indications précises sur les décors de l’Histoire. On aimerait à placer dans son cadre exact la vie menée aux Tuileries par les hôtes royaux que l’insurrection y a conduits ; vie singulière dont ils affectaient de proclamer l’étroitesse et la mesquinerie, tandis que le peuple, perfidement renseigné, s’en exagérait le coût et la somptuosité.

La milice nationale montait la garde au château : ce service révélait à ces petits bourgeois, à ces boutiquiers, ignorants des rites de la Cour, un cérémonial qui les offusquait ; car l’étiquette survivait et, par égard pour Leurs Majestés, les officiers de la Maison du roi veillaient scrupuleusement à ne rien modifier des habitudes de Versailles. Ainsi était-il d’usage de se découvrir lorsque passaient les Viandes du roi. Certain jour, un volontaire du bataillon du Petit-Saint-Antoine, était, avec sa compagnie, en sentinelle dans les antichambres quand vinrent à passer quelques valets des cuisines portant l’un des plats destinés à la table royale ; ils criaient Chapeau bas ! Messieurs, chapeau bas ! Tous les assistants saluèrent aussitôt, sauf un seul, le volontaire, qui s’obstina à rester couvert jusqu’à ce qu’un fonctionnaire lui enjoignît d’ôter son chapeau[20]… Quand ces bonnes gens, rentrés chez eux, racontaient semblables faits à leur ménagère, tout le quartier les commentait avec stupeur et indignation.

La reine s’était lassée de serrer la main aux harengères de la Halle et à partager avec elles les fleurs de ses chapeaux ; elle ne se montrait guère ; de là sa réputation d’orgueil ; on en conclut qu’elle méprisait le peuple. Le roi, au contraire, tenta de se rendre populaire : le 18 octobre, par une pluie battante, il sortit du château et, à pied, « un grand bâton à la main, en frac brun et en bas à carreaux, un chapeau râpé sur la tête », il traversa le jardin dans sa longueur et s’en vint aux Champs-Élysées afin de passer une revue de la garde nationale. Il dut attendre une heure, sous l’averse, que les bataillons fussent réunis et, bien que « la canaille fût enchantée et disait : « Il a, comme nous, de la boue jusque par-dessus les chevilles », on jugea déplacé qu’il se mît si peu en frais de toilette quand la milice citoyenne lui faisait l’honneur de défiler devant lui[21] ».

Le dauphin trouvait grâce devant ces susceptibilités ; on avait entouré d’une barrière un terrain des parterres afin qu’il y pût jouer en attendant qu’on créât pour lui un jardin particulier dans la pépinière, « située à l’extrémité de la terrasse du bord de l’eau, au niveau du quai[22] ». Mme de Tourzel et sa fille Pauline l’y accompagnaient chaque jour et jamais elles n’entendirent « que des exclamations sur la beauté du jeune prince dont on admirait l’opulente santé et la gentillesse ».

Après avoir boudé durant quelques semaines et borné ses sorties à des promenades dans les parterres ou à des visites aux hôpitaux, le roi n’y tint plus : l’exercice lui manquait et la privation de la chasse lui paraissait particulièrement pénible ; ses meutes étaient entretenues à Versailles et il se tenait au courant de leur laisser-courre. Combien de fois, dans son laconique Journal, note-t-il, — et avec quel regret de ne pas en être ! — le cerf chassait à Gambaiseuil, — le cerf chassait à Poigny… Au printemps de 1790 il comprit que le semblant de captivité qu’il s’imposait n’attendrissait pas les Parisiens et ne désarmait pas ses ennemis. Il se remit donc au cheval, limitant d’abord ses promenades au bois de Boulogne. Un jour, — le 22 mai, — comme il en revenait par les boulevards et la rue Saint-Martin, « le peuple le regardait avec cette douce satisfaction qu’inspire la vue d’un homme de bien et non avec le sot ébahissement qui le faisait autrefois courir sur les pas d’un individu quelconque de la Cour ». Un tailleur de pierre dit à son compagnon : « Tiens, regarde donc passer ce brave homme. » Louis XVI entendit ce propos et salua ces ouvriers[23]. Le 29 mai, jour de la Fête-Dieu, il suivit dévotement, avec sa famille, la procession de Saint-Germain-l’Auxerrois, paroisse des Tuileries. « Tout Paris s’y porta en foule ; plus d’une fois les chants religieux furent interrompus par les acclamations civiques. Quelques voix essayèrent de crier Vive la reine ! les cœurs se turent[24]. » Néanmoins ces manifestations eurent pour résultat que la population vit, sans inquiétude, la famille royale quitter Paris, le 4 juin, pour s’installer à Saint-Cloud où elle allait passer la belle saison.

D’ailleurs, il était convenu que le roi reviendrait à Paris chaque fois que sa présence y serait nécessaire. L’Assemblée nationale s’occupait alors de fixer le montant de la Liste civile : Louis XVI demandait qu’elle fût de 25 millions, augmentés de la jouissance des demeures royales et d’un douaire de quatre millions en faveur de la reine. L’Assemblée, encore courtoise, accorda ces chiffres, sans discussion et à l’unanimité ; mais les feuilles hostiles à la Cour les jugeaient outrageusement exagérés : « Députés de nos malheureuses provinces où l’excès de l’impôt a tué toute industrie, où la nature du sol se refuse à toute production, allez devant le monarque, présentez-lui le pain noir et les racines dont se nourrissent les squelettes vivants qui habitent vos campagnes et demandez-lui s’il persiste à croire qu’il lui faut 25 millions pour sa Maison[25]. » Ainsi entretenait-on l’insoluble malentendu qui divisait Louis XVI et la nation ; celle-ci s’indigne de l’énormité d’une telle somme ; lui qui, un an auparavant, disposait de tous les revenus du royaume, s’inquiète de sa modicité.

Il s’applique, du reste, avec zèle à son métier de souverain constitutionnel, et c’est encore là une lourde contrainte ; le 13 juillet, il quitte Saint-Cloud avec la reine et le dauphin pour recevoir aux Tuileries les délégués départementaux à la fête de la Fédération. Il prend place dans le grand péristyle du château, au rez-de-chaussée du pavillon central et les milliers de fédérés, massés dans le jardin, sur la place Louis XV et aux Champs-Élysées, passent devant lui : chacun des commandants lui remet un état de sa compagnie avec les noms de ses hommes : c’est très long ; et le roi inscrit dans son Journal : Revue d’inspection des fédérés dans le vestibule des Tuileries. À quatre heures et demie. Le cerf chassait à la croix de Toulouse. C’est à cela qu’il pense tandis que l’interminable défilé se poursuit. Presque chaque jour, il lui faut venir à Paris pour quelque cérémonie. La reine l’accompagne toujours. Voici maintenant des réjouissances sur la rivière : trois cents jouteurs se groupent devant le pavillon de Flore ; la famille royale est aux fenêtres ; on chante, on acclame les souverains et, le lendemain, la Gazette de Prudhomme s’indigne de cet hommage « scandaleux ». « Des esclaves, oui, des esclaves affectaient de pousser un long cri de Vive la reine ! Ah ! oui, vive la reine, c’est-à-dire vivent les Polignac, vive Trianon, vivent les grils à boulets (?), vivent les 25 millions ! Le peuple, le vrai peuple, spectateur indifférent de cette scène, se retira sans mêler sa voix à celle des hurleurs[26]. » Tout est occasion d’invectives contre le malheureux monarque. N’a-t-il pas eu l’audace de citer Versailles au nombre des résidences dont il souhaite conserver la jouissance ? « Versailles ! Quoi ! On laisserait subsister cet antre du despotisme dont l’entretien seul mettrait dans l’aisance 3.000 familles ! Le plomb qui est enseveli sous terre vaut 30 millions ; le bronze, transformé en grenouilles qui vomissent, pour le plaisir des sots, une eau putride, pourrait suffire à pourvoir de canons une partie des gardes nationales des frontières. Malheur à celui qui n’a pas versé des larmes amères, la première fois qu’il a vu ce gouffre d’or ; il ne sera jamais bon citoyen[27]. »

La démagogie est, dès sa naissance, aussi stupide que destructive : c’est par de telles bourdes qu’elle propage la désaffection du peuple pour ces princes qu’il a tant aimés. Ces calomnies brutales, ces insinuations éhontées, répandues sans répit, fermentent dans les esprits encore crédules, tout aussi incapables de contrôler ces assertions et ces chiffres que de soupçonner qu’on ment. Aussi les diffamateurs, assurés de l’impunité, redoublent-ils chaque jour de virulence. Le moindre fait est envenimé ; tout est prétexte à préconiser le grand branle-bas. Quand le roi se promène dans le jardin des Tuileries, on n’y laisse pénétrer que les personnes munies de cartes. Patience ! Il ne sera pas toujours là : « Il peut abandonner de mille manières les rênes du gouvernement ; son état pléthorique peut l’enlever d’un jour à l’autre à l’amour du peuple… Il peut être frappé d’incapacité[28]… » Il y a eu quelque désordre au jardin : pour en éviter le retour l’entrée en est interdite aux porteurs de cannes à épée : sage mesure, aussitôt jugée inhumaine : « le vieillard caduc se voit obligé de se dessaisir de l’appui qui soutenait sa marche chancelante… » et, tout de suite, l’appel à l’insurrection : « Il est facile de désarmer quelques individus ; il ne le serait pas autant de disperser plusieurs milliers de citoyens réclamant leurs droits indignement compromis[29]… » Cet assaut quotidien de l’effronterie et du cynisme contre la résignation, voire l’apathie de la Cour, abonde en étranges péripéties. Il semble que Louis XVI, qui, pourtant, lit chaque matin un grand nombre de journaux, se désintéresse de ces attaques ou qu’il les dédaigne. En novembre 1790, une bagarre au jardin des Tuileries ameute plusieurs milliers de badauds ; un ancien militaire a « mal parlé » du pillage de l’hôtel de Castries. Une « foule innombrable de motionnaires » le pousse vers le château. Le roi est occupé à lire dans le petit réduit qu’il s’est réservé au rez-de-chaussée, près de la reine. Avisé de l’irruption tumultueuse de ses antichambres, il ferme son livre et, du plus grand sang-froid : « Je ne sais, dit-il, ce que me veut tout ce monde. » Il monte à son appartement, congédie les manifestants et donne l’ordre de fermer les portes[30]. Le bruit fut répandu, le lendemain que, pris de peur, il s’était écrié : « Sauvez-moi de cette canaille enragée ! » et avait gagné promptement les combles du château pour se cacher dans un grenier[31].

Son flegme habituel ne se dément point en d’autres circonstances plus graves. L’affaire des Chevaliers du poignard, travaillée cependant de façon à éperonner rudement les naïfs, ne paraît pas avoir ému le roi. Depuis quelques jours on parlait à mots couverts de trois mille gentilshommes qui, sous des travestissements variés « formaient une continuelle patrouille autour des Tuileries, prêts à obéir au premier signal ». À la vérité, plusieurs des personnages que leur charge appelait au château se munissaient de pistolets dans la crainte d’un mouvement populaire. Le 28 février 1791, tandis que le faubourg Saint-Antoine se portait à Vincennes pour en démolir le donjon, on annonça brusquement que les appartements royaux « regorgeaient de gens déguisés et armés de poignards », dans l’intention manifeste d’égorger les honnêtes gardes nationaux de service chaque jour auprès du roi. Même un journal offrit à ses lecteurs une reproduction de ces poignards ; « leur lame à deux tranchants et leur pointe, en forme de langue de vipère, devaient occasionner des blessures dont la plus légère serait un supplice cruel[32] ». Paris en frémit d’horreur durant plusieurs jours. Louis XVI, blasé sur l’importance de ces algarades, notait dans son Journal : 24, rien, train aux Tuileries, — 28, rien, train à Vincennes et aux Tuileries[33].

