Les Traités de commerce et les tarifs douaniers

Les Traités de commerce et les tarifs douaniers
Revue des Deux Mondes3e période, tome 19 (p. 841-869).
LES TRAITÉS DE COMMERCE
ET
LES TARIFS DOUANIERS

I. Étude sur les Tarifs de douanes et sur les Traités de commerce, par M. Amé, conseiller d’état, directeur général des douanes. — II. Établissement en France du premier Tarif général de douanes (1787-1791), par M. le comte de Butenval, ancien ministre plénipotentiaire, ancien conseiller d’état et sénateur.

Les variations de la législation économique ne sont pas moins intéressantes à observer et à suivre que celles de la loi politique. Il y a, dans les deux ordres d’idées et de faits, les mêmes vicissitudes, une égale fréquence de mouvemens contraires, le flux et le reflux des opinions, la timidité de la routine et les audaces du progrès. On ne discute pas moins ardemment sur la réforme d’un régime industriel que sur la réforme d’une constitution. La législation économique a pour objet de régler la politique du travail, et celle-ci, dans notre société contemporaine, a pris désormais la plus large place. Depuis un demi-siècle, les plus graves questions politiques ont eu pour point de départ ou pour moyen de solution une question de douanes. En Angleterre, la suppression de l’esclavage colonial, l’émancipation de toute une race d’hommes, se rattache par les liens les plus étroits au tarif des sucres. En Allemagne, l’association douanière a frayé les voies à l’association politique. En France, le tarif des douanes a été successivement une arme de guerre, un instrument de restauration aristocratique, un expédient appliqué à la protection de l’industrie, une réforme financière, un argument de gouvernement et d’opposition ; il n’est demeuré étranger à aucune de nos agitations politiques. Partout enfin la législation douanière a exercé sur les intérêts nationaux et sur les relations internationales une influence décisive, tantôt en multipliant les restrictions, tantôt en rendant les échanges plus libres; elle a obéi aux fluctuations des circonstances et aux mobiles impressions des partis. Il semble pourtant qu’après tant de variations elle est arrivée aujourd’hui à la période où les résultats de l’expérience permettent de lui assigner une direction certaine dans le sens des doctrines libérales. Le moment est donc bien choisi pour en retracer l’histoire.

C’est ce travail qu’a entrepris M. Amé, directeur général des douanes, avec l’autorité qui s’attache aux enseignemens d’une longue et brillante carrière administrative. En 1858, alors qu’il était directeur des douanes à Bordeaux, M. Amé publiait un premier écrit sur notre législation commerciale. On était au vif de la querelle entre le régime de la protection et le libre-échange; l’issue du débat ne se dessinait pas encore nettement, et le gouvernement, en présence de ce conflit d’intérêts et de doctrines, se tenait sur la réserve. Les opinions franchement libérales, exprimées en matière de tarifs par un directeur de douanes, produisirent une vive sensation; ce n’étaient point ces spéculations théoriques que les partisans de la protection industrielle reprochaient dédaigneusement aux professeurs, aux docteurs du libre-échange: c’étaient les vues élevées et pratiques d’un fonctionnaire bien placé pour observer les faits, ne s’inspirant que de l’intérêt public et naturellement disposé à tenir grand compte des résultats financiers d’une réforme. L’écrit de 1858 contribua certainement à précipiter les résolutions gouvernementales, qui aboutirent au mémorable traité de 1860, conclu entre la France et l’Angleterre. A partir de cette date, le régime des douanes a été profondément modifié, de nombreuses conventions internationales ont été signées. Ces conventions approchent de leur terme, et il s’agit aujourd’hui de décider s’il convient de les renouveler dans le même esprit ou de réviser ce qui a été fait en 1860. Telle est l’étude que M. Amé a entreprise, ou plutôt reprise et continuée en s’éclairant de l’expérience acquise depuis l’application des réformes. Indépendamment de l’intérêt qui s’attache aux variations de notre système de douanes, il n’y a pas de préparation plus sûre à l’examen des graves problèmes que les pouvoirs publics auront prochainement à résoudre.

En même temps, le côté historique de la question a été vivement éclairé par une récente publication sur l’établissement du premier tarif général de douanes. Ce travail, où se rencontrent toutes les qualités d’exposé fidèle et de fine critique qui distinguent les écrits de M. le comte de Butenval, contient de précieuses informations sur les idées et les opinions qui avaient cours au moment où la France nouvelle de 1789 fut appelée à constituer, en quelque sorte, sa législation commerciale. A l’aide de ces études, qui s’accordent quant à la défense des principes libéraux, il est possible de suivre avec fruit les phases diverses de notre régime économique, et de rechercher dans l’histoire du passé les enseignemens les plus utiles pour les décisions que réclame l’heure présente.


I.

L’impôt des douanes remonte aux temps les plus anciens. Les législations de la Grèce et de Rome le transmirent au moyen âge, où il se rencontrait à toutes les frontières des petits états que multipliait le régime féodal. Ce droit de péage et de circulation, appliqué à la plupart des produits, était alors considéré comme l’une des meilleures ressources financières, et il fut maintenu pendant plusieurs siècles dans toute sa rigueur. Il survécut même aux transformations politiques et territoriales qui constituèrent peu à peu les grands états avec les débris de la féodalité. Ainsi, jusqu’à la révolution, la France demeura sillonnée à l’intérieur par de nombreuses lignes de douanes qui séparaient ses provinces.

On attribue communément à Colbert la pensée d’appliquer le tarif des douanes à la protection de l’industrie nationale. Le ministre de Louis XIV ne mérite ni cet éloge ni ce reproche. Bien avant lui, en France et dans d’autres pays, les gouvernemens avaient songé soit à restreindre l’importation des produits qui pouvaient faire concurrence aux produits indigènes, soit à prohiber la sortie des matières brutes qui auraient été enlevées au travail national pour approvisionner les industries étrangères. M. Amé cite de nombreux exemples empruntés à la législation de l’Angleterre, de l’Espagne, de la république de Venise et aux anciennes lois françaises. Ce n’était point là précisément l’application du régime de protection, tel qu’il a été combiné et pratiqué systématiquement à des dates plus récentes. On agissait par voie d’expédient, selon les besoins d’une région ou d’une industrie, quelquefois à titre de représailles contre un pays étranger avec lequel on était en guerre; le plus souvent on n’avait en vue que l’intérêt fiscal. Par exemple, le roi Philippe le Bel, qui a laissé la réputation d’un trop habile financier, vendait aux ouvriers en laine, moyennant un impôt sur le drap, l’interdiction d’exporter la matière première; puis, bientôt après, il concédait aux Flamands, moyennant finances, des permissions exceptionnelles de sortie pour la laine. Telle était, en matière de douane, l’économie politique de ce temps-là. Il faut également tenir compte de l’influence qu’exerçait sur cette partie de la législation le régime corporatif auquel étaient soumises les principales branches d’industrie. Les corporations, placées sous le patronage de la couronne, réclamaient sans cesse faveurs et privilèges ; il était difficile au souverain de leur refuser son appui contre la concurrence étrangère, alors qu’à l’intérieur même elles voulaient être défendues les unes contre les autres par les règlemens les plus stricts. Bref, avant Colbert, la législation douanière était aussi incohérente que compliquée, l’expédient et le caprice tenaient lieu de système, l’intérêt général du pays ne se dégageait pas des intérêts particuliers et souvent contradictoires de chaque région, de chaque corps d’état, et il serait impossible de retracer sûrement, avec des élémens aussi confus, l’histoire économique de cette période.

Le grand mérite de Colbert fut de rédiger le premier tarif uniforme, qui a servi de point de départ à notre législation douanière. Dans sa pensée, le tarif de 1664 aurait dû être complété par la suppression des douanes intérieures, des péages particuliers et des taxes locales. Cette réforme avait été réclamée antérieurement par les états-généraux de 1561 et de 1614; mais sur ce point Colbert échoua contre la résistance des intérêts provinciaux et corporatifs. Il se borna donc à régler les rapports avec l’étranger en supprimant les prohibitions, en modérant les droits d’entrée et de sortie, et en simplifiant le mode de perception. Le tarif de 1664 était très libéral : aussi fut-il immédiatement attaqué par les industriels, qui se plaignaient de ne pouvoir supporter la concurrence, et dès 1667 Colbert fut obligé de le réviser. Il n’y aurait aucun intérêt à entreprendre aujourd’hui l’examen détaillé de ces premiers tarifs; qu’il suffise de signaler d’une part les vues progressives de l’administration de Colbert, d’autre part les appréhensions, les protestations des manufacturiers. Et cependant Colbert, qui avait essayé à grands frais de transplanter sur le sol de France les industries étrangères, Colbert, qui avait constitué des compagnies privilégiées, des monopoles, ne pouvait être accusé de vouloir sacrifier à un principe le travail national. Mais dès cette époque le gouvernement se trouvait aux prises avec les intérêts ; le gouvernement, bien qu’il s’appelât Louis XIV, était obligé de compter avec les frayeurs, sincères ou feintes, des fabricans et des ouvriers. Vainement l’habile ministre démontrait que l’industrie française plaçait avantageusement ses produits sur tous les marchés et que la concurrence pouvait être pour elle un stimulant, non un péril ; ses raisonnemens et ses statistiques se heurtaient contre la résistance obstinée des corporations. C’est le premier chapitre de cette histoire de la législation douanière. Il en sera de même des chapitres qui suivront. Il y manquera des hommes tels que Colbert ; mais on y retrouvera, comme au XVIIe siècle, la timidité, l’âpreté, l’aveuglement des intérêts privés, exploitant à leur profit les guerres, les révolutions, les restaurations, les mouvemens parlementaires, et retardant par tous les moyens l’application des doctrines libérales que Colbert a tenté le premier de faire prévaloir dans le tarif de 1664.

