Les Suites financières d’une Révolution - Le ministère Lafitte

Les suites financières d’une révolution – Le ministère Laffitte [1]
A. Calmon

Revue des Deux Mondes tome 128, 1895


LES SUITES FINANCIERES D'UNE REVOLUTION
LE MINISTERE LAFFITTE[2]

On touchait à la fin de novembre[3], et aucune mesure n’avait encore été prise pour subvenir aux besoins de l’année dans laquelle on allait entrer. Le gouvernement déchu avait en effet dissous la Chambre, sans lui avoir proposé de budget pour l’exercice 1831, et, depuis le mois de juillet, temps et bases certaines d’évaluation avaient manqué au gouvernement pour lui permettre de préparer ce budget. En prenant possession du ministère îles finances, M. Laffitte eut à se préoccuper de cette situation et, dans l’impossibilité de présenter un budget complet, il dut se borner à soumettre aux Chambres un projet de loi dont l’objet était d’autoriser la perception provisoire, pour 1831, des impôts directs et indirects accordés pour 1830, et de mettre à la disposition du gouvernement un crédit provisoire de 300 millions à répartir entre les divers services ministériels. Ce projet de loi introduisait, en outre, une modification importante et regrettable dans le régime des contributions indirectes en affranchissant des droits d’entrée sur les boissons les villes au-dessous de quatre mille âmes et en réduisant les droits de détail de 15 à 10 centimes. Il existe, on le sait, un triple droit sur les boissons : 1° le droit dit de circulation frappant les boissons destinées au consommateur qui les achète en cercles pour ses besoins domestiques ; 2° le droit de détail frappant celles adressées au débitant qui les vend en détail ; 3° le droit d’entrée frappant indistinctement toutes celles qui entrent dans les villes. Le premier atteint la consommation privée, le second celle qui a lieu dans les cabarets, le troisième fait payer aux habitans des villes l’avantage qu’ils peuvent trouver à y vivre. Leur ensemble produisait alors 120 millions. Les deux derniers droits étaient devenus l’objet d’une animadversion générale : dans plusieurs villes, leur perception avait occasionné des troubles sérieux, elle avait même dû y être momentanément suspendue et, pour donner un commencement de satisfaction aux plaintes qu’elle soulevait, une disposition législative spéciale avait déjà substitué la faculté d’abonnement à l’exercice, en faveur des débitans qui en feraient la demande. Mais, une concession sur les tarifs étant non moins vivement réclamée, le gouvernement avait cru devoir la proposer, et la perte annuelle qu’elle devait occasionner au Trésor était évaluée à 40 millions.

La commission, à l’examen de laquelle avait été renvoyé le projet ministériel, avait conclu à son adoption. Mais dans le sein de l’assemblée plusieurs membres, entre autres M. Jollivet, combattirent vivement la réduction des tarifs sur les boissons. Cette réduction était, suivant eux, inopportune, parce que, au sortir d’une révolution qui avait ralenti toutes les transactions, le Trésor ne se trouvait pas en état de faire un sacrifice de 40 millions ; elle était injuste, parce qu’il eût fallu de préférence venir en aide à l’industrie, qui était, en si grande souffrance, par une diminution de droits sur les matières premières ; elle n’était pas morale, parce qu’elle aurait pour résultat d’attirer dans les cabarets les soldats et ouvriers au détriment de la discipline dans l’armée, du bon ordre dans les ateliers et de la concorde dans les familles. Mais producteurs aussi bien que consommateurs croyaient avoir intérêt à une mesure qui, en définitive, ne devait profiter qu’aux cabaretiers, et les uns comme les autres trouvèrent dans la Chambre de vifs défenseurs. Aussi, bien que le gouvernement, par l’organe de M. Laffitte, laissât positivement entendre qu’en proposant un pareil sacrifice, il n’avait fait que céder à des réclamations exagérées, et qu’il serait loin de se considérer comme battu si la Chambre lui refusait son adhésion, l’ensemble du projet de loi fut voté à la majorité de 288 voix contre 16, et la Chambre des pairs l’adopta également sans débat.

Il y avait aussi à régler législativement une question fort importante, celle de l’emploi à donner à la portion restée libre du fonds de l’indemnité. La loi du 27 avril 1825, en affectant 30 millions de rentes 3 0/0 à indemniser les émigrés dont les biens-fonds avaient été vendus pour le compte de l’Etat, portait, dans son article 2, que, lorsque le résultat de la liquidation serait connu, la somme restée libre serait affectée à réparer les inégalités résultant des bases fixées et suivies pour la liquidation, et qu’il serait statué à cet égard par une nouvelle loi. Or, le travail de liquidation était à peu près terminé ; au lieu de 988 millions, chiffre prévu en 1825, le montant total des indemnités ne devait pas atteindre 900 millions, et il demeurait dès lors disponible, sur le crédit de 30 millions de rente, 3 millions dont l’emploi devait être réglé par le législateur. M. Laffitte proposa de restituer cette somme à l’Etat. Sans doute, fit-il observer dans son exposé des motifs, l’espérance avait été donnée aux indemnitaires que les moins favorisés dans la liquidation obtiendraient un dédommagement sur le reliquat resté disponible. Mais, outre que la loi de 1825 avait été interprétée et appliquée à leur égard de la façon la plus large, et que les cas douteux avaient toujours été résolus en leur faveur, cette espérance n’avait pu devenir un titre pour aucun d’eux ni créer aucun droit susceptible de négociation. Cela était si vrai que le gouvernement déchu, lui-même, avait projeté de consacrer le reliquat à quelque grande entreprise d’utilité publique. Il fallait donc réserver cette ressource pour l’Etat ; et ici le ministre, faisant allusion à l’émotion causée en Europe par les événemens qui venaient de se passer en France et en Belgique et aux arméniens entrepris par plusieurs des grandes puissances, ajouta que toutes les chancelleries avaient sans doute donné, sur leurs intentions, les explications les plus rassurantes, mais que la France ne devait pas moins prendre des mesures défensives, que mieux armée elle serait mieux elle serait respectée, et que sous peu, outre ses places fortes bien approvisionnées, elle pourrait mettre en ligne, si sa sûreté et le soin de sa dignité l’exigeaient, 500 000 hommes et 1 million de gardes nationaux commandés par le roi qu’elle venait de se choisir. Le projet de loi, présenté à la Chambre des députés, rapportait donc la disposition de la loi du 25 avril 1825 relative à l’emploi des sommes restées libres sur les 30 millions de rentes, de l’indemnité ; il prononçait la radiation et l’annulation de ces rentes, et il autorisait le ministre des finances, si les besoins de l’Etat l’exigeaient, à en émettre de nouvelles pour pareille somme, lesquelles seraient négociées avec publicité et concurrence aux taux et conditions jugés par lui les meilleurs.

Le comte de Mosbourg, au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi, exposa dans son rapport que, en règle générale, lorsqu’un crédit était affecté à une dépense, ce crédit, n’étant qu’une prévision, ne devait être employé que dans la proportion des besoins constatés. Or, ici, les besoins fixés d’après les prescriptions de la loi étaient restés inférieurs à la somme allouée, et les ayans droit, ayant reçu tout ce qui leur était dû, n’avaient rien à prétendre en plus. D’ailleurs, comment déterminer les créances qui n’avaient pas été suffisamment évaluées ? Toutes bases et tous moyens manquaient à cet égard. Le législateur de 1830 pouvait donc, sans scrupule, disposer à son gré de la portion non employée du crédit accordé par le législateur de 1825, et le rapporteur concluait à l’adoption du projet de loi en exprimant la confiance que le gouvernement, sous sa responsabilité, userait, au mieux des intérêts et de l’honneur du pays, des ressources mises ainsi à sa disposition.

Dans le sein de la Chambre, M. Berryer rappela que celle de 1825 avait successivement repoussé deux amendemens, l’un portant que l’excédent disponible, une fois la liquidation terminée, ferait retour à l’Etat, l’autre d’après lequel il serait disposé de cet excédent par une loi ultérieure. L’intention de la loi de 1825 était donc formelle et le droit des indemnitaires était incontestable. Sur la foi de l’engagement pris à leur égard, des transactions et des contrats avaient eu lieu, et s’il était méconnu, des intérêts respectables pouvaient être gravement lésés. Mais M. Laffitte répondit que la valeur des biens confisqués avait été arbitrée dans le principe à 988 millions, et qu’en fixant à 1 milliard le chiffre de l’indemnité, c’était la différence de 12 millions que le législateur avait entendu affecter comme fonds commun à réparer les inégalités de la répartition. Comment supposer, en effet, qu’une fois les droits des indemnitaires rigoureusement constatés, il eût voulu leur faire cadeau de 100 millions, et, comment justifier aux yeux du pays une pareille libéralité ? De plus, l’article 19 de la loi de 1825 ayant prononcé la déchéance contre tous ayans droit qui n’auraient pas fait leur demande dans un temps déterminé, pourrait-on admettre que si la moitié ou le quart d’entre eux n’eût pas réclamé, les autres, profitant de cette négligence, eussent pu prétendre à la portion non revendiquée ? C’était pourtant à cette conséquence que conduisait le système soutenu par le préopinant. Le ministre rappela, en outre, qu’il avait été procédé à la liquidation de la façon la plus équitable et la plus libérale, que les erreurs, s’il y en avait eu, étaient aussi rares qu’insignifiantes, et à son appui vint un des hommes les plus considérés de la droite, un de ceux dont la famille pendant la Révolution avait compté le plus de victimes, le comte Alexis de Noailles. Ce membre déclara que lui et plusieurs de ses amis avaient voté l’indemnité de 1825 sous la réserve expresse qu’à la première menace de guerre, la liquidation serait suspendue, et que, personnellement intéressé dans la mesure, il n’hésitait pas, en présence des besoins de la patrie, à donner son adhésion au projet proposé, qui fut sans autre débat adopté par 246 voix contre 57.