La Correspondance secrète fournit quelques détails sur la vie des hôtes du château, à cette époque : « Le roi témoigne toujours beaucoup de tendresse à son épouse… Dès qu’il est au lit, il dort profondément jusqu’à sept heures du matin ; il ronfle à être entendu dans les pièces voisines. Son lit est fort dur ; point de plume ; il lit vingt journaux par jour dont le plus grand nombre est aristocratique… Le roi et la reine tiennent grand couvert à dîner les dimanches et les jeudis ; mais la reine n’y mange rien ; elle rentre au sortir de table dans ses appartements où elle dîne avec Madame Élisabeth. Le roi mange peu à midi, mais prodigieusement le soir ; il observe régulièrement les jours d’abstinence et aime beaucoup l’esturgeon dont il fait garder les restes pour le lendemain[34]. » On observait, au coucher et au lever du roi, l’étiquette traditionnelle de Versailles et ce vestige du cérémonial échauffait le courroux factice des gazetiers révolutionnaires. N’avait-on pas vu des officiers de la garde nationale « s’abaisser jusqu’à porter la queue du vêtement de la femme du roi » ? — « Citoyens soldats, ceux de vos chefs qui ont compromis à ce point le caractère et l’habit national ne sont plus dignes d’être à votre tête ; qu’ils soient dégradés en présence de leur bataillon[35] ! » — « N’avait-on pas vu encore, vers le même temps, un prince de l’Église, un cardinal, un grand aumônier de France, un Montmorency, recevoir, en toute humilité, le chapeau du roi, quand celui-ci entre dans son oratoire, le tenir respectueusement pendant tout l’office, pour le remettre au dit seigneur roi, avec toute la bassesse d’un laquais, au sortir de la tribune[36] ? » Et ces mêmes folliculaires, si chatouilleux sur le point d’honneur, ne se refusaient pas d’imprimer, à l’adresse du petit dauphin, des grossièretés de ce genre : « Il est reçu en France que les bourreaux soient bourreaux de pères en fils ; un enfant de bourreau n’a pas le choix de son état ; il sera ce qu’ont été ses aïeux. On a infligé la même peine aux familles royales ; il est de toute nécessité qu’un enfant, né dauphin, soit roi[37]… »

Ces coups de sape répétés minaient l’atavique vénération du petit peuple pour ses maîtres : en quelques mois, la méfiance des Parisiens s’était accrue au point qu’ils s’ameutèrent quand, le printemps revenu, Louis XVI décida de se fixer avec sa famille à Saint-Cloud, ainsi qu’il l’avait fait l’année précédente. Obéissant à un mot d’ordre mystérieux, la population en émoi afflue au Carrousel, dans les cours du château, se masse sur le chemin de Saint-Cloud : Ils ne partiront pas. Il ne faut pas qu’ils partent ! Tel est le cri de ralliement. Le roi, la reine et leurs enfants sont déjà dans la voiture ; mais la foule est si dense que les chevaux ne peuvent avancer. On dispute, on insiste, on implore : en vain ; il faut céder et rentrer au château ; bien persuadé maintenant qu’on y est prisonnier et qu’il est urgent de chercher les moyens de sortir clandestinement de Paris, afin d’échapper à cette vie d’incessantes alertes et à d’humiliantes concessions.

Moreau de Jonnès, jeune provincial récemment débarqué dans la capitale et immédiatement enrôlé dans la garde nationale, trouva, en avril 1791, l’occasion de pénétrer dans la chapelle des Tuileries et d’assister à la messe du roi. Un peu de topographie est ici indispensable : lorsque, venant du Carrousel, on pénétrait dans le péristyle du pavillon central, on voyait, à droite, l’escalier monumental construit sous Louis XIV par Levau. Ce grand degré montait d’une première volée à un palier d’entresol, avant de se diviser en deux rampes pour atteindre, en retour, au premier étage, où il donnait accès à la salle des Cent-Suisses. La chapelle s’ouvrait sur le premier palier, par conséquent, à mi-étage. Des bâtiments primitifs de Catherine de Médicis, seules restaient alors les deux galeries d’arcades ouvertes sur le jardin, formant à la hauteur du premier étage, deux terrasses dont l’une, — celle touchant à l’Œil de bœuf, — était de niveau avec les appartements du roi. Pour se rendre de chez lui à la chapelle, sans traverser les antichambres toujours encombrées de gardes nationaux, Louis XVI devait donc passer sur cette terrasse ; on y avait établi un couloir en planches afin d’épargner à Sa Majesté, outre l’inconvénient des intempéries, celui d’être aperçu par les promeneurs du jardin. Ce couloir, de 7 pieds 3 pouces de large[38], se continuait à travers la salle des Cent-Suisses jusque sur l’autre terrasse touchant à la chapelle et conduisait à la tribune royale et à quatre petites tribunes latérales prises dans les embrasements des croisées[39].

Ce qui frappa tout d’abord Moreau de Jonnès pénétrant dans cette chapelle, ce fut le délabrement de ce sanctuaire royal : « Je n’avais jamais vu, écrivait-il, dans les comtés les plus sauvages de la Basse-Bretagne, église aussi délabrée. » Un vieux monsieur lui expliqua que cet état de dégradation ne pouvait être imputé à la Révolution, les Tuileries étant, de mémoire d’homme, abandonnées aux outrages du temps. Un peu avant le commencement de l’office, deux grenadiers se postèrent de chaque côté de l’autel « pour garder Dieu ou lui faire honneur, comme on fait pour un colonel en mettant des sentinelles à sa porte ». L’immobilité automatique de ces fonctionnaires, qui restèrent là plus d’une heure au port d’armes, fut l’objet de l’admiration des spectateurs.

Enfin on entendit dans les galeries du château le bruit lointain des fusils qui résonnaient et des hallebardes qui frappaient les dalles. Une voix sonore éclata dans le silence : « Le roi, Messieurs ! » Tous les yeux étaient tournés vers l’une des humbles tribunes latérales, à demi saillante et à moitié encadrée dans la muraille ; sa largeur n’excédait pas six pieds et n’offrait de place que pour une seule personne. Le roi y parut ; il jeta un regard distrait sur l’assemblée, s’agenouilla, dit une courte prière, tourna deux feuillets d’un livre d’office ouvert devant lui, puis s’assit, sans autrement s’occuper de rien.

Il paraissait bien plus âgé qu’il ne l’était réellement ; il n’avait que trente-sept ans ; on lui en eût donné plus de quarante-cinq, à cause de sa corpulence prématurée. Son buste semblait énorme, proportionnellement à ses membres et à sa tête ; « cet effet était augmenté par une coiffure presque aplatie et par une veste qui descendait du cou presque jusqu’aux cuisses, suivant l’ancien usage. Cette veste était de soie blanche, garnie d’une broderie semblable ; il avait des culottes courtes en soie noire, des bas blancs et des souliers à boucles d’or. Une petite épée à gaine blanche pendant horizontalement à son côté ».

Aucun signe d’affection ni d’intérêt ne se manifesta dans l’assemblée, composée pourtant de royalistes et l’on oublia complètement la présence du roi lorsque la reine parut ; « il est vrai que le Saint-Sacrement ne fut pas mieux traité et qu’on lui tourna le dos pour la voir. Elle entra dans la grande tribune royale qui embrassait toute la largeur de la chapelle en face de l’autel, et vint avec son fils s’agenouiller au centre. Le dauphin était un joli enfant, au teint blanc, aux yeux bleus et aux cheveux dorés ; il avait la vivacité impatiente de son âge et restait difficilement tranquille. Sa sœur était placée sur le devant de la tribune, mais à une grande distance de sa mère ; l’étiquette le voulait ainsi. D’ailleurs, les regards étaient fascinés par la reine et ne voyaient rien autre qu’elle. Sa coiffure était formée d’un édifice de cheveux couronné de grandes plumes blanches ; son front était parfait et on n’y lisait rien des chagrins, des inquiétudes dont il semblait que trois ans de Révolution auraient dû laisser la trace. Je ne crois pas avoir vu de femme de son âge qui fût aussi jeune ; on ne lui aurait guère attribué plus de vingt-six ans, c’est-à-dire dix ans de moins qu’elle n’avait. Sa robe était, sans reproche, des plus décolletées ; elle s’ouvrait par devant et montrait une jupe rose, couverte de dentelles, étendue sur un panier de trois mètres de circonférence ; elle se terminait en arrière par une longue queue traînante et un manteau royal, bleu avec des fleurs de lys d’or, était appendu entre les épaules… Vers la fin de l’office, des acclamations bruyantes s’étant fait entendre au loin, Marie-Antoinette ne se trompa point sur leur objet et sa figure se rembrunit tout à coup : c’était l’accueil que le général La Fayette recevait sur son passage, au Carrousel. La reine fronça les sourcils et lança au roi un regard d’intelligence où se peignaient sa colère, son mépris pour l’usurpateur de ces témoignages de respect qui lui paraissaient l’un des droits de sa couronne[40] ».

Ce récit, émanant d’un citoyen patriote et nullement suspect de sympathie pour la royauté, contraste par sa sincérité et son émotion à peine dissimulée, avec les prétendues informations de la presse jacobine. Rien n’interrompt ses diffamations : six jours après le coup de force qui prive les souverains du repos estival de Saint-Cloud, le roi, sans rancune et prêt à toutes les concessions, va, accompagné de sa famille, entendre la messe de Pâques à sa paroisse, Saint-Germain-l’Auxerrois. Messe constitutionnelle, pour parler l’argot de l’époque. C’est là, évidemment, pour Louis XVI, un très pénible sacrifice. Le peuple de Paris, fort sensible et, quand il n’est pas dupé, singulièrement délicat, le peuple sait gré au roi de la contrainte qu’il s’impose : il l’acclame, applaudit la reine qui a orné sa coiffure de rubans tricolores[41]. Le court trajet depuis les Tuileries jusqu’à l’église est presque un triomphe. Que faire pour effacer cette impression favorable ? Ne pouvant contester les bravos qui ont salué le passage du roi, on publiera que l’hypocrite s’est rendu à l’office constitutionnel pour mieux dissimuler sa haine des prêtres jureurs ; qu’il tremblait d’y être empoisonné. On tient, en effet, d’un bedeau que, contrairement à son habitude, il s’est abstenu de manger le pain bénit qui lui a été offert sur un plat d’argent ; on a même vu l’une des dames de la reine jeter ce pain bénit à terre et le fouler aux pieds[42]. Ainsi, tout ce que feront ces infortunés souverains sera jugé crime de lèse-nation ; tout ce qu’ils disent mensonge et perfidie ; on censure leur conduite publique ; on satirise leur vie privée ; on moleste leur entourage et le peu qui leur reste du bien-être et des égards d’autrefois est taxé de vol fait aux pauvres ou d’insulte à la nation.

Il est pourtant réduit à rien le cérémonial de la Cour. Les couchers du roi, jadis occasion de causeries badines entre courtisans familiers et sûrs, sont maintenant des corvées ; les haut gradés de la garde nationale y sont admis, on s’observe, on se méfie ; plus de pages à mystifier ; plus d’abandon, plus de récits de chasse ; la politique a tout envahi, tout infesté. On a quelques renseignements sur le coucher du lundi 20 juin 1791. La scène est dans la chambre de parade, celle au beau lit de brocart rouge broché d’or. Sur la balustrade qui protège ce lit, sont posés, suivant l’étiquette, le bonnet et le mouchoir de nuit, à côté, la robe de chambre. Le roi entre à onze heures, remet à un gentilhomme son chapeau et son épée et cause avec les assistants. La Fayette est annoncé vers onze heures et quart ; on parle de la procession de la Fête-Dieu qui doit avoir lieu le jeudi suivant ; il y aura un reposoir dans la cour du Louvre. Louis XVI n’abrège pas la conversation ; mais il paraît soucieux et, à diverses reprises, il s’approche des fenêtres pour jeter un coup d’œil au jardin, enveloppé d’une nuit très sombre.

