Les Tendresses premières/Ardeurs naïves

LES TENDRESSES PREMIÈRES


Ardeurs naïves


J’entends là-bas sa voix, sa voix…
Oh ! la petite amie espiègle et blonde
Qui s’en alla, vers l’autre monde,
Toute fragile, alors qu’elle ni moi
Ne soupçonnions encor
Ce qu’est la mort.


Un jour, on m’assura qu’en des pays d’étoiles
Elle s’était perdue, avec des voiles
Et des roses, entre ses doigts petits ;
Son image resta fixée en mon esprit
Si belle,
Que tout mon cœur partît vers elle.

Je conservai longtemps son souvenir pieux,
Dans mon étroit livre de messe ;
On y lisait la bonne promesse
De se retrouver tous aux deux ;
Et c’est ainsi que je fis plus douce connaissance
Grâce à sa mort, avec la Vierge et le bon Dieu !



Depuis — Oh ! que de morts et de naissances
Et que de gens défunts — ses parents et les miens
Et le curé de Marikerke et le gardien
Du tir à l’arbalète où nous allions ensemble !
Oh ! ma petite amie, as-tu appris
Là-haut, qu’en la drève du Nord, le tremble
Fendu d’éclairs, a refleuri ?
Que les vieilles maisons du Bril sont abattues,
Avec leurs ors et leurs statues.
Qui se miraient et remuaient dans l’eau
Et semblaient vivre dans l’Escaut ? —
As-tu entendu dire
Que, dans l’île de Saint-Amand,
Un héron grand comme un aigle d’Empire
A fait son nid, superbement ?

As-tu senti mon ombre, sur ta tombe,
L’été dernier, lorsque j’y suis passé ?
Sais-tu que les colombes
De l’hôpital ont traversé
La plaine et se sont rencontrées
Pour faire un nid nouveau, au bout de la contrée ?


Je ne sais plus, hélas ! que vaguement
Comment étaient tes yeux charmants
Et ton tranquille et fin sourire.
Mais ce que j’aime à doucement te dire
C’est combien je t’aimais,
Non seulement, pendant que je jouais
Avec ton arc et ta toupie,
Mais vers le soir, quand seul j’étais tapi,
Entre mes draps et que je m’endormais.
Je me souviens t’avoir alors
Si doucement serrée et embrassée,
Avec les bras et les lèvres de ma pensée
Que j’en frissonne encor :
La lampe était ton front et l’édredon ton corps
Et le coussin ta joue
Et cet amour premier se noue
Aux guirlandes les plus belles de ma mémoire.

Je me souviens aussi de cette histoire
Où deux enfants, les doigts unis, mouraient
D’un même coup de hache, un soir, dans la forêt ;
Et je voulais mourir ainsi, et je voulais
Dormir ainsi, avec toi seule,
Loin du monde, sans qu’on le sût jamais.


De ceux que nous avons connus, c’est ton aïeule
Qui me parle le plus souvent,
Avec son cœur et son esprit fervents,
Des ans inoubliés qui furent notre enfance.
À l’entendre, je revois tout :
Le bourg de Saint-Amand, avec le fleuve au bout,
Le Christ sanglant du carrefour, et les deux lances
Des peupliers qui dominaient les jardins clairs.
Tous les bruits familiers se réveillent dans l’air :
Le han du forgeron sur son enclume lasse,
La voix des passeurs d’eau, le chant du jardinier
Rangeant des melons d’or, au fond de son panier,
Et le pas du sonneur, sur le trottoir d’en face.


Quand je ferme les yeux,
J’entends encor
Le choc des fers et des essieux,

Et les lourds camions, sur les routes profondes.
Les débardeurs s’en venaient de Termonde,
Ville proche, qui nous semblait alors
Le bout du monde.
C’était l’été ; le soir vermillonnait
La tour dont les cloches sonnaient ;
Et les vanniers parlaient au seuil des portes,
De morts anciens et de coutumes qui sont mortes.


Oh les bons souvenirs et comme ils me refont
Une tendresse et un bonheur mélancoliques ;
Ô mon âme, voici tes plus douces reliques,
Voici, dans ton repli le plus profond,
La plus frêle des fleurs de rêve,
La plus douce des fleurs d’amour,
Qui se réveille au jour
Et vers tes larmes se soulève !