Les Trois Dames de la Kasbah/XLIII

Calmann Lévy (p. 80-82).
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XLIII


Elsagarray et Guiaberry, les deux Basques, en s’éveillant, regardèrent les filles qui dormaient auprès d’eux. Leurs chemises, qui étaient faites d’une gaze comme ils n’en avaient jamais vu, s’ouvraient à demi sur leur corps fauve. Ils virent qu’elles étaient belles, bien que leurs joues fussent devenues pâles.

Une lampe, montée sur une longue tige, à la manière des lampes antiques, éclairait un lieu étrange, irrégulier comme une caverne. La chaux laiteuse étendue partout amollissait les angles ou les rugosités des parois, et de vieux petits tableaux accrochés au hasard représentaient des choses incompréhensibles : c’étaient des inscriptions ayant forme de bêtes singulières, des lions dont le corps était un assemblage d’hiéroglyphes d’or, et puis des symboles mystérieux, et plusieurs images d’un cheval ailé à visage de femme.

Ils avaient dormi par terre, sur des couvertures et des coussins ; il n’y avait rien nulle part dans ce gîte, rien qu’une natte grossière recouvrant le sol tout d’une pièce, et un plateau de cuivre sur lequel on avait brûlé de l’ambre et de l’encens. L’air gardait une senteur d’église.

Les filles avaient dans leur sommeil une tranquillité et comme une innocence d’enfant. Elles étaient parées encore de tous leurs bijoux d’argent et de corail, et de leurs colliers odorants en fleurs d’oranger.

Eux éprouvaient tout à coup une timidité et un malaise au milieu de tout cet inconnu. Ils se levèrent avec précaution pour ne pas les éveiller, et se coulèrent vers une ouverture que fermait une draperie de soie.

Alors ils se trouvèrent dans la cour de faïence et de marbre, où tombait d’en haut l’air vif et délicieux des dernières heures de la nuit.