À onze heures et demie, les visiteurs étant congédiés, le roi resta seul avec son valet de chambre, Lemoine. Il passa dans la pièce voisine, où il couchait, se déshabilla et se mit au lit. Lemoine ferma les rideaux qui enveloppaient la couche royale, alluma le « mortier de nuit », poussa les verrous des portes et, comme il devait dormir dans la chambre de son maître, il passa dans un cabinet attenant. Au bout de quelques instants, il rentrait en chemise de nuit, attachait à son bras le cordon d’appel dont il disposa, comme à l’ordinaire, l’autre extrémité à la portée de la main du roi endormi, et il s’étendit sur son lit de sangle, entouré d’un paravent, avec les précautions habituelles pour ne pas faire le moindre bruit[43].

La nuit fut des plus calmes ; le 21, à sept heures, Lemoine s’éveilla, ouvrit les volets, replia son paravent, rangea son lit, puis, s’approchant de l’alcôve royale il s’inclina respectueusement et prononça la formule d’usage : « Sire, il est sept heures. » Alors il écarta les rideaux et s’aperçut avec stupéfaction que le lit était vide.

En un instant, tout fut en émoi. Les frotteurs, les porteurs d’eau, les allumeurs de réverbères en train de nettoyer leurs appareils, les marmitons montés des cuisines, délaissent leur ouvrage et discutent l’événement. On s’informe : chez le dauphin, chez Madame royale, plus personne ; chez la reine, chez Mme Brunier, chez Mme de Neuville, femmes de confiance, même vide, « rien que le désordre témoignant d’un départ précipité ». Où sont-ils tous ? On s’accorde à décider qu’ils n’ont pu sortir du château : comment auraient-ils déjoué la surveillance de tant de sentinelles, de rondes et de patrouilles ? Ils doivent être cachés dans quelque réduit des combles ou des souterrains… La preuve, c’est que le capitaine Dubois, chargé de la garde de Madame Élisabeth, vient de constater que la princesse « s’est envolée », comme les autres, bien qu’il eût pris la précaution de faire coucher l’un de ses hommes en travers de l’unique porte de l’appartement qu’elle habite. Ces hypothèses rassurent un peu la domesticité qu’un départ effectif des maîtres eût menacé du chômage et privé de la satisfaction d’émarger aux états mensuels de la Liste civile.

Tout Paris sait déjà la nouvelle. Des gens consternés s’amassent au Carrousel, les yeux fixés sur les longues façades, dans le vain espoir de surprendre leur secret. Il y a du désespoir dans cet ébahissement : pour la première fois depuis de longs siècles, la France n’a plus de roi ; cette vacance produit une impression de vide qui épouvante. Le tocsin tinte à tous les clochers, avivant l’angoisse unanime ; les commerçants ferment leurs boutiques. — Est-ce vrai ? Il est parti, ce roi que, depuis deux ans, on a tant contrarié, molesté, bafoué, humilié, avili… l’ingrat ! Que va-t-on devenir sans lui ?

Maintenant, une multitude s’écrase aux abords des Tuileries ; les grilles en sont large ouvertes, les portes béantes, comme d’un logis abandonné. Plus de gardes, plus de consignes. Les plus hardis pénètrent sous le péristyle, se hasardent dans l’escalier, timidement d’abord : le prestige séculaire de la royauté impose toujours ; on hésite à se risquer dans ce château mystérieux sur lequel, depuis sa création, pèse un mauvais sort et qui semble se refuser à abriter les souverains. Peu à peu, on se répand dans les appartements ; nulle mauvaise intention ; le désir de voir, de s’amuser ; nulle colère, nulle préméditation de pillage : ce n’est pas la cohue tumultueuse des jours d’émeute ; mais la foule parisienne, avide de spectacles, respectueuse encore. De bouche en bouche circule le mot d’ordre : Ne touchez à rien ! Mais on invite joyeusement à se dépouiller de leur livrée les serviteurs de la Cour, qui ne s’y décident pas volontiers, préférant leurs gages à la vague situation « d’hommes libres ». Des gamineries : un portrait du roi, sorti de son cadre, est accroché, en manière d’enseigne, à la grande entrée du château avec cet avis : Logement à louer. Des femmes s’attendrissent devant le lit du petit dauphin ; sur celui de la reine, une fruitière s’est installée avec un panier de cerises et, comme au marché, vante sa marchandise : « Les cerises ! les belles cerises à six sols la livre ! » La garde nationale, vite alertée, maintient l’ordre facilement, car les badauds sont vite las d’errer dans ce dédale de salons, d’entresols, d’escaliers dérobés, de couloirs sombres, de galeries somptueuses où l’on se perd ; et certains naïfs sont dépités de ne pas découvrir quelque porte secrète, derrière laquelle ils auraient surpris, entassée dans un cabinet noir, toute la famille royale riant de la bonne mystification… L’évacuation s’opéra docilement, sans protestation ; la milice citoyenne reprit ses postes habituels dans les vestibules et aux portes du château dont la nombreuse population, réduite à l’oisiveté, s’inquiétait de l’avenir.

Cet entr’acte fut de courte durée : le samedi 25 juin, journée torride, après sept heures du soir, un sourd grondement, d’abord lointain, bientôt plus proche, monte dans l’air brûlant, du côté des Champs-Élysées ; ce n’est pas l’orage menaçant, c’est le souffle grondeur de deux cent mille êtres qui assistent au retour du roi, arrêté, dans sa fuite, à Varennes et que la Révolution va réincarcérer aux Tuileries. Le carrosse poussiéreux qui le porte a franchi le Pont-Tournant, tourné le grand bassin et s’avance dans l’allée centrale du jardin qu’une foule surexcitée envahit. Elle affecte un silence répréhensif : nulle tête n’est découverte ; après un nouveau détour au bassin des parterres, la lourde voiture s’arrête au bas du large perron qui, depuis Lenôtre, longe la façade du château ; c’est un vaste espace à traverser. Les trois gardes du corps accusés de l’organisation du voyage, enchaînés sur le siège, sont frappés, roulés et parviennent sous les coups jusqu’au péristyle : c’est miracle qu’ils échappent à la mort. Le roi, très calme, descend le haut marchepied ; silence de mort. Il va, se dandinant, l’air satisfait de rentrer chez lui. Puis c’est la reine, impassible, hautaine, ne voulant rien voir. Le dauphin, porté à bras, reçoit quelques applaudissements charitables. Madame Élisabeth, Mme de Tourzel, les trois commissaires de l’Assemblée, ramenant les fugitifs qu’ils ont rejoints, au retour, vers Épernay, passent sans ovation ni sifflets. Aux fenêtres du château, les femmes de chambre, la valetaille, les gardes nationaux battent des mains[44]. Tous les services sont à leurs postes et dans le costume ordinaire. Louis XVI, très souriant, regagne son appartement ; il plaisante avec La Fayette qui l’y reçoit. Dès qu’il sera seul il rouvrira son Journal pour noter l’heure exacte de sa rentrée : — huit heures, — et, le lendemain, dimanche, 26 juin, il écrira : Rien du tout. Messe dans la galerie. Quant à la reine, comme, en l’assistant, l’une de ses femmes la félicitait sur sa bonne mine, elle retira son bonnet sans mot dire ; « ses cheveux étaient devenus tout blancs, comme ceux d’une femme de soixante-dix ans[45] ».

Malgré cette maladroite escapade de Varennes, le peuple n’était pas complètement désaffectionné de ses anciens maîtres. On le vit bien quand, à trois mois de là, Louis XVI, résigné à tous les renoncements que ne lui interdisaient pas ses croyances religieuses, sanctionna solennellement la nouvelle Constitution du royaume, devant l’Assemblée siégeant dans une dépendance des Tuileries, à l’ancien manège de Louis XV[46] ; debout, chapeau bas, en présence de tous les représentants de la nation, assis et têtes couvertes, il supporta patiemment cette avanie et l’on croit discerner que plusieurs députés témoignèrent quelque regret de leur inconvenance concertée, car, à peine Louis XVI eut-il prononcé son serment, des applaudissements enthousiastes saluèrent sa soumission. Il est acclamé : toute l’Assemblée se lève, se forme en cortège triomphal et le reconduit, à travers le jardin, jusqu’au château. Pour la première fois depuis le 5 mai 1789, la paix semble conclue entre les novateurs et le chef du pouvoir exécutif. Mais elle n’est pas dans les cœurs ; le roi souffre cruellement de cette définitive renonciation à ses droits héréditaires. Dès qu’il est délivré de l’ovation populaire, il se rend chez la reine qui, d’une loge particulière, vient d’assister à la séance. Il est pâle, ses traits sont altérés ; il se jette dans un fauteuil et mettant son mouchoir sur ses yeux : « Ah ! Madame, dit-il, tout est perdu ! Et vous avez été témoin de cette humiliation ! Vous êtes venue en France pour voir… » Les sanglots l’étouffent ; la reine tombe à ses pieds et le serre dans ses bras. L’une des femmes de Marie-Antoinette, Mme Campan, assiste à cette scène : « Je restais, écrit-elle, non par une blâmable curiosité, mais par une stupeur qui me rendait incapable de savoir ce que je devais faire. La reine me dit : « Ah ! sortez, sortez ! » avec un accent qui signifiait seulement : ne soyez pas spectatrice de l’abattement et du désespoir de votre roi[47]. »

Pourtant il fallut feindre la satisfaction. Tout Paris, jugeant la Révolution terminée, trépignait d’allégresse ; le bon roi venait d’assurer pour toujours la félicité de son peuple. Aussi quel élan de reconnaissance ! Jamais, d’un tel cœur, on n’a crié Vive le roi ! Les Tuileries sont magnifiquement illuminées ; des lignes de feu s’étendent depuis la place Louis XV jusqu’à la colonnade du Louvre ; les bassins du jardin, les allées, les parterres resplendissent de décorations lumineuses. Le roi, la reine, le dauphin doivent se promener en voiture parmi la foule enthousiaste ; sur leur passage, montent en concert les vivat, les bénédictions et, — leçon à l’adresse des députés, — les cris répétés de Chapeau bas ! Livrée à elle-même, la foule parisienne connaît de ces délicatesses. Mais les factieux professionnels veillaient, tourbe d’agitateurs impénitents, champions du grand culbutis où se satisfera leur envieuse cupidité. Redoutant que la proie convoitée leur échappe, ils redoublent de fureur, d’imprécations, de mensonges impudents et de calomnies ordurières : Louis XVI est « un rustre », une « crapule consacrée » ; le trône de France est devenu « un bouge à porcs », une « sentine de tous les excès » ; le petit Capet « que les nigauds paraissent considérer avec intérêt, est le produit innocent du crime ; ses premiers regards ont rencontré dans son père une masse informe qu’aucune étincelle de vertu ou de génie n’a pu animer ; dans la personne de sa mère une femme qui réunit les goûts les plus vils aux prétentions les plus hautaines et qui, se voyant condamnée à la couche d’un muletier couronné ne se refuse rien de ce qui peut l’en dédommager[48]. Aussi son ridicule mari est-il représenté en caricature « avec le corps d’un cochon et le front d’un bélier[49] », ou encore « en girouette dominant le dôme des Tuileries ; la reine souffle pour le tourner du côté de l’Allemagne[50] ». — « Le nom de Marie-Antoinette va de suite avec ceux de Frédégonde et de Brunehaut[51]. » — « La croit-on moins implacable que la Médicis[52] ? » Quant à Capet lui-même, sa prétendue résignation n’est qu’une incroyable hypocrisie ; il est en proie à des crises de folie furieuse et perd tout contrôle de soi-même. Au retour de Varennes, écumant de se voir repris, « il a brisé toutes les glaces de son appartement[53] ». — « Sa garde est composée de 40.000 assassins qui sont aux Tuileries à sa solde et n’attendent qu’un signal pour se porter sur le corps législatif et pour le dissoudre[54]. » Et « pas d’espoir que ce roi imbécile s’amende jamais : il ne saurait devenir un homme de bien ; il est un certain degré d’endurcissement qui ne connaît plus le remords[55] ». On insinue « qu’il a fait avec le roi de Prusse un traité par lequel celui-ci s’engage à rétablir son confrère sur le trône, moyennant la cession de la Bourgogne, de la Franche-Comté et le paiement de 60 millions[56] ».

