Les Stations de l’amour/11

L’Île des Pingouins (p. 110-115).

XI

Calcutta, 11 février 18…

Décidément, ma chérie. Mademoiselle Thérèse est une aimable personne, et je commence à l’apprécier. Je dois ajouter qu’il m’est difficile, étant si loin, de juger si tu as bien fait en te laissant aller avec tant d’abandon au penchant qui t’a entraînée vers elle. Mais je ne puis t’en blâmer : je sais trop bien que, malgré tous les raisonnements du monde on n’est parfois pas maître de résister, et qu’un simple caprice vous emporte souvent au-delà de toute prévision.

Ainsi, le jour où, dans le jardin du lieutenant-gouverneur, j’ai mis un baiser sur l’épaule de Dora, je risquais de me faire jeter dehors comme un malappris. Souvent je me demande ce qui m’a pris vraiment : j’ai ressenti tout simplement un désir immodéré de mettre mes lèvres sur cette chair jeune et appétissante, c’était bien imprudent, et l’aventure aurait pu avoir des suites désagréables…

Sais-tu que notre petite sœur est une gamine délurée ? L’eau m’en vient à la bouche… Il faudra la retirer de cette singulière pension, mais je pense qu’il ne faudra pas la manier à la légère, à moins de trouver pour elle un mari… comme moi, et je crains qu’il n’y en ait pas beaucoup !… Ce que tu m’as raconté de ses débuts ne m’a pas surpris outre mesure. Te souviens-tu que la veille de mon départ, elle est venu nous dire bonsoir dans notre chambre. Elle s’est assise un instant sur mes genoux pour m’embrasser ; tout en batifolant avec elle, je la complimentai sur ses petits nichons que je sentais sous sa camisole de nuit. Je voulus alors qu’elle me les montrât pour les comparer aux tiens, mais tu t’es récriée en disant que cela n’était pas convenable, et tu l’as renvoyée assez brusquement.

J’avais alors vu briller une flamme dans ses yeux et son petit cœur battait plus vite, pendant que sa main tremblait dans la mienne. Ce ne fut qu’un éclair, mais tous ces détails me sont revenus à l’esprit en lisant ta dernière lettre. J’espère qu’à mon retour tu ne t’effaroucheras plus des « timides » caresses que je pourrai lui faire. Il est bien entendu que nous ne dépasserons pas certaines bornes, C’est égal, je suis sûr que ce soir-là, lorsqu’elle a été couchée, elle ne s’est pas endormie sans avoir exercé sur elle-même les petits talents que tu lui reconnais…

Mon usine s’élève rapidement ; les machines, arrivées d’Europe, vont être installées, et maintenant j’ai la certitude de pouvoir l’inaugurer à la fin du mois, quinze jours avant la date fixée par mon contrat. J’avais l’intention, avant de rentrer en France, d’aller passer deux ou trois jours à Darjeeling, résidence d’été du lieutenant-gouverneur et des principaux fonctionnaires du Bengale.

Mais, il y a deux jours, le Gouvernement anglais m’a fait faire des propositions par sir D. Simpson, le père de Dora, et m’a offert d’entreprendre, pendant mon séjour à Darjeeling, les études préparatoires d’un tronçon de chemin de fer d’un nouveau système, que j’avais dit à sir Duncan avoir vu fonctionner dans les Andes. J’ai accepté avec empressement : 25.000 francs de plus ne sont pas à dédaigner : ce nouveau travail me prendra un mois environ : au lieu de partir par le paquebot du 16 mars, je ne prendrai que celui du 30. Tu ne m’en voudras pas de ce retard ?

Tu sais quelle impatience me dévore d’être de nouveau dans tes bras et (pourquoi ne te l’avouerais-je pas) dans ceux de cette Thérèse, dont tu me fais à chaque lettre un si séduisant portrait… Vous devinez sans doute, toutes deux, combien j’ai hâte de contempler les délicieux appas de la Line et de me mêler à vos ébats. Rien que d’y penser, je… Mais non… Flora doit venir me trouver ce soir seule, Dora et Maud étant empêchées.

Mes petites amies commencent déjà à envisager avec chagrin l’heure de la séparation. Dora, qui brûle d’envie de te connaître, parle vaguement d’un prochain retour en Europe, et se propose de faire venir le plus tôt possible, auprès d’elle son indispensable Flora. Celle-ci, dans quelques jours, ira retrouver une de ses parentes à Simla. Il ne me restera donc que Maud, laquelle doit aller avec sa mère s’installer à Darjeeling, où je les retrouverai, si même nous ne faisons pas route ensemble.

Madame Clemenson est devenue très aimable avec moi et je compte bien avoir raison de son apparente pruderie. Dora m’affirme avoir fait sa petite enquête à ce point de vue, et elle est convaincue que l’on ne me fera pas trop languir « si je sais m’y prendre ». Le tout est de savoir s’il faudra en parler à Maud.

Il est question aussi de l’arrivée à Darjeeling de la tante Kate, la même qui a si bien fait l’éducation de Maud ; elle viendrait seule passer l’été dans les montagnes, auprès de sa sœur ; Maud se fait forte de la mettre dans mes bras. Flora prétend, au contraire, que depuis son mariage elle est devenue très prude ; l’isolement, la campagne, le tempérament surtout, lui feront peut-être prendre des distractions avec sa sœur ou avec sa nièce, mais elle ne consentira jamais à une liaison masculine qui serait un accroc à la fidélité conjugale.

Cette question de la tante Kate et de ses goûts que le mariage a peut-être modifiés, fait l’objet d’interminables discussions entre Maud et Flora.