A la Chambre des pairs, le marquis de Maleville, jurisconsulte éminent, émit également un avis favorable à l’adoption, en le motivant sur ce que, le législateur de 1825 ayant négligé ou plutôt ayant reculé devant la difficulté de déterminer le mode suivant lequel les inégalités de répartition pourraient être constatées, cette difficulté était devenue aujourd’hui une impossibilité, et que dès lors, chacun ayant reçu d’ailleurs ce qui devait légalement lui revenir, la Chambre des pairs, pas plus que celle des députés, ne devait, en présence des nécessités publiques, hésiter à affecter le reliquat de 3 millions de rentes à l’emploi proposé par le gouvernement. La discussion fut très brève, et le projet fut voté par 79 voix contre 21.

Le Trésor recouvrait ainsi une ressource précieuse pour subvenir à des besoins extraordinaires, et à ce moment-là même les Chambres étaient saisies de l’examen d’un projet de loi dont l’objet était d’accorder, au-delà des crédits fixés pour les dépenses ordinaires de l’exercice 1830, des supplémens montant à 65 290 000 francs, avec affectation à des dépenses extraordinaires autorisées durant le cours de cet exercice, dans les formes prescrites par l’article 152 de la loi du 25 mars 1817.

Cette somme était répartie de la façon suivante :


1° Affaires étrangères : pour avance au gouvernement grec remboursable sur le produit d’un emprunt à contracter de 60 millions, emprunt dont nous aurons ultérieurement occasion de parler ; d’une somme de 500 000
2° Intérieur : pour l’exécution des canaux de 1821 et 1822, exécution dont la charge, en vertu d’engagemens pris, incombait à l’État 5 850 000
3° Guerre : pour dépenses relatives à l’expédition de Morée et à celle d’Alger 30 800 000
4° Marine : pour dépenses relatives à ces deux expéditions 28 140 000
TOTAL 65 290 000

La plupart de ces dépenses avaient déjà été soldées. Il s’agissait donc de couvrir le Trésor des avances qu’il avait faites à leur sujet et d’allouer les sommes nécessaires pour compléter les paiemens. La régularité des crédits concernant l’expédition d’Alger pouvait seule être contestée. En effet, le premier de ces crédits, s’élevant à 15 millions, avait été ouvert par ordonnance du 17 février 1830, et, contrairement aux prescriptions de la loi de 1817, n’avait pas été soumis à la ratification des Chambres qui s’étaient réunies le 2 mars suivant. Il est vrai que la session n’avait duré que quinze jours, qu’elle avait été remplie par les débats politiques les plus orageux, et que la prorogation prononcée le 19 mars avait été suivie d’une prompte dissolution. C’était aussi en l’absence des Chambres que les autres crédits avaient été ouverts. Mais ni à la Chambre des députés, ni à la Chambre des pairs, la convenance d’allouer les crédits demandés ne fut contestée, d’autant mieux que le numéraire et les approvisionnemens trouvés dans le trésor et les magasins du dey d’Alger devaient à peu près compenser les frais de l’expédition, et le projet de loi, voté par les deux Chambres, fut promulgué le 5 janvier 1831 en même temps que celui relatif au fonds commun de l’indemnité des émigrés.

Préoccupé du vide considérable qu’allait faire dans le revenu ordinaire la réduction des droits sur les boissons, le ministre des finances pensa qu’il serait possible d’obtenir, par une meilleure assiette de l’impôt direct, une partie du produit abandonné sur les contributions indirectes. A cet effet, il proposa de substituer pour les trois impôts personnel, mobilier et des portes et fenêtres, le régime de quotité à celui de répartition. Ce projet, d’ailleurs, n’était pas nouveau, et depuis longtemps il avait été, au ministère des finances, l’objet d’études approfondies. Rappelons les précédens.

Après avoir supprimé la taille, la capitation et les vingtièmes, l’Assemblée constituante voulut les remplacer par des impôts frappant directement comme eux la propriété foncière et la fortune mobilière. Le revenu de la première fut évalué à 1 200 millions, et elle fut appelée à contribuer annuellement aux charges publiques pour le cinquième de cette somme, soit 240 millions. Le revenu de la seconde fut évalué à 240 millions, soit au cinquième du revenu de la première ; sa part contributive fut fixée à 60 millions ; et les deux impôts, devant ainsi donner ensemble 300 millions, furent répartis, entre les diverses provinces, au prorata des impositions qu’elles payaient précédemment.

Les bases primitives de la contribution mobilière furent les suivantes : 1° le prix de trois journées de travail dû par tout citoyen non réputé indigent, prix variant suivant les localités, et qui constituait la contribution individuelle de chacun ; 2° le nombre des domestiques au service de l’imposé ; 3° celui de ses chevaux et mulets ; 4° le prix du loyer d’habitation ; S0 enfin, le vingtième du revenu présumé. Mais les événemens de cette époque atteignirent surtout la fortune mobilière, et il fallut, l’année suivante, réduire de moitié la quote-part qui lui était assignée. Bientôt même l’impôt mobilier cessa d’être perçu. Repris en 1795 sur de nouvelles bases qui furent successivement modifiées, il fut fixé en 1799, par la loi du 3 nivôse an VII, sous la dénomination de contribution personnelle, mobilière et somptuaire, au chiffre de 30 millions, soit 19 885 000 francs part de la contribution personnelle, 5 645 000 francs part de la contribution mobilière évaluée d’après le loyer d’habitation, 1500 000 francs pour taxes somptuaires perçues sur les domestiques et chevaux, et 3 millions de retenue sur les traitemens publics. Les deux taxes, personnelle et mobilière, portées ensemble au chiffre de 25 500 000 francs, furent maintenues comme impôt de répartition, et les deux autres, évaluées à 4 500 000 francs, durent être perçues comme impôt de quotité. Ces deux dernières, objet de réclamations unanimes, furent supprimées en 1800, mais il ne fut rien changé au principal de 30 millions, réduit seulement, en 1815, à 27 millions, par suite de la diminution du territoire, et les deux contributions personnelle et mobilière se trouvèrent ainsi aggravées de 4 500 000 francs.

La population et la valeur locative, tels étaient donc les deux seuls élémens de la contribution personnelle et mobilière. Par la taxe personnelle, basée sur le prix de la journée de travail, l’individu, non réputé indigent, payait la part qui incombe à tout citoyen dans les charges publiques pour la protection que lui doit la société dont il est membre. Par la taxe sur le loyer, l’individu était atteint, eu égard à ses facultés, parce que le luxe et le confortable des habitations sont l’indice le plus sûr pour l’évaluation approximative de la fortune de chacun. Mais si le chiffre du contingent avait varié depuis 1791, aucune modification n’avait eu lieu dans sa répartition, déjà fort inégale alors. En effet, ainsi que nous venons de le dire, les contributions nouvelles ayant été réparties entre les divers départemens eu égard aux charges qui grevaient les provinces dont ils dépendaient, ceux qui faisaient partie des pays d’Etat avaient été moins imposés que ceux appartenant aux anciennes généralités, et les inégalités n’avaient fait qu’augmenter, depuis lors, à raison des progrès de la fortune publique, progrès beaucoup plus rapides dans certaines contrées que dans d’autres. Ainsi dans les départemens réputés très riches, la contribution personnelle et mobilière n’excédait pas 1 franc par tête, tandis que dans tel autre beaucoup moins aisé elle était du double. Ainsi encore, il en était quelques-uns dans lesquels la contribution personnelle suffisait seule pour donner le contingent assigné à la commune, et même, dans plusieurs, cette contribution dépassant le contingent assigné, nombre d’individus très imposables se trouvaient exonérés de l’une et l’autre cotisation.

De telles irrégularités avaient, depuis longtemps, préoccupé les Chambres et l’administration. Deux recensemens avaient eu lieu en 1821 et 1826. Le dernier, qui ne faisait que confirmer les résultats du premier, constatait que la population était de 31 650 000 âmes, que les valeurs locatives s’élevaient à 384 millions, et que 48 départemens étaient surimposés de 3 500 000 francs. Deux moyens se présentaient pour remédier à cette inégalité : ou bien dégrever les départemens surchargés de la part qu’ils payaient en trop et la reporter sur les autres ; ou bien substituer à la forme de répartition, c’est-à-dire à l’abonnement fait avec les localités, la forme de quotité par laquelle on s’adressait directement au contribuable. Ces deux systèmes avaient chacun leurs contradicteurs et leurs partisans au sein de la régie des contributions directes. En faveur du maintien de l’impôt de répartition, en faisait valoir qu’il y aurait de graves inconvéniens à priver les autorités municipales de la participation que des lois anciennes leur donnaient dans l’application des charges publiques ; que cette participation était considérée par le contribuable comme une des garanties les plus précieuses des intérêts locaux ; et qu’en la supprimant on risquerait de soulever des résistances nombreuses contre la perception d’une taxe à laquelle on reprocherait désormais d’être mal justifiée et mal assise. D’autre part, au contraire, on soutenait que les agens municipaux apportaient la plus grande indifférence à la confection des rôles, que leur intervention, au vu et au su des populations, étant généralement nulle, les contribuables seraient même plutôt disposés à approuver une innovation qui aurait pour résultat de mieux proportionner le poids des charges au revenu de chacun, et qu’enfin il y avait tout intérêt pour le Trésor à suivre l’accroissement de la richesse publique pour augmenter ainsi ses propres ressources. Cette dernière considération détermina la résolution de M. Laffitte.

Quant à la contribution établie par la loi du 4 frimaire an VII comme impôt de quotité sur les portes et fenêtres de tous bâtimens à l’usage d’habitation et d’usine, à l’exception de ceux affectés à un service public, militaire, d’enseignement ou de charité, elle fut perçue à son origine d’après un tarif qui variait dans chaque commune suivant le chiffre de la population. Le recensement auquel il fallut procéder pour l’exécution de la loi fut fait de la façon la plus défectueuse, et le produit ne dépassa pas, la première année, 15 millions. L’année suivante, il diminua encore et l’administration pensa qu’il serait plus avantageux de substituer le régime de répartition à celui de quotité, en fixant à 16 millions la somme à demander aux contribuables.