Il ne faut pas croire, au surplus, que cet état de choses fût particulier à la France. Dans la plupart des grands pays, notamment en Angleterre, les combinaisons intelligentes des gouvernemens étaient entravées de la même manière par la résistance de l’opinion publique. Si l’industrie française redoutait l’invasion des produits anglais, l’industrie britannique n’était pas moins ardente à repousser le moindre essai de concurrence étrangère. En 1713, le traite d’Utrecht avait stipulé que le tarif français de 1664 serait remis en vigueur à l’égard de l’Angleterre et de la Hollande, en échange de compensations à débattre. La Hollande s’empressa de profiter de cette clause, qui favorisait ses opérations maritimes; mais en Angleterre le gouvernement se vit exposé aux plus violentes critiques dès qu’il tenta de modifier le régime des prohibitions. Les manufacturiers qui travaillaient la laine et la soie négligeaient les profits qu’ils auraient pu retirer de leur accès plus facile sur le marché français; ils se voyaient au contraire débordés et envahis par l’étranger. Les habitans de Worcester ne voulaient pas de l’importation des eaux-de-vie de France, qui aurait fait tort à leurs fabriques de verjus. Les principaux organes de la presse protestaient à l’envi contre les projets du ministère. Il y eut, à Londres et dans les grandes villes, des manifestations populaires, des meetings,, des processions d’ouvriers; l’opinion était excitée à ce point que la chambre des communes n’osa passer outre, et qu’une majorité de quelques voix rejeta le traité de commerce avec la France. Ce fut alors entre les deux pays le nouveau signal d’une guerre de tarifs qui se prolongea pendant presque toute la durée du XVIIIe siècle, jusqu’à la conclusion du traité de 1786, lequel ne fut lui-même qu’un acte bien éphémère, un moment de trêve et le prélude d’autres luttes non moins acharnées.

Le traité de 1786 a été reproché à notre diplomatie comme une concession faite à l’Angleterre. C’est une erreur complète, qui a été démontrée par M. de Butenval dans l’étude historique qu’il a consacrée à ce traité. Grâce aux écrits des philosophes et des économistes du XVIIIe siècle, les doctrines libérales obtenaient plus de faveur en France qu’en Angleterre. Le docteur Quesnay et Turgot étaient, en matière d’échanges internationaux, plus libéraux encore que ne l’avait été Colbert ; le ministre des affaires étrangères, M. de Vergennes, esprit supérieur, avait compris que le meilleur moyen de rétablir solidement la paix entre les deux grandes nations consistait à faciliter et à étendre les relations de commerce « sur le pied de la réciprocité et de la convenance mutuelles. » Loin d’imposer au gouvernement français la convention de 1786, le cabinet anglais, redoutant l’opposition manufacturière très puissante au sein du parlement, désirait ajourner les négociations, et il ne se décida à traiter qu’après avoir vu la France bien résolue à prohiber l’importation des marchandises britanniques, si l’Angleterre persistait à exclure les produits français. En un mot, contrairement à l’opinion qui a longtemps prévalu parmi nous, la convention de 1786 a été inspirée par la France. On cite, il est vrai, les protestations qu’elle fit naître de la part de nos manufacturiers, qui se prétendaient sacrifiés à l’Angleterre, protestations qui se produisirent avec tant d’ardeur devant l’assemblée des notables; mais il faut voir également de quelles critiques, de quelles malédictions fut poursuivie en Angleterre cette même convention, qui devait, au dire des fabricans de ce pays, ruiner l’industrie britannique et livrer l’Angleterre à la France. En réalité, les deux gouvernemens avaient fait une œuvre libérale et utile, qui n’avait d’autre tort que d’être en avance sur l’opinion publique ou plutôt sur les sentimens de certaines classes influentes qui avaient alors la prétention de représenter seules l’opinion publique. Combien de réformes ont été empêchées ou retardées ainsi ! Ces obstacles et ces retards apparaissent dans l’histoire de la législation commerciale aussi bien que dans l’histoire des régimes politiques. Pour l’objet qui nous occupe, il n’y a que justice à signaler les vues intelligentes, les tendances libérales des ministres de l’ancienne monarchie, et en même temps la pression exercée par M. de Vergennes sur le gouvernement anglais pour améliorer les conditions du commerce. Le souvenir des négociations de 1786 est tout à l’honneur de notre pays.

Ce traité n’était d’ailleurs que le commencement des réformes que M. de Vergennes projetait d’introduire dans les tarifs. Après avoir négocié avec l’Angleterre, il conclut des conventions analogues avec la Hollande et avec la Russie; ces actes accomplis au dehors, il se proposait de supprimer les douanes intérieures et de rédiger un tarif uniforme, dans lequel auraient trouvé place la plupart des taxes réduites stipulées au profit de l’Angleterre, de la Hollande et de la Russie. Il n’est pas sans intérêt de signaler cette procédure, qui devait être imitée plus tard. Dès cette époque, le gouvernement, craignant de ne point avoir directement raison de l’opposition des industriels, avait l’idée d’employer la voie indirecte des traités de commerce pour arriver à la modification du tarif général, et de prendre en quelque sorte le circuit diplomatique pour résoudre une question d’ordre intérieur. Cette politique, ou plutôt cette tactique était adoptée comme l’unique moyen de réaliser le progrès dans la législation; la diplomatie se chargeait de préparer les voies aux réformes. M. de Vergennes mourut le 12 février 1787, au moment même où allait se réunir l’assemblée des notables. Ce fut M. de Galonné qui eut la charge de présenter et de soutenir le nouveau tarif. Il s’agissait d’abolir les douanes intérieures, d’établir à l’égard de l’étranger une frontière unique, de supprimer la plupart des prohibitions et de répartir les droits d’entrée et de sortie entre diverses classes dont la plus élevée n’aurait pas été taxée au-dessus de 12 pour 100. On s’inspirait des maximes de Colbert, et la doctrine gouvernementale s’exprimait textuellement ainsi : « Le droit protecteur, celui qui frappe tous les objets de fabrication étrangère entrant en concurrence avec les objets fabriqués en France, est de 10 pour 100 ; le droit de 12 pour 100 est le droit prohibitif, c’est-à-dire le droit destiné à éloigner les produits dont, pour l’avantage de l’industrie nationale, il est nécessaire de restreindre l’importation.» Cette doctrine s’exprimait, se chiffrait, il y aura bientôt un siècle, et nous n’en sommes point encore à la pratiquer!

Les propositions du gouvernement rencontrèrent dans l’assemblée des notables un accueil peu empressé. S’il ne s’était agi que du tarif, l’entente aurait pu s’établir, et il convient de reconnaître que les amendemens qui furent présentés dans les bureaux chargés de l’examen préparatoire tendaient à un abaissement plus prononcé des droits d’entrée et de sortie. L’un de ces bureaux alla même jusqu’à émettre le vœu « que les nations plus éclairées apprissent enfin à préférer la liberté mutuelle de leur commerce à la défense mutuelle de leurs lois prohibitives. » Les économistes de nos jours n’ont pas mieux dit. La plus forte objection contre le nouveau plan du régime douanier fut provoquée par l’esprit d’indépendance provinciale. Les représentans de la Lorraine et de l’Alsace invoquaient des privilèges qui leur avaient été concédés lors de la réunion de ces provinces à la France; ils entendaient, soit obtenir leur autonomie quant à la législation douanière, soit continuer librement leurs relations de commerce avec les pays allemands. De leur côté, les notables de la Bretagne contestaient au gouvernement et à l’assemblée le droit de régler une question qui se rattachait intimement à la perception des impôts, droit qui appartenait aux états de la province.

L’assemblée des notables ne prit aucune résolution. Il était réservé à l’assemblée nationale de vaincre les résistances que n’avait pu surmonter l’ancienne monarchie. Elle commença par abolir les droits de traite. En une seule séance et par un vote d’acclamation, le 30 octobre 1790, les barrières intérieures furent supprimées, et l’union douanière de la France, réclamée dès 1561, devint une réalité. Cette grande assemblée, qui avait constitué l’unité nationale en proclamant d’abord dans son sein la fusion des trois ordres, ne pouvait se laisser émouvoir par les derniers râles des protestations provinciales. Pour elle, il n’y avait plus de provinces, et elle ne voulait de frontières qu’à l’égard de l’étranger. En même temps qu’elle décrétait cette décision irrévocable, elle ordonnait à son comité de l’agriculture et du commerce de préparer le tarif uniforme qui devait, en se combinant avec les traités précédemment conclus, s’appliquer aux échanges internationaux.