En attendant, nous tenons « séance » deux fois par semaine. Je me rends également le samedi au tennis de Dora, et nous allons faire un tour du côté de la serre où nous nous bornons à de menues caresses. Assez fréquemment je fais une promenade à cheval de six à sept heures du matin, avec Dora et Flora, que je rencontre « comme par hasard ». Le soir nous nous retrouvons au Maiden, car je ne passe plus que deux heures par jour à mon usine, juste le temps de vérifier le travail et de donner des ordres.

Dora a commencé mon portrait. En outre, elle fait à chacune de nos séances, comme intermède à nos plaisirs, un tas de petits croquis suggestifs : nous inventons des positions bizarres qu’elle enlève avec une maëstria étonnante, et dont elle fait des dessins pleins de vie (sans jeu de mots).

Elle m’a promis de me donner son album comme souvenir. Parfois confiant le crayon à Maud, qui dessine presque aussi bien, elle vient compléter le groupe, ce qui donne à l’artiste des distractions qui se traduisent en faux traits et en mouvements impossibles. Dora se fâche alors, et Maud envoie promener album et crayons, mais avec tant de gentillesse que son sévère professeur ne peut tenir longtemps contre ses caresses et rectifie patiemment les fautes de l’écolière.

Cette petite a des idées d’une incroyable drôlerie. Avant-hier, nous étions tous réunis chez moi. Il y avait même la petite Amalla qui porte la boîte de couleurs de Dora, et avec laquelle nous ne nous gênons plus.

Étendus sur la chaise longue, Flora et moi, nous nous reposions après une « séance » et sirotions un verre de limonade ; Maud grignotait des fruits ; Amalla jouait dans un coin : Dora avait simplement un peignoir ouvert. Nonchalamment étendue sur une chaise basse, elle avait, pour dégager son front, rejeté sa longue chevelure dorée entièrement défaite par-dessus le dossier de la chaise, de sorte que l’extrémité en touchait le sol : elle fumait une cigarette, les yeux à demi fermés.

Tout à coup nous voyons Maud s’approcher de Dora par derrière, prendre et soulever ses cheveux dénoués, les étaler et les manier un instant, sans que notre belle amie, qui avait en face d’elle l’armoire à glace, parût s’en apercevoir ; puis, se mettant soudain à cheval sur cette chevelure, l’extrémité dans la main gauche, tout simplement… se branler sur la toison d’or.

Nous n’étions pas encore revenus de notre surprise, que Dora s’écriait : « Mais qu’est-ce que tu fais à me tirer les cheveux, tu me fais mal… »

— Oh ! je t’en prie, répliqua vivement la gamine sans s’interrompre, ne bouge pas… si tu savais comme c’est bon !…

— Mais ne tire pas trop… va doucement… Viens ici, Amalla.

Et Dora, allongeant et écartant ses jambes, montrait à la petite sa grotte d’amour entr’ouverte. Mais, plus rapide que l’enfant, je me précipitai à genoux devant la conque rose, tandis qu’Amalla, honteuse d’avoir été prévenue, se glissait comme une couleuvre sous la chaise et, se jetant à plat ventre sur la natte, prenait entre ses lèvres monsieur Priape qui s’était dressé.

Tous ces mouvements avaient été instantanés ; la complaisante Flora avait placé sa main ouverte sur la nuque de Dora, pour opposer plus de résistance : quand à Maud, elle continuait son balancement, qu’elle modifiait parfois en allant de droite à gauche, sur les milliers de fils de soie, et ce va-et-vient semblait lui procurer les plus délicieuses titillations. Flora avait mis sa langue dans la bouche de Dora qui se prêtait complaisamment au jeu nouveau, pendant que moi-même, allongeant la main, je rendais à la première, avec mon doigt, le même office qu’à la seconde avec ma langue. Et ma gentille bengalie suçait toujours !…

Maud, toute à son affaire, jetait les plus significatives exclamations : « Oh !… vous ne savez pas… comme c’est bon… de se branler sur… des cheveux… oh ! oh ! oh !… jouissons tous ensemble… (seule, elle avait la scène entière sous les yeux) attends… que c’est bon !… que c’est bon !… Ah ! tiens… voilà… jouis, Dora… Flora, ah !… je jouis… je jouis… »

Lâchant enfin l’instrument de son plaisir, elle s’affala sur la natte, à l’instant même où Dora me serrant plus étroitement la tête entre ses cuisses robustes se pâmait à son tour dans les bras de Flora, qui lui mordait les seins en rugissant, et où je fondais moi-même dans la bouche d’Amalla !…

— Et dire, s’exclama Dora revenue à elle la première que cette gamine nous apprend du nouveau !… Le fait est que ce doit être exquis : nous n’y avions jamais pensé !… Les titillations doivent être divisées à l’infini !…

— Mais qui t’a appris cela ? demanda Flora.

— C’est une idée qui m’est venue toute seule, en voyant étalée cette belle chevelure si douce, de me mettre à cheval et de me frotter dessus.

— Et c’est bon ?…

— Oh ! tu n’en as pas idée !… Ça chatouille par une infinité de points… oh ! tiens, si l’on avait, en plus, quelque chose à sucer, ce serait tout ce qu’il y a de plus bon au monde…

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Comme tu le vois, ma chère Cécile, nous employons bien notre temps. Plus nous approchons du terme fixé pour notre séparation, plus l’imagination s’exaspère et s’ingénie à trouver de nouvelles jouissances. La diversité de nos plaisirs empêche la satiété : jamais troupe mieux dressée n’a joué avec plus de lubrique fantaisie les multiples scènes de la comédie de la Volupté.

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Léo.