Les Tableaux vivants (1870)
Éditions Blanche (p. 39-41).

V

SUR UNE LUNETTE, OU LES
BIZARRERIES DE LA NATURE.


Madame Céleste de Congey m’ayant invité à un grand repas qu’elle donnait à ses amis, je m’y rendis sans me faire prier. Madame était en grand habit, fort décolletée. Deux beaux globes qui sortaient à demi de son corsage faisaient sourciller les douairières. Ce fut bien pis lorsqu’en buvant Céleste se mit à rire. Ce verre de xérès ne passa point. La belle toussa ; dans l’effort causé par cette toux maudite, le sein gauche rompit sa barrière et bondit hors de sa prison.

Elle l’y remit lentement et sans se troubler, tout en examinant du coin de l’œil l’effet que la vue de ses charmes avait produit sur les convives masculins. Elle vit bien, la friponne, que le plus ému c’était moi…

Ô nature ! Nature ! Capricieuse en tes desseins, tu as voulu placer le cœur près du ventre. Et ainsi l’émotion de l’un précipite le cours de l’autre. C’est ce qui m’arriva. Je fus obligé vers la fin de la soirée de chercher fortune, et, me coulant le long d’un corridor obscur, j’arrivai dans un cabinet qui me parut être une garde-robe. Il y régnait une douce odeur d’essence de jasmin qui n’est rien moins qu’ordinaire en ces lieux-là… Je vais, tâtant avec la main, je trouve une chaise percée. Nécessité n’a point de loi…

Tout à coup, comme je finissais mon œuvre, un bruit de pas légers, un froufrou de soie se fait entendre dans le corridor… On pousse la porte, on entre… Je ne bouge point.

La dame savait bien où était située la chaise percée… Elle prend ses mesures en conséquence. Elle vient à reculons, soulève ses jupes, qui m’enveloppent comme une épaisse nuée, et deux fesses rondes, pleines, grasses, chaudes, satinées, s’abattent sur moi, croyant se poser sur un autre trône.

— Ah !… Au secours !… Quelle horreur !… Qui est là ? Un homme !…

Le malheur, c’est que tout en se posant, elle avait commencé de pisser… Un flot brûlant m’inonde les cuisses.

— Au secours !… Un homme !…

— Madame, au nom du ciel, ne criez pas !

— Un homme !…

Comme si elle avait besoin d’entendre ma voix pour savoir que c’était à un homme qu’elle avait affaire ! Certain signe parlant le lui disait bien… La marque de mon sexe s’agitait sous elle.

— Monsieur !…

Elle poussait toujours.

Mes bras entourèrent ce fessier magnifique, mes deux mains se croisèrent sur ce ventre rebondi.

— Monsieur, monsieur, qui êtes-vous ?

— Je suis votre voisin de table.

Et ma main…

— Monsieur !… ici !… et faisant ce que vous faites !

— C’est vous qui le faites !… Moi, j’ai fini.

Et certain battant de cloche s’avançait sous le noble fessier de madame.

— Ici !… répéta-t-elle… Vous êtes un pourceau !… Vous sentez mauvais… Pouah ! monsieur… L’insolent ! Prétendriez-vous ? Il entre !… Fi ! que c’est dégoûtant ! Ah ! ah !…

Elle jouissait, elle pissait. Quelles délices et quelle horreur !…

— C’est vous, Richard !… c’était vous ! me dit-elle… Sur une chaise percée !… Je n’oserai plus jamais vous regarder en face… Comment allons-nous nous tirer d’ici à présent ?

— Il est indispensable, chère belle, que vous vous leviez la première et que vous me laissiez…

— Vous essuyer… Pouah !… Tenez, il y a là, dans le coin, un bidet plein d’eau fraîche… Moi, je vais aller dans ma chambre me purifier sur une cuvette.

— Mais c’est moi qui ai tout reçu !…

Le fait est que cette chère Céleste m’avait mis, en pissant sur moi, dans un état à ne point reparaître au salon.

Il faut vous dire que cette garde-robe était l’arrière-cabinet de toilette de madame de Congey et communiquait avec sa chambre. Je rejoignis la belle dans cette chambre après m’être plongé dans le bidet. Elle m’aida à me dépouiller de tous mes vêtements, que nous mîmes à sécher devant le foyer, et nous nous rebaisâmes.

Ainsi commencèrent mes amours avec Céleste de Congey.