Le comité du commerce se composait d’industriels qui avaient naturellement le plus grand intérêt à défendre le marché intérieur contre l’étranger et qui estimaient en parfaite sincérité que les consommateurs français devaient être tenus par patriotisme d’acheter avant tout les produits nationaux. Le traité de 1786 était à leurs yeux une faute et une cause de ruine. Ce fut dans cet esprit que le comité prépara le projet de tarif qui fut présenté par son rapporteur, M. Goudard, à l’assemblée nationale le 30 octobre 1790. Il proposait de frapper de prohibition, à l’entrée ou à la sortie, près de cent articles et d’assujettir le reste des marchandises à des droits qui dépassaient, pour certaines classes, le taux de 30 pour cent. On invoquait à l’appui de ces propositions vraiment excessives la tradition de Colbert, l’exemple de la législation anglaise et les principes de liberté! La liberté étant l’étiquette obligée de toute mesure législative, le rapporteur devait l’inscrire dans le préambule de son œuvre, mais il la définissait, quant au tarif, par un simple jeu de mots; il demandait que, « grâce aux taxes et aux prohibitions, le commerce eût la liberté d’exister. » Après s’être ainsi mis en règle avec la liberté, M. Goudard énonçait les doctrines économiques dont le comité réclamait l’application, et l’on trouve dans son rapport le premier exposé théorique du régime protectioniste. Il concluait en adjurant les Français et les Françaises de n’acheter que des produits nationaux. « L’habit français, dit-il, doit être fait par des mains françaises. On ne se présentera plus à la cour du roi des Français qu’avec le cœur et l’extérieur d’un Français. » Quant au contrebandier, il devait être frappé d’incapacité politique et noté d’infamie. Comme il était à craindre que les douaniers ne fussent pas en nombre suffisant pour défendre efficacement les frontières, le comité n’hésitait pas à leur associer les troupes de ligne, qui seraient fières de concourir à la protection du commerce et de l’agriculture. — On voit à quel point cette première élaboration législative s’écartait des tarifs de Colbert et des propositions soumises en 1787 à l’assemblée des notables. Il ne faut pas du reste s’en étonner; les industriels, qui formaient la majorité dans le comité du commerce, prétendaient faire acte de patriotisme et de liberté en recommandant toutes ces restrictions, qui, suivant eux, ne pouvaient nuire qu’aux étrangers.

Peut-être, au milieu des événemens et des incidens si graves qui agitaient alors chacune de ses séances, l’assemblée nationale aurait-elle laissé passer ce projet de tarif, si les doctrines du comité du commerce n’avaient rencontré un vaillant contradicteur. Ce fut un fabricant de mousselines, M. de Boislandry, député de Paris, qui prit la défense du système libéral dans un long discours dont le souvenir mérite assurément d’être conservé, car on y rencontre non-seulement un exposé complet de la situation manufacturière de la France au début de la révolution, la réponse aux critiques dirigées contre le traité de 1786 et la démonstration des erreurs commises par le comité du commerce dans l’étude de la nouvelle loi douanière, mais encore l’affirmation complète de la théorie du libre-échange, avec une sûreté de vues et une précision de langage qui, même dans les écrits des économistes contemporains, éclairés par l’expérience, n’ont point été surpassées. « L’effet infaillible de la liberté illimitée, disait M. de Boislandry en 1790, serait de porter promptement au plus haut degré de prospérité toutes les branches de notre industrie… On m’opposera le vœu formé par plusieurs manufacturiers en faveur du système prohibitif. Ce vœu est dicté par l’ignorance ou les préjugés. Quant à l’objection tirée de la perte que l’abolition des droits causerait au trésor public, je répondrai que, tout compte fait, si l’on déduit des recettes les frais de perception, il s’agit d’une douzaine de millions à peine, qui seraient facilement retrouvés dans le grand mouvement de production et d’affaires que la liberté imprimerait au commerce, à part la certitude de prévenir les guerres qu’excitent les querelles du commerce et d’économiser les millions que ces guerres engloutiraient… Si le système de la liberté absolue ne vous paraît point praticable en ce moment, du moins repoussez les prohibitions et n’acceptez que des droits modérés. Vous n’oublierez pas que ces droits, même modérés, sont réprouvés par la raison et par les vrais principes du commerce ; qu’ils ne peuvent être excusés que par les besoins de l’état et établis que provisoirement, afin de laisser à l’opinion le temps de revenir sur ses erreurs… » Ce discours produisit une vive impression sur l’assemblée, qui décida de renvoyer la question à une nouvelle étude, confiée cette fois, non plus uniquement au comité du commerce, mais en même temps au comité des contributions, en traçant un programme d’ensemble, d’après lequel on devait réduire autant que possible le nombre des prohibitions et ne point aller au-delà du taux maximum de 20 pour 100 pour la fixation des droits.

Telle fut l’origine du tarif définitif, qui fut présenté à l’assemblée nationale et adopté par elle le 31 janvier 1791. En retraçant avec détails le récit de ce débat, M. de Butenval fait observer avec raison qu’il contient tous les élémens de la grande querelle qui se poursuit entre le régime prohibitif et le régime du libre-échange. Le duel a commencé au sein de la première assemblée délibérante qui ait eu à représenter dans une même enceinte tous les intérêts de la nation; il s’est continué, il dure encore, et l’on voit aux mains des adversaires les mêmes armes. Quand on relit les discours des députés Goudard et de Boislandry, on croit avoir sous les yeux la sténographie des discours qui se prononcent aujourd’hui sur cet éternel sujet dans les académies et dans les parlemens. Et de fait, au seuil de toutes les grandes questions qui touchent à la législation moderne, on retrouve les traces lumineuses de l’assemblée constituante de 1789. Sur cette question du régime économique, elle pencha, comme elle le fit en toute occasion, vers la solution libérale. Elle ne céda point aux suggestions du comité qui devait être réputé le plus compétent, et si, après avoir supprimé les douanes intérieures, elle ne jugea point que le moment fût encore venu d’établir aux frontières la liberté des échanges, elle voulut du moins léguer à l’avenir une œuvre de progrès. Il est vrai que le tarif de 1791 paraît plus rigoureux que ne l’étaient les tarifs de 1664 et de 1667, édictés sous Colbert, et le projet de 1787, préparé par M. de Vergennes; mais il faut tenir compte de la différence des temps et des circonstances. Dans l’état de trouble où commençaient à entrer les affaires politiques, en présence des craintes occasionnées par l’effet des récens traités de commerce, et alors que les besoins financiers exigeaient la création d’impôts dont l’industrie avait à supporter une forte part, le tarif de 1791 était une œuvre libérale et courageuse. De 1815 à 1860, les partisans des franchises commerciales se bornaient à demander qu’on le remît en vigueur.

Ce tarif fut à peine appliqué. De même que le traité de 1786, il fut brusquement déchiré par la guerre. De 1793 à 1802, pour atteindre la Grande-Bretagne dans son commerce et pour lui imposer la nécessité de la paix, la convention, le directoire et le consulat rendirent décrets sur décrets contre l’introduction des marchandises anglaises, qui se virent fermer toutes nos frontières, et ces mesures d’une rigueur extrême frappaient en même temps les produits des autres nations, parce que ces produits étaient suspects d’origine britannique. En 1802, lors de la paix d’Amiens, des négociations allaient être engagées pour rétablir les relations commerciales avec l’Angleterre dans des conditions analogues à celles qui avaient été fixées par le traité de 1786. La reprise presque immédiate des hostilités (1803) ne permit pas de donner suite aux pourparlers, qui étaient à peine entamés. La lutte douanière devint plus ardente que jamais : elle aboutit au blocus continental, établi contre l’Angleterre par le décret de Berlin (1806), renforcé l’année suivante par les décrets de Milan, sanctionné enfin par le décret de 1810 qui, soumettant les contrebandiers et les fraudeurs à des cours prévôtales, les punissant des travaux forcés et de la marque, ordonnait la confiscation des marchandises saisies, qui devaient être ensuite solennellement brûlées en place publique! Il s’est rencontré des historiens pour justifier, pour glorifier même comme une grande conception le blocus continental. Condamnée par les moyens barbares dont elle était obligée de faire usage, cette grande conception échoua complètement. Le blocus exaspéra l’Angleterre sans la ruiner, il indisposa contre la France l’Europe entière; il fut constamment violé, non-seulement par la contrebande, qui s’alimentait en quelque sorte à la flamme des bûchers où la main des douaniers entassait les marchandises suspectes, mais encore par le système des licences, que l’empereur s’était bientôt vu forcé d’adopter, sous peine de réduire à néant le commerce de nos ports. De tels procédés, à supposer que par impossible ils réussissent, seront toujours de détestables instrumens de guerre, parce qu’ils frappent du même coup ceux qui les emploient et ceux que l’on veut atteindre. Tel fut le résultat de ce fameux blocus continental. Il faut ajouter pourtant qu’à l’époque où il fut décrété, il obtint l’approbation des manufacturiers. Le Moniteur publia les adresses de plusieurs chambres de commerce qui, en termes pompeux, glorifiaient les édits de proscription lancés contre les ballots anglais. Au point de vue de l’histoire du tarif, il n’est pas indifférent de noter ce symptôme. Le régime établi par la guerre avait remis la prohibition en honneur et rendu courage à ses partisans. Il ne pouvait plus être question des doctrines libérales de 1791, et, lorsque revint un état de choses régulier, on s’aperçut de la puissance qu’avaient acquise les intérêts prohibitionistes en France, en Angleterre, dans toute l’Europe. La politique de guerre, et en particulier le blocus continental, avaient ainsi causé au monde entier un immense dommage en faisant échec aux idées de réforme.

