Les Tendresses premières/Le Jardin

Le Jardin


Derrière la maison s’ouvrait l’ample jardin :
Bouquets déjà fanés, fleurs non encor mûres,
Et l’ombre, et le soleil et le grand vent soudain
Ployant sous ses longs bras l’unanime ramure.


Et des oiseaux dans l’air, et des poissons dans l’eau,
Et le vol jaune et vert des insectes fragiles,
Et les nids des pinsons, là-haut, dans les bouleaux,
Et l’image de Pan, sur un socle d’argile.

Et les jaunes soucis, et les glaïeuls vermeils,
Et les lys seuls, et les multiples labiées,
Pareils à des gouttes de lune ou de soleil,
Dans les galons et les bosquets éparpillées.

Et les chemins s’y promenant souples et clairs
Et côtoyant l’étang et ceignant la pelouse
Et, tout à coup, disparaissant tels des éclairs,
Sous le massif obscur que tapissent les mousses.

Et les liserons bleus, et les liserons roux
Envahissant la haie épaisse et festonnée
Où de grands coqs, taillés dans l’if ou dans le houx,
Perchaient touffus et verts, depuis cinquante années.

Tel était-il pour tous les gens,
Avec ses hêtres d’or et ses trembles d’argent,
Le vieux jardin dont on disait « le nôtre ! »
Mais pour mon cœur, mais pour mes yeux,
Mais pour mon rêve audacieux,
Il était autre.



Un amateur d’Anvers m’ayant offert, dûment,
Deux oiseaux fiers qui s’en venaient de Numidie
Et trois paons fous dont les plumes, soudain brandies
Ouvraient, dans l’ombre, avant le soir, un firmament,

On les lâcha, l’été, pendant tout un semestre,
Libres et familiers, parmi les gazons roux,
Si bien que le jardin se changea tout à coup,
Pour mon esprit naïf, en paradis terrestre.
Les parterres, les tonnelles et les bosquets,
Et les roses, et les soucis et les bouquets
Sveltes et réguliers des dernières jacinthes,
Tout m’apparut énorme, étrange et merveilleux :
Mes oiseaux clairs et fous me semblaient être ceux
Mêmes dont on parlait, dans mon histoire sainte.

Depuis ce temps, mon rêve à mon désir tressé,
Illumina tout le jardin de féeries.
J’y vis des animaux fantastiques passer,
Comme on en voit sur le fond d’or des broderies.
Je surprenais, dans la forme des massifs lourds,
Soit la croupe d’un tigre ou l’allure d’un ours ;


Le vent, parfois, semblait rugir dans la feuillée ;
Un soir, une peur d’enfant, par l’ombre réveillée,
Me fit m’enfuir, les yeux hagards, le cœur battant,
Certain que j’avais vu, sous les rameaux flottants,
Me regarder et longuement ramper à terre.
Pour tout à coup bondir vers moi — une panthère !

Et ce rêve dura autant que les beaux jours,
Dans un décor de soie, et d’or et de velours,
Avec les fleurs rouges pour confidentes,
J’eusse voulu en prolonger la fièvre ardente,
Infiniment, toujours ;
Mais Novembre, jardinier sombre,
Fauchant, sur les gazons, les clartés et les ombres,
Passa bientôt par les chemins,
Et les feuilles dont ses géantes mains
Dépouillaient les massifs en chassaient tout mystère.
Bientôt le gel saisit violemment la terre ;
On enferma mes lumineux oiseaux,
En de closes et torpides volières.
Et je ne les vis plus qu’à travers les réseaux
De leurs cages lugubrement hospitalières.