La contribution des portes et fenêtres devint ainsi, à partir de l’an X, impôt de répartition, et en 1815 son principal, diminué de la portion afférente aux départemens détachés du territoire, fut réduit à 12 800 000 francs. Mais si les bases sur lesquelles elle avait été primitivement assise étaient défectueuses, depuis lors, ainsi que pour la contribution mobilière, les irrégularités n’avaient fait qu’augmenter. Il résultait, en effet, des vérifications auxquelles s’était livrée l’administration des contributions directes que 27 millions d’ouvertures seulement étaient portés sur les rôles, tandis que par le fait il en existait 34 millions ; que l’application rigoureuse du tarif légal élèverait le principal de 13 à 25 millions ; et qu’en y assujettissant seulement les portes et fenêtres actuellement taxées, l’augmentation serait encore de 7 millions. Le retour au régime de quotité se trouvait donc tout naturellement indiqué, d’abord à raison du caractère de l’impôt en lui-même, puis à cause de l’excédent de produit qu’on pourrait ainsi en retirer.

Le projet de loi présenté par M. Laffitte portait qu’à partir du 1er janvier 1831, il ne serait plus assigné de contingent aux départemens, arrondissemens et communes dans les contributions personnelle et mobilière ; que la taxe personnelle serait perçue sur chaque habitant des deux sexes, non réputé indigent, et qu’elle serait calculée d’après le prix de trois journées de travail ; que ce prix serait réglé d’après un tarif dont l’échelle s’élèverait de 70 centimes à 1 fr. 50, suivant le chiffre de la population des localités, divisées à cet effet en six classes ; que la taxe mobilière serait établie sur la valeur locative de l’habitation personnelle de chaque contribuable et serait due dans toutes les communes où les contribuables auraient des habitations ; que la contribution des portes et fenêtres cesserait d’être un impôt de répartition ; qu’elle porterait sur toutes les ouvertures reconnues imposables par les contrôleurs des contributions directes opérant de concert avec les autorités municipales, et que la perception en aurait lieu conformément au tarif annexé à la loi du 21 floréal an X. Enfin, la faculté de prélever sur le produit des octrois une partie de leur contingent mobilier était réservée aux communes de 5 000 habitans et au-dessus qui en feraient la demande, à la condition que les faibles loyers seuls seraient exceptés. Ajoutons que, avant d’être porté à la Chambre, ce projet avait été soumis par le ministre à l’examen d’une commission composée de douze députés, et tous, à l’exception d’un seul, lui avaient donné leur approbation.

Dans son exposé des motifs, M. Laffitte insistait sur les inégalités dont étaient entachés les trois impôts qu’il proposait de modifier. Ces inégalités, qui constituaient de nouvelles exemptions pour un certain nombre de localités et donnaient lieu à de justes plaintes, ne pouvaient être plus longtemps tolérées. Sans doute, le maintien du système actuel n’était pas incompatible avec une meilleure distribution des charges, et l’impôt de répartition pouvait également suivre les mouvemens de la matière imposable ; mais il ne le pouvait que de loin et à de longs intervalles, parce que, avant de changer un contingent, il fallait que le temps en eût démontré la convenance, et même, cette convenance étant bien constatée, le changement devait être toujours d’une exécution difficile s’il avait pour objet une augmentation de ce contingent. Il n’en était pas ainsi de l’impôt de quotité. Celui-là taxait tous les contribuables à raison de leur nombre par la contribution personnelle, à raison de leur fortune présumée par la contribution mobilière, et il saisissait par la contribution des portes et fenêtres toutes les constructions qui s’élevaient sur le sol. À la fois simple et équitable pour les particuliers, il n’était pas moins favorable pour le Trésor auquel ne pouvait plus désormais échapper aucune fraction de la matière imposable, et par l’application seule des tarifs existans, il devait immédiatement augmenter le revenu annuel de 27 millions. Sans doute encore, ajoutait le ministre, le régime de répartition présentait cet avantage que, l’impôt étant distribué par les Chambres entre les départemens, par les Conseils généraux entre les arrondissemens, par les Conseils d’arrondissement entre les communes et par les Conseils municipaux entre les habitans, ces derniers se croyaient ainsi mieux protégés et que, en cas de désaccord, le débat était entre eux et la commune, tandis que, dans le système proposé, l’action des agens administratifs étant directe, les réclamations seraient incessantes et le gouvernement rendu responsable de toutes les lésions dont les contribuables croiraient avoir à se plaindre. Mais c’était là un inconvénient auquel il serait aisé de remédier en prescrivant que les autorités locales fussent consultées sur toutes les opérations de l’assiette, en leur laissant le droit de déterminer les indigens qui ne devraient pas être taxés, et enfin en donnant aux imposés la faculté de recours devant les Conseils de préfecture pour y contester le montant de la cote qui leur aurait été assignée. Le ministre insistait enfin sur les motifs qui l’avaient décidé à proposer de séparer la taxe personnelle de la taxe mobilière. Rien n’eût été plus facile, disait-il, que de les laisser réunies, et il y aurait eu à cet égard économie, car il est moins coûteux de percevoir une même somme par un seul procédé que par deux. Mais la séparation avait paru présenter des avantages incontestables pour les contribuables comme pour l’Etat. La charge divisée semblerait moins pesante aux premiers, et, en offrant deux bases au gouvernement au lieu d’une, elle rendrait les non-valeurs moins dommageables pour lui.

Dans le sein de la commission chargée d’examiner le projet de loi, les mesures proposées par le gouvernement furent vivement combattues, surtout en ce qui concernait l’application du régime de quotité à la contribution mobilière. Les opposans firent valoir : 1° que les contrôleurs des contributions directes étant désormais seuls chargés de toutes les opérations relatives à l’évaluation des cotes personnelles et mobilières et à la fixation des rôles, ils n’auraient ni le temps ni les connaissances nécessaires pour se livrer utilement à ce travail, qu’ils fatigueraient les contribuables par des vérifications bientôt aussi odieuses que l’exercice, et que les réclamai ions nombreuses soulevées par ce nouveau mode de procéder amèneraient des embarras et des retards regrettables dans le recouvrement de l’impôt ; 2° que le concours des autorités municipales, essentiel dans le système de répartition où, chargées de distribuer entre les habitans de la commune un contingent déterminé, elles ont intérêt à éviter qu’une faveur soit faite à l’un au préjudice des autres, ne s’exercerait désormais qu’au détriment du Trésor et au profit de leurs administrés dont elles auraient surtout pour souci d’atténuer les cotes individuelles 3° que la faculté de recours devant les Conseils de préfecture ne serait pas considérée comme une garantie réelle pour les contribuables, parce que ces corps, dépendant de l’administration, seraient toujours soupçonnés de partialité en faveur du fisc ; 4° enfin, que tout impôt de quotité devait s’appuyer sur des bases positives, tandis que la taxe mobilière ne reposait en général, et surtout dans les campagnes, que sur des appréciations très incertaines.

Il fut répondu que le personnel des contributions directes présentait toutes les garanties d’aptitude et d’éducation propres à rassurer les contribuables, sans leur sacrifier néanmoins les droits et intérêts du Trésor ; qu’il procéderait, comme il le faisait pour les patentes, sans soulever plus de réclamations, et que, le plus souvent, il s’en rapporterait aux affirmations des autorités locales intéressées, pour maintenir le produit des centimes communaux, à ne pas se prêter à une diminution du principal perçu pour le compte de l’Etat ; que peut-être, en matière électorale, les décisions des Conseils de préfecture avaient pu exciter quelque défiance, mais jamais en matière administrative ; que sans doute l’appréciation exacte du loyer était chose très difficile dans les communes rurales, mais que, dans le régime de répartition, les contingens, une fois fixés, ne pouvaient plus être modifiés de longtemps, tandis que le mode de quotité, permettant de corriger chaque année les évaluations inexactes, présentait sous ce rapport des avantages incontestables. À ces considérations toutes d’exécution, les membres de la majorité ajoutèrent que la répartition actuelle des trois impôts personnel, mobilier et des portes et fenêtres, était tellement défectueuse qu’il y aurait injustice à ajourner le redressement d’inégalités contre lesquelles s’élevaient des plaintes si unanimes et si légitimes : que le régime le plus propre à corriger les inégalités et à en prévenir le retour était celui de quotité, parce qu’il permettait de suivre dans leurs variations continuelles les valeurs locatives ; qu’il donnerait un surplus de produit annuel de 27 millions par la seule et exacte application des tarifs existans ; et que ce surplus était d’autant moins à dédaigner qu’il couvrirait d’une façon bien opportune le vide laissé dans les revenus du Trésor par la remise consentie sur les boissons. La commission concluait donc, par l’organe de son rapporteur, M. Saunac, à l’adoption du projet de loi.

La discussion fut longue et vive dans la Chambre des députés. Les membres favorables aux propositions ministérielles soutinrent que l’impôt de quotité avait le grand avantage de suivre la marche de la fortune publique, d’augmenter et de diminuer avec elle, et par conséquent de maintenir l’égalité proportionnelle entre les contribuables ; que l’impôt de répartition, au contraire, ne pouvant être modifié qu’à de rares intervalles, l’injustice et l’arbitraire augmentaient chaque jour à raison des variations souvent en sens inverse que subissait dans ses valeurs la matière imposable sur les diverses parties du territoire ; qu’en tous cas, l’état actuel, défectueux à son origine et devenu pire avec le temps, ne pouvait être maintenu ; que dès lors, en admettant que le régime de répartition fût conservé, il faudrait nécessairement, pour corriger les irrégularités dont il était entaché, recourir à des recensemens et investigations contre lesquels se défendraient départemens, arrondissemens et communes, en vue d’amoindrir leur quote-part dans la distribution finale ; que, lorsque cette distribution aurait eu lieu, de tous côtés s’élèveraient des réclamations, soit contre la surcharge dont seraient grevés les uns, soit contre l’insuffisance de la décharge à laquelle prétendraient avoir droit les autres ; que, sans doute, avec le système de quotité, les facultés de chacun devraient plus particulièrement être recherchées, mais que les contribuables individuellement, et non pas des circonscriptions entières, se trouveraient alors en cause et que, s’ils se croyaient lésés par l’application de la loi, c’était devant la justice qu’ils devraient réclamer le redressement des erreurs dont ils auraient à se plaindre.

