Calmann Lévy (p. 84-85).
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XLV


En cherchant dans l’indécise lueur blanche, ils trouvèrent la porte verrouillée du dehors, et ils sortirent, énervés par toutes ces ivresses de leur nuit.

Le pâle matin les enveloppa de sa fraîcheur saine, de sa lumière timide et virginale. Aucun bruit ; tout dormait encore dans la Kasbah ; enveloppée dans ses blancheurs de chaux, elle avait plus que jamais son air de sépulcre.

Où étaient-ils ? Ils s’orientèrent ; ils n’étaient plus ivres. Ils jugèrent qu’ils devaient être très haut au-dessus du port et de la mer, et ils se mirent à descendre par les pentes raides des petites rues arabes.

On y voyait encore à peine, et autour d’eux tout était d’une pâleur singulière ; à part les pavés de galets noirs, tout était blanc. Les vieilles maisons mauresques, les vieilles voûtes en ogive, les vieux jambages de bois qui chevauchaient le long des murs, tout était comme dans une obscurité blanche. Le silence semblait couver des enchantements et des mystères.

Après les voluptés, les baisers de fièvre, les fumées d’encens, ils respiraient avec délice ce grand air, cette fraîcheur douce du matin. Et ils marchaient d’un pas alerte et léger, dans ces hauts quartiers qui dormaient.

Ils allaient gaiement, savourant ce bien-être matinal, ne se doutant pas que c’était fini à jamais de leur saine et belle jeunesse, et qu’ils emportaient avec eux dans leur sang de hideux germes de mort…