Les Singularitez de la France antarctique/66
CHAPITRE LXVI.
Auant que passer outre à descrire ce païs, à bon droit (comme i’estime) auiourd’huy appelle France Antarctique, au parauât Amerique, pour les raisons que nous auons dictes, pour son amplitude en toute dimension, me suis aduisé (pour plus aisément donner à entendre aux Lecteurs) le diuiser en trois. Car depuis les terres recentemêt decouuertes, tout le païs de l’Amerique, Peru, la Floride, Canada, et autres lieux circonuoisins, à aller iusques au destroit de Magellan, ont esté appeliez en commun, Indes Occidentales. Et ce pourtant que le peuple tiêt presque mesme manière de viure, tout nud, barbare[1], et rude, comme celuy qui est encores aux Indes de Leuàt. Lequel païs mérite véritablement ce nô du fleuue Indus, comme nous disons en quelque lieu. Ce beau fleuue donc entrant en la mer de Leuàt, appellée Indique, par sept bouches (côme le Nil en la Méditerranée) prend son origine des montagnes Arbiciennes et Beciennes. Aussi le fleuue Ganges, entrant semblablement en ceste mer par cinq bouches, diuise l’Inde en deux, et fait la séparation de l’une à l’autre. Estant donc ceste region si loingtaine de l’Amérique, car l’une est en Orient, l’autre comprend depuis le Midy iusques en Occident, nous ne sçaurions dire estre austres, qui ayent imposé le nom à ceste terre que ceux qui en ont fait la première decouuerte, voyâs la bestialité et cruauté de ce peuple ainsi barbare sans foy, ne sans loy, et non moins semblable à diuers peuples des Indes, de l’Asie, et païs d’Ethiopie : desquels fait ample mention Pline en son Histoire naturelle. Et voila côme[2] ce pais a pris le nom d’Inde à la similitude de celuy qui est en Asie, pour estre conformes les meurs, férocité et barbarie (comme n’agueres auons dit) de ces peuples Occidentaux, à aucuns de Leuant. Doncques la première partie de ceste terre, ainsi ample contient vers le midy depuis le detroit de Magellan, qui est cinquante deux degrez, minutes trente de la ligne equinoctiale, i’entens de latitude australe, ne comprenant aucunement l’autre terre[3], qui est delà le detroit, laquelle n’a esté iamais habitée, ne congnûe de nous, si non depuis ce detroit, venant à la riuiere de Plate. De là tirant vers le Ponent, loing entre ces deux mers, sont comprinses les prouinces de Patalie, Paranaguacu, Margageas, Patagones, ou region des Geans, Morpion, Tabaiares, Toupinambau, Amazones, le païs du Bresil, iusques au cap de Sainct Augustin, qui est huit degrez delà la ligne, le païs des Canibales, Antropophages, lesquelles religions sont comprises en l’Amerique enuironnée de nostre mer Oceane, et de l’autre costé deuers le Su de la mer Pacifique, que nous disons autremêt Magellanique. Nous finirons donc ceste terre Indique à la riuiere des Amazones, laquelle tout ainsi que Ganges fait la séparation d’une Inde à l’autre vers Leuant : aussi ce fleuue notable (lequel a de largeur cinquante lieues) pourra faire separation de l’Inde Amerique à celle du Peru. La seconde partie commencera depuis ladite riuiere, tirant et comprenant plusieurs royaumes et prouinces, tout le Peru, le destroit de terre contenant Darien[4], Fume, Popaian, Auzerma, Carapa, Quimbaya, Cali, Paste, Quito, Canares, Cuzco, Chile, Patalia, Parias, Temistitan, Mexique, Catay, Panuco, les Pigmées iusques à la Floride, qui est située vingt cinq degrez de latitude deça la ligne. Ie laisse les isles à part, sans les y comprendre, combien qu’elles ne sont moins grandes que Sicile, Corse, Cypre, ou Candie, ne moins à estimer. Parquoy sera ceste partie limitée vers Occident, à la Floride. Il ne reste plus, sinon de descrire la troisieme : laquelle commencera à la neuue Espagne, comprenant toutes les prouinces de Anauac, Ycaran, Culhuacan, Xalixe, Chalco, Mixtecapan, Fezenco, Guzanes, Apalachen, Xancho, Ante, et le royaume de Micuacan. De la Floride iusques à la terre des Baccales[5] (qui est une grande region, soubs laquelle est comprise aussi la terre de Canada et la prouince de Chicora, qui est trente trois degrez deça la ligne) la terre de Labrador, Terre Neuue, qui est enuironnée de la mer glaciale, du costé du Nort. Ceste contrée des Indes Occidentales, ainsi sommairement diuisée sans specifier plusieurs choses d’un bout à l’autre, c’est à sçauoir, du destroit de Magellan, auquel auons commencé, iusques à la fin de la derniere terre Indique, y a plus de quatre mille huit cens lieues de longueur : et par cela lon peut considerer la largeur, excepté le destroit de Parias susnommé. Pourquoy on les appelle communement auiourd’huy Indes maieures, sans comparaison plus grandes que celles de Leuant. Au reste ie supplie le lecteur prendre en gré ceste petite diuision, attendant le temps qu'il plaise à Dieu nous donner moyen d'en faire une plus grande, ensemble de parler plus amplement de tout ce païs : laquelle i'ay voulu mettre en cest endroit, pour apporter quelque lumière au surplus de nostre discours.
- ↑ Erreur singulière de Thevet : Non seulement plusieurs nations américaines avaient alors une véritable civilisation, mais encore tous les Indiens de l’Hindoustan étaient depuis longtemps hors de la vie « barbare et rude. » Il n’y avait donc aucune parité à établir entre les tribus sauvages de l’Amérique d’un côté, et de l’autre les nations civilisées du Nouveau Monde ou de l’Hindoustan.
- ↑ Si l’Amérique a pris le nom d’Indes occidentales, on sait aujourd’hui, et on devait déjà savoir du temps de Thevet, que cette dénomination a pour origine l’erreur de Colomb et des conquistadores, qui n’ayant navigué dans la direction de l’ouest que pour trouver un chemin plus court vers les Indes, s’imaginèrent qu’ils les avaient retrouvées, quand ils abordèrent en Amérique, et ne furent désabusés que très-tard, alors que l’usage avait déjà prévalu d’appeler Indiens des peuples qui n’avaient rien de commun avec les véritables Indiens.
- ↑ Il s’agit simplement de la Terre de feu, à laquelle on donna longtemps des dimensions formidables.
- ↑ On aura déjà remarqué que Thevet entasse les noms un peu au hasard, et attribue parfois le même pays, par exemple la Patalia, à deux de ses grandes divisions géographiques. Il n’en est pas moins curieux de voir que dès la première moitié du XVIe siècle, presque toute l’Amérique avait déjà été reconnue.
- ↑ Ce fut le premier nom de Terre Neuve.