Calmann Lévy (p. 18-19).
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XII


Leur navire était venu le jour même mouiller dans le port, et, en arrivant, ils avaient touché leur solde de six mois.

Ils l’avaient dépensée, et, le soir, leurs poches étaient à peu près vides.

D’abord ils avaient loué deux voitures pour se montrer, avec des roses à leurs boutonnières, dans les quartiers neufs qu’ont bâtis les chrétiens. Ensuite ils s’étaient attablés dans tous les cabarets, buvant partout des choses très cher et ne regardant point à la dépense.

Ils avaient fait tous les genres de bêtises et d’enfantillages, attrapé des chats, cassé des verres, embrassé des chiens ; aux portes de toutes les maisons à boire, ils avaient provoqué des attroupements ébahis ; on les avait vus partout, menant un vacarme d’enfer, volés de plus en plus, à mesure qu’ils étaient plus gris, frappant sur le ventre creux des Arabes, qui les regardaient d’un air grave, ou les tirant par leur capuchon : des cervelles d’enfants de huit ou dix ans, gouvernant des corps d’hommes.

Ils avaient distribué des pièces blanches à une foule de petits êtres éhontés et dépenaillés, sales de figure et d’instincts, qui s’étaient attachés à eux comme à une proie, leur servant le feu pour leurs cigares, ou faisant reluire leurs souliers avec des brosses volées. Ils avaient donné une raclée terrible à un juif qui leur avait offert ses deux toutes petites filles, et puis un louis à un autre, qui les avait menés dans un lupanar où des femmes maltaises avaient continué de les dépouiller.