Le gouvernement de la restauration avait à choisir entre l’ancienne tradition monarchique, tradition devenue libérale en matière de commerce, et la politique de prohibition presque absolue, qui, après avoir été une arme de guerre, était désormais entrée dans les mœurs industrielles. Les manufacturiers se montraient d’autant plus ardens à réclamer le maintien de ce système de protection qu’ils pouvaient avec trop de raison redouter la concurrence des fabriques étrangères, qui s’étaient développées en profitant de nos fautes et de nos désastres. Alors que des chambres de commerce déclaraient que « la prohibition est de droit politique et social, » alors qu’on entendait proclamer, à la chambre des députés, « la nécessité de la prohibition éternelle, » il était impossible au gouvernement de tenter même le rétablissement des tarifs de 1791. Au point de vue politique, les libéraux étaient dominés par l’exemple de l’Angleterre, dont les doctrines parlementaires s’accordaient encore parfaitement avec l’application la plus étroite du système prohibitif. Enfin, au point de vue social, la restauration, bien qu’elle n’eût point la pensée de rétablir tout ce qui avait été détruit de l’ancien régime, jugeait désirable et croyait possible de reconstituer les grandes influences aristocratiques, fondées sur la propriété du sol. Le tarif des douanes fut employé à cette fin. En protégeant par des prohibitions ou par des taxes élevées les produits de la terre, on accordait une prime au capital et aux revenus fonciers. La faveur dont jouissait l’industrie était étendue à l’agriculture, et elle devait surtout profiter à une classe sociale que les traditions, la communauté d’intérêts et l’esprit de conservation rattachaient particulièrement à l’ordre de choses qui venait d’être restauré.

De 1814 à 1826, on ne compte pas moins de dix grandes lois de douanes dont M. Amé, en rapporteur impartial, a retracé les longs débats. Prohibitions multipliées, taxes excessives, pénalités draconiennes contre les fraudeurs, tels sont les traits successifs, et constamment aggravés, de la législation nouvelle, qui mettait de nouveau la France en état de blocus et tendait à l’isoler complètement de l’étranger. Chaque année amenait une loi qui augmentait le tarif des douanes, où devait figurer, comme dans une encyclopédie, tout ce que la nature produit, tout ce que confectionne le travail humain. Aucun article ne fut oublié. De cette période datent les droits énormes sur les fers, sur les laines, sur les bestiaux, etc. On semblait vouloir au début user d’une certaine modération ; lorsqu’on releva en 1814 le droit sur les fers en le portant à 50 pour 100, on convint que ce ne serait qu’une législation transitoire, destinée seulement à encourager la reprise de l’industrie métallurgique; quelques années plus tard, cette taxe transitoire fut doublée et dépassa le taux de 100 pour 100 ; on pouvait évaluer à 50 millions de francs la surcharge annuelle qu’elle faisait peser sur la consommation nationale, et à cette époque les chemins de fer, les navires en fer, etc., n’existaient pas encore! La protection, réclamée par les maîtres de forges, visait avant tout les propriétaires de forêts, le travail des métaux s’effectuant alors exclusivement au bois. De même, c’était l’intérêt de la propriété agricole qui dictait les surtaxes appliquées à tous les produits, même aux denrées alimentaires, aux céréales, aux bestiaux, etc., que les tarifs antérieurs avaient toujours ménagés.

Pour assurer l’application à ce régime, il fallait recourir à une procédure et à des pénalités exceptionnelles; soustraits aux tribunaux ordinaires, les fraudeurs furent déférés, dans certains cas, aux cours prévôtales. En 1817, un député proposait sérieusement de les punir par dix années de prison. La surveillance des lignes de douanes ne suffisant pas, la recherche à l’intérieur fut autorisée pour diverses catégories de marchandises prohibées, de telle sorte que, dans toute l’étendue de la France, le domicile des citoyens était, sur la moindre dénonciation, ouvert aux perquisitions de la douane. Une fois engagé dans ce système à outrance, le législateur n’avait point à reculer devant l’excès des moyens; il créa une légalité vraiment barbare, qui dérogeait aux principes généraux du droit et introduisait dans le code, où elles devaient demeurer trop longtemps inscrites, des dispositions empruntées, avec aggravation, aux procédés d’un autre âge. Vainement objectera-t-on que la loi fiscale, protégeant les intérêts du trésor public, c’est-à-dire les intérêts de la communauté tout entière, peut se montrer impitoyable contre la fraude : il y a des limites que, dans un intérêt supérieur de civilisation, il lui est interdit de franchir. Les exemples qu’elle donne réagissent sur l’ensemble de la législation. Il ne convient pas que dans ses rigueurs nécessaires elle fasse trop bon marché de la liberté des citoyens, de la sainteté du domicile. Entraînée par la passion politique, la restauration rétablit dans nos lois des principes, ou plutôt des pratiques, qui étaient absolument contraires aux sentimens de modération et aux idées de progrès que la réforme de 1780 avait inaugurés.

Il faut d’ailleurs reconnaître que cette législation excessive rencontra plus d’une fois, au sein même des chambres, de vives protestations. L’opposition, qui n’était certainement pas une opposition démocratique, fit observer que, la chambre des députés étant le produit d’électeurs qui payaient 300 francs de contribution foncière, la grande propriété abusait de sa force et prétendait s’attribuer un monopole au détriment des consommateurs, qui n’étaient pas représentés dans les conseils de la nation. Au surplus, la majorité ne dissimulait pas la pensée politique qui dictait ses votes : elle croyait sincèrement, avec l’appui du pays légal, qui se composait alors de 200,000 électeurs, reconstituer l’ancienne France et rétablir les influences héréditaires qui, avant la révolution, se groupaient autour de la royauté. Ce n’était point de sa part un calcul égoïste se proposant de rendre la fortune à quelques castes privilégiées; c’était un système qui avait pour principal objet de restaurer l’aristocratie dans l’état et de féconder de nouveau, à l’abri de cette aristocratie puissante, toutes les sources de la richesse nationale. Dans plusieurs régions de la France, la terre avait échappé au morcellement; on y comptait encore de vastes domaines, des forêts patrimoniales que la révolution avait épargnés ou qu’elle n’avait pas eu le temps de diviser ni d’abattre. En surtaxant tous les produits agricoles venus de l’étranger, à commencer par le blé, en surtaxant les fers et les autres métaux qui étaient alors exclusivement traités au bois, on augmentait les revenus de la terre et des forêts, et l’on croyait appliquer avec certitude la législation douanière à la réalisation d’un système politique. C’était un parti-pris, contre lequel les protestations demeuraient vaines. Aux reproches des libéraux, la majorité de la chambre des députés répondait par l’exemple de l’Angleterre, où la nourriture du peuple était grevée des plus lourdes charges, et toutes les fois que l’intérêt agricole était en cause, elle votait les surtaxes avec une sorte d’emportement.

La chambre des pairs suivait à regret le mouvement qui entraînait la chambre élective. Dans l’examen des lois de douanes, elle prit l’attitude modérée et relativement libérale que tous les historiens de la restauration s’accordent à lui attribuer dans la discussion des lois politiques. Plus d’une fois ses orateurs les plus éminens signalèrent les exagérations contenues dans les projets qui avaient été adoptés par l’autre chambre, et les rapports de ses commissions n’épargnèrent ni les avis, ni les critiques ; mais, soit qu’elle voulût respecter absolument les attributions particulières de la chambre des députés en matière d’impôts, soit plutôt qu’elle craignît de créer des embarras au gouvernement, elle ne crut point devoir repousser les nouvelles lois. Ses objections purement platoniques eurent néanmoins pour effet de donner un point d’appui au gouvernement, qui résistait de son mieux, par l’organe de ses principaux ministres et du directeur général des douanes, M. de Saint-Cricq, aux exigences passionnées de la chambre des députés.

De même que, sous l’ancienne monarchie, le gouvernement représenté par de grands ou d’habiles ministres, par Colbert ou par M. de Vergennes, se montra plus éclairé sur les questions de douanes, plus libéral que ne l’étaient les états-généraux ou provinciaux et les corporations de leur temps, de même le gouvernement de la restauration se montrait en cette matière le plus clairvoyant et le plus modéré. S’il adhérait aux doctrines politiques qui tendaient à favoriser la grande propriété et à relever les influences détruites, il était loin de vouloir s’associer aux pratiques violentes que réclamait la chambre élective, et auxquelles applaudissaient, il faut le dire, les électeurs censitaires à 300 francs, ainsi que la plupart des chambres de commerce, très facilement conquises au régime des prohibitions et des surtaxes. Il voyait plus loin et plus juste. Il comprenait que le monopole pouvait tourner contre le progrès industriel, mécontenter la masse des consommateurs en amenant le renchérissement général des denrées et créer de graves embarras dans la politique étrangère, car il était à craindre que les autres pays, atteints par les mesures douanières qui fermaient à leurs produits l’accès des marchés français, n’eussent recours aux représailles. Dès 1818, le duc de Richelieu adjurait la chambre des députés « de ne pas se laisser séduire par un système exclusif d’isolement et de prohibition. » Le baron Pasquier protestait également contre les exagérations auxquelles on se laissait entraîner en France et dans toute l’Europe, contre la fausse direction qui était partout imprimée à la législation économique. « Chaque nation, disait-il, s’est retranchée sur les hauteurs. Il faudra bien, à la longue, abandonner cette position et redescendre dans la plaine. » En 1825, M. de Villèle, résistant aux exigences des fabricans de tissus, rappelait que « toute prohibition doit avoir un terme. » Dans les nombreux débats parlementaires qui se sont succédé de 1816 à 1828 au sujet des lois de douanes, on remarque la modération relative des organes du gouvernement. Cependant les plus sages observations échouaient contre le parti-pris de la passion politique ou des intérêts. Chaque loi nouvelle provoquait des prétentions et des plaintes. Les agriculteurs, ou du moins les grands propriétaires qui les représentaient dans les chambres, prétendaient obtenir un surcroît de protection; les industriels se plaignaient d’être sacrifiés à l’agriculture, qui pouvait élever le prix des matières premières, et ils réclamaient à leur tour le bénéfice des tarifs prohibitifs; enfin, parmi les industriels, chacun voulait être protégé à l’égal des autres. C’était de tous côtés un bruyant concert de récriminations. Le gouvernement essaya de dégager sa responsabilité en organisant une commission d’enquête chargée d’étudier les ressources et les besoins de chaque branche de travail et de tracer une sorte de programme de la législation économique. La commission d’enquête de 1828, tout en proclamant la nécessité de pratiquer le régime protecteur, conclut à l’abaissement de certaines taxes, et se rallia en général aux opinions que le gouvernement avait soutenues. La révolution de 1830 empêcha qu’il ne fut donné suite à ses propositions qui, dès l’année précédente, avaient été présentées à la chambre des députés sous la forme d’un projet de loi.

