Les Stromates/Livre quatrième/Chapitre XIX
L’homme et la femme sont admis également à cette perfection. Moïse, après avoir entendu ces paroles sortir de la bouche de Dieu : « Je te l’ai dit et je te le répète ; je vois que ce peuple est indocile ; laisse-moi l’exterminer, j’effacerai son nom de dessous le ciel, et je t’établirai sur un autre peuple, qui sera plus grand et plus admirable que celui-ci ; » Moïse, consultant moins son intérêt privé que le salut commun, répond avec d’instantes prières : « N’en faites rien, Seigneur ; pardonnez à ce peuple sa prévarication, ou effacez mon nom du livre des vivants. » Admirable perfection dans cet homme, qui préférait mourir avec son peuple, plutôt que d’être sauvé tout seul ! Mais le dévouement de Moïse ne lui appartient pas à l’exclusion d’un autre sexe. Judith aussi, qui fut parfaite entre les femmes, voyant Béthulie assiégée, se recommande aux prières des vieillards, pénètre dans le camp des étrangers, brave tous les périls pour délivrer sa patrie, et, dans l’énergie de sa confiance en Dieu, se livre aux mains de l’ennemi. Bientôt sa foi recevra sa récompense. Femme pleine de courage contre l’ennemi de Dieu, elle tranche la tête d’Holopherne. Voyez Esther, cette autre femme consommée dans la foi. N’arrache-t-elle pas Israël au pouvoir d’un despote et à la cruauté d’un satrape ? Faible, isolée, n’ayant pour armes que ses jeûnes et ses pleurs, elle résiste à des milliers de mains chargées de fer, et fait révoquer par sa foi un décret tyrannique. Ce n’est pas tout ; elle fléchit Assuérus, elle châtie Aman, et sauve Israël par la ferveur de la prière qu’elle adresse au Seigneur. Parlerai-je de Suzanne et de la sœur de Moïse ? l’une partageant le commandement de l’armée avec le prophète, et la première entre toutes les femmes qui étaient renommées chez les Hébreux par leur sagesse ; l’autre, bravant le supplice pour rester fidèle à sa virginale pureté, et, condamnée par des vieillards impudiques, marchant d’un pas intrépide à la mort, héroïque martyre de la chasteté.
Suivant Dion le philosophe, une femme du nom de Lysidica était si pudique, qu’elle se baignait toujours avec sa tunique de dessous. Une autre, appelée Philotéra, lorsqu’elle entrait dans le bain, ôtait par degrés sa tunique à mesure que l’eau couvrait les parties nues de son corps, et après le bain, se relevant par dégrés, se couvrait de même. La fameuse athénienne Lééna ne supporta-t-elle point la torture avec un courage viril ? Initiée dans le secret d’un complot que tramaient contre Hipparque Armodius et Aristogiton, cette femme n’en révéla pas le moindre détail, quoiqu’on employât contre elle la plus horrible question. Mais voici que les femmes d’Argos, sous la conduite de Télésilla, général et poëte à la fois, mettent en fuite, sans autre secours que leur présence, les Spartiates, si expérimentés dans la guerre ; tant cette femme avait su inspirer à ses compagnes le mépris de la mort ! L’auteur du poëme intitulé la Danaïde raconte la même chose des filles de Danaüs :
« Et aussitôt les filles de Danaüs s’armèrent à la hâte sur les rives du Nil, le fleuve au cours majestueux, etc.
Les autres poëtes célèbrent la rapidité d’Atalante à la chasse, l’amour maternel d’Anticlée, la tendresse conjugale d’Alceste, le courage de Macaria et des Hyacinthides. Mais quoi ? La pythagoricienne Théano ne s’éleva-t-elle pas assez haut dans la philosophie pour faire cette réponse à un de ses admirateurs ? « Le beau bras, s’écria cet homme, après l’avoir considérée d’un œil curieux ! » « Oui, reprit-elle, mais il n’appartient pas à tout le monde. » On rapporte encore de cette même Théano une parole pleine de gravité. On lui demandait après combien de jours une femme qui avait dormi avec un homme pouvait assister aux fêtes de Cérès : « Si cet homme est son époux, à l’instant même ; s’il ne l’est pas, jamais. » Thémisto de Lampsaque, fille de Zoïle, et femme de Léonte de Lampsaque, se livrait à la philosophie d’Épicure, comme Mya, fille de Théano, à la philosophie de Pythagore, comme Arignote, qui à écrit la vie de Denys. Les filles de Diodore, surnommé Saturne, excellèrent toutes dans la dialectique, ainsi que l’atteste Philon le dialecticien, dans son Ménexène. Voici leurs noms qu’il nous a transmis : Ménexène, Argia, Théognis, Artémise, Pantaclée. Je me souviens d’une certaine Hipparchia, la Maronite, épouse de Cratès, membre de la secte des Cyniques, et en l’honneur de laquelle les Cynogamies furent célébrées dans le Pécile. La fille d’Aristippe, Arété, la Cyrénaîque, enseigna la philosophie à Aristippe, qui reçut de cette circonstance le surnom de Métrodidacte (instruit par sa mère.) Platon eut aussi pour disciples l’arcadienne Lasthénie et Axiothée de Phliase. Aspasie de Milet, dont les Comiques ont fait si grand bruit, ne fut pas inutile à Socrate pour la philosophie, ni à Périclès pour la rhétorique. Je passe les autres sous silence, de peur d’être trop long ; je ne compte pas les femmes poëtes, Corinne, Télésilla, Mya et Sapho ; ni les femmes peintres, Irène, fille de Cratinus, et Anaxandra, fille de Néalque, comme on le voit dans les Banquets de Didyme. La fille du sage Cléobule, roi des Indiens, ne rougissait pas de laver les pieds des hôtes que recevait son père. C’est ainsi que la femme d’Abraham, la bienheureuse Sara, prépara elle-même pour les anges des pains cuits sous la cendre ; ainsi encore, chez les Hébreux, les jeunes filles du sang royal faisaient paître les brebis. La Nausicaa d’Homère va laver elle-même à la fontaine.
Une femme pudique doit donc commencer d’abord par déterminer son mari, s’il est possible, à marcher conjointement avec elle dans la route qui conduit à la béatitude. Ne peut-elle y réussir ? qu’elle marche seule à la vertu, obéissant à son mari en toutes choses, ne faisant rien contre sa volonté, excepté dans ce qui touche à la vertu et au salut. Un homme qui chasserait de sa maison une épouse ou une servante, parce qu’elles suivent avec une sincérité non équivoque les préceptes divins, n’aurait d’autre but que d’éconduire la justice et la tempérance, pour appeler dans sa demeure l’injustice et l’intempérance. Homme ou femme, il est impossible d’être versé dans quelque science que ce soit, à moins d’avoir auparavant étudié, médité, pratiqué ; mais la vertu, nous le déclarons, ne dépend que de notre volonté. La violence et l’oppression peuvent bien nous arracher nos autres richesses ; le bien qui est en nous-mêmes, jamais, employassent-elles pour nous le ravir la plus infatigable persistance. La vertu ! Elle est un don d’en haut ; nul autre que Dieu n’a pouvoir sur elle. Voilà pourquoi le vice de l’intempérance ne peut être attribué qu’à l’intempérant, et la tempérance ne peut être regardée que comme un bien propre à l’homme qui sait commander à ses désirs.