Dans le sens contraire, il fut répondu qu’avec le mode de répartition, la commune, l’arrondissement, le département, la France entière se taxaient en famille, que non seulement ce mode était paternel, mais qu’il n’y en avait pas de plus libéral ni de plus conforme au grand principe de l’intervention du pays dans ses propres affaires ; que, politiquement, il avait encore un grand avantage, celui de ne pas mettre les contribuables en présence de l’Etat, et de les laisser régler leurs différends entre eux ; que, sans doute, la répartition actuelle devait être modifiée, mais qu’en ce qui concernait la contribution mobilière, les difficultés seraient bien moindres qu’on ne pensait ; qu’en effet, l’évaluation des valeurs locatives, faite récemment par l’administration des contributions directes, serait une base généralement suffisante, que cette évaluation pourrait d’ailleurs être contrôlée par celles qui résulteraient des opérations cadastrales, et qu’enfin, s’il se trouvait des lacunes, il serait facile d’y suppléer au moyen de recherches complémentaires. Le régime de quotité fut surtout attaqué comme privant les contribuables de la garantie protectrice des conseils locaux électifs, comme les livrant au zèle fiscal des agens administratifs et à la juridiction partiale des tribunaux amovibles, et, à la fin de la discussion générale, le sentiment de la Chambre parut s’accentuer d’une façon si peu favorable au projet de loi que, pour en sauver une partie, le gouvernement crut devoir sacrifier l’autre. En conséquence, le rapporteur, M. Saunac, vint donner lecture d’une nouvelle disposition arrêtée d’accord entre le ministre et la commission, par laquelle la contribution mobilière demeurait impôt de répartition, et le régime de quotité était appliqué seulement aux contributions personnelle et des portes et fenêtres. Toutefois le principal de la contribution mobilière devait rester, en 1831, le même que celui précédemment assigné aux deux contributions mobilière et personnelle, soit 27 millions, et être réduit, pour les années suivantes, de 3 millions au profit des départemens reconnus les plus chargés. De telle sorte que, en résultat final, le revenu de l’Etat serait augmenté du produit total de la contribution personnelle, 22 millions, de 7 millions sur la contribution des portes et fenêtres, ensemble 29 millions moins 3 millions de dégrèvement sur l’impôt mobilier, soit 26 millions.

Plusieurs membres ne trouvèrent pas la concession faite par le gouvernement suffisante. Ils insistèrent sur l’émotion profonde que l’application du régime de quotité à la contribution personnelle allait jeter dans les classes ouvrières, pour lesquelles les agens du Trésor n’auraient pas les mêmes ménagemens que les répartiteurs communaux, et demandèrent que, puisque la raison du changement proposé était l’espoir d’un produit plus élevé, la Chambre se bornât à augmenter le principal de cette contribution de l’excédent de revenu présumé. Il ne fut pas fait droit à cette demande, mais la Chambre crut néanmoins devoir, dans l’intérêt des contribuables, faire intervenir les autorités municipales d’une façon plus efficace que ne le portait le projet de loi. En conséquence, elle décida, par l’article 2, que les maires et répartiteurs, au lieu d’avoir un rôle purement consultatif, dresseraient, avec les contrôleurs des contributions directes, l’état des imposables, et qu’à eux seuls il appartiendrait de désigner les individus réputés indigens ; elle adopta ensuite, sans difficulté, le tarif relatif à la taxe personnelle, ainsi que le dégrèvement de 3 millions sur la contribution mobilière en faveur des départemens les plus chargés. Mais il n’en fut pas de même de la disposition qui restreignait aux villes de 50 000 âmes et au-dessus la faculté de prélever une partie de la contribution mobilière sur le produit de leur octroi.

La législation existante autorisait le gouvernement à accorder cette faculté à toutes les villes qui en feraient la demande, et vingt-cinq l’avaient obtenue. Mais un pareil privilège qui permettait de soustraire une catégorie de contribuables à l’impôt direct, pour charger l’impôt de consommation de toute la part dont ils étaient dégrevés, n’avait cessé de soulever des réclamations, et c’était pour y faire droit que le ministre des finances avait proposé de le restreindre aux villes de 50 000 âmes et au-dessus. Toutefois, il n’avait pas cru devoir fixer un chiffre d’habitans plus élevé, parce que les villes, avait-il dit dans son exposé des motifs, comprennent une population flottante insaisissable par l’impôt direct, et qu’il était plus facile d’atteindre par les impôts de consommation. La commission avait accepté la proposition du gouvernement. Mais, dans la Chambre, on fit observer que l’exemption appliquée aux petits loyers n’était même pas une mesure avantageuse pour les classes ouvrières qui, obligées de consommer aussi bien que les classes riches, paieraient indirectement, en taxes d’octroi, ce qu’elles n’avaient pas versé directement au Trésor en taxes locatives, et qu’il fallait dès lors s’abstenir d’entacher la loi d’un semblant de privilège qui, en réalité, n’en était pas un.

M. Thiers, sous-secrétaire d’Etat aux finances, récemment élu député, répondit que dans les grandes villes, l’agglomération de population faisant monter les loyers bien au-dessus de leurs prix réels, ces prix ne se trouvaient plus, pour les classes ouvrières, en rapport avec les moyens dont elles pouvaient disposer, et qu’il y avait ainsi un véritable soulagement pour elles à reporter une partie de l’impôt mobilier sur l’impôt direct. Il fut, en outre, établi qu’il ne pouvait en résulter d’effet sensible sur la consommation, puisque à Paris, où le prélèvement s’élevait à 3 800 000 francs, l’augmentation de prix qu’il occasionnait n’était que de 0 fr. 017 pour 100 par litre de vin, et n’atteignait pas 1 centime par demi-kilogramme de viande. L’article proposé par le gouvernement fut adopté. Mais la Chambre voulut rester juge des circonstances dans lesquelles l’exception serait accordée, et il fut décidé que les autorisations existantes cesseraient au 1er janvier 1833, et ne pourraient être renouvelées qu’en vertu de lois spéciales.

Le système de quotité ayant été admis pour l’impôt personnel, ne pouvait pas être contesté pour l’impôt des portes et fenêtres auquel il était encore plus aisément applicable, et les dispositions qui le concernaient passèrent sans difficulté. Le projet de loi ne fut voté dans son ensemble qu’à la majorité de 210 voix contre 101, et, à la Chambre des pairs, il le fut sans débat et à la presque unanimité sur le rapport favorable de M. Roy. Mais le régime qu’il établissait ne devait pas être de longue durée ; et nous verrons, dans le récit de la session de 1832, les modifications qu’il eut à subir.

Une autre question, également importante, fut aussi alors l’objet de débats pleins d’intérêt et dont nous devons parler, bien que la solution ne soit intervenue que trois ans plus tard : c’est celle de l’amortissement. En vue d’atténuer la charge de 30 millions imposée au Trésor par l’indemnité accordée aux émigrés, la loi du 25 mars 1825 avait décidé que toutes les rentes rachetées par la caisse d’amortissement depuis le 22 juin de cette année jusqu’au 22 juin 1830, seraient annulées au profit du Trésor ; 16 millions de rentes avaient été ainsi rayées du grand-livre. Mais cette loi ne disposant que pour une période déterminée, les rachats avec accumulation avaient été repris depuis le 25 juin dernier, conformément aux prescriptions de la loi de 1817, et le fonds d’amortissement, accru de la sorte de 2 millions, se trouvait être de 79 millions indistinctement applicables aux rentes 5, 4 1/2 et 3 pour 100, plus de 1 665 000 francs afférens aux rentes 4 pour 100 qu’avait créées la loi du 19 juin 1828 pour subvenir aux dépenses extraordinaires, occasionnées par les affaires d’Orient.

Dans la discussion de la loi de 1825, plusieurs orateurs, entre autres M. Mollien à la Chambre des pairs, avaient insisté pour que chaque espèce de rente eût sa dotation spéciale. Mais on ne pouvait prévoir encore quelle serait l’importance des deux nouveaux fonds 4 1/2 et 3 créés par cette loi ; les bases manquaient pour déterminer la part qu’il convenait de faire à chacun d’eux, et, dans l’intérêt de leur avenir, dans l’intérêt, aussi du crédit public, M. de Villèle avait demandé que, jusqu’à nouvel ordre, toute latitude fût laissée à la caisse d’amortissement pour le choix des rachats à faire. Cette latitude n’avait donc été donnée que d’une façon provisoire, et actuellement que chaque nature de fonds était constituée, qu’elle avait son crédit au budget, sa clientèle propre sur la place, la question devait être définitivement résolue. En conséquence M. Laffitte soumit à la Chambre des députés un projet de loi disposant : 1° que le fonds de dotation de 40 millions, accru des rentes déjà amorties, serait porté à 79 millions, que le nouveau fonds serait réparti entre les rentes 5,4 1/2 et 3 pour 100, proportionnellement tout à la fois au capital constitué de chacune d’elles et à la portion de ce capital restant à racheter, et que la part qui leur serait respectivement attribuée deviendrait leur propriété exclusive ; 2° que, pour ne pas diminuer le gage des anciens créanciers, et pour donner les mêmes garanties aux nouveaux, chaque fois qu’un emprunt en rentes serait contracté, il serait pourvu au service de l’amortissement et des intérêts par une seule et même dotation spéciale à cet emprunt et irrévocable jusqu’à son complet rachat, et que, dans cette dotation, 1 pour 100 au moins du capital serait réservé pour l’amortissement ; 3° de plus, les rentes qui seraient rachetées ne devraient être annulées en tout ou en partie, qu’en vertu d’une loi spéciale lorsque les rachats successifs effectués paraîtraient avoir suffisamment réduit l’importance de la dette à laquelle elles appartenaient. Jusque-là, le revenu en serait affecté à de nouveaux rachats au profil du fonds qui les aurait acquis ; 4° enfin, toute réduction d’intérêt obtenue, soit par le consentement des porteurs de rentes, soit par la substitution d’une dette à une autre, devait profiter au fonds général d’amortissement, et dès que le cours d’une nature de rentes atteindrait le pair, le fonds d’amortissement qui lui appartenait, ainsi que le revenu des rentes rachetées qui en dépendaient, devait être affecté au rachat d’une rente d’un cours inférieur. Ajoutons qu’il n’était rien changé aux prescriptions de l’article 143 de la loi du 25 mars 1817 qui affectait la propriété des bois de l’État à la caisse d’amortissement. Toutes les dispositions du projet de loi se trouvaient ainsi combinées en vue de rendre la décroissance de la dette plus rapide par la constitution d’un amortissement puissant et efficace.

