Les Tragiques/éd. Read/Livre VII. Jugement

Texte établi par Charles ReadLibrairie des Bibliophiles (p. 311-313).


Fut en pièces taillé par les mains infidelles
Et rendit en ce lieu les ames immortelles,
Qui, pour donner au corps gage de leurs amours,
Leur donne tous les ans leur présence trois jours.
Ainsy le Ciel d’accord uni à vostre mere :
Ces deux (filz de la Terre) en ce lieu veulent faire
Vostre leçon, daignans en ce poinct s’approcher
Pour un jour leur miracle à voz yeux reprocher.
Doncques chacun de vous, pauvres payens, contemple,
Par l’effort de raison ou celuy de l’exemple.
Ce que jadis sentit le troupeau tant prisé
Des escrits où nature avoit thésaurisé :
Bien que du sens la taye eust occupé leur veiüe,
Qu’il y ait tousjours eu le voile de la nüe
Entr’eux et le soleil, leur marque, leur défaut
Vous fasse désirer de vous lever plus haut :
Haussez-vous sur les monts que le soleil redore,
Et vous prendrez plaisir de voir plus haut encore.
Ces hauts monts que je dis sont prophètes, qui font
Demeure sur les lieux où les nuages sont.
C’est le cayer sacré, le palais des lumières.
Les sciences, les arts ne sont que chambrières.
Suivez, aimez Sara, si vous avez dessein
D’estre filz d’Abraham retirez en son sein :
Là les corps des humains et les ames humaines.
Unis au grand triomphe aussy bien comme aux peines,
Se rejoindront ensemble et prendront en ce lieu
Dans leurs fronts honorez l’image du grand Dieu.
Resjouissez-vous donc, ô vous, ames célestes !
Car vous vous réfèrez de voz piteuses restes :
Resjouissez-vous donc, corps guéris du mespris !
Heureux, vous reprendrez voz plus heureux esprits.

Vous voulustes, esprits, et le ciel et l’air fendre
Pour aux corps preparez du haut ciel descendre ;
Vous les cerchastes lors, ore ils vous cercheront,
Ces corps par vous aymez encor vous aimeront :
Vous vous fistes mortels pour voz pauvres femelles,
Elles s’en vont pour vous et par vous immortelles.
Mais quoy ! c’est trop chanter, il faut tourner les yeux,
Esblouis de rayons, dans le chemin des cieux :
C’est faict : Dieu vient reigner ; de toute prophetie
Se void la periode à ce poinct accomplie.
La terre ouvre son sein, du ventre des tombeaux
Naissent des enterrez les visages nouveaux :
Du pré, du bois, du champ, presque de toutes places
Sortent les corps nouveaux et les nouvelles faces.
Icy, les fondements des chasteaux rehaussez
Par les ressuscitans promptement sont percez ;
Icy, un arbre soit des bras de sa racine
Grouiller un chef vivant, sortir une poictrine ;
Là, l’eau trouble bouillonne, et puis, s’esparpillant,
Sent en soy des cheveux et un chef s’esveillant.
Comme un nageur venant du profond de son plonge,
Tous sortent de la mort comme l’on sort d’un songe.
Les corps par les tyrans autrefois deschirez
Se sont en un moment à leurs corps asserrez,
Bien qu’un bras ait vogué par la mer escumeuse.
De l’Affricque bruslée en Tyle froiduleuse,
Les cendres des bruslez volent de toutes parts ;
Les brins, plus tost unis qu’ils ne furent espars,
Viennent à leur posteau en cette heureuse place,
Riants au ciel riant d’une aggreable audace.
Le curieux s’enquiert si le vieux et l’enfant
Tels qu’ils sont jouiront de l’estat triomphant,

JUGEMENT. p.313

Leurs corps n’estans parfaicts ou deffaicts en viellesse : Sur quoy, la plus hardie ou plus haute sagesse Ose presupposer que la perfection Veut en l’age parfaict son élévation, Et la marquent au poinct des trente-trois années Qui estoient en Jésus closes et terminées Quand il quitta la terre et changea, glorieux, La croix et le sepulchre au tribunal des deux. Venons de cette douce et pieuse pensée A celle qui nous est aux saincts escrits laissée. Voici le filz de l’homme et du grand Dieu le fils, Le voicy arrivé à son terme prefix. Des-jà l’air retentit et la trompette sonne, Le bon prend asseurance et le meschant s’estonne ; Les vivants sont saisis d’un feu de mouvement, Ils sentent mort et vie en un prompt changement ; En une période ils sentent leurs extrêmes, Ils ne se trouvent plus eux-mesmes comme eux-mesmes . Une autre volonté et un autre sçavoir Leur arrache des yeux le plaisir de se voir ; Le ciel ravit leurs yeux : du ciel premier l’usage N’eust peu du nouveau ciel porter le beau visage. L’autre ciel, l’autre terre ont cependant fuy ; Tout ce qui fut mortel se perd esvanouy. Les fleuves sont seiche^, la grand mer se desrobe : Ilfalloit que la terre allast changer de robbe. Montagnes, vous sente^ douleurs d’enfantements, Vous fuyez comme agneaux, ô simples éléments ! Cachez-vous, change^-vousj rien mortel ne supporte La voix de l'Eternel, ni sa voix rude et forte. Dieu paroist ; le nuage d’entre luy et nos yeux S’est tiré à l’escart, il est armé de feux :