Ce fut ainsi que le régime de la protection s’établit et se consolida sous la restauration : de 1814 à 1830, il inspira toutes les lois douanières, et il acquit la force d’un principe gouvernemental, défendu par des intérêts nombreux et puissans, non pas seulement dans les régions aristocratiques, mais encore dans les classes moyennes dont la révolution venait consacrer le triomphe. Les ministres que cette révolution avait amenés au pouvoir étaient partisans des doctrines libérales, ils estimaient que la législation économique, avec ses restrictions exagérées, avait fait fausse route, et qu’il convenait de la rectifier, de la modérer, en poursuivant les idées de réforme que les ministres de la restauration avaient tenté de réaliser. Dès les premiers pas qu’il essaya dans cette voie, le gouvernement se heurta contre une opposition qui était d’autant plus redoutable qu’elle se recrutait dans les rangs du parti conservateur, et avait pour organes les amis les plus dévoués de la royauté de juillet. L’abaissement du cens électoral à 200 francs n’avait pas sensiblement modifié la composition du corps électoral; il n’avait point déplacé les influences qui, depuis quinze ans, l’emportaient dans la rédaction des tarifs. Si l’on n’invoquait plus les intérêts de l’ancienne aristocratie liés à ceux de la grande propriété, l’on imaginait une autre aristocratie : celle des grands industriels et des grands manufacturiers, qui devaient être considérés comme les fondateurs de la dynastie nouvelle. C’était ainsi qu’en 1832 M. le comte Jaubert démontrait à la chambre des députés la nécessité politique et sociale de la protection. À ces argumens venait se joindre la pression des intérêts qui s’étaient créés et développés sous le couvert des prohibitions, et qui repoussaient naturellement toutes les réformes. S’agissait-il d’autoriser le simple transit des soieries étrangères, M. Fulchiron s’écriait que Lyon allait en mourir. Voulait-on établir des entrepôts dans quelques villes de l’intérieur, les députés des ports réclamaient avec la plus grande énergie, comme si la mesure devait entraîner des catastrophes. Le gouvernement crut se tirer d’embarras en instituant une commission d’enquête, ainsi que l’avait fait en 1828 le ministère de la restauration. L’enquête de 1834 aboutit à des conclusions libérales et sensées; elle démontra, malgré les protestations des manufacturiers, que l’industrie française pouvait se passer de la prohibition et accepter sans péril une première réforme des tarifs; mais, quand il fallut donner à ces conclusions une sanction pratique, c’est-à-dire les soumettre dans un projet de loi à l’examen des chambres, le gouvernement dut reculer devant la perspective d’un échec certain. Ce fut seulement deux années plus tard que la chambre des députés consentit à supprimer quelques prohibitions et à réduire un certain nombre de taxes; la loi du 5 juillet 1836, qui consacra ces mesures, semblait annoncer l’abandon plus ou moins prochain du régime à outrance qui s’était imposé à la restauration.

Cet essai de libéralisme ne fut malheureusement qu’une surprise. Le parti protectioniste y vit un grave péril et redoubla d’efforts pour arrêter le gouvernement sur la route où il semblait prêt à s’engager. Les manufacturiers et les agriculteurs se coalisèrent pour la défense commune de leurs intérêts, qui, jusque-là, étaient souvent tenus pour contradictoires, et formèrent une alliance qui pesa, dans les circonstances les plus graves, sur la politique du règne. Ce fut elle qui empêcha l’union douanière projetée avec la Belgique, au moment où la Prusse, par le développement du Zollverein, préparait l’unité et la grandeur future de l’Allemagne. Ce fut elle encore qui vint entraver à diverses reprises les négociations commencées avec l’Angleterre pour la conclusion d’un traité de commerce : le traité eût apaisé d’anciens ressentimens et maintenu l’entente cordiale dont la rupture devait être si funeste pour la dynastie et pour la France. La coalition était assez forte pour faire la loi aux ministres, pour dominer le terrain parlementaire et pour créer des questions de cabinet. Plus d’une fois, le gouvernement et le roi lui-même furent tenus en échec par les sommations ou les vetos des protectionistes. Il fallut, pour ne point s’aliéner dans les chambres les voix de ce parti, consentir au retrait ou à l’ajournement des propositions que l’administration jugeait le plus utiles. L’opinion publique ne s’associait cependant pas à toutes ces exigences; elle commençait à s’émouvoir des réformes commerciales que l’Angleterre avait inaugurées en 1842. La presse vantait ces réformes et les recommandait à l’attention de nos législateurs; la doctrine de la liberté des échanges était éloquemment soutenue dans les chaires officielles, elle était accueillie et applaudie au Conservatoire des arts et métiers comme au Collège de France. Le gouvernement pouvait donc à la fin tenter une démonstration décisive dans le sens des idées libérales. Il l’essaya en 1847 par la présentation d’un projet de loi qui modifiait le tarif d’un grand nombre d’articles; mais il devait retrouver dans les chambres l’opposition ardente des industriels, et il aurait eu probablement à soutenir une vigoureuse lutte parlementaire, si la révolution de 1848 n’était survenue, emportant le projet de loi et le reste. En résumé, dit M. Amé en terminant l’historique des débats relatifs aux lois de douanes de 1830 à 1848, « le gouvernement du roi Louis-Philippe, après avoir essayé d’abaisser nos barrières de douanes, avait dû s’arrêter devant l’opposition des chambres. Il s’était même laissé entraîner à des mesures restrictives évidemment contraires à ses convictions, et, comme la restauration, il tombait au moment où l’opinion venait le pousser de nouveau dans la voie des réformes. »

On ne pouvait attendre de la révolution de 1848 qu’elle s’appliquât utilement à la révision des tarifs. De 1848 à 1851, les préoccupations politiques furent trop vives pour laisser place aux études économiques. Les idées libérales en matière d’échanges ne devaient point d’ailleurs trouver d’auxiliaires parmi les vainqueurs de février. Ceux-ci, plus ou moins dominés par les doctrines des sectes socialistes, prétendaient au contraire organiser le travail en dehors des lois de la concurrence, et, d’accord avec les prohibitionistes, ils affirmaient que l’intérêt des ouvriers français était incompatible avec l’admission des produits étrangers. En outre, la crise commerciale et industrielle qui avait suivi la révolution fournissait un argument aux adversaires de toute réforme. Aussi, lorsque les questions de douanes vinrent en discussion à l’assemblée nationale et à l’assemblée législative, soit à l’occasion de quelques remaniemens de taxes, soit pour l’examen de divers traités de navigation ou de commerce, les partisans de la prohibition purent-ils conserver facilement les positions qu’ils avaient conquises et repousser les rares assauts que l’on osa tenter. Une majorité de 428 voix contre 199 rejeta, le 28 juin 1851, la proposition Sainte-Beuve, qui mérite d’être mentionnée dans l’histoire de notre régime économique. Après un tel échec, la révision sérieuse des tarifs paraissait indéfiniment ajournée. Les élus du suffrage universel avaient, dans deux assemblées républicaines, à la suite de libres débats, consacré le système fondé par les élus du suffrage restreint!

La période écoulée de 1852 à 1860 nous montre l’empire aux prises avec les difficultés qui avaient arrêté les précédens régimes, et il n’est pas sans intérêt de relever la similitude complète des efforts et des résistances qui se produisirent successivement sous la restauration, sous la monarchie de juillet et pendant les premières années de l’empire, c’est-à-dire sous trois régimes politiques différens, toutes les fois que fut abordée au sein des assemblées représentatives la discussion des questions de douanes. Lorsque l’empire, voulant reprendre les anciens plans de réforme, présenta en 1856 un projet de loi portant retrait des prohibitions, ce fut dans le camp des industriels un toile général. Les industriels prétendaient avoir été les fondateurs de l’empire comme ils avaient prétendu être les fondateurs de la monarchie de juillet. Ils se posaient en défenseurs du travail national, de l’intérêt des ouvriers, du salaire. Ils menaçaient de retirer leur concours politique à un gouvernement qui livrerait le marché français aux produits étrangers. La crise devint si violente, même au corps législatif, que le ministère se vit obligé de retirer le projet de loi et d’annoncer que toute proposition relative à la levée des prohibitions serait ajournée jusqu’en 1861. Il semblait du moins naturel que l’on procédât à une enquête. C’était un moyen légitime et nécessaire d’éclairer la question. Les chefs de parti s’opposèrent résolùment à l’enquête, et celle-ci fut également ajournée. N’est-ce point la répétition de ce que nous avons vu sous la restauration, sous la monarchie de juillet? Projets de loi retirés ou retardés, enquêtes repoussées ou rendues inutiles ! Il ne restait plus qu’un expédient pour résoudre cette éternelle question : c’était l’expédient des traités de commerce. M. de Vergennes l’avait employé en 1786. Les gouvernemens de la restauration et de juillet n’avaient pu y avoir recours, la charte soumettant les modifications de tarifs à la discussion parlementaire. Le gouvernement impérial, usant des pouvoirs conférés au chef de l’état par la constitution de 1852 pour la conclusion des traités, n’hésita plus à engager sa responsabilité en négociant avec l’Angleterre, et en supprimant diplomatiquement ces prohibitions qui avaient résisté à tous les procédés constitutionnels. Ainsi fut signé le traité du 23 janvier 1860, qui vint inaugurer l’ère des réformes commerciales.