Durant près d’un an, la population parisienne est gavée jusqu’au cauchemar de ces criminelles abominations dont on ne donne ici qu’un bien incomplet spécimen. Comme elle souffre du marasme des affaires, de la cherté croissante des subsistances, on lui persuade aisément que les hôtes des Tuileries sont les seuls obstacles au bonheur promis ; puisqu’ils se cramponnent à leur palais, le peuple souverain doit les en chasser. La garde du roi étant licenciée, les portes n’en seront point défendues ; l’émeute peut venir.

Ceux qui empoisonnent ainsi l’esprit public, ce sont des inconnus, dont les noms, bientôt, perceront : les Hébert, les Chaumette, les Chalier, les Momoro, les Ronsin et leur bande famélique, impatiente de bombances ; on saura de « quelles vertus et de quel génie », ils donneront des preuves quand ils seront au pouvoir et tiendront la France à la gorge.

L’émeute vint donc. Au château, on l’attendait car, depuis trois jours, les factieux enrôlaient activement la canaille des faubourgs. La manifestation s’ébranle le 20 juin 1792 à onze heures du matin et se dirige vers le Manège où siège l’Assemblée. On n’a pas pris la précaution de fermer le jardin des Tuileries ; elle s’y répand, défile sous les fenêtres de la reine, sort sur le quai par la porte du Pont-Royal et pénètre par le guichet du Carrousel dans les cours. Des rumeurs, des chants, des cris s’élèvent de cette marée moutonnante dont le flux grossit incessamment.

Dans les hautes salles du château, c’était une confusion anxieuse : « On se promenait dans une agitation extrême ; on n’avait rien à opposer à cette multitude[57] », non point que la garde nationale ne fût à ses postes ; mais « les ordres manquaient ». On entendait de tous côtés « ils arrivent ! ils arrivent ! » et tout à coup, un grand tumulte dans l’escalier : les manifestants gravissent les degrés, hissant un canon qui se cogne aux rampes de pierre sculptée et qu’ils roulent dans la salle des Suisses. De grands coups ébranlent la porte de l’Œil de bœuf, qui résiste. Louis XVI, très résolu, y court, ordonne d’ouvrir : on hésite ; il insiste, est obéi et les battants s’écartent brusquement sous l’effort des émeutiers. L’apparition du roi, presque seul, sans apparat, impose un obstacle momentané à l’irruption ; mais, sous la poussée de ceux qui montent et foncent irrésistiblement, l’antichambre est vite envahie[58]. Quelques gentilshommes entourent le roi, l’entraînent vers l’une des croisées donnant sur la cour ; au moyen d’une chaise, il atteint un haut coffre à bois casé dans l’embrasure de la fenêtre, de là, très en vue, il domine l’émeute qui déferle en vagues compactes : faces ruisselantes, bras nus, des hommes agitent des fanions chargés de devises emblématiques : Voilà les sans-culottes. — À bas le tyran[59]. Les charbonniers ont pour drapeau un sac à charbon, attaché au bout d’un bâton ; quatre bouchers porte-haches escortent un énergumène qui balance au bout d’une perche un morceau de viande, cœur d’aristocrate[60]. Hommes et femmes sont armés de bâtons, de broches à rôtir, de lourds pieux, de piques. On s’amasse autour du roi, bloqué sur son coffre ; on l’interpelle ; on lui tend un bonnet rouge qu’il saisit et place sur sa tête. À part quelques démagogues d’estaminet, soucieux de soutenir leur réputation, et une centaine de salariés qui se démènent par ordre, cette cohue est, du reste, plus encline à la gaminerie qu’à la férocité. La masse a suivi les meneurs par curiosité ; on folâtre : des loustics, du bout de leurs piques, font tinter les pendeloques des lustres ; des filles minaudent et arrangent leur bonnet devant les grandes glaces ; d’autres caressent le brocart des meubles et s’extasient sur les dimensions des tabourets ; des femmes se bousculent dans la salle du Conseil où la reine est cernée ; on a poussé devant elle, en manière de rempart, une table sur laquelle est assis le dauphin, tout enrubanné de tricolore par des manifestantes apitoyées. L’une d’elles interpelle sévèrement Antoinette et fond en larmes quand la souveraine lui répond avec douceur.

Qu’on imagine la chaleur étouffante, la poussière, les effluves de cette foule prisonnière de son entassement, les cris de ceux qu’on écrase, les appels, les rires, le bruit des gros souliers raclant les parquets sonores, le vacarme prolongé durant cinq heures et la pesante lassitude qui, à la fin, déprime les plus actifs figurants de cette bacchanale avortée. Le roi, en effet, n’a rien cédé aux menaces ni aux sommations des « pétitionnaires » ; il a bu à la santé de la nation un verre de vin versé par un sans-culotte ; pas un instant il n’a tremblé ; les émeutiers éprouvent une sorte de pitié pour ce pauvre homme qui a si chaud, qu’on a tant houspillé et qui supporte tout sans une plainte. Il trouve même un mot aimable pour congédier enfin ses « visiteurs » : s’avisant que les manifestants, immobilisés, demeurent béants devant lui : « J’ai fait, dit-il, ouvrir les appartements ; le peuple, en défilant du côté de la galerie, aura le plaisir de les voir. » Suivant cette indication, la foule s’écoule vers l’escalier du pavillon de Flore et regagne ainsi la rue.

À sept heures du soir, Louis XVI, enfin libéré, rentrait dans sa chambre à coucher. La reine, le dauphin, Madame royale l’embrassèrent en pleurant ; alors on lui fit observer qu’il avait oublié d’ôter le bonnet rouge dont l’émeute l’avait coiffé et qui restait accroché à ses cheveux. Le soir, il écrivait simplement sur son Journal : 20 juin. Affaire des Tuileries[61].

C’était là seulement la répétition du drame qui se préparait : il fut joué six semaines plus tard ; six semaines qui furent véritablement l’agonie de la royauté. Dans ces Tuileries de Louis XIV, Louis XVI est captif. Plus de promenades dans Paris ; le roi ne sort pas de sa geôle ; quand il prend l’air, c’est, le soir, dans les cours et dans les jardins du château[62]. Son Journal mentionne : Le 21 juillet, alerte dans l’après-midi. Dans la crainte d’une nouvelle invasion, il a exigé que la reine quittât son rez-de-chaussée et vînt occuper près de lui la chambre du dauphin pour lequel, tous les soirs, on dressera un lit[63]. On a même renoncé aux offices dans la chapelle ; la messe est célébrée dans les appartements ; une peinture de l’époque, document extrêmement précieux, nous montre cette cérémonie : on y voit la galerie tendue de grandes tapisseries, un petit autel portatif, posé à même le parquet, la famille royale agenouillée et, à distance respectueuse, un groupe encore nombreux de courtisans, debout, le chapeau sous le bras[64].

Au nombre de ces fidèles, comptait François de La Rochefoucauld, jeune officier de vingt-sept ans, alors en disponibilité. Il logeait aux Tuileries et on va suivre ici son récit des dernières heures de la monarchie, car c’est, estime-t-on, la plus saisissante, parce que la plus simple, de toutes les relations inspirées par ces journées tragiques : pas de politique, nulle considération sur les causes et les résultats de l’événement ; rien que quelques pages émouvantes dans leur sobriété et qui sont le témoignage d’un homme inopinément mêlé à un grand drame imprévu.


La dernière messe de Louis XVI dans la galerie des Tuileries
(9 août 1792).

Tableau de Hubert Robert.


Le 9 août 1792, au matin, Paris est parfaitement tranquille. François de La Rochefoucauld va finir son après-midi à la Comédie ; mais, parmi les spectateurs, certains bruits circulent, peu rassurants. Il quitte donc sa stalle ; prend un cabriolet et revient au château afin de s’informer. Peu de gardes ; tout est calme ; comme à l’ordinaire, il y a, dans les cours, « d’assez nombreux groupes, mêlés de femmes, ce qui, habituellement, prouvait qu’ils n’étaient pas des plus mauvais ». François, l’esprit apaisé, retourne donc au théâtre et assiste à la fin de la pièce. De retour aux Tuileries, il monte chez son ami Tourzel, fils de la gouvernante du dauphin. Tourzel est bien renseigné : « Il n’y aura rien, ou pas grand-chose. » Les deux jeunes gens ne soupent point et se font servir du punch.

Vers onze heures du soir, Tourzel reçoit de sa mère un mot assez inquiétant : la nuit s’annonce mal : le projet, paraît-il, serait « d’enlever le roi ». Ici encore, on constate combien les contemporains sont toujours mal instruits de ce qui se passe sous leurs yeux ; dès qu’ils sortent du petit détail intime, de la simple notation de leurs faits et gestes, ils se leurrent ou s’illusionnent : alors que déjà les faubourgs se mettent en marche vers les Tuileries, il ne s’agit, pour les habitants du château, que d’un nouveau départ de Louis XVI : le Parti constitutionnel, l’Assemblée, les ministres eux-mêmes souhaitent son éloignement, ils comptent, par un simulacre de mouvement populaire, le décider à prendre ce parti. Cette hypothèse se confirme sur l’annonce qu’on supprimera, ce soir, la cérémonie du coucher ; c’est la première fois que pareille infraction est faite à l’étiquette et ceci trouble les courtisans plus que tout le reste. Pas de coucher du roi ! Ça c’est grave ; et voilà tout le monde botté et prêt à s’en aller. — Où ? — On n’en sait rien. François eut, toute la nuit, un cheval qui l’attendit au bord de l’eau, près du pont Louis XVI[65].

On ne se couche pas. À l’appartement du roi, nombreuse affluence : très peu de gens « habillés » ; il y en a de tous les partis, même des membres de la Municipalité ceints de leur écharpe. Pétion, le maire de Paris, traverse les groupes ; « nul ne se range sur son passage ; mais il prend soin de ne bousculer personne ». Louis XVI lui parle avec autorité… Les heures passent ; on est harassé de piétiner dans ces grandes pièces encombrées : l’étiquette interdit de s’asseoir dans les appartements royaux ; mais on est si las qu’on s’accote où l’on peut, sur les tables, les consoles, partout où l’on trouve à soulager ses jambes. Certains s’étendent sur le parquet ; les audacieux prennent possession des fauteuils, au grand scandale des huissiers qui essaient de sauvegarder les traditionnels usages. Vers trois heures, on entend le tocsin[66]. Louis XVI, au petit jour, descend au jardin, escorté de quelques gentilshommes ; il pousse jusqu’au Pont-Tournant ; il a l’air « peiné, inquiet, mais s’efforce visiblement à paraître calme ». Au retour, il passe en revue les compagnies de la garde nationale alignées dans les cours : l’accueil des miliciens est plus que froid. Les suisses, massés en rangs serrés sur les marches et les paliers du grand escalier, semblent plus sûrs.

Et puis, vers sept heures et demie, François de La Rochefoucauld, de la galerie où il est posté, entend le roi parler très haut dans la salle du Conseil ; la reine et ses enfants, Madame Élisabeth, « beaucoup de dames et de femmes de chambre sont dans cette pièce ». C’est le moment où la populace armée débouche des petites rues sur le Carrousel. On décide la famille royale à quitter le château ; elle ira chercher refuge à l’Assemblée. Les ministres et les municipaux l’y accompagneront. La retraite est résolue ; aux femmes qui s’inquiètent, la reine dit : « Nous vous retrouverons ici… » On part : la petite Madame est en larmes ; Mme de Lamballe, qui l’accompagne, souffle à l’oreille de La Rochefoucauld : « Nous ne reviendrons jamais… » Par le grand escalier, à travers la masse compacte des suisses, on descend, non sans peine, au vestibule du pavillon central d’où l’on sort sur le grand perron pour se diriger, à travers le jardin, vers le Manège où se tient l’Assemblée.

De toutes ces personnes royales qu’un implacable destin chasse des Tuileries, une seule les reverra : c’est la fillette qui pleure, tenant la main de sa tante Élisabeth : dans vingt-deux ans, féconds en événements inouïs, elle rentrera dans ce château qui, même alors, restera dans son esprit comme un lieu maudit, hanté par les fantômes de tous les siens.

