Les Tableaux vivants (1870)
Éditions Blanche (p. 75-79).

XI

SUR UN TRÔNE

Être abordé le soir par une duègne qui vous remet un billet, être invité à monter dans une voiture et mené au rendez-vous, un bandeau sur les yeux, c’est ce qui ne se voit plus guère de nos jours ; c’est ce qui m’arriva une nuit de décembre.

Une main légère et parfumée m’enleva mon bandeau ; mais la pièce où l’on venait de m’introduire était sombre. Je sentis dans mes bras un corps plus frais que les roses du matin, à peine enveloppé dans un peignoir de batiste. Les baisers volèrent, le sacrifice se consomma dans l’obscurité sur un divan de satin.

Quand tout fut consommé, ma mystérieuse amante me prit par la main et me conduisit dans une pièce brillamment éclairée et somptueusement meublée. Je vis bien que j’avais affaire à une très grande dame : je me crus dans la tour de Nesle.

« Je suis la princesse de Schleiz-Sondershausen-Loerrach, me dit-elle. J’ai le titre d’altesse sérénissime. Le prince, mon mari, envoie chaque année un quart de député à la Diète, et trois soldats pour son contingent à la grande armée fédérale. Nous avons en tout trente-un mille sujets. Notre armée particulière se compose de dix hommes superbes, plus un général, deux colonels, quatre capitaines et huit lieutenants. Quand je la passe en revue, je crois faire un rêve ; car enfin me voilà princesse, et il n’en est pas moins vrai que je suis venue au monde dans une étable et que j’ai perdu mon pucelage des œuvres de Jean-Pierre, sous un coudrier.

Ce sont de singulières aventures que les miennes. Je vous les conterai quelque jour. Je crois qu’il est bon de vous en présenter d’abord l’héroïne. »

— Bon ! dis-je, Votre Altesse oublie que je la connais déjà quelque peu.

— Parce que vous m’avez baisée ! dit-elle. Oh ! cela ne suffit point. Vous me connaîtrez tout entière, je n’y mettrai point de façons. De la tête aux pieds, me voici !

En même temps elle laissait tomber son peignoir et se montrait nue devant mes yeux.

— Vous le voyez, reprit-elle, je suis plutôt grande que petite. Bien qu’habillée je paraisse fort mince, j’ai toujours eu l’embonpoint qu’il faut, et je n’en souhaite pas davantage. Ma taille est fine sans doute, mais bien garnie ; ma gorge est pleine ; elle plaît aux gourmets : les gourmands même y trouvent leur compte. Je peux bien dire que j’ai la chair la plus friande du monde. Joignez à cela cette peau parfaitement blanche et douce et si froide, principalement à l’endroit des reins. Touchez là. N’est-ce pas une volupté toute particulière que de se rafraîchir les mains sur mes fesses ?

Je suis souple comme une couleuvre. Vous savez maintenant si j’enlace un homme avec des anneaux d’acier ! La jouissance ne me lasse point. C’est ce que je vous montrerai tout à l’heure. Mes cheveux vous plaisent-ils ? Aimez-vous cette nuance ardente ? Frisez la jolie moustache d’or qui ombrage mon bijou mignon, et dites si ce n’est pas le plus agréable bijou qu’il y ait dans la France entière. L’Allemagne n’a rien de mieux. On ne l’ouvre point sans le forcer, il se défend, il serre, il pince et surtout il brûle !

Êtes-vous content de mon visage ? J’ai le teint des blondes et vous ne sauriez décider si mes yeux sont bleus, car la nuance ne laisse point que d’en changer suivant la nature des émotions qui m’agitent ; elle est variée comme les désirs de mon cœur.