La commission de la Chambre des députés chargée de son examen en adopta toutes les dispositions sauf deux. Ainsi elle admit la spécialité par nature de rentes, mais non pas par emprunt, et motiva son refus sur ce que, dans ce dernier système, des effets constitués au même intérêt se trouvant cotés à la Bourse à des cours différens selon que le terme de l’amortissement final serait plus ou moins rapproché, l’agiotage à leur égard pourrait s’exercer d’une façon plus active, et que le taux du crédit public n’aurait plus ainsi de base aussi certaine. Elle craignit, en outre, que les opérations du rachat ne se trouvassent compliquées sans utilité réelle, et elle rappela à l’appui de son avis que l’Angleterre après avoir longtemps appliqué ce mode de procéder, avait dû y renoncer en présence de ses inconvéniens et des difficultés de son application.

La seconde disposition, également rejetée, fut celle qui allouait à la caisse d’amortissement les économies pouvant provenir de l’abaissement des intérêts de la dette. Il ne lui parut pas que cet engagement pris par avance pût en rien profiter au crédit, tandis qu’il aurait l’inconvénient sérieux d’aliéner les moyens soit de soulager plus tard les contribuables par un dégrèvement de charges, soit de satisfaire à des besoins urgens qui pourraient se produire. Après avoir rendu compte des délibérations de la commission dont il était l’organe, M. Humann insistait dans son rapport pour la prompte adoption d’un projet dont le système lui paraissait propre à fortifier le crédit, à tracer à l’amortissement une marche régulière, et à l’élever au rang d’une institution.

Après une discussion générale, dans laquelle les uns reprochèrent en principe à l’amortissement d’amener dans le prix de la rente une hausse factice, favorable seulement à la spéculation, et préjudiciable non seulement aux intérêts privés, mais encore au Trésor obligé de racheter sa dette à des conditions plus onéreuses, tandis que d’autres le défendirent comme le moyen tout à la fois le plus certain et le plus rapide de soutenir le crédit de l’État et d’arriver à sa libération, la Chambre passa à l’examen des articles du projet amendé par la commission. L’article 1er portait que la dotation de la caisse d’amortissement, fixée à la somme de 40 millions par la loi du 25 mars 1817 et accrue des rentes amorties depuis le 28 avril 1816, continuerait à être exclusivement affectée au rachat des rentes 5, 4 1/2 et 3 pour 100. Cette dotation se trouvait donc ainsi doublée, mais M. de Mosbourg proposa par amendement de la laisser à son chiffre actuel, et, tout en conservant aux rentes rachetées leur emploi légal, de réserver cependant qu’elles pourraient être ultérieurement annulées par une loi, conformément à l’article 109 de celle du 18 avril 1816.

À l’appui de sa proposition, M. de Mosbourg fit valoir que la dotation annuelle de 40 millions et celle en bois de l’État, bois dont une partie devrait même être vendue avec grand profit pour le Trésor, constituaient une garantie bien suffisante pour assurer le rachat quotidien de la dette et le maintien du crédit public ; d’ailleurs, il ne demandait pas l’annulation immédiate des rentes rachetées depuis 1816, mais il croyait que, en cas de guerre, leur radiation du grand-livre permettrait à l’État de contracter à de meilleures conditions les emprunts qui seraient nécessaires et sans surcharge pour les contribuables. Si au contraire, ajouta M. de Mosbourg, ces rentes étaient comprises d’une façon définitive dans la dotation, non seulement il faudrait accroître les impôts pour payer les intérêts des fonds que le Trésor devrait se procurer, mais ces fonds ne pourraient être obtenus qu’à des prix plus élevés, et pour continuer à éteindre à 4, on s’exposerait à acheter à 5, système ruineux qui avait mis en péril les finances de l’Angleterre, auquel cette puissance avait dû renoncer, et qu’il fallait bien, après un pareil exemple, se garder d’introduire en France.

Il fut répondu par MM. Laffitte et Thiers que, lorsque la dotation de 40 millions avait été votée en 1817, il s’agissait seulement de pourvoir à l’amortissement des rentes existant à cette époque, et de celles qui devaient être créées dans les années suivantes pour solder les engagemens pris envers l’étranger. Mais depuis lors, indépendamment de ces rentes, il en avait été émis 4 millions de nouvelles pour la guerre d’Espagne, 30 millions pour l’indemnité des émigrés, soit ensemble 34 millions représentant un capital nominal de 1 300 millions qu’il fallait nécessairement doter de l’amortissement qui leur manquait. La question était donc seulement de savoir si le supplément de 39 millions proposé était oui ou non trop considérable, et il ne l’était pas trop ; car, plus était élevé le gage offert par l’État à ses créanciers, plus ferme était aussi à son égard la confiance des capitalistes, plus rapide et plus puissant était le rachat, et plus grandissait ‘et se consolidait le crédit public. Sans doute, quelque favorable que fût la situation de la France vis-à-vis de l’étranger, des circonstances pouvaient survenir qui nécessiteraient un appel au crédit ; mais ce serait alors surtout qu’on aurait à se féliciter d’avoir fortifié la puissance de l’amortissement, et les conditions auxquelles pourraient être contractés les nouveaux emprunts seraient d’autant meilleures que son action aurait été plus efficace.

Ces raisons, vivement soutenues par MM. Odier et Jacques Lefebvre qui, l’un et l’autre, appartenaient à la haute banque de Paris, furent combattues par M. Mauguin. Autre chose dit ce membre, était de maintenir les cours par la fidélité aux engagerons, autre chose de forcer la hausse par des moyens artificiels. Une crise pouvait survenir et, dans le premier cas, la rente ne serait que modérément atteinte, tandis que, dans le second, la baisse serait désastreuse et le crédit de l’État gravement compromis ; et puis, était-ce une bonne opération pour le Trésor de racheter à des cours élevés les effets qu’il avait émis à bas prix ? Une somme avait été affectée par la loi à cette destination, et il ne fallait pas y toucher ; mais on devait se garder de l’accroître, et le placement le plus fructueux qu’on pût donner aux fonds libres était de les employer au dégrèvement d’impôts.

Les lois de 1816 et 1817, en constituant l’amortissement, lui avaient donné pour base le système d’accumulation des rentes rachetées, avec réserve cependant de la faculté pour le législateur de les annuler quand il le jugerait convenable. Peut-être le système des annulations annuelles serait-il préférable en permettant ainsi chaque année de constater les économies réalisées et d’en faire profiter immédiatement les contribuables. Mais là n’était pas la question qui ne fut même pas discutée, et d’autres raison motivèrent le vote de la Chambre.

Les neuf dixièmes de la rente se trouvaient, en effet, alors dans les bourses des habitans de Paris. Elle était donc peu connue dans les départemens, et l’amortissement, qu’on y voyait figurer pour un gros chiffre au budget, était généralement considéré comme un privilège accordé aux financiers de la capitale au préjudice des intérêts agricoles. Ce fut surtout sous l’empire de ce préjugé que vota la majorité de la Chambre et qu’elle adopta l’amendement Mosbourg.

Cet amendement, il est vrai, n’annulait pas les 39 millions de rentes rachetées. Il réservait seulement le droit de les rayer du grand-livre, et jusqu’à ce qu’une loi eût ordonné cette radiation, elles devaient, ainsi que par le passé, être affectées au rachat des rentes 5, 4 1/2 et 3 p. 100. Mais, avec les dispositions si peu favorables de la Chambre pour l’amortissement, l’annulation pouvait être très prochainement votée, et, en vue d’empêcher une mesure qu’il regardait comme destructive du crédit public, M. Bailliot proposa un paragraphe additionnel d’après lequel, pendant cinq années, les 39 millions ne pourraient être distraits de leur affectation actuelle. La France, fit-il observer, traversait une crise durant laquelle devaient être soigneusement écartées toutes mesures pouvant diminuer la confiance des rentiers, gens si faciles à s’alarmer, si prompts, à la moindre panique, à porter leurs titres sur le marché ; tandis que, dans cinq ans, l’ordre étant rétabli à l’intérieur et la paix assurée au dehors, il n’y aurait aucun danger à réduire la puissance de l’amortissement. Mais la proposition de M. Bailliot, appuyée par le rapporteur M. Humann, fut vivement combattue par M. de Mosbourg. Ce député représenta que, en l’adoptant, la Chambre détruirait la sage résolution prise sur sa demande ; qu’il n’y avait pas plus de raison de renoncer au droit d’annulation pour cinq ans que d’y renoncer pour toujours, et que c’était surtout au milieu des circonstances critiques invoquées par M. Bailliot qu’il importait de réserver la liberté complète de l’Etat, et de ne pas abdiquer la faculté de disposer, s’il en était jamais besoin, de ressources précieuses ; qu’il était des influences auxquelles la Chambre devait se soustraire ; que ces influences cherchaient à exercer sur elle leur pression, mais que la Chambre représentait la France entière et non pas cette fraction minime de Français qui spéculent à la bourse dans leur intérêt privé.

Par cette dernière phrase, M. de Mosbourg ne faisait que se rendre l’interprète des sentimens dont nous avons parlé plus haut, et il trouva un appui énergique dans M. Dupin qui, après avoir repris une partie de ses argumens et avoir fait appel à l’union et à la concorde des partis honnêtes comme au moyen le plus efficace de rétablir et de consolider le crédit, crut devoir éclaircir un point qui pouvait paraître obscur. Plusieurs orateurs, en effet, avaient raisonné dans la supposition qu’en cas d’appel au crédit ce seraient les rentes rachetées qui seraient de nouveau remises sur la place. M. Dupin établit que ces rentes étaient frappées de mort, que, sous peine de faux, elles ne pouvaient plus être l’objet d’aucune négociation, qu’il y avait là engagement formel pris par l’Etat envers ses créanciers, et que, si l’Etat se trouvait dans la nécessité de contracter un emprunt, alors, pour ne pas être obligé de recourir à une aggravation d’impôts, il devrait annuler les rentes rachetées et appliquer aux nouvelles le crédit qui leur était affecté. Après cette explication, et malgré l’avis favorable de M. Laffitte, l’amendement de M. Bailliot fut rejeté à une forte majorité.

