Premières Poésies : 1883-1886Société du Mercure de FranceLes Syrtes. Les Cantilènes (p. 29-30).


TES MAINS


Tes mains semblant sortir d’une tapisserie
très ancienne où l’argent à l’or brun se marie,
où parmi les fouillis bizarres des ramages
se bossue en relief le contour des images,
me parlent de beaux rapts et de royale orgie,
et de tournois de preux, dont j’ai la nostalgie.


Tes mains à l’ongle rose et tranchant comme un bec
Durent pincer jadis la harpe et le rebec,
Sous le dais incrusté du portique ogival
Ouvrant ses treillis d’or à la fraîcheur du val,
Et, pleines d’onction, rougir leurs fins anneaux
De chrysoprase, dans le sang des huguenots.

Tes mains aux doigts pâlis semblent des mains de sainte
Par Giotto rêvée et pieusement peinte
En un coin très obscur de quelque basilique
Pleine de chapes d’or, de cierges, de reliques,
Où je voudrais dormir tel qu’un évêque mort,
Dans un tombeau sculpté, sans crainte et sans remord.