II.

Le traité de commerce avec l’Angleterre avait été négocié dans le plus profond secret. Dès qu’il fut connu, il provoqua, en France et de l’autre côté du détroit, une grande émotion. La polémique s’engagea comme elle s’était produite au lendemain du traité de 1786, sous l’inspiration des mêmes intérêts et des mêmes frayeurs. En Angleterre, plusieurs branches d’industrie se plaignirent d’être sacrifiées à la concurrence française, désormais affranchie des lourdes taxes qui, maintenues jusqu’alors à titre de représailles, écartaient notamment les tissus de Lyon, de Saint-Étienne et de Mulhouse. M. Cobden, réputé le principal instigateur de la convention, était traité d’apôtre et de rêveur, plus soucieux de sa chimère que de la prospérité de son pays. En France, le parti protectioniste, qui, après avoir traîné la question d’ajournement en ajournement, se croyait sûr de remporter, sur le terrain parlementaire, une nouvelle victoire, exprima la plus violente indignation contre le gouvernement, dont la résolution soudaine et imprévue venait de ruiner tous ses plans de campagne : en outre, les adversaires politiques de l’empire s’élevèrent instinctivement et par principe contre un acte qu’ils qualifiaient de coup d’état économique. Le traité se bornait cependant à supprimer les prohibitions, qui ne comptaient plus alors que de rares défenseurs, en les remplaçant par des taxes qui pouvaient être portées à 30 pour 100, c’est-à-dire à un taux excessif, équivalant dans la plupart des cas à la prohibition absolue. Quant à l’opposition politique, elle oubliait que l’empire avait simplement réalisé ou plutôt commencé une réforme que les précédens régimes avaient jugée nécessaire, et, s’il lui était permis de regretter que la constitution eût attribué au chef de l’état la faculté de réviser les tarifs par voie de traités, elle n’avait pas à regretter ni à blâmer, en cette circonstance, l’exercice de la prérogative souveraine. Armé d’un pouvoir légal queue possédaient point les gouvernemens antérieurs, l’empire aurait, au contraire, mérité le reproche d’inertie et de faiblesse, si, après avoir essayé à son tour les procédés directs, il n’avait point eu recours au seul moyen qui lui restait pour atteindre le but.

Sauf pour les fers, qui étaient taxés à 7 francs par 100 kilogrammes, ce qui représentait près de 40 pour 100 du prix des qualités les plus courantes, le traité s’était borné à poser en principe que les droits à payer en France par les produits anglais ne devaient pas dépasser 30 pour 100. Il restait donc à fixer le tarif pour les divers produits. Tel article pouvait, disait-on, réclamer le droit maximum de 30 pour 100, tel autre était en mesure de soutenir la concurrence anglaise avec un droit moindre : ici, le droit spécifique devait être facilement appliqué; là, il était préférable d’adopter le droit ad valorem. Ces mesures d’application étaient, à vrai dire, plus importantes que ne l’était le traité lui-même, car, en se réservant la faculté d’élever jusqu’à 30 pour 100 le tarif de chaque produit, le gouvernement français avait sauvegardé les intérêts les plus vulnérables et les plus défians, et il avait le moyen de garantir à l’industrie nationale une protection plus forte que celle dont les tarifs de Colbert et les projets de l’ancienne monarchie avaient jugé nécessaire de la couvrir. Toute la question était de combiner les droits nouveaux de manière à développer les échanges entre les deux pays contractans, sans exposer l’industrie française aux périls d’une concurrence trop inégale : question d’appréciation et de mesure, qui ne pouvait être résolue que par une enquête sur les diverses industries, sur chacun des articles du nouveau tarif. Il fut immédiatement procédé à ce travail par les soins du conseil supérieur de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. « Jamais enquête aussi approfondie n’avait eu lieu en France, dit M. Amé. Le ministre du commerce avait voulu fournir au conseil supérieur des élémens complets d’information. Il avait convoqué non-seulement les hommes les plus accrédités dans chaque branche du travail national, mais encore les sommités industrielles de l’Angleterre, de la Belgique et de la Suisse. Pendant près de quatre mois, toutes les situations purent faire entendre leurs vœux, indiquer leurs besoins, manifester leurs espérances ou leurs appréhensions... Les procès-verbaux du conseil supérieur resteront l’expression la plus vraie de l’état de l’industrie française en 1860, dans ses relations avec la concurrence étrangère. » Ce témoignage de M. Amé, qui fut appelé par ses fonctions à prendre une part importante aux travaux du conseil supérieur, répond suffisamment aux critiques dont l’enquête a été l’objet. On a allégué que les tarifs avaient été fixés arbitrairement, après une étude incomplète et superficielle. Les principaux documens ont cependant été publiés et ne forment pas moins de huit volumes, qui ont eu malheureusement le sort de la plupart des blue-books; ils ont été distribués à profusion, mais peu lus. Une fois les tarifs définitivement établis, ils ne présentaient plus qu’un intérêt historique et devaient rester enfouis dans les archives.

L’enquête de 1860 mérite une mention particulière, non-seulement à cause de la gravité des questions qu’elle eut à résoudre, mais aussi parce qu’elle inaugura en France un mode d’information qui était emprunté à l’Angleterre et dont notre administration a fait depuis cette époque un fréquent usage. Il y a, dans ce système de large publicité, de contradiction ouverte, une garantie de sérieux examen que les précédentes enquêtes étaient loin d’offrir au même degré. En outre, les pouvoirs publics, qui ont à prendre les décisions, acquièrent une appréciation plus exacte des sentimens qui animent les intérêts appelés à s’expliquer devant eux. À ce point de vue, la physionomie morale de l’enquête de 1860 est très utile à observer. Sauf de rares exceptions, les industriels français opposèrent la plus vive résistance aux réductions de tarifs, les uns, parce qu’ils n’avaient point conscience de leur force, les autres, parce qu’il leur coûtait de s’organiser contre la concurrence, d’autres enfin parce qu’ils regardaient comme un devoir d’obtenir pour des confrères attardés un excès de protection dont ils reconnaissaient n’avoir pas besoin pour eux-mêmes. Opposition de parti-pris, timidité extrême, répugnance instinctive contre toute innovation, ignorance ou négation calculée des faits les plus évidens, telle fut, il est bien permis de le dire, l’attitude presque générale des industriels dont on entendit l’avis, ou plutôt les doléances, attitude qui eût embarrassé plus d’une fois les décisions, si, indépendamment de la contradiction provoquée, même au dehors, de la part des intérêts opposés, le conseil supérieur ne s’était armé d’une ferme résolution pour dominer les terreurs exagérées et pour imposer la réforme.

La convention anglo-française fut suivie de négociations engagées avec la plupart des gouvernemens de l’Europe. De 1861 à 1867, la France traita successivement avec la Belgique, le Zollverein allemand, l’Italie, la Suisse, la Suède, les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche et les États pontificaux. Chacune de ces conventions stipula l’échange de facilités réciproques pour le commerce et la navigation des parties contractantes, la France concédant les tarifs modérés qui avaient été précédemment accordés à l’Angleterre, et obtenant des diminutions de taxes pour ses produits. Ce fut pour toute l’Europe une véritable révolution économique. Lorsque la Grande-Bretagne, rompant avec de vieilles traditions, entreprit la réforme commerciale, l’exemple donné par elle n’exerça aucune influence sur la législation du continent. On jugeait qu’elle avait abandonné le régime protecteur parce qu’elle pouvait s’en passer, et l’on se défiait de ses conseils et de ses avances. L’impression fut différente quand on vit la France entrer à son heure dans le mouvement libéral. La prohibition fut mortellement frappée à la suite d’une défection aussi éclatante. La liberté des échanges n’apparaissait plus comme une doctrine exclusivement anglaise, appropriée aux intérêts d’une nation que la supériorité incontestable de son industrie défendait contre les périls de la concurrence. En passant par la France, elle devenait moins suspecte et elle prenait un caractère plus pratique. Reconnaissons ici le rayonnement de propagande qui de tout temps, et surtout depuis le commencement de ce siècle, a répandu au dehors les réformes que notre pays a introduites dans le système général de ses lois. De même que la législation civile, le règlement des intérêts industriels et commerciaux nous avait été emprunté par les peuples qui nous entourent, et ceux-ci, après avoir appliqué, d’après notre exemple, le régime de la protection douanière, se montrèrent facilement disposés à suivre notre évolution vers la liberté du commerce. Pour eux comme pour la France, le moment de la réforme était venu. Ils ne pouvaient d’ailleurs, à moins de sacrifier de graves intérêts, demeurer sourds au signal qui leur était donné par une nation avec laquelle ils avaient tant de points de contact et tant d’occasions d’échange. Si importante que fût la place occupée par l’Angleterre dans le commerce général du monde, le rôle de la France, au regard du continent européen, n’était pas moins considérable. Pour les contrées limitrophes, pour la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie, l’Espagne, le développement des relations commerciales avec la France ne présentait pas un moindre intérêt que le trafic avec l’Angleterre. Dès lors, la politique libérale adoptée par la France s’imposait à l’Europe entière; elle eut pour résultat presque immédiat de faire tomber partout la prohibition et de remplacer une législation d’ancien régime par des règlemens plus conformes au progrès moderne. C’est ainsi que le traité de 1860 mérite d’être rangé au nombre des événemens les plus mémorables de notre temps. Honorable et avantageux pour la France, profitable pour tous les peuples qui en ont réclamé le bénéfice, il a démontré une fois de plus l’influence initiatrice et prépondérante qui nous appartient dans les œuvres de civilisation et de liberté.