Il fallut ensuite décider dans quelle proportion les 40 millions de la dotation, et jusqu’à leur annulation les 39 millions de rentes rachetées seraient affectés à l’amortissement de chaque nature de dette. Le gouvernement et la commission avaient proposé de faire le partage, eu égard au capital nominal des rentes restant à racheter sur chaque fonds le jour de la promulgation de la loi. MM. Mauguin et de Mosbourg demandèrent au contraire qu’il eût lieu proportionnellement à la somme des intérêts. Dans le premier cas, la part du 5 pour 100 devait être de 52 millions et celle du 3 de 27 millions. Dans le second, la part de ce dernier était réduite à 18 millions, celle du 5 portée à 60 millions, et à l’appui de leur système MM. Mauguin et de Mosbourg firent valoir que, en fait de dette fondée, le capital était chose fictive, qu’il n’y avait de réel que l’intérêt à payer, intérêt qui grevait seul le budget et les contribuables, que c’était lui qu’il fallait surtout viser à réduire et que la rente 5, étant celle dont l’intérêt était le plus onéreux, était aussi celle qu’il y aurait le plus de profit à amortir. Mais MM. Thiers et Humann répliquèrent qu’il fallait avant tout considérer le capital de la dette, parce que le capital en était la partie essentielle, tandis que les arrérages n’en étaient que l’accessoire. D’ailleurs, plus l’intérêt auquel une rente était constituée était bas, plus il y avait avantage à élever son amortissement, et on pouvait en voir chaque jour la preuve à la Bourse où, avec une somme égale, on rachetait en 3 un capital plus considérable qu’en 5. Ajoutons que les prix des diverses natures de rentes s’équilibrant à peu près sur la place, les intérêts éteints sont, à une légère différence près, les mêmes, et que dès lors l’avantage du système présenté par le gouvernement était incontestable. Tel fut également l’avis de la Chambre.

L’article 3, portant que la portion de dotation échue à chaque espèce de rentes leur appartiendrait défini fi veinent et serait spécialement consacrée à en opérer l’amortissement, fut adopté sans débat. Il en fut successivement de même de l’article 4, d’après lequel le fonds d’amortissement affecté à la rente 4 pour 100 constituée par la loi du 19 juin 1828, demeurerait séparé et spécial pour cette rente ; de l’article ; qui disposait qu’à l’avenir il serait pourvu par une seule et même dotation au service de l’amortissement et des intérêts de toute nouvelle dette contractée en rentes sur le grand-livre ; de l’article 6 qui réservait dans cette dotation 1 pour 100 pour l’amortissement ; de l’article 7 qui stipulait que le revenu des rentes rachetées par chaque fonds d’amortissement établi ou à établir serait employé en nouveaux rachats au profit du fonds qui les aurait acquises et que ces rentes pourraient être annulées, en tout ou en partie, en vertu d’une loi ; de l’article 8 prohibant le rachat des rentes au-dessus du pair, lequel se composait du prix de 100 francs augmenté des arrérages échus du semestre courant. Mais l’article 9, qui portait que le fonds d’amortissement, affecté à une espèce de rentes dont le prix vénal aurait dépassé le pair serait employé au rachat de celles constituées au taux immédiatement inférieur, donna lieu à diverses objections.

M. de Mosbourg fit observer que, si la totalité de la dotation du 5 était d’abord reportée sur le 4 1/2, puis sur le 4, ces deux fonds si peu importans arriveraient bientôt au pair, et qu’alors, toutes les ressources de l’amortissement se trouvant concentrées sur le 3, ce dernier s’élèverait à des cours factices ; qu’il serait racheté à des prix bien supérieurs à sa valeur réelle, et qu’il y avait là, pour le crédit et pour le Trésor, un danger auquel il importait d’obvier. En conséquence, ce député proposa de verser le fonds d’amortissement devenu disponible en compte courant au Trésor, ou de le placer, à titre de réserve, en bons royaux. Tout en approuvant les motifs qui avaient déterminé la proposition de M. de Mosbourg, M. Bailliot émit cependant l’avis que ce fonds ne devait pas rester inactif, et qu’il y avait moyen de lui conserver sa destination en l’employant chaque année à rembourser des rentes au pair par séries de 3 millions. Une pareille mesure ne pouvait, suivant lui, qu’être favorable aux autres natures de rentes ; car il n’était pas douteux que la plupart des porteurs du 5 pour 100, appelés à recevoir leur capital, le replaceraient en fonds publics et de préférence en 3 pour 100, à cause des chances plus grandes de hausse qu’offrait cette valeur. Mais, au premier de ces amendemens, MM. Humann et de Bernis reprochèrent de suspendre la libération de l’Etat et au second de compromettre par des remboursemens partiels la grande opération du remboursement et de la conversion de la dette, opération à laquelle il serait sage de procéder dès que la situation du crédit public le permettrait. L’article 9 fut adopté tel que l’avaient présenté le gouvernement et la commission.

Ici, sur la proposition de la commission et avec l’assentiment du ministre des finances, fut inséré sans la moindre opposition un article dont l’objet était d’abroger la disposition de la loi du 27 mars 1817, qui réservait sur les bois de l’Etat la quantité nécessaire pour former un revenu de 4 millions au profit des établissemens ecclésiastiques, réserve dont il n’avait pas été du reste fait usage. La totalité des bois de l’Etat se trouvait donc désormais affectée à l’amortissement de la dette, et M. Laffitte demanda que ce ne fût pas seulement de la dette consolidée, mais de toutes celles qui pouvaient grever le Trésor : la dette flottante, fit-il observer, constituait une partie importante des engagemens de l’Etat. Elle était pour lui une ressource précieuse qu’il avait grand intérêt à ménager, et en lui donnant aussi les forêts pour hypothèque, on faciliterait au ministre des finances les moyens de contracter à des conditions plus avantageuses les emprunts temporaires auxquels les nécessités du service l’obligeaient chaque jour de recourir. Il fut fait droit à la demande du ministre, et le projet de loi fut ensuite voté dans son ensemble par 220 voix contre 38. Porté quelques jours après à la Chambre des pairs, ce projet fut, de la part de la commission chargée de procéder à son examen, l’objet de modifications importantes. La commission admit parfaitement que le fonds actuel de l’amortissement fût réparti entre les diverses espèces de rentes et que la part attribuée à chacune d’elles fût exclusivement employée à son rachat, mais elle voulut que ce fût à titre d’aménagement et non pas de propriété, et en vertu d’un règlement établi par la loi qu’une autre loi pourrait modifier quand il y aurait lieu de le faire. Sans doute, dit M. Roy dans son rapport, l’Etat s’était engagé vis-à-vis de ses créanciers à racheter sa dette, mais il ne s’était pas engagé à effectuer ce rachat d’une façon plutôt que d’une autre. Sa liberté à cet égard était restée absolue, et il devait conserver la faculté de disposer au mieux qu’il le jugerait du fonds d’amortissement, soit pour le faire concourir partiellement ou dans sa totalité à l’échange d’une dette à haut intérêt contre une nouvelle à intérêt moindre, soit pour faire participer à son bénéfice les emprunts futurs, qui, bien que pourvus de leur dotation propre de 1 pour 100, seraient négociés à de moins bonnes conditions et n’apparaîtraient sur le marché qu’à des prix relativement inférieurs, s’ils ne jouissaient pas des mêmes avantages que les anciens.

Tout en écartant le principe de la spécialité absolue, la commission ne voulut pas admettre non plus que le fonds, devenu sans emploi par l’élévation au-dessus du pair de la rente à laquelle il était affecté, pût être reporté sur une autre. Les objections déjà soulevées à cet égard par M. de Mosbourg dans la Chambre des députés furent reproduites par M. Roy, qui fit observer en outre que non seulement dans ce cas, au point de vue du crédit public, la hausse factice du 3 n’amènerait aucune baisse sérieuse de l’intérêt des capitaux, mais qu’au point de vue de l’intérêt du Trésor, elle aurait aussi ce résultat singulier et onéreux qu’empêché d’acheter 5 francs de rentes 5 pour 100 à 101 francs, ce dernier pourrait être obligé de racheter la même somme en 3 pour 100 135 francs, 150 francs et même 160, si le prix de cette seconde rente s’élevait à 80, 90 et 95 francs. La commission émit donc l’avis que le fonds d’amortissement devenu disponible dans les conditions ci-dessus expliquées fût tenu en réserve jusqu’à ce que, la rente au service de laquelle il était affecté tombant au-dessous du pair, les rachats pussent être repris. Elle crut devoir également comprendre le 4 pour 100 dans la répartition des 79 millions d’amortissement, et à ce sujet M. Roy rappela que, dans l’esprit de la loi du 19 juin 1828 présentée par lui alors qu’il était ministre des finances, le fonds de dotation créé pour le service de cette nouvelle nature de rente devait s’ajouter au budget général d’amortissement ; et cela était si vrai que pendant la discussion de cette loi, l’affectation spéciale et exclusive ayant été proposée par amendement, l’amendement avait été rejeté. La modification proposée par la commission au projet actuel n’était dès lors que l’exécution de la loi de 1828. Le surplus du projet ne donna lieu île la part de la commission à aucune observation. Mais les trois changemens qu’elle y avait introduits en altéraient essentiellement le caractère, et au début de la discussion dans la Chambre des pairs, M. Laffitte crut devoir déclarer que, la Chambre des députés ayant adopté le principe de la spécialité après des débats approfondis, il ne pensait pas qu’elle consentît à revenir sur sa première décision. L’autorité et l’influence de M. Roy étaient grandes parmi ses collègues. Il insista sur les conclusions de son rapport, avec cette concession toutefois que le fonds d’amortissement devenu disponible, au lieu d’être mis en réserve, pût être chaque année, en vertu d’une loi, employé en travaux extraordinaires, et le travail de la commission ainsi modifié passa presque sans débats à la majorité de 80 voix contre 24.

