Les Singularitez de la France antarctique/45

Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 228-232).


CHAPITRE XLV.

Description d’une maladie nommée Pians, à laquelle sont subiets ces peuples de l’Amerique, tant es isles que terre ferme.


Sachant bien qu’il n’y a chose depuis la terre iusques au premier ciel, quelque compassemêt et proportiô qu’il y ayt, qui ne soit subiette à mutation et continuelle alteration. L’air qui nous enuironne n’estant air simplemêt, ains composé, n’est tousiours semblable en tout têps, ne en tout endroit, mais tantost d’une façon tantost d’une autre : ioint que toutes maladies (comme nous dient les médecins) viennent ou de l’air, ou de la manière de viure : ie me suis aduisé de escrire une maladie fort familière et populaire en ces terres de l’Amérique et de l’Occident, decouuertes de nostre têps. Pians, maladie des Sauuages, et son origine. Or ceste maladie appelée Pians, par les gens du païs, ne prouièt du vice de l’air, car il est de là fort bon et têperé : ce que monstrent par experiêce les fruits que produit la terre auec le bénéfice de l’air (sans lequel riê ne se fait, soit de nature ou artifice) aussi que la maladie prouenât du vice de l’air offense autant le jeune que le vieux, le riche côme le pauure, moyenât toutefois la dispositiô interne. Sauuages, peuple fort luxurieux, et charnel. Reste dôc qu’elle prouienne de quelque maluersation, comme de trop fréquenter charnellemêt l’homme auec la femme, attendu que ce peuple est fort luxurieux, charnel, et plus que brutal, les femmes specialemêt, car elles cherchent et prattiquent tous moyens à emouuoir les hommes au déduit. Qui me fait penser et dire estre plus que vraysemblable, telle maladie n’estre autre chose que ceste belle verolle auiourd’huy tant commune en nostre Europe, laquelle faussemêt on attribue aux François, comme si les autres n’y estoyent aucunement subiets : de manière que maintenant les estrangers l’appellent mal François[1]. Chacun sçait Fraye origine combiê veritablement elle luxurie en la France, mais de la veroh. n0n moins autre part : et l’ont prise premierement à un voyage à Naples, où l’auoyent portée quelques Espagnols de ces isles occidentales : car parauant qu’elles fussent decouuertes et subiettes à l’Espagnol, n’en fut onc mention, non seulement par deça mais aussi ne en la Grece, ne autre partie de l’Asie et Afrique. Et me souuient auoir ouy reciter ce propos quelquefois à defunct monsieur Syluius, medecin des plus doctes de nostre têps. Pourtant seroit à mon iugement mieux seant et plus raisonnable l’appeler mal Espagnol, ayant de là son origine, pour l’égard du païs de deça, qu’autremêt : Verole pourquoy ainsi nommée en François. car en Frâçois est appellée verole pour ce que le plus souuent, selon le ainsi nommée temps et les côplexions, elle se manifeste au dehors en a la peau par pustules, que l’on appelle veroles. Retournons au mal de noz Sauuages, et aux remedes dôt ils usent. Or ce mal prend les personnes tant Sauuages, côme Chrestiens par delà de contagion ou attouchemêt, ne plus ne moins que la verole par deça : aussi a il mesmes symptomes et iusques là si dâgereux, que s’il est envieilli, il est malaisé de le guerir, mesme quelquefois les afflige iusques à la mort. Quant aux Chrestiens habitans en l’Amerique s’ils se frottent aux femmes, ils n’euaderont iamais qu’ils ne tombent en cest inconuenient, beaucoup plus tost que ceux du païs. Curatiô de ceste maladie. Pour la curation, ensemble pour quelque alteration, qui bien souuent accompagne ce mal, Hiourahé, arbre. ils font certaine decoction de l’escorce arbre.’d’un arbre nômé en leur làgue Hiuourahé[2], de laquelle ils boiuent auec aussi bon et meilleur succés, que de nostre gaiac : aussi sont plus aisez à guerir que les autres, à mon aduis pour leur temperature et com plection, qui n’est corrompue de crapules, comme les nostres par deça. Voila ce qui m’a semblé dire à propos en cest endroit : et qui voudra faire quelque difficulté de croire à mes parolles, qu’il demande l’opinion des plus sçauans medecins sur l’origine et cause de ceste maladie, et quelles parties internes sont tost offensées, où elle se nourrit : car i’en vois auiourd’huy plusieurs contradictios assez friuoles, (nô entre les doctes) et s’en treuue bien peu, ce me semble, qui touchent au point, principalement de ceux qui entreprennent de la guerir : entre lesquels se trouuent quelques femmes, et quelques hommes autant ignorans, qui est cause de grands inconueniens aux pauures patiens, car au lieu de les guerir, ils les precipitent au goufre, et abysme de toute affliction. Saunages affligez de ophthalmies, et d’où elles procedêt. Il y a quelques autres ophthalmies (desquelles nous auons desia parlé) qui viennent d’une abondance de fumée, comme ils font le feu en plusieurs parts et endroits de leurs cases et logettes qui sont grandes pour ce qu’ils s’assemblent un grand nombre pour leur hebergemêt. Nô tout mal des ieux est ophthalmie.Ie sçay bien que toute ophthalmie ne viêt pas de ceste fumée, mais quoy qu’il en soit, elle vient tousiours du vice du cerueau, par quelque moyê qu’il ait offensé. Aussi n’est toute maladie d’ieux ophthalmie, côme mesme l’ô peut voir entre les habitans de l’Amerique, dont nous parlons : car plusieurs ont perdu la veue sans auoir inflammation quelconque aux ïeux, qui ne peut estre à mô iuge ment, que certaine humeur dedâs le nerf optique empeschant que l’esprit de la veue ne paruiene à l’œil. Vent austral malsain. Et ceste plenitude et abondance de matiere au cerueau, selon que i’en puis congnoistre, prouient de l’air et vêt austral, chaud et humide, fort familier par delà, lequel remplit aysement le cerueau : comme dit tresbien Hippocrates. Aussi experimentôs en nous mesmes par deça les corps humains deuenir plus pesans, la teste principalement, quand le vent est au midy. Curatiô de ces ophthalmies. Pour guerir ce mal des ïeux, ils couppent une branche de certain arbre fort mollet, côme une espece de palmier, qu’ils emportent à leur maison, et en distillent le suc tout rougeatre dedans lœil du patient. Ie diray encores que ce peuple n’est iamais subiet à lepre, paralysie, et ulceres, et autres vices exterieurs et superficiels, comme nous autres par deça : mais presque tousiours sains et dispos cheminêt d’une audace, la teste leuée comme un cerf. Voyla en passant de ceste maladie la plus dangereuse de nostre France Antarctique.

  1. On a longtemps disserté et on dissertera longtemps encore sur l’origine de la siphylis. Thevet paraît être dans le vrai quand il en attribue l’introduction en Europe à des soldats Espagnols qui avaient servi en Amérique. Cf. Sanval. Du mal de Naples. — de Koch. Nouvelles recherches sur l’origine et les premiers effets du mal de Naples. Dissertations insérées dans le T. xi. P. 129-156 de la collection Leber.
  2. Léry. § xiii. « Hiuouaré, ayant l’escorce de demi doigt d’espais et assez plaisant à manger, principalement quand elle vient fraischement de dessus l’arbre est une espèce de gaiat. » Thevet. Cosm. univ. P. 935. « Le Hiuourahé est fort hault et grand, ayant l’escorce argentine, et par dedans tirant sur le rouge : son goust est comme salé, ainsi que celuy du reglisse, la souche grosse, et les feuilles semblables à celles du tremble. »