« Aucune journée historique de la Révolution n’est entourée de plus d’incertitudes, enveloppée de plus d’obscurités que celle du dix août », écrit un historien qui a pris connaissance de tous les documents officiels contemporains de l’événement[67]. Les assaillants furent-ils informés de l’exode du roi ? C’est peu probable : ceux qui investissaient le château du côté des cours l’ignoraient, à coup sûr, puisqu’ils ne renoncèrent pas à l’attaque. Vers neuf heures, ayant enfoncé le portail de la cour Royale, ils s’approchent du pavillon central, pénètrent dans le péristyle où les accueille une décharge générale des suisses massés sur l’escalier. Alors c’est l’assaut, la ruée furieuse : les suisses, désarmés, lardés de coups de pique, sont agrippés, jetés à bas des marches, tués sur place ou entraînés vers le Petit Carrousel ou vers le jardin où on les massacre. Les boulets des canons de l’émeute, braqués contre le château, en meurtrissent les murs, brisent les fenêtres ; les corps de garde et les bâtiments de la cour sont incendiés : le peuple est maître des Tuileries ; en un grand fracas d’ouragan, les appartements sont envahis ; « des cris aigus, des rires, un vaste et continuel murmure » — « le tintement des vitres qu’on casse, le tintamarre des casseroles que l’on brise dans les cuisines ; les chenets, les tournebroches, les tourtières, tout vole en éclats ; le vin ruisselle sur le pavé… Dans la chapelle, des tapis qu’on arrache à force de bras, des tableaux percés à coups de pique, les pupitres et les violons des musiciens, renversés et jetés sur l’autel[68]… ». Un jeune Savoyard, au sommet de l’orgue, souffle dans un tuyau le Dies irae. — « L’incendie du palais de Priam ne présenta point un plus épouvantable désordre ; les escaliers résonnent sous les pas précipités des filous qui montent, descendent, se croisent, se heurtent, pénètrent dans toutes les chambres[69]. » À travers les enfilades, tout défenseur, tout domestique du château qu’on découvre, est abattu. Un heiduque de Marie-Antoinette, « homme de très haute taille et d’une physionomie tout à fait martiale », est assis sur un lit, tout pâle : « Sauvez-vous, lui crie une femme qui court. — Je ne puis pas, je suis mort de peur. » Une horde d’émeutiers se jette sur lui et le déchire[70].

Les dames de Marie-Antoinette, affolées, ont tenté de fuir : les unes se sont réfugiées dans les combles ; d’autres, préférant se rapprocher des portes de sortie, se massent, au rez-de-chaussée, dans l’un des salons de la reine, ferment les volets, allument toutes les bougies des lustres, des flambeaux, des candélabres : « Si les brigands forcent la porte, l’étonnement de toutes ces lumières donnera à ces femmes éperdues le temps de parler. » Le tumulte se rapproche ; des clameurs affreuses, un cliquetis d’armes, des détonations… Et, soudain, la porte est enfoncée ; des hommes, sabre en main, se précipitent, s’arrêtent ; Mme de Genestou tombe à genoux ; « elle a perdu la tête, elle balbutie des mots de pardon[71] » ; ses compagnes la font taire. Mme Campan, dans l’un des étroits et sombres escaliers qui communiquent avec le premier étage, se heurte à un « horrible Marseillais » ; elle est prise ; elle va mourir. Une voix, au bas des marches, crie : « Que faites-vous, là-haut ? On ne tue pas les femmes[72] ! »

On ne tue pas les femmes : c’est le mot d’ordre, et même on les sauve : la princesse de Tarente et Pauline de Tourzel sont conduites hors du château par un sans-culotte qui les aide poliment à enjamber les cadavres de deux valets de chambre de la reine. Mme Campan, sous la protection de quelques Marseillais, doit, sous les balles, traverser le Carrousel et suivre le quai où la bataille se prolonge. Parmi les fleurs des parterres, sous les grands arbres du jardin, à la place Louis XV, des corps de soldats suisses ; il y en a d’entassés rue de l’Échelle[73], d’autres dans la chapelle, déjà couverts « d’un million de mouches bourdonnantes[74] ». Le péristyle du château épouvante : « les murailles peintes de sang, couvertes de lambeaux de membres d’hommes, de tronçons d’armes et, parmi des morceaux d’étoffes légères, un pan du manteau royal, fleurdelysé d’or, est distribué à qui veut s’en souiller les mains[75]. » La porte du pavillon central est « obstruée par des monceaux de cadavres presque nus » et, tout le jour, les vainqueurs fouilleront le château, défonceront les armoires, pilleront la vaisselle, déchireront les rideaux, les tapisseries, briseront les glaces, crèveront les tableaux. « Le forte-piano de la reine n’a plus de touches ; ses bonnets, ses chapeaux élégants, ses jupes roses, voltigent par la chambre[76] » et, sur chaque marche de l’escalier du pavillon de Flore, des hommes ivres dorment à côté[77] des cadavres. « Vers le soir, tandis qu’une âcre fumée s’élevait des corps de garde incendiés, d’épais flocons de neige tourbillonnaient sur le Carrousel, échappés aux lits de plume et aux édredons éventrés qu’on secouait par les fenêtres des hauts étages[78] ; dans le crépuscule, comme la caserne du Pont-Tournant[79] brûlait encore », ses flammes sinistres éclairaient cinq ou six voitures sur lesquelles on empilait les cadavres[80]. Enfin les vainqueurs, harassés, abandonnèrent leur conquête ; la nuit tombait sur le grand palais dévasté, toutes portes ouvertes, fenêtres béantes, et que seuls gardaient des morts, dernières sentinelles de la monarchie défunte. C’était une admirable nuit d’été chaude et pure : au-dessus de ce lieu tragique, dans les profondeurs du ciel, scintillaient les constellations éternelles.

Les Tuileries sont maintenant le Palais national. Le pavillon central est le pavillon de l’Unité ; celui de Flore porte le nom de l’Égalité ; celui de Marsan est nommé Liberté. On n’a pas effacé les traces du désastre : on respecte comme glorieuses meurtrissures les brisures faites aux délicates colonnades de Philibert Delorme par les boulets de l’insurrection. Pourtant, on a fait disparaître les taches sanglantes du péristyle et de l’escalier : on a remis des vitres à la salle des Cent-Suisses et c’est là que, le 20 septembre, à cinq heures du soir[81], sont convoqués les membres de la nouvelle Assemblée, — la Convention nationale, — qui va succéder à la Législative. Pour la circonstance, on a meublé l’immense salle d’une tribune, de banquettes et caché sous des tentures les stigmates du pillage. Mais le peuple n’est pas encore dans ses meubles et cette décoration improvisée porte la livrée royale : « les tapis, les sièges, sont parsemés de fleurs de lys[82]. » Séance de début, sans intérêt, d’ailleurs, encore qu’elle se prolongeât jusqu’à une heure du matin[83]. Trois cent soixante et onze députés seulement y étaient présents, la moitié à peu près des membres de la nouvelle Assemblée. Pétion fut élu président ; on procéda à la vérification des pouvoirs et l’on se donna rendez-vous le lendemain, au même lieu.

Le 21, à l’heure dite, les représentants à la Législative viennent aux Tuileries saluer leurs successeurs. François de Neufchâteau se fait l’écho de la confiance du pays « en la sagesse et l’autorité tutélaire des nouveaux élus ». Pétion lui répond et assure que « tenant dans ses mains la destinée d’un grand peuple, du monde entier et des races futures, la Convention s’acquittera de cette mission auguste avec ce recueillement profond qu’elle inspire ». « Ces idées, ajoute-t-il, élèveront notre âme et feront disparaître toutes ces petites passions qui dégradent l’homme, toutes ces prétentions méprisables de la jalousie et de l’orgueil. » Ce malheureux qui, dans quelques mois, fugitif, sans asile, désespéré, se tuera dans un champ de la campagne bordelaise, témoigne, à cette aurore illusionnante, de plus de bonne volonté que de divination. Son discours est salué « d’une double salve d’applaudissements » et, tout de suite, Pétion reprend la parole : il invite ses collègues à se rendre au Manège, siège ordinaire du pouvoir législatif, pour y délibérer en présence du peuple : « la Convention doit avoir hâte de travailler publiquement à son bonheur ! » Nouvelle ovation : tous les députés quittent la salle des Tuileries ; le président les précède et, par le jardin, se rendent au Manège, escortés par les huissiers, et entourés des secrétaires de l’Assemblée : Condorcet, Brissot, Lasource, Rabaut Saint-Étienne, Vergniaud et Camus. Sauf ce dernier, avant deux ans, tous seront morts de par l’échafaud ou le suicide.

C’est donc au Manège que fut voté par acclamation le décret d’abolition de la royauté, et non au château des Tuileries comme on le croit généralement : cette antithèse, contradictoire à sa destination, manque à son histoire. Les Tuileries étaient, en effet, en vertu d’un vote de la Législative[84], destinées à la Convention ; mais il y fallait procéder à de nouveaux aménagements et construire notamment une salle des séances. On décida de convertir à cet usage le théâtre qu’avaient successivement occupé l’Opéra, la Comédie-Française et la troupe du coiffeur Léonard. L’architecte Vignon s’engageait à terminer ce travail pour le 1er novembre 1792, sans maçonnerie : son devis ne dépassait pas 300.000 livres. À relater pourquoi il fut supplanté, au bout de quelques semaines, par son confrère Gisors et comment la nouvelle salle fut achevée seulement au mois de mai 1793, on risquerait de se perdre dans les détours d’une intrigue assez ténébreuse[85]. D’autres détails de la vie du château, durant cette période transitoire, présentent plus d’intérêt.

Dans les jours qui suivirent le 10 août, on y pénétrait comme au marché et peut-être les visiteurs d’après la bataille y commirent-ils plus de déprédations que les émeutiers. On y avait placé pourtant des surveillants : un serviteur du roi obtint cet emploi par suite de circonstances étranges : c’était Durey, l’un des hommes de peine chargés d’entretenir l’établi où Louis XVI se distrayait à des travaux de serrurerie. Le 10, lorsqu’il vit le château forcé, Durey, fou de peur, se blottit dans une cheminée dont il rabattit sur lui le tablier[86]. Il resta dans cette cache jusqu’à la nuit et quand, n’entendant plus de bruit, il essaya d’en sortir, il ne parvint pas à lever la trappe. Il tenta de grimper dans la cheminée jusqu’à l’étage supérieur ; mais après d’inutiles efforts, il retomba épuisé. Des gardes nationaux qui, vers le matin, effectuaient une ronde, perçurent ses appels désespérés et le délivrèrent ; il s’offrit, en reconnaissance, à les guider dans le château et, sans doute, les indications qu’il fournit furent-elles jugées intéressantes, car on signala ce revenant du massacre au vertueux Roland, ministre de l’Intérieur, fort soucieux de pénétrer les secrets des Tuileries.

Durey les lui révéla-t-il ? On ne peut le dire ; mais, quelques jours plus tard, les gazettes annoncèrent « qu’un peintre venait de dénoncer l’existence, dans le château, d’armoires murées et masquées ». Certains, intrigués des allures inquiètes du ministre, insinuaient qu’il redoutait la découverte de lettres compromettantes adressées au roi par lui ou par ses amis de la Gironde. Dès le 18 août, il avait donné l’ordre d’approprier l’une des pièces de l’appartement de Mme de Tourzel, au rez-de-chaussée sur la cour, afin d’y réunir le Conseil des ministres et de justifier ainsi ses visites quotidiennes aux Tuileries. On l’y rencontrait donc fréquemment, furetant, questionnant, curieux de savoir « si l’on avait trouvé quelque chose[87] ». Un jour, c’était le 20 novembre 1792, au matin, il s’enferma dans la chambre du roi ; quand il en sortit, il était chargé d’un fort colis de papiers enveloppé dans deux serviettes.