Ni M. Laffitte, ni M. Louis, qui quelques jours après le remplaça au ministère des finances, ne représentèrent ce projet de loi à la Chambre des députés.

Le 11 février, M. Laffitte avait déposé sur le bureau de la Chambre des députés le projet de budget de l’exercice 1831, divisé en budget ordinaire et budget extraordinaire. L’exposé des motifs commençait par établir qu’il y avait de sérieuses économies à réaliser, mais qu’il importait de distinguer entre les dépenses résultant d’abus politiques et celles qui provenaient d’abus administratifs. Il fallait immédiatement faire disparaître les premières, et à cet effet réduire le chiffre exagéré de la liste civile, diminuer les états-majors trop nombreux, supprimer les corps militaires privilégiés et licencier les troupes étrangères. Quant aux dépenses administratives, on devait procéder à leur égard avec circonspection et prudence, sous peine de compromettre le bon fonctionnement des services. En effet, l’administration telle qu’elle était constituée, œuvre de la Révolution et de l’Empire, comptait quarante années d’existence : au milieu des divers régimes qui s’étaient succédé, elle n’avait cessé de s’améliorer et de se simplifier ; elle avait toujours été la première à indiquer les réformes dont elle était susceptible et les avait elle-même opérées. Quelques réductions dans les traitemens supérieurs, quelques suppressions d’emplois étaient donc, quant à présent, les seules possibles, et l’ensemble des économies proposées était évalué à la somme de 43 741 766 francs. Mais 24 millions de dépenses nouvelles avaient dû être inscrits au budget, soit 12 millions pour accroissement des intérêts de la dette, et pareille somme pour des services jugés alors trop négligés, parmi lesquels l’instruction publique. Or le budget de 1830 ayant été voté, en dépenses, au chiffre de… 976 575 379 et le budget proposé les évaluant au chiffre de… 957 377 335 les prévisions de ce dernier se trouvaient inférieures de … 19 198 044 à celles du budget de 1830.

En ce qui concernait les recettes ordinaires, elles étaient présumées devoir s’élever à la somme de 973 101 894 francs et présentaient ainsi sur les dépenses un excédent de 15 724 559 francs. Aussi le ministre croyait-il pouvoir faire observer qu’après une révolution qui avait changé le trône et les institutions, l’Etat ayant à sa disposition un fonds d’amortissement de 81 millions et un excédent de ressources de 15 millions, soit un total de 96 millions, la situation, satisfaisante pour le présent, n’était pas moins rassurante pour l’avenir.

Toutefois, ajoutait l’exposé des motifs, à raison des circonstances que traversait la France et des complications intérieures qui pouvaient en résulter, le gouvernement avait cru devoir proposer aux Chambres la création d’un budget extraordinaire. En effet, quelque profond et sincère que fût dans le pays le désir de la paix, parce que la paix était compatible avec la grandeur et la dignité nationales, néanmoins des préparatifs avaient dû être faits en vue de repousser les attaques dont pourrait être l’objet le régime nouvellement établi. Des ressources évaluées à 196 467 000 francs pour le ministère de la guerre, à 10 800 000 fr. pour le ministère de la marine et à 500 000 francs pour celui des affaires étrangères étaient demandées pour y pourvoir ; 12 millions étaient également réclamés par le ministre de l’intérieur pour travaux extraordinaires, ateliers de charité, indemnités, secours, récompenses aux combattans de Juillet, soit un ensemble de dépenses de 219 773 700 francs, au paiement desquelles devaient être affectés les 3 millions de rentes restés disponibles sur le fonds d’indemnité des émigrés et un crédit facultatif de 200 millions reposant sur des aliénations de bois.

Suivait un projet de loi qui autorisait, pour les services ordinaire et extraordinaire de 1831 : 1° la création et émission, jusqu’à concurrence d’une somme de 200 millions, d’obligations du Trésor portant intérêt et remboursables à des échéances fixes ; 2° l’aliénation de 300 000 hectares de bois de l’État dont le produit serait spécialement affecté au remboursement desdites obligations et subsidiairement à la diminution de la dette flottante.

Une émission d’obligations remboursables en cinq années, disait l’exposé des motifs, avait paru préférable à une négociation en rentes perpétuelles, parce que cette dernière opération, devant nécessairement entraîner une dépression des cours déjà très bas (92), n’aurait pu se faire qu’à des conditions onéreuses pour l’État, au double point de vue des intérêts et du capital. Des obligations au contraire, ayant pour gage des valeurs aussi sûres et aussi appréciées que celles des bois, trouveraient des preneurs à un taux d’intérêt satisfaisant pour le Trésor et sans qu’il y eût risque de perte sur le capital. Quant à l’aliénation des forêts, cette mesure ne pouvait être qu’avantageuse pour l’État dont les bois, d’une administration très onéreuse, ne rapportaient guère plus de 2 1/2 pour 100 et devraient, dès qu’ils seraient propriétés particulières, devenir pour lui une source de profits par les transactions dont ils seraient désormais l’objet.

La commission à laquelle fut renvoyé l’examen du projet de loi s’occupa d’abord du budget extraordinaire qui en était la partie la plus urgente, et ses résolutions à ce sujet furent développées dans un rapport soumis à la Chambre le 1er mars par M. Odier. La commission, était-il dit dans ce document, n’avait pu qu’adhérer aux considérations d’ordre politique qui avaient déterminé les propositions du gouvernement, et elle avait pensé également que le système qui consistait dans une émission d’obligations à échéance de cinq années était préférable, soit à une aggravation d’impôts, soit à une création de rentes perpétuelles ; mais dans son sein l’accord n’avait pas été complet sur la question de savoir s’il convenait de gager le remboursement de ces obligations sur le produit d’une vente des bois de l’État. L’État était propriétaire de 1 134 000 hectares de forêts affectées intégralement comme dotation par l’article 143 de la loi de finances du 25 mars 1817 à la caisse d’amortissement, sauf la portion nécessaire pour former un revenu net de 4 millions destinés à venir en aide à des établissemens ecclésiastiques. C’était cette portion seule qui pouvait être aliénée, et la minorité de la commission n’aurait pas voulu priver l’État de cette ressource d’autant plus précieuse qu’elle était plus restreinte. Mais la majorité avait été d’avis d’accorder au gouvernement l’autorisation qu’il demandait, en stipulant toutefois, pour éviter toute confusion dans les comptes du Trésor, que la caisse d’amortissement serait chargée de toucher le prix de la vente des bois et de rembourser les obligations au fur et à mesure de leur échéance. De plus et à la dernière heure, sur le désir exprimé par le ministre des finances et pour lui donner la facilité de se procurer au meilleur compte possible les ressources demandées, la commission avait consenti à introduire dans le projet de loi un article additionnel portant qu’il lui serait loisible de recourir, pour tout ou partie des 200 millions, à un emprunt en rentes perpétuelles au cas où l’aliénation des bois, aussi bien que l’émission des obligations, ne pourrait s’effectuer qu’à des conditions plus défavorables.

Dans la discussion générale qui s’ouvrit le 9 mars, le projet fut vivement attaqué aux divers points de vue forestier, financier et politique, par MM. Estancelin, de Mosbourg et Berryer. Suivant M. Estancelin, l’aliénation des bois serait une mesure déplorable ; ces bois produisaient largement 3 pour 100, tous frais d’administration déduits, et il était à craindre que, au lieu de tomber entre les mains d’acquéreurs sérieux qui les géreraient en bons pères de famille, ils ne devinssent la proie de spéculateurs qui, profitant des embarras du Trésor et de l’absence de confiance pour les acheter à vil prix, n’hésiteraient pas à les saccager s’ils y trouvaient le moindre avantage. M. de Mosbourg, financier des plus éclairés, tout en déclarant qu’il voterait le projet tel qu’il avait été présenté, aurait préféré cependant que dès le principe on eût eu franchement recours à une émission de rentes au rachat desquelles eût été également affecté le prix des forêts qui, aliénées dans ce cas par faibles lots et suivant que les besoins le réclameraient, l’auraient été dans de bien meilleures conditions. Il ne fallait pas se dissimuler que les hésitations du gouvernement n’avaient pas peu contribué à la baisse de la rente, tombée en quelques semaines de 93 à 88 ; en effet, lorsque le public avait vu le gouvernement se défier de lui-même, il s’était mis aussi en défiance.

Quant à M. Berryer, attaquant la marche du gouvernement qui s’était montré impuissant aussi bien au dedans qu’au dehors, il ne pouvait admettre que la Chambre consentît à recourir à un expédient aussi funeste que celui d’aliéner une partie de la fortune immobilière de l’État pour solder les besoins du jour. Une fois la porte ouverte, qui pourrait dire quand elle serait fermée ?

La majeure partie des 200 millions demandés devant être employée aux arméniens et approvisionnemens militaires, le général de Caux, l’excellent ministre de la guerre du cabinet Martignac, crut devoir donner un état de ce qui se trouvait dans les magasins et arsenaux quand il était sorti du ministère en 1829 et justifier l’administration dont il avait été le chef. Le maréchal Soult s’empressa de rendre pleine justice à son prédécesseur. Tous les états donnés par ce dernier, dit-il, étaient exacts et les approvisionnemens en magasin en 1829 suffisaient parfaitement alors. Mais la situation n’était plus la même. L’armée avait dû être augmentée, la garde nationale avait été créée et par suite des achats considérables d’armes avaient dû être effectués ; de plus les places d’armer frontières précédemment à l’état d’entretien avaient été mises à l’état de défense, et les crédits demandés étaient rigoureusement nécessaires pour payer toutes ces dépenses.