Les survivans de la doctrine protectioniste ne manquaient pas cependant de raisons spécieuses pour alléguer que l’ancien régime, dont ils plaidaient si énergiquement le maintien, avait été favorable au progrès industriel et aux relations internationales. Ils produisaient des statistiques attestant que le travail manufacturier s’était développé largement, et que chaque année voyait s’accroître le mouvement des échanges entre les peuples. Ils invoquaient en outre les merveilles étalées dans les expositions, et, justement orgueilleux des succès obtenus par l’industrie française en 1851 et en 1855, ils prétendaient qu’il y aurait imprudence et même folie à compromettre une situation aussi prospère. Ces argumens ne prouvaient qu’une chose, c’est que le travail, le capital, la science, ont une vertu propre qui leur permet d’augmenter, d’améliorer les produits, quelles que soient les conditions du régime légal, et que la prohibition n’est point un obstacle absolu au progrès ; mais ils ne prouvaient pas que sous un régime moins exclusif, par l’influence de lois libérales, avec le stimulant d’une concurrence plus étendue, ce profit n’aurait point été égal ou plus grand, et ils laissaient à leurs adversaires le droit d’affirmer que l’abus prolongé des rigueurs douanières avait coûté à chaque nation, à la France en particulier, des pertes énormes. Pour ne citer qu’un exemple, pouvait-on calculer l’excédant de charges dont le tarif des métaux et des machines avait grevé l’outillage industriel et la construction des premières voies ferrées ! Quant aux expositions, loin de fournir un argument aux protectionistes, ne pouvaient-elles pas être invoquées comme une démonstration certaine de la force acquise par l’industrie française, du succès qui l’attendait dans les luttes de la concurrence, et de la nécessité qui commandait de supprimer des prohibitions ou des taxes reconnues désormais inutiles, à supposer qu’elles aient pu en d’autres temps paraître indispensables ?

La réforme des tarifs avait à faire ses preuves, et il est permis de dire que celles-ci furent aussi promptes que décisives. Avant les traités, l’augmentation annuelle des échanges se calculait par quelques millions que l’on avait soin de présenter dans les comptes-rendus officiels comme un indice de la prospérité toujours croissante. À partir de 1860, c’est par bonds de centaines de millions que le progrès se manifeste. De 11 milliards en 1859, le mouvement des importations et des exportations de la France, pour le commerce spécial, s’élève à plus de 5 milliards 1/2 en 1865, et dépasse 6 milliards en 1869. L’augmentation, qui s’applique à l’ensemble des relations internationales, se révèle particulièrement dans les rapports avec les pays dont les marchés nous ont été plus largement ouverts par les traités. De 1859 à 1865, le chiffre des échanges avec l’Angleterre a presque doublé. Les conventions avec la Belgique, avec la Suisse, avec l’Italie, etc., ont produit des résultats analogues, et l’impulsion une fois donnée ne s’arrête pas ; elle continue après la première période, comme l’attestent les statistiques plus récentes, et elle se communique à toutes les régions du globe. Il aurait pu arriver cependant que, dans ce mouvement général du commerce, certaines industries eussent été compromises et que la concurrence étrangère fût venue prendre sur le marché français toute la place autrefois réservée aux produits nationaux. Cette conséquence partielle semblait même inévitable, car la prohibition a le don de créer et de faire vivre des industries qui seraient incapables de naître et de subsister sous le régime de la concurrence, et qui sont condamnées à la mort certaine dès que la concurrence apparaît. Que de ruines n’avait-on pas prédites lorsque l’enquête de 1860 eut à préparer les nouveaux tarifs ! Combien d’usines allaient être fermées, de capitaux anéantis, d’ouvriers laissés sans travail ! On devait craindre qu’il n’y eût quelque part de vérité dans ces prédictions évidemment exagérées et que certaines industries secondaires, installées dans des conditions défavorables, imparfaitement outillées, mal venues, ne fussent sacrifiées à l’intérêt supérieur qui avait conseillé la réforme. Il n’en fut rien. Passant en revue les diverses branches de travail qui paraissaient être le plus directement menacées, M. Amé a démontré que, dans les détails comme pour l’ensemble, les résultats des traités ont été profitables à tous égards, que les manufactures se sont perfectionnées, que la concurrence a partout amené le progrès, nulle part la ruine. En même temps que la levée des prohibitions et l’abaissement des taxes favorisaient les arrivages des produits étrangers, l’accroissement de la consommation et le progrès des échanges avaient pour effet d’augmenter la production intérieure; le travail national a rémunéré une plus grande somme de capitaux, il a employé un plus grand nombre d’ouvriers avec de plus forts salaires. La statistique, expliquée et commentée par le directeur général des douanes, parle ici un langage irréfutable, dont l’autorité s’ajoute aux affirmations doctrinales des économistes.

A quoi bon d’ailleurs aligner de fastidieuses colonnes de chiffres, quand on pourrait dire en vérité que les résultats sautent aux yeux? N’est-il pas évident qu’à partir de 1860 on a remarqué en France et à l’étranger, partout où s’est étendue la réforme des tarifs, une explosion de travail, une sorte de déchaînement de production, dont on n’avait jusqu’alors jamais eu d’exemple et qui ont dépassé toutes les prévisions ? La multiplication des chemins de fer et des services de navigation à vapeur, le perfectionnement des relations postales et télégraphiques, ont assurément contribué pour une forte part à ce progrès universel ; mais, si l’on veut bien y réfléchir, on reconnaîtra que l’origine du progrès se rencontre dans la réforme législative, qui a fourni plus de chargemens aux wagons, plus de fret aux navires, et rendu plus nécessaires les moyens de correspondance entre les différens marchés. Tout cela date de 1860 et procède d’un mouvement dont la France a eu l’initiative et dont elle a partagé le profit avec les autres nations.

Malgré ces démonstrations, qui, dès les premières années de la réforme, avaient conquis l’opinion publique, le parti protectioniste n’avait pas complètement désarmé, et il se préparait à reprendre l’offensive lorsque viendrait le moment où le traité anglo-français, conclu pour dix ans, serait de nouveau remis en discussion. Dès 1868, il ouvrit la campagne par une interpellation adressée au gouvernement, au sein du corps législatif. Il représentait l’état de malaise où se trouvaient certaines industries par suite de circonstances accidentelles, notamment de la guerre américaine; il critiquait en même temps le procédé autoritaire par lequel le gouvernement s’attribuait la faculté de modifier diplomatiquement, sans l’approbation préalable des chambres, les lois de douane, qui doivent être considérées comme des lois d’impôts, et il obtenait, pour cette dernière objection, l’appui du parti politique qui, demeuré fidèle aux anciennes doctrines constitutionnelles et à la défense des droits législatifs, contestait en principe l’extension que s’était attribuée, pour les traités de commerce, la prérogative du souverain. Porté sur ce terrain, le débat ne manquait pas de gravité. Les organes du gouvernement jugèrent utile de déclarer que désormais les conventions douanières seraient soumises à l’examen du corps législatif; mais, en donnant satisfaction à cette revendication d’ordre politique, ils purent insister plus fortement sur la nécessité de maintenir la réforme et de conserver, par voie de tacite reconduction, le régime international créé par les traités existans. Bien que ces conclusions fussent adoptées par une grande majorité, le traité de 1860 ne cessa point d’être attaqué, directement ou indirectement, au corps législatif et au sénat. Désireux de marquer sa déférence pour les attributions parlementaires et persuadé d’ailleurs qu’il aurait aisément raison des critiques intéressées et obstinées, le gouvernement impérial consentit, au commencement de 1870, à l’organisation d’une enquête où seraient étudiées les modifications à proposer à l’Angleterre lors de l’expiration prochaine du traité. Les travaux de cette enquête furent interrompus par les événemens de 1870.

Dès 1871, les discussions relatives aux tarifs et aux traités de commerce tinrent une grande place dans les délibérations de l’assemblée nationale. Il s’agissait avant tout de procurer au trésor les ressources nécessaires pour équilibrer le budget. Au lendemain d’une guerre funeste, après tant de désastres et de ruines, alors qu’il fallait non-seulement combler un énorme déficit, mais encore rétablir tous les services publics et pourvoir sans retard à la réorganisation militaire du pays, le gouvernement et l’assemblée étaient condamnés à créer de nouveaux impôts, à augmenter les impôts existans, à explorer les différentes sources de revenu, et l’obligation de subvenir à des besoins aussi urgens les dispensait de s’arrêter aux objections purement économiques dont il est si facile de se prévaloir contre toutes les catégories de taxes. L’impôt des douanes devait donc figurer en première ligne dans le plan du nouveau budget, et ce fut sans difficulté que l’on augmenta immédiatement les droits sur les denrées de grande consommation, sucres, cafés, etc., qui devaient produire d’abondantes recettes. Les embarras se manifestèrent lorsqu’il fut question de toucher au tarif des matières premières et des produits fabriqués. Il était en effet impossible de donner suite à ces propositions sans porter atteinte aux traités qui nous liaient avec les puissances étrangères. Le gouvernement espéra qu’il ferait disparaître cet obstacle en dénonçant les traités conclus avec l’Angleterre et avec la Belgique; mais les autres traités n’étaient point encore arrivés à la date de leur expiration, ils n’étaient résiliables que du consentement des états contractans, et l’on n’obtenait point ce consentement nécessaire. Une autre circonstance compliquait, à l’intérieur, cette situation. Bien que les projets de taxes sur les matières premières et les produits fabriqués n’eussent été présentés que sous l’apparence de mesures fiscales, on crut reconnaître qu’ils n’étaient pas exempts de préoccupations protectionistes; les opinions bien connues du président de la république, M. Thiers, et du ministre des finances, M. Pouyer-Quertier, autorisaient cette supposition, dont la réalité ne tarda pas à se montrer clairement dans le cours des débats parlementaires. On se souvient des péripéties et des émotions politiques auxquelles donna lieu, pendant la session de 1872, l’examen de ces graves questions devenues tout à la fois budgétaires, économiques et internationales. L’année suivante, à la suite de délibérations approfondies au sein du conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie, on en revint au maintien des traités avec l’Angleterre et la Belgique, et l’on ajourna toute décision sur l’ensemble des tarifs jusqu’à l’époque où les différentes conventions alors en vigueur seraient régulièrement expirées, c’est-à-dire jusqu’en 1877. Nous voici arrivés à cette date. Le gouvernement et les assemblées législatives auront donc à se prononcer, dans la présente session, sur le régime des traités et sur les conditions générales du tarif des douanes.