À deux heures et quart de l’après-midi, il se présente à la Convention, annonce « qu’il apporte plusieurs cartons remplis de papiers qui, par leur nature, semblent d’une grande importance ». « Ces pièces, dit-il, étaient dans un lieu si particulier, si secret, que, si la seule personne de Paris qui en avait connaissance ne l’eût indiqué, il aurait été impossible de le découvrir. Plusieurs membres des assemblées Constituante et Législative paraissent y être compromis[88]. » Puis, maladroitement, il ajouta : « J’ai parcouru rapidement ces papiers… » Des Ah ! Ah ! ironiques l’interrompent, suivis d’un murmure désapprobateur. Roland a donc pris le temps de trier ces documents ? Certains jugent sévèrement la conduite inconsidérée du ministre et protestent contre cette louche usurpation de pouvoirs. Mais l’Assemblée passa à l’ordre du jour.

Dans la chambre où couchait Louis XVI, l’alcôve était entre deux cabinets : l’un contenait la garde-robe ; l’autre, voisin de la fenêtre, était un couloir boisé, « de six pieds de long sur trois de large[89] », conduisant à la chambre du dauphin. Dans ce couloir, « tout à fait obscur quand les portes en étaient fermées », se trouvait la cachette. L’un des panneaux de la boiserie dissimulait une porte de fer d’un pied et demi[90], masquant « un trou informe, inégal et raboteux, creusé dans l’épaisseur du mur ». À la fin de mai 1791, — la déclaration de Durey fut très nette sur la date, — Louis XVI avait pratiqué lui-même cette cavité ; Durey recueillait les gravois et les éclats de pierre qu’il portait, la nuit, à la rivière. Le roi forgea aussi la porte destinée à clore cet enfoncement ; mais pour l’ajuster, il dut faire appel à Gamain, le serrurier de Versailles, qui avait été son maître. Comme le couloir où l’on travaillait était très sombre, le roi tenait une bougie, Durey présentait les outils. Quand les papiers furent placés et l’armoire close, on en mit la clef dans une cassette scellée sous une dalle, à l’extrémité du couloir[91]. Telle était cette armoire de fer, origine de tant de légendes et thème de si noirs romans.


L’Armoire de fer.
(Le squelette de Mirabeau symbolise la collusion de celui-ci avec la monarchie.)
Gravure anonyme sur cuivre (18e siècle).


Cette trouvaille d’importance mettait les fureteurs en goût ; mais leurs recherches ne révélèrent plus rien qui pût prêter à commentaires si ce n’est une cache où Mesdames, tantes du roi, mettaient au frais leur tabac, lorsqu’elles occupaient le pavillon de Marsan, et, au pavillon de Flore, chez Madame Élisabeth, un confessionnal démontable, portatif et élégant, avec un siège pour le confesseur, un guichet fermé d’une grille de bois et un coussin de marbre, creusé de larges entailles, sur lequel, par mortification, la pénitente s’agenouillait[92]. Le 24 octobre, la Convention décrétait la vente à l’encan de l’immense mobilier du château[93] : elle allait se poursuivre durant des mois. D’après Roussel, d’Épinal, elle produisit peu : les deux beaux diamants ayant servi de pendants d’oreille à la reine furent, dit-il, échangés contre des grains fournis, en 1794, par l’étranger ; la magnifique voiture du sacre fut dépecée pour en tirer l’or dont elle était surchargée. L’encan, d’ailleurs, attira peu de monde : des revendeurs, des regrattiers, quelques particuliers venus en curieux, mais qui n’achetaient pas[94]. La garde-robe du roi trouva peu d’amateurs : « chaque habit de drap avec la culotte pareille, fut adjugé de 80 à 100 livres ; on donna pour 110 livres l’habit brodé « à queues de paon » qui avait coûté 15.000 livres et, pour 120 livres, celui brodé[95] « en mille fleurs », que Louis XVI avait payé 30.000 livres ! »

L’échafaud eut plus de succès : on l’avait dressé sur la place de la Réunion, ainsi désignait-on, maintenant, le Carrousel. On exécutait là les condamnés du nouveau Tribunal criminel[96] établi, à la sollicitation de Robespierre, pour punir les complices de la « conspiration du 10 août ». La première victime de la guillotine, placée devant la grande porte du château, fut Collenot d’Angremont, secrétaire de l’Administration de la garde nationale, « chef des brigands soudoyés par la Cour ». C’était le 22 août, à neuf heures du soir ; ce spectacle, joué à la lueur des lanternes, fut très applaudi.

Cependant, on travaillait activement à transformer l’ancien théâtre en salle pour la Convention. On y devait entrer par le grand escalier de Levau. Le premier palier de cet escalier, on l’a déjà remarqué, était à mi-étage, comme la chapelle à laquelle il donnait accès. L’architecte Gisors adopta ce niveau pour toute la construction qu’il entreprenait : la chapelle devint une galerie, éclairée par douze fenêtres, six donnant sur la cour, et six sur la terrasse de plain-pied avec le premier étage du château. La sacristie, qui suivait, fut transformée en une petite anti-salle ; puis on pénétrait dans le bâtiment ajouté, sous Louis XIV, aux constructions interrompues de Catherine de Médicis, et qui avaient été, primitivement, la salle des Machines. Ici, le corps de logis était double : Gisors y plaça une antichambre qu’on nomma salle de la Liberté en raison d’une statue symbolique en plâtre, de dix pieds de haut, qu’on revêtit, au « naturel » de 59 aunes de toile « bronzée en couleur antique[97] ». Cette salle prenait jour par quatre fenêtres hautes donnant sur la cour. Une salle similaire, dite des députations, éclairée par trois fenêtres sur le jardin, communiquait par deux grandes portes avec la précédente. Un dernier vestibule tenant toute la largeur du bâtiment ouvrait directement sur la salle des séances ; on y entrait par une large arcade cintrée reposant sur deux lourdes colonnes « de l’ordre de Poestum » ; la porte était de marqueterie figurant, dans les panneaux du bas, « des chimères », et, dans ceux du haut, « soixante-huit rosaces en étoiles[98] ». On y avait ajouté une ample portière de drap vert « retroussée avec des cordons et glands rouges[99] ».

La décoration de ces anti-salles était simple : depuis le sol jusqu’au bas des fenêtres, c’est-à-dire sur une hauteur d’environ une toise et demie (3 mètres), la peinture des murailles « imitait un revêtement de porphyre » sur lequel on avait placé des couronnes de chêne ; de là jusqu’au plafond, la peinture imitait le granit. Il faut remarquer que d’aucune de ces pièces il n’était possible de regarder au-dehors en raison de l’élévation des fenêtres qui, ouvertes, dans l’origine, pour un premier étage qui n’avait jamais existé, éclairaient maintenant un entresol ; de nombreux lustres pendaient des voûtes. Dans l’escalier, le Cen Roger, sculpteur, avait « martelé » les lis et les soleils de la rampe et façonné en pique « une bâton royal[100] ».

La salle des séances nécessita d’importants travaux : l’architecte lui avait réservé l’entière superficie de l’ancienne scène du théâtre des Machines[101]. Mais, outre que cet espace était resserré par huit piliers de maçonnerie soutenant le comble de l’édifice[102], la machinerie de l’Opéra avait naguère exigé la création de « dessous », profonds de 24 pieds, — 8 mètres, — de sorte que, pour ne point loger la Convention dans une cave, il eût fallu combler cette immense fosse. À l’aide de pilotis assis sur de larges blocs de maçonnerie, Gisors établit un plancher au niveau des anti-salles, et toute la partie du château, depuis le grand escalier jusqu’au pavillon de Marsan, se trouva ainsi de plain-pied à la hauteur de l’entresol du rez-de-chaussée.

Cette salle « de plâtre, de toile et de papier » fut peinte couleur de marbre jaune : sur ce fond, se détachaient, en grandes proportions, et peintes à la détrempe, les images de certains sages de l’Antiquité : Démosthène, Lycurgue, Platon, Solon, etc. L’amphithéâtre des députés occupait le « côté jardin » ; côté cour, étaient la tribune du président et des secrétaires et la tribune de l’orateur. Au pourtour de la salle et jusqu’à la hauteur des banquettes les plus élevées, régnait une draperie verte, bordée de rouge et brodée de couronnes. L’ensemble était sobre, traité « dans le style du bel antique », mais péchait par les proportions : la salle paraissait trop étroite pour sa longueur et l’acoustique était mauvaise. Les abords du château furent peu modifiés ; pourtant, la vieille porte du grand péristyle, défoncée par les boulets de l’insurrection, dut être remplacée par deux vantaux en chêne de Hollande, ornés de mufles de lions. On débarrassa la cour des bâtiments de service incendiés au 10 août ; on la planta de jeunes érables et de marronniers pris aux pépinières de Versailles et, à la place du mur qui la séparait du Carrousel, on posa des grilles amenées de Rambouillet. Sur l’un des petits pavillons de garde flanquant l’entrée de cette cour, on plaça cette inscription : Le 10 août 1793, la royauté en France est abolie et ne se relèvera jamais. Enfin, on affubla le dôme du pavillon central d’une grand bonnet phrygien en serge écarlate de 6 pieds de haut et de 8 pieds de circonférence : un long oriflamme tricolore de 33 pieds, — 11 mètres, — cousu sur un châssis, complétait cette enseigne symbolique.

On excusera encore ces minutieuses descriptions : l’histoire des Tuileries ne peut être contée que par ses petits côtés ; à dater de l’époque où l’on est ici parvenu, l’écrire d’autre façon serait entreprendre l’histoire de la Révolution, et, pour les temps qui vont suivre, celle du monde ; tâche ambitieuse qui ne concorderait ni à l’esprit de ce modeste récit, ni au goût du narrateur. L’anecdote seule est possible en un tel sujet ; quoique dédaignée par les gens graves, elle n’est pas méprisable ; Guizot la préconisait, Taine l’estimait et Barbey d’Aurevilly l’a réhabilitée, disant : « L’anecdote peut réfléchir, en petit, il est vrai, mais en distinct, toute une phase historique… Ce n’est pas l’Histoire en médailles, c’est l’Histoire en médaillons. » Pour se conformer à ce programme, on négligera les grands tableaux si magnifiquement brossés par les Michelet et les Lamartine, pour se contenter de simples croquis, sans autre préoccupation que celle de reconstituer, bien imparfaitement, l’aspect du château sous le règne de la Convention.

Il est plein, des sous-sols aux combles ; il regorge ; tout un monde y vit aux heures brûlantes de l’an II. Le 9 mai, jour où l’Assemblée en prit possession[103], la guillotine quittait la place du Carrousel pour émigrer à la place de la Révolution, — ci-devant Louis XV. En même temps, tous les Comités et leurs nombreux auxiliaires se partageaient le château et ses dépendances[104] ; celui du salut public occupa l’appartement de la reine, au rez-de-chaussée sur le jardin ; les Comités colonial et de division s’installèrent au premier étage qu’avait habité Louis XVI. Le pavillon de Flore reçut les Comités des assignats, des finances et des Ponts et-chaussées ; au pavillon de Marsan, furent logés ceux des procès-verbaux et des commissaires de la salle, — les questeurs d’alors, — ainsi que les bureaux de la Poste et du Contre-Seing[105]. La Sûreté générale est à l’hôtel de Brionne, au Petit Carrousel. Pour installer cette invasion, le garde-meuble a vidé ses magasins ; le 7 mai, on lui réclamait encore 49 fauteuils, 1.439 chaises, 192 banquettes, 416 paires de rideaux en toile de coton, 88 bureaux. Il avait déjà fourni, en avril, 24 miroirs de toilette, 600 paires de flambeaux, 1.000 chaises « tant garnies qu’en paille », 300 tables avec tapis de drap, 50 flambeaux à garde-vue, 200 paires de mouchettes, 100 petites tables à écrire, 100 paires de rideaux de toile blanche, 4 douzaines de fauteuils en velours d’Utrecht, 50 secrétaires en bois de noyer, etc., etc.[106]. Il fallut, en hâte, réintégrer aux Tuileries les meubles qu’on en avait enlevés et qui n’étaient pas encore mis en vente[107], réquisitionner les mobiliers de Versailles, de Trianon, de Fontainebleau, pour satisfaire les exigences d’une foule d’employés.