Le poète de la cour, homme hardi dont les regards ne craignent point de se promener souvent au bord de mes nobles jupes, m’a fait deux madrigaux pour me prouver : 1o que mes sourcils étaient semblables à l’arc de Diane ; 2o que mes oreilles sont plus roses que la coquille de Vénus. Je consens à tout cela ; mais pardessus tout c’est ma bouche qu’on aime. Je le crois bien ! Baise-moi, mon ami. As-tu jamais senti des lèvres si savoureuses ? Et la langue ! Tu sauras tout ce que cette langue-là peut faire.

Je ne t’ai rien dit encore de mes mains. Il n’y en a pas de plus vives et de plus légères ; elles passent, elles glissent, elles courent, elles vont partout. Quant à mes pieds, ce sont deux trésors… d’autant que la jambe est faite au tour. Contemple un peu ces cuisses… Oui… oui, baise-les, mords-les : elles en valent la peine !… Je me retourne !… Agenouille-toi devant ce sublime derrière : de plus grands que toi l’ont bien fait !… Je ne rougis point de le dire, c’est en le prêtant aux augustes goûts du prince, mon époux, que j’ai conquis mon rang d’altesse. Le bon prince jurerait qu’il en a eu les gants !… Le pauvre homme !… Mais je me suis échauffée en parlant de moi-même… Viens !

En même temps, elle frappait trois coups sur un timbre d’argent. Trois filles d’honneur entrèrent.

Sur un geste de leur noble maîtresse, deux d’entre elles s’approchèrent de moi et se mirent en devoir de me déshabiller. Je me laissai faire, confondu de tant d’honneur qu’on me rendait. La troisième alla chercher un bassin d’or et une éponge fine, et se mit à laver les appas les plus secrets de la princesse. Elles se retirèrent. La princesse alors s’élança dans mes bras, et, nus tous les deux, nous échangeâmes de délicieuses caresses. Je voulus couronner ces préludes… Mais elle m’arrêta.

— À quoi servirait d’être souveraine, me dit-elle, si c’était pour jouir en bourgeoise !

Elle frappa de nouveau sur le timbre d’or. Tout le fond de la chambre s’enleva par enchantement comme un rideau, et un théâtre m’apparut sur lequel il y avait un trône. La princesse en monta les gradins d’un air majestueux, m’invitant d’un signe à la suivre. Une musique invisible et délicieuse se fit entendre, et de la coulisse sortit un essaim d’admirables filles à peine vêtues d’une écharpe enroulée autour des flancs et dansant des pas voluptueux. Un bel adolescent parut, monta les degrés du trône.

— Zénaïde, dit-elle, mets-le-moi !

Zénaïde, la belle esclave Zénaïde, prit mon dard entre ses doigts roses et l’introduisit dans l’auguste con.

L’adolescent se tenait auprès de nous, immobile. À quoi pouvait bien servir sa présence ? C’est ce que je vis un moment après. La princesse ayant glissé sous moi, étendit la main vers le membre raidi de son jeune serviteur, l’empoigna et s’en servit comme un levier pour se hisser et se remettre en place ; mais ayant en main cette belle pièce, elle ne la lâcha plus. Pour moi, tandis que je jouais des reins, je sentis une langue agile qui se glissait entre mes fesses. La belle houri me postillonnait !

Cependant les danses continuaient. Les bayadères avaient dénoué leurs écharpes flottantes, rien ne me cachait plus la vue de leurs charmes. Animé par ce spectacle enchanteur et par l’attouchement délicieux qui m’était fait au derrière, je fournis deux postes à ma princesse, sans souffler ni déconner.

— Je te fais aide de camp du prince, me dit-elle.

J’ai servi pendant trois mois Son Altesse monseigneur de Schleiz-Sondershausen-Loerrach ; et sa confiance en moi fut si grande qu’il me donna souvent sa femme la princesse à baiser, pendant que lui-même il la sodomisait. Je tiens de sa munificence le grand cordon de Saint-Socrate, qui est, comme on le sait, un ordre noble.

Mais un jour le prince voulut changer la disposition du groupe et me faire prendre la place de la princesse, c’est-à-dire me mettre au milieu !

Je le quittai.