La première question à décider est celle de savoir s’il y a nécessité ou profit à régler les conditions du commerce extérieur au moyen d’actes diplomatiques, ou s’il ne vaudrait pas mieux que chaque pays, en conservant sa pleine liberté pour sa législation douanière, établît un régime modéré dont les formalités et les taxes seraient combinées de manière à faciliter les échanges. Théoriquement, cette dernière solution serait préférable. Rien ne serait plus avantageux que l’accord tacite formé entre les gouvernemens des divers pays pour que chacun d’eux, également désireux de favoriser le commerce extérieur, appliquât les tarifs les plus libéraux. Les négociations diplomatiques deviendraient alors inutiles, puisque le résultat qu’elles ont en vue serait atteint naturellement par l’action directe des lois. Les traités ne sont point d’ailleurs exempts d’inconvéniens. S’il a été commis une erreur au détriment de l’une des parties contractantes, l’erreur subsiste pendant toute la durée de la convention. S’il survient au cours du traité un événement politique ou financier qui rende utile une modification des tarifs, le gouvernement, engagé dans les liens diplomatiques, est empêché d’agir au mieux de ses intérêts. Ainsi le régime des traités ne se recommande point positivement par lui-même; il n’est qu’un expédient, jugé encore nécessaire. D’une part, il oblige les pays arriérés à marcher d’un pas plus rapide dans les voies du progrès commercial : il leur fait une loi d’élargir l’accès de leurs marchés, s’ils veulent obtenir des concessions équivalentes; d’autre part, il garantit aux industriels et aux négocians que pendant une période déterminée les conditions du travail et des échanges ne seront point modifiées; il procure ainsi la sécurité des transactions. Cette garantie balance les inconvéniens manifestes du contrat diplomatique. Consultées à ce sujet, la plupart des chambres de commerce ont exprimé le vœu que les traités fussent renouvelés, et depuis quelque temps déjà les négociations se poursuivent entre les différens cabinets.

Le renouvellement des traités entraîne la confirmation des principes libéraux qui ont été adoptés en 1860. Chaque pays a si évidemment tiré profit de l’application de ces principes que nul gouvernement ne saurait être tenté de s’en écarter. En outre, la majorité des agriculteurs et des industriels s’y est aujourd’hui ralliée de la façon la plus complète : elle réclamerait hautement, s’il s’agissait de rétablir la prohibition ou les droits prohibitifs. L’accord étant ainsi presque général, il semble aisé de faire revivre, dans les traités nouveaux, avec quelques perfectionnemens de détails, les clauses et les taxes adoptées dans les premières conventions. On prévoit cependant qu’il se présentera quelques difficultés sur certains points.

En premier lieu, les chambres de commerce demandent que l’on remplace par des droits spécifiques les droits à la valeur qui ont été inscrits dans les traités existans. Ce désir se justifie par l’incertitude que présente ce dernier mode de perception. Il est en effet constaté que l’inexactitude des déclarations abaisse sensiblement l’échelle des droits. Tel produit, tel tissu, qui devrait supporter une taxe de 15 pour 100, n’en paie souvent que la moitié, parce que l’importateur ne déclare que la moitié de la valeur réelle et que le service des douanes ne saurait être toujours en mesure de réprimer ce genre de fraude. Il faudra donc, selon le vœu de notre industrie, procéder à la transformation des droits, et ce travail, qui est très complexe, peut soulever de nombreux conflits. Le manufacturier français voudra que le droit spécifique soit la représentation exacte des 10 ou des 15 pour 100 qui ont été convenus dans le traité de 1860; son concurrent anglais exigera que la taxe, sous la forme nouvelle, ne soit pas plus élevée que celle dont il a profité jusqu’ici en vertu de ses déclarations admises par la douane : le premier rappellera le texte et l’esprit du traité, le second se prévaudra du fait accompli et il considérera comme une aggravation ce qui ne serait en réalité qu’une application rectifiée du tarif conventionnel. Ces prétentions contraires sont d’autant plus difficiles à mettre d’accord qu’elles intéressent des industries très considérables, notamment le tissage, dont les représentans appartiennent, par tradition, au parti protectioniste. Ceux-ci ne laisseront donc pas échapper l’occasion de réclamer un relèvement des tarifs. En même temps, certaines industries entendent profiter de la révision des traités pour obtenir le bénéfice d’une protection plus efficace ; elles se plaignent de la surcharge d’impôts qu’elles ont à supporter depuis 1872 et qui a modifié, à leur détriment, les conditions de la concurrence avec l’industrie étrangère. Enfin il résulte de certains indices que les gouvernemens d’Italie, d’Autriche et d’Allemagne ne seraient pas éloignés de proposer pour divers produits l’établissement réciproque de taxes plus élevées. Ils n’invoquent, il est vrai, que des considérations fiscales et ils se défendent de vouloir à aucun degré retourner vers l’ancien régime économique; mais ils sont soutenus, poussés par les partisans de la protection, qui confondent très habilement leur cause avec l’intérêt financier.

Ce sont là des difficultés sérieuses qui se présentent, les unes à l’intérieur, les autres au dehors. Sur la question des droits spécifiques, les négociateurs français trouveront les élémens de discussion dans le travail qui a été préparé par le comité consultatif des arts et manufactures pour la rédaction d’un nouveau tarif. Quant aux clauses fondamentales des traités, c’est-à-dire aux droits de douane, loin de relever les taux qui ont été stipulés de 1860 à 1867, il faudrait plutôt procéder à des dégrèvemens, et faire quelques pas de plus vers la réalisation complète des réformes. L’industrie française n’a point souffert du régime qui lui a été imposé en lui causant tant d’effroi; elle a au contraire acquis un degré de prospérité et une force d’expansion qui ont comblé toutes les espérances ; elle vient de traverser sans faiblir la plus terrible crise, et, s’il est juste de tenir compte de la surcharge d’impôts qui pèse sur elle, on n’aperçoit pas que sa vitalité en soit assez profondément atteinte pour exiger l’emploi de remèdes surannés. Là où le travail s’est ralenti, il serait facile d’en marquer les causes, générales ou locales, auxquelles l’action du tarif français ne pourrait rien. Quant aux tarifs étrangers, est-il besoin d’insister sur le préjudice qui résulterait de leur aggravation, non point seulement au point de vue de notre intérêt, mais encore pour le principe même de la réforme? Les relèvemens de taxes sur les produits fabriqués, lors même qu’ils seraient motivés uniquement par des considérations financières, rappelleraient les idées de protection et ranimeraient des luttes stériles. Si les gouvernemens d’Italie, d’Autriche et d’Allemagne sont résolus, comme ils l’affirment, à pratiquer la liberté des échanges, ils commettraient une faute en procurant au parti adverse l’apparence d’un premier succès.

Quelle est donc, en résumé, la règle de conduite qui se recommande à la diplomatie comme aux pouvoirs publics, pour la conclusion de nouveaux traités et pour la rédaction du tarif général ? Cette règle est toute tracée par l’expérience qui vient d’être faite. Avant 1860, les promoteurs de la liberté du commerce ne pouvaient citer à l’appui de leur thèse que l’exemple de la Grande-Bretagne; aujourd’hui c’est l’exemple même de la France qu’il leur est permis d’invoquer. Comment hésiterait-on à persévérer dans l’œuvre de réforme? La doctrine, les intérêts, les leçons de l’histoire s’accordent pour conseiller l’achèvement de ce qui a été commencé. Il ne faut pas oublier que les tarifs actuels sont plus rigoureux que ne l’étaient ceux de Colbert au XVIIe siècle, et l’on reculerait devant un nouvel effort! on jugerait téméraire une législation qui a été pratiquée il y a plus de deux cents ans ! Cette politique timide, rétrograde, est désormais condamnée. Sans doute, il se produira des objections : le parti protectioniste est disposé à reprendre la lutte, et il voudra, dans cette circonstance décisive, rassembler toutes ses forces ; certains intérêts vont se liguer pour réclamer des délais et des enquêtes ; mais ces argumens et ces procédés sont aujourd’hui trop connus pour que les assemblées législatives s’y laissent arrêter. Les démonstrations historiques qui se dégagent des récens écrits de MM. Amé et de Butenval attestent que l’agriculture, l’industrie et le commerce ont tout à gagner au succès trop longtemps retardé de la réforme économique, et que l’on doit hâter l’heure où la liberté des échanges sera définitivement consacrée par le droit des gens.


C. LAVOLLEE.