Foule des plus hétérogènes : un ci-devant clerc de notaire, nommé Philippe Morice, alors âgé de seize ans, s’était casé parmi le personnel du Comité de salut public : « Il y avait là, écrit-il, une ancienne basse de l’Opéra à côté d’un homme de lettres, un garçon perruquier à côté d’un grand vicaire, un professeur d’histoire à côté d’un dentiste[108]. » Morice avait sa table dans le petit couloir obscur de l’armoire de fer ; car le Salut public, en raison de l’immensité de ses attributions, s’était bientôt annexé tout le premier étage des appartements royaux. La besogne des commis n’était pas, d’ailleurs, écrasante : « Pendant quinze jours, Morice fut occupé à régler du papier destiné à des états qu’on ne dressa jamais » ; — « des trente camarades que comptait son service, trois ou quatre seulement avaient quelqu’idée d’administration ». En revanche « chacun possédait un bonnet de laine rouge, fixé par un clou ou par une épingle à l’endroit le plus en évidence de son serre-papier ». Ils s’ingéniaient à de multiples protestations de civisme : on trouve une pétition des secrétaires commis réclamant pour leur cabinet « des bustes de Lepeletier et de Marat » dont ils ne peuvent se passer[109], et on cite un chef de bureau, — Bégnon, — qui affectait « les formes les plus dures et les plus rebutantes et courait à toutes les exécutions pour applaudir à la chute des têtes ». C’était, d’ailleurs, un homme excellent : « Il sauva autant de malheureux que le crédit dont il jouissait le lui permit[110]. »

La présence aux Tuileries de cette population ne tarda pas à y attirer des commerçants auxquels elle promettait une clientèle assurée ; les registres des commissaires de la salle nous montrent le château transformé en un véritable marché : les limonadiers s’y introduisirent les premiers : on en compte au moins cinq, installés soit dans l’anti-salle de la Liberté, soit dans la salle des Députations. Le citoyen Poiré et sa femme avaient un bureau de tabac ; Bengar une boutique de pâtisserie. Lénant, dans la galerie de l’Égalité vend des estampes patriotiques ; il a un concurrent en la personne du citoyen Salmon qui dresse son éventaire au bas du grand escalier. Le perruquier Mery fonde un salon de coiffure ; la citoyenne Bourguillon tient, « près de la salle des séances, un magasin de mercerie ». Certaines de ces requêtes sont bizarres ; Pigache et sa sœur demandent la permission de « construire une échoppe » dans les galeries du palais national » ; — deux colporteurs réclament l’autorisation « de vendre dans le château et dans le jardin, un alphabet national dont ils sont les auteurs » ; le citoyen Chamfort, du district d’Issoire, sollicite « la faveur de mendier dans toute l’étendue du palais »… Et les inspecteurs doivent fournir en outre un local « pour les musiciens de la Convention » groupement d’artistes dont, — sauf erreur, — l’Histoire ne fait nulle autre mention. L’envahissement du château est tel que les commissaires des Travaux publics s’inquiéteront bientôt de savoir à quel titre « plusieurs particuliers sont logés à demeure dans le pavillon central ».

Les membres des Comités, ceux du Comité de salut public surtout, ont des exigences : plusieurs ont un appartement au château et l’austérité républicaine n’a pas présidé à l’aménagement : « beaux lustres, rideaux somptueux, bronzes, glaces, tapis précieux » ; le garde-meuble ne leur refuse rien. Billaud-Varenne dispose « d’un grand bureau en bois de rose, façon Boule, avec figures et encadrements de bronze doré d’or moulu ; d’un tapis de moquette bleu et blanche et d’un lit à quatre colonnes tendu de damas cramoisi, avec sommier, trois matelas dont un de plumes… ». Le lit de Saint-Just doit être particulièrement confortable, car Barère en est jaloux et réclame au ministre : « un lit pareil à celui du citoyen Saint-Just[111]. » Il leur faut aussi chevaux et voiture, une berline, sept chevaux de selle et deux chevaux de supplément « pour le service du paralytique Couthon ». Ces manières fleurent l’Ancien Régime et choquent les purs sans-culottes. Le journal des Révolutions de Paris se fait l’écho de leur indignation : « On est fâché en traversant le palais national que les mêmes lustres qui éclairaient les appartements de Capet et les boudoirs de Marie-Antoinette servent aujourd’hui à différents Comités qui y tiennent leurs séances. Les représentants d’un peuple libre ne devraient pas siéger sous les lambris d’un despote ; il eût été plus à propos de convertir les Tuileries en un hôpital pour les malades ou pour les vieillards. Le voisinage de la rivière et le vaste jardin rendraient ce séjour très propre à y recevoir des pauvres infirmes[112]. » C’est le premier indice d’un mécontentement encore bien timide et qui le restera tant que durera la Terreur. Le peuple de Paris est déçu, mais il se tait ; même il connaîtra encore des heures de chimérique espoir, ainsi qu’il advint à la fête de l’Être Suprême dont il espérait la fin de ses misères. Elle eut pour théâtre le jardin des Tuileries et ce fut la dernière illusion de la Révolution qui, tout de suite, sombra dans l’atrocité. L’éclatant réveil du 10 thermidor apparaissait prometteur : ce jour-là, avant l’aube, l’ancien appartement de la reine s’ouvre devant des hommes portant une planche sur laquelle est étendu Robespierre vaincu, blessé d’un coup de feu qu’il s’est tiré dans la bouche. On le dépose dans l’antichambre du Comité et il reste là, durant des heures, couché sur une table « livide comme un mort, sans cravate, sans chapeau, la chemise ouverte et les bas rabattus sur les talons ». La salle est encombrée de gens qui veulent le voir ; beaucoup l’injurient et le bafouent ; dans l’après-midi du même jour il est porté à l’échafaud, souffleté par la joie populaire. Paris croyait bien, cette fois, toucher au terme de ses malheurs.

L’hiver suivant est terrible : ce n’est plus l’échafaud qui tue, c’est la famine. En prairial de l’an III, la Convention sera envahie par une horde de misérables réclamant du pain. — « Du pain ou un roi ! » — Vaine révolte. Ces austères législateurs qui, jadis, hurlaient contre « l’affreux déficit » de la monarchie, — 300 millions ! — demeurent placides et satisfaits devant leur propre banqueroute de cinquante milliards[113]. Durant des mois, sévit la pénurie des subsistances et, chaque jour, des troupes de femmes affamées se traînent jusqu’aux Tuileries pour implorer la pitié des conventionnels impuissants.

L’un des membres du Comité de salut public, La Révellière-Lépeaux, a tracé de ces crises lamentables un récit fort joyeux, presque ironique. Son confrère, Roux, de la Haute-Marne, comptait dans ses attributions le ravitaillement de la capitale ; c’était « un très brave homme, gros, court, frais et joufflu, ayant la plus haute idée de sa propre habileté ». C’est à lui que le Comité renvoyait « les 2.000 ou 3.000 citoyennes qui venaient demander du pain, en menaçant d’étrangler tous les membres de la Convention ; ce qui se renouvelait souvent ». Roux avait placé ses bureaux sous les combles du pavillon de Flore qui, comme celui de Marsan, était bien haut de quatorze étages. Lorsque la tête de la colonne arrivait enfin à son palier, Roux sortait de son cabinet… et commençait une harangue dont la durée était de trois, quatre ou six heures, et plus s’il le fallait, suivant l’obstination des pétitionnaires à tenir pied. Les interruptions, les clameurs, les menaces, rien n’interrompait ce torrent débordé d’une éloquence assaisonnée de tous les lieux communs… À la fin, étourdies, excédées de fatigue, rassasiées de vaines paroles, ces malheureuses défilaient peu à peu et lorsque cette multitude était réduite à un petit nombre, Roux congédiait le reste de ces bonnes citoyennes, en leur recommandant de porter à leurs familles la paix et l’espérance, et, surtout, de leur faire bien connaître les heureux et constants efforts de leurs représentants pour ramener la prospérité[114].

Roux entrait au Comité, tout essoufflé et fort content de lui-même ; le président Cambacérès s’informait de la situation : — « Toujours même abondance, toujours deux onces de pain par jour ! — Eh ! que le diable t’emporte ; tu nous feras guillotiner avec ton abondance ! » Sur quoi les mines s’allongeaient et on éprouvait le besoin de se réconforter : — « Président, nous as-tu fait préparer quelque chose ? — Mais oui ; il y a une bonne longe de veau, un grand turbot, une forte pièce de pâtisserie. » — « Et on sauvait la patrie en s’empiffrant et en sablant le champagne. »

Cambacérès, en effet, — c’est encore à La Révellière-Lépeaux que l’on doit cette indiscrétion, — arrivait au Comité de salut public sur les dix heures du matin. Son premier soin était de faire mettre un bon pot-au-feu et placer sur la table d’excellent pain et d’excellent vin, « trois choses qui ne se trouvaient guère ailleurs que là dans Paris ». — « Les divers membres du Comité y paraissaient de midi à deux heures ; visitaient le pot-au-feu, tiraient le morceau de bœuf pour s’en administrer une tranche qu’ils arrosaient de très bon bourgogne… »

Ainsi finissait « le grand Comité » auquel l’esprit de parti réservait tant de posthumes panégyriques. La Convention dont il émanait se sépara, en effet, le 26 octobre 1795, après avoir siégé durant trente-sept mois. Elle était née aux Tuileries, elle y exhala son dernier décret. Soit qu’elle jugeât prudent de faire son mea culpa, soit qu’elle tentât de se réhabiliter, cette assemblée qui avait instauré le règne de l’échafaud, léguait à ses successeurs l’abolition de la peine de mort… Elle proclama, en outre, que la place ci-devant Louis XV, puis de la Révolution, porterait désormais le nom de place de la Concorde et peut-être est-ce, de ses innombrables rescrits, le seul dont l’effet subsiste encore. Ayant manifesté cette intention tardive d’embrassement général, elle écouta dans le recueillement son président, Génissieux, proclamer solennellement : « La Convention nationale déclare que sa mission est accomplie et que, en conséquence, sa session est terminée. »

On sait que les conventionnels, désireux de garder leur place et peu soucieux de rentrer chez eux où ils craignaient d’être mal accueillis, s’étaient réservé, par la nouvelle Constitution, les deux tiers des sièges du futur corps législatif formé de deux Conseils, celui des Anciens et celui des Cinq-Cents : ceux-ci devaient siéger au Manège des Tuileries, en attendant qu’on eût disposé pour eux le ci-devant hôtel de Condé, qu’on désignait toujours sous le nom de Palais-Bourbon. Les Anciens occupèrent la salle des Tuileries ; ils étaient au nombre de deux cent cinquante, fort espacés dans un amphithéâtre agencé pour un millier de spectateurs. Mais, à défaut du nombre, ils comptaient imposer par le déguisement qu’ils s’étaient décrété[115], en désaveu manifeste du temps où « la propreté, la décence étaient mises au rang des crimes anti-révolutionnaires ». « Costume aussi ridicule que peu pratique : robe longue d’un bleu violet, ceinture écarlate, manteau blanc, toque de velours[116]. » En attendant que ces accoutrements carnavalesques fussent confectionnés, les Anciens se contentèrent de paraître aux séances portant en baudrier une écharpe tricolore, et c’est seulement deux ans plus tard qu’ils purent siéger en grand costume : leurs toges avaient été saisies à Lyon par la douane qui les avait confisquées, comme étant confectionnées en étoffes de provenance anglaise[117].