Prenant ensuite la parole, le sous-secrétaire d’Etat des finances, M. Thiers, fit observer qu’aucun des précédens orateurs n’avait contesté la nécessité des 200 millions demandés. Ils différaient d’avis seulement sur les moyens de se procurer cette somme. Quelques-uns blâmaient l’aliénation des bois ; mais l’État, au contraire, agissait comme un bon père de famille en se déchargeant d’immeubles qui ne lui rapportaient pas 2 pour 100 et en évitant ainsi de contracter un emprunt qu’il ne pourrait négocier à moins de 6 pour 100. Il y avait d’ailleurs tout lieu de penser que les capitaux oisifs qui hésitaient actuellement à aller à la rente, à raison du peu de confiance que leur inspirait la situation, seraient attirés par un placement immobilier aussi sûr qu’avantageux et que les ventes s’effectueraient ainsi à des prix meilleurs qu’on ne l’espérait. En ce qui concernait les obligations reposant sur un gage aussi sûr que les bois dont le prix leur était affecté, elles seraient recherchées sans nul doute par les capitalistes qui avant tout tenaient à la certitude d’un remboursement intégral à une époque déterminée. Ces obligations seraient donc émises à des conditions bien meilleures que la rente qui, dans les circonstances actuelles, ne pourrait être négociée qu’avec 20 pour 100 de perte ; et cependant le gouvernement n’avait pas voulu se priver de la faculté de recourir à ce dernier moyen, s’il trouvait avantage à le faire. D’accord avec lui, la commission avait introduit dans le projet de loi une disposition qui lui donnait cette autorisation.

Après le discours de M. Thiers, la Chambre adopta l’article 1er qui accordait au ministre des finances la faculté de créer et émettre jusqu’à concurrence de 200 millions des obligations du Trésor portant intérêt, payables par trimestres et remboursables à des échéances qui ne pourraient dépasser cinq années.

L’article 2 disposait que le même ministre était également autorisé à aliéner successivement, à partir de 1831, en se conformant aux règles établies pour la vente des propriétés publiques, des bois de l’Etat jusqu’à concurrence de 4 millions de revenu et que le produit de cette aliénation serait spécialement affecté au remboursement des effets émis en vertu de l’article 1er et subsidiairement à la diminution de la dette flottante. Nous avons vu que la commission, pour rester dans les termes et les conditions de la loi de 1817, avait préféré cette rédaction, qui avait d’ailleurs l’avantage de laisser au ministre toute latitude dans le choix des lots à aliéner et d’y comprendre, s’il le jugeait à propos, les parties les plus mauvaises ou les moins bien situées. Quand on est embarrassé, fit observer dans son langage pittoresque le baron Louis, on ne peut mieux faire que de se débarrasser de choses onéreuses. Or l’État possédait des bois qui lui coûtaient beaucoup et ne lui rapportaient rien ; de plus, ces bois, devenus propriété particulière, pourraient produire 5 ou 6 francs d’impôts par hectare ; même en les donnant gratis, l’Etat s’enrichirait encore : il n’y avait donc pas à hésiter, il fallait s’en défaire. Tel fut aussi l’avis de la Chambre qui vota l’article 2 modifié par la commission.

Mais le projet de loi sur l’amortissement, dans lequel avait été introduit un article portant désaffectation de la quantité de bois nécessaire pour produire un revenu net de 4 millions destinés à la dotation des établissemens ecclésiastiques ayant, ainsi que nous l’avons dit précédemment, subi à la Chambre des pairs des modifications importantes qui ne permettaient pas de prévoir l’époque de son adoption définitive, il devenait nécessaire de reproduire cette disposition dans le projet en discussion, et elle y fut introduite comme article 3 sur la proposition de M. Bailliot.

La Chambre vota ensuite successivement un amendement de M. Martin du Nord, à l’effet de prescrire l’indication dans les cahiers des charges des portions de bois qui pourraient être défrichées, puis l’article 5 portant, qu’au fur et à mesure de la rentrée du prix des bois, ce prix serait versé à la caisse des dépôts et consignations pour être employé par elle au remboursement des obligations à leur échéance. Ici parut une nouvelle disposition proposée par le gouvernement, aux termes de laquelle, dans le cas où la négociation des obligations ne pourrait avoir lieu à des conditions favorables pour le Trésor et pour les sommes nécessaires à ses besoins, le ministre des finances était autorisé à traiter de l’aliénation des bois avec une ou plusieurs compagnies et à les leur céder, en tout ou partie, sous la condition d’en avancer la valeur à des époques correspondantes aux besoins du Trésor. Cette disposition fut vivement soutenue par le ministre des finances, M. Laffitte, qui fit observer que sans nul doute il serait préférable de tout aliéner à des particuliers, mais qu’on risquerait alors de ne pas réaliser aussi rapidement les ressources dont on avait besoin. Des propositions des plus sérieuses avaient été faites au gouvernement, et ces propositions, soumises d’ailleurs aux formalités de la publicité et de la concurrence, pouvaient être utilement acceptées par lui, tout en laissant une part suffisamment large pour les particuliers. D’ailleurs, ajouta l’orateur, en faisant allusion à sa sortie prochaine du ministère, ce n’était pas lui probablement (qui disposerait des ressources qu’il demandait, et il avait la conscience de n’agir qu’en vue des meilleurs intérêts du Trésor.

M. Louis insista dans le sens des observations présentées par M. Laffitte, et la disposition fut adoptée. Vint en dernier lieu l’article qui autorisait le ministre des finances à faire inscrire au grand-livre de la dette publique el à négocier avec publicité et concurrence, sans que le montant des ressources à créer pût jamais dépasser 200 millions, le chiffre de rentes nécessaire pour réaliser en tout ou partie cette somme, et à suppléer ainsi soit à la vente de tout ou partie des bois de l’État, soit aux obligations qui n’auraient pas été émises, selon ce qui serait jugé le plus convenable aux intérêts du Trésor et aux facilités du service. Cet article, qui répondait aux désirs d’un grand nombre de membres de la Chambre, fut adopté sans discussion, et après quelques paroles de M. Laffitte, qui affirma que le Trésor était loin d’être aux abois, ainsi qu’on affectait de le dire, que les impôts rentraient d’une façon satisfaisante, que tous les services du Trésor ainsi que celui de la rente étaient parfaitement assurés, mais qu’à des dépenses extraordinaires il fallait pourvoir par des moyens extraordinaires, l’ensemble du projet de loi fut voté par 192 voix contre 53.

Porté, quelques jours après, à la Chambre des pairs par le nouveau ministre des finances, le baron Louis, il y fut l’objet d’un rapport favorable rédigé par le comte Roy, à part toutefois l’article qui donnait au ministre la faculté de traiter avec des compagnies pour l’aliénation de tout ou partie des bois. Sans doute, faisait observer l’éminent rapporteur, le projet de loi présentait, d’autres inconvéniens sur lesquels la commission, à raison des circonstances, n’avait pas cru devoir insister, mais elle n’avait pu accepter une disposition non seulement destructive des garanties dont il n’était pas permis de faire l’abandon quand il s’agissait de si grands intérêts pour l’Etat, mais qui, en consentant l’aliénation au profit d’une ou de plusieurs compagnies, aurait le grave inconvénient d’établir la concurrence des vendeurs et non celle des acheteurs. La commission proposait également de substituer la caisse des dépôts et consignations à celle d’amortissement pour les recettes et paiemens.

Dès le début de la discussion qui eut lieu dans la Chambre des pairs, le 22 mars, le nouveau président du conseil, M. Casimir Perier, ayant pris la parole pour faire un exposé de la politique du cabinet dont il était le chef, déclara que, bien que l’article supprimé par la commission eût été conçu dans un esprit de sage prévoyance et présentât des avantages sérieux au point de vue des intérêts de l’Etat, néanmoins le gouvernement, pour ne pas retarder l’adoption d’une loi dont le vote prochain était indispensable, s’en rapporterait à la sagesse de la Chambre des pairs et accepterait ce qu’elle déciderait. Après cette déclaration le projet de loi fut adopté avec les modifications proposées par la commission et reporté à la Chambre des députés, qui l’accepta aussitôt.

Quant au projet de budget ordinaire pour l’exercice 1831, il ne fut même pas l’objet d’un rapport. En effet, dans le courant du mois de février, la Chambre des députés ayant abordé la discussion de son régime électoral en vue de le mettre en rapport avec les prescriptions de la charte de 1830, et ce nouveau régime devant être consacré par les deux Chambres à bref délai, il était à présumer que, aussitôt après son adoption, la Chambre actuelle, élue sous d’autres conditions et n’ayant plus par cela même l’autorité nécessaire pour délibérer, serait dissoute. Une discussion prochaine du budget n’était donc plus possible, et, pour assurer la marche des services jusqu’à l’époque où la nouvelle Chambre pourrait utilement s’occuper de ce budget, M. Laffitte était venu à la fin du mois de février demander le vote de quatre nouveaux douzièmes d’impôts et de 300 millions de crédits. « La demande que nous vous soumettons, disait-il, dans son exposé des motifs, est la conséquence du projet de dissolution qui est devenu le vœu de tous les pouvoirs constitutionnels. »

Cette phrase, tant soit peu déplacée dans la bouche du président du conseil, fut vivement relevée par M. Benjamin Delessert, dans le rapport qu’il présenta au nom de la commission chargée d’examiner la demande du gouvernement. Cette commission, dit-il, n’avait pas eu à rechercher s’il était vrai que tous les pouvoirs constitutionnels eussent exprimé le vœu d’une dissolution. L’autorité royale avait à cet égard un droit souverain et à elle seule il appartenait d’apprécier l’usage qu’elle devait en faire.

Mais, puisqu’une dissolution était imminente, il importait que la nouvelle Chambre fût élue et réunie le plus tôt possible, et le rapporteur, au nom de la commission, ajoutait que dès lors il suffisait d’assurer les services jusqu’à la fin de juillet, et d’accorder à cet effet trois nouveaux douzièmes et 200 millions de crédits.

M. Laffitte n’était plus ministre depuis trois jours, lorsque la Chambre fut appelée à en délibérer


A. CALMON.


  1. Ce chapitre est extrait d’un ouvrage posthume de notre éminent et ancien collaborateur, M. A. Calmon, sur l’Histoire des finances de la monarchie de Juillet. L’ouvrage paraîtra prochainement chez l’éditeur Calmann Lévy.
  2. Ce chapitre est extrait d’un ouvrage posthume de notre éminent et ancien collaborateur, M. A. Calmon, sur l’Histoire des finances de la monarchie de Juillet. L’ouvrage paraîtra prochainement chez l’éditeur Calmann Lévy.
  3. 1830.