Ainsi travestis en sages de l’Antiquité, les Anciens n’en devinrent pas plus populaires. En vain, cherchaient-ils à donner quelque solennité à leurs réunions en élevant dans leur prétoire « un autel où était placé le livre de la Constitution et sur lequel chaque membre devait étendre la main en prêtant le serment », cet accessoire théâtral n’eut aucun succès ; la turbulente assistance qui, naguère, se pressait aux séances de la Convention, désertait maintenant les tribunes réservées au public ; Paris, las des bavards, se désintéressait de leurs décevantes discussions, bien persuadé que, après tant d’années de malheurs, la prospérité d’antan ne renaîtrait pas de ces discoureurs languissants. L’attention était captivée davantage par un jeune officier portant un nom bizarre, composé de deux mots étrangers ; — Buona-Parte — ainsi avait-il été, pour la première fois, imprimé au Moniteur[118] ; par surcroît de disgrâce, ce militaire était affligé d’un prénom jusqu’alors inouï, ne figurant dans aucun calendrier et, par conséquent, si difficile à retenir qu’il était assurément voué à l’obscurité.

Sous sa forme française, — Bonaparte, — ce nom avait singulièrement grandi : après l’Italie, après l’Égypte, il éclatait comme une fanfare et tout le pays l’acclamait comme étant celui du sauveur prédestiné à délivrer la France des incapables malfaisants qui la tenaient sous le joug. Ce ne fut pas long : un jour de novembre 1799, les Anciens convoqués aux Tuileries pour sept heures du matin, apprenaient que le corps législatif était transféré à Saint-Cloud. Le général Bonaparte, introduit à la barre, y parut, accompagné de plusieurs de ses braves, illustrés par tant de victoires : Berthier, Lefebvre, Moreau, Macdonald. Il assuma la tâche de maintenir l’ordre et de sauver la République : « Malheur, dit-il, malheur aux agents de trouble et de révolte ; nous voulons une République fondée sur la vraie liberté ; nous l’aurons. Je le jure en mon nom et en celui de mes compagnons d’armes ! » Dans le jardin du château, l’attendaient 10.000 hommes de troupes qu’il passa en revue[119].

Le lendemain, 19 brumaire, à Saint-Cloud, il était proclamé Consul. C’était le cinquième coup d’État depuis la fondation de la République : la Convention avait, la première, violé la Constitution au 31 mai 1793 ; le Directoire témoigna du même sans-gêne au 18 fructidor, au 22 floréal, au 30 prairial ; ces successifs accrocs aux lois fondamentales n’avaient entraîné jusqu’alors que mécontentement et terreur. Aujourd’hui, du moins, si la valétudinaire Constitution de l’an III, déjà fortement estropiée, recevait le coup mortel, ce décès était favorablement accueilli par l’immense majorité du pays qui en espérait le retour du bon temps.



Notes :
  1. Procédure criminelle, II, 133 et passim.
  2. Procédure criminelle, II, 23. Déposition de Louise-Marguerite-Pierrette Chabry, 28 ; de Françoise Rollin, 114 ; de Marie-Rose Barré.
  3. Pièce, 126 actuelle.
  4. Pièce, 127.
  5. Sans doute l’escalier dit de la Forge, le seul qui donne accès à la cour des Cerfs.
  6. Révolution de Paris, Mme de Staël note que le 6 octobre « était une de ces radieuses journées d’automne qui embellissent l’Île-de-France ». — Weber est plus dans la vérité en parlant « d’un jour sombre, froid et pluvieux ». V. Leclercq, loc. cit., 150.
  7. D. Leclercq, Les Journées d’octobre et la fin de l’année 1789, passim.
  8. Procédure criminelle. Déposition du sieur Maillard, I, 132.
  9. Archives nationales, K 528.
  10. Mme de La Rochejacquelein, Mémoires, 56.
  11. Archives nationales. État des logements du roi au château des Tuileries, 6 octobre 1789, K 528.
  12. Récit de Gonchon.
  13. Mémoires de Mme Campan, passim.
  14. D. Leclercq, Les Journées d’octobre, 161.
  15. Idem, 160.
  16. Cette chambre de repos de 5 pieds de long, n’était qu’un très étroit cabinet dans l’angle du pavillon Bullant. Deux petites croisées, une sur le jardin, l’autre sur la galerie du rez-de-chaussée. Dans un enfoncement, une bergère et dans l’embrasement des deux fenêtres, une chaise que l’on ne pouvait déplacer, faute d’espace. C’est ici que Louis XVI venait après dîner faire une heure de sommeil. Le Château des Tuileries, par P. J. A. R. D. E., 1802, I.
  17. Thierry, Guide de l’amateur et de l’étranger, 1789, I, 350.
  18. Le Château des Tuileries, par P. J. A. R. D. E. (Roussel d’Épinal).
  19. Idem, p. 242.
  20. Révolutions de Paris, n° 84, p. 295.
  21. D. Leclercq, Journées d’octobre, 168.
  22. Souvenirs de quarante ans. Récit d’une dame de Madame la dauphine, p. 54.
  23. Révolutions de Paris, n° 46, p. 435.
  24. Idem, n° 47, p. 457.
  25. Révolutions de Paris, n° 48, p. 742.
  26. Révolutions de Paris, n° 54, p. 54.
  27. Révolutions de Paris, n° 58, p. 285.
  28. Révolutions de Paris, n° 65, p. 647.
  29. Révolutions de Paris, n° 67, p. 71.
  30. Courrier français, lundi 15 novembre 1790, p. 115.
  31. Correspondance secrète (Lescure), II, 483 et s.
  32. Révolutions de Paris, n° 86, p. 368.
  33. Journal de Louis XVI, publié par Nicolardot.
  34. Correspondance secrète (Lescure), II, 514, 26 mars 1791.
  35. Révolutions de Paris, n° 82, p. 279.
  36. Révolutions de Paris, n° 85, p. 340.
  37. Révolutions de Paris, n° 92, p. 5.
  38. Deux mètres cinquante.
  39. Archives nationales, O1 16801, 12 décembre 1789.
  40. Ce très précieux reportage que l’on abrège à regret a été publié en 1858, au premier volume des Aventures de guerre au temps de la République et du Consulat, par Moreau de Jonnès, membre de l’Institut.
  41. Correspondance secrète, 30 avril 1791.
  42. Révolutions de Paris, n° 94, p. 107.
  43. Relation du duc de Choiseul. Déposition de Marquant : Archives nationales, D XXIXb, 36.
  44. Révolutions de Paris, n° 103, p. 586.
  45. Mémoires de Mme Campan, IV, 198. Édition de 1823.
  46. À l’endroit précis où la rue de Castiglione débouche aujourd’hui dans la rue de Rivoli.
  47. Mémoires de Mme Campan, III, 10 n.
  48. Révolutions de Paris, nos 103, pp. 579-580 ; 104, p. 641 ; 105, p. 36.
  49. Correspondance secrète, II, 538.
  50. Idem, II, 577.
  51. Révolutions de Paris, n° 137, p. 369.
  52. Idem, n° 153, p. 492.
  53. Correspondance secrète, II, 538.
  54. Révolutions de Paris, n° 151, p. 378.
  55. Révolutions de Paris, n° 153, p. 470.
  56. Correspondance secrète, II, 609.
  57. Souvenirs de quarante ans. Récit d’une dame de Madame la dauphine, 106.
  58. Fernand Martin, La Journée des piques, 20 juin 1792.
  59. Mercier, Nouveau Paris, I, 197.
  60. Répertoire Tuetey, IV, 2296.
  61. Fernand Martin, La Journée des piques, 58.
  62. Journal de Louis XVI, p. 145 et 146. Édition Nicolardot.
  63. Souvenirs de quarante ans, 117.
  64. Cette toile achetée en 1791 par Mme Du Barry, appartient à M. Henri Loyer. Elle a été reproduite par M. François Laurentie dans son Louis XVII (1913).
  65. Le pont de la Concorde.
  66. François de La Rochefoucauld, Souvenirs du 10 août 1792 et de l’armée de Bourbon, publiés par Jean Marchand, préface du duc de La Rochefoucauld.
  67. A. Tuetey, Répertoire, IV, Introduction.
  68. Le Château des Tuileries, par P. J. A. R. D. E., I, 164, 165.
  69. Mercier, Nouveau Paris, I, 213.
  70. Mémoires de Mme Campan, III, 93.
  71. Souvenirs de quarante ans, 157.
  72. Mémoires de Mme Campan, III, 93.
  73. Tuetey, Répertoire, loc. cit.
  74. Le Château des Tuileries, par P. J. A. R. D. E., I, 165.
  75. Révolutions de Paris, n° 161, p. 239.
  76. Le Château des Tuileries, par P. J. A. R. D. E., I, 168.
  77. Idem.
  78. P. J. A. R. D. E.
  79. Une caserne de planches où logeaient des suisses.
  80. Révolutions de Paris, n° 161, p. 259.
  81. Archives parlementaires, 1ère série, tome LII, p. 66.
  82. P. J. A. R. D. E., I, 92.
  83. Archives parlementaires, 1ère série, tome LII, à la date.
  84. Décret du 14 septembre 1792. Moniteur, réimpression, XIII, 704.
  85. Voir sur ce point le Moniteur, réimpression, XIII, 472-704, XVI, 351, et Archives parlementaires, LII, à la table.
  86. P. J. A. R. D. E., II, 118.
  87. Aux Archives nationales, dossier T 10772, se trouve une notice des différents ouvriers qui ont pratiqué des endroits secrets aux Tuileries. Un plan de la bibliothèque du roi est joint à cette notice.
  88. Moniteur, XIV, 531.
  89. 2 mètres sur 1 mètre.
  90. Cinquante centimètres.
  91. La déclaration originale de Gamain est conservée dans les papiers de Roland. Bibliothèque nationale, Manuscrits, N. A. 624.
  92. P. J. A. R. D. E., II, 292 et s. Un meuble similaire se trouvait, il y a quelques années, et se trouve probablement encore à Trianon-sous-Bois. Serait-ce le confessionnal de Madame Élisabeth ?
  93. Archives parlementaires, LII, 407, 628, 640 et s.
  94. Voir aux Archives nationales, F16 573, un important dossier concernant le déménagement des meubles des Tuileries.
  95. P. J. A. R. D. E., I, 369.
  96. Tribunal du 17 août créé « pour juger les complices du tyran ».
  97. Les nus de cette statue étaient l’œuvre du citoyen Dupasquier. Archives nationales, F13 278.
  98. Archives nationales, F13 278.
  99. Idem.
  100. Même dossier.
  101. 22 toises de long et 10 de large, soit 440 mètres carrés. La hauteur était de 60 pieds, 20 mètres.
  102. Dulaure, Le Thermomètre du jour, 13 mai 1793. Le plan de Blondel indique, en effet, ces huit piliers.
  103. Moniteur, réimpression, XVI, 351.
  104. Certains Comités s’étaient établis aux Tuileries avant que la Convention y vint siéger. Celui du salut public, par exemple, y tenait ses séances « dès le printemps de 1793 ».
  105. Pour plus de précision, on doit consulter aux Archives nationales, les dossiers C 360 (service intérieur de la Convention), C 361 (séances du Comité des inspecteurs de la salle), C 363 (états des employés par les Comités).
  106. Archives nationales, O1 453.
  107. Même dossier.
  108. Le manuscrit de Morice a été publié par la Revue des questions historiques d’octobre 1892.
  109. Archives nationales, D XXXV, C1. Registre des inspecteurs de la salle.
  110. Souvenirs de Philippe Morice.
  111. Archives nationales, O2 453.
  112. Révolutions de Paris, n° 211, p. 60, 20 juillet 1793.
  113. Alfred Marquiset, La Duchesse de Fallary. Préface, p. 3.
  114. Mémoires de La Révellière-Lépeaux, I, 251.
  115. Sur le rapport de Grégoire à la Convention, Moniteur, réimpression, XXV, 763.
  116. Moniteur, XXVI, 329. Certaines modifications furent apportées à ce costume. On trouvera au Moniteur, XXIX, 158, une description détaillée du costume, tel qu’il fut définitivement réalisé.
  117. Moniteur, XXIV, 135.
  118. Moniteur, XVIII, 600.
  119. Moniteur, XXIX, 884.