Les Singularitez de la France antarctique/43

Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 216-221).


CHAPITRE XLIII.

Des cerimonies, sépulture, et funerailles qu’ils font à leurs décès.


Maniere des Sauuages d’ensepulturer les corps. Apres auoir déduit les meurs, façon de viure, et plusieurs autres manières de faire de noz Amériques, reste à parler de leurs funérailles et sépultures. Quelque brutalité qu’ils ayêt, encores ont-ils ceste opiniô et coustume de mettre les corps en terre, après que l’ame est séparée, au lieu où le defunct en son viuant auoit pris plus de plaisir : estimans, ainsi qu’ils disent, ne le pouuoir mettre en lieu plus noble, qu’en la terre, qui produit les homes, qui porte tant de beaux fruits, et autres richesses utiles et nécessaires à l’usage de l’hôme. Il y a eu plusieurs anciennement trop impertinens que ces peuples sauuages, ne se soucians, que deviendroit leur corps, fust il exposé ou aux chiens ou aux oyseaux : Opinion de Diogenes de la sepulture du corps. comme Diogenes, lequel après sa mort commanda son corps estre liuré aux oyseaux, et autres bestes, pour le manger, disant qu’après sa mort son corps ne sentirait plus de mal, et qu’il aimoit trop mieux que son corps servist de nourriture que de pourriture. Semblablemêt Lycurgus Législateur des Lacedemoniês cômanda espressemêt ainsi qu’escrit Seneque[1], qu’après sa mort son corps fust ietté en la mer. Les autres, que leurs corps fussent bruslez et réduits en cèdre. Ce pauure peuple quelque brutalité ou ignorâce qu’il ait, se monstre après la mort de son parent ou amy sans côparaison plus raisonnable que ne faisoyent anciennement les Parthes[2], lesquels auec leurs loix telles quelles au lieu de meure un corps en honorable sépulture, l’exposoient comme proie aux chiens et oyseaux. Les Taxilles à semblable iettoyent les corps morts aux oyseaux du ciel, comme les Caspiens aux autres bestes. Les Ethiopiens iettoient les corps morts dedans les fleuues. Les Romains les bruloient et reduisoient en cendre, comme ont fait plusieurs autres nations. Par cecy peut l’on cognoistre que noz Sauuages ne sont point tant denués de toute honnesteté qu’il n’y ait quelque chose de bon, considéré encore que sans foy et sans loy ils ont cest aduis, c’est à sçauoir autant que nature les enseigne. Ils mettent donc leurs morts en une fosse, mais tous assis, comme desia nous auons dit, en manière que faisoient anciennement les Nasamones[3]. La sepulture des corps approuuée par la Sainte Escriture et pourquoy. Or la sépulture des corps est fort bien approuuée de l’escriture sainte vieille et nouuelle, ensemble les ceremonies si elles sont deuement obseruées : tât pour auoir esté vaisseaux et organes de l’ame diuine et immortelle, que pour donner esperance de la future resurrection : et qu’ils seroyent en terre comme en garde seure, attêdans ce iour terrible de la resurrection. On pourroit amener icy plusieurs autres choses à ce propos, et comme plusieurs en ont mal usé, les uns d’une façô, les autres d’une autre : que la sepulture honorablement celebrée est chose diuine : mais ie m’en deporteray pour le present, venant à nostre principal subiet.



Dôques entre ces Sauuages, si aucun pere de famille vient à deceder, ses femmes, ses proches parents et amis meneront un dueil merueilleux, non par l’espace de trois ou quatre iours, mais de quatre ou cinq moys. Dueil des Sauuages à la mort d’un pere de famille. Et le plus grand dueil, est aux quatre ou cinq premiers iours. Vous les entendrez faire tel bruit et harmonie comme de chiens et chats : vous verrez tant hômes que femmes, couchez sur leurs couchettes pensiles, les autres le cul contre terre s’embrassans l’un l’autre comme pourrez voir par la presente figure[4] disans en leur lâgue, nostre père et amy estoit tant homme de bien, si vaillant à la guerre, qui auoit tant fait mourir de ses ennemis. Il estoit fort et puissant, il labouroit tant bien nos iardins, il prenoit bestes et poissons pour nous nourrir, helas il est trespassé, nous ne le verrons plus, sinon apres la mort auec noz amis, aux païs que nos Pagès nous disent auoir veux et plusieurs autres semblables parolles. Ce qu’ils repeteront plus de dix mille fois, continuans iour et nuit l’espace de quatre ou cinq heures, ne cessans de lamenter. Les enfans du trespassé au bout d’un moys inuiteront leurs amis, pour faire quelque feste et solennité à son honneur. Et là s’assembleront painturez de diuerses couleurs, de plumages, et autre équipage à leur mode, faisans mille passetemps et cerimonies. Oyseaux ayâs semblable cry qu’un hibout. Ie feray en cest endroit mention de certains oiseaux à ce propos[5], ayans semblable cry et voix qu’un hibou de ce pais, tirant sur le piteux : lesquels ces bauuages ont en si grande reuerence, qu’on ne les oseroyt toucher, disants que par ce chant piteux ces oyseaux plorent la mort de leurs amis : qui leur en fait auoir souuenance. Ils font donc estans ainsi assemblez et accoustrez de plumages de diuerses couleurs dâses, ieux, tabourinages, auec flustes faictes des os des bras et iambes de leurs ennemis, et autres instrumens à la mode du païs. Les autres, comme les plus anciens tout ce iour ne cessent de boire sans manger, et sont seruis par les femmes et parêtes du defunct. Ce qu’ils font, ainsi que ie m’en suis informé, est à fin d’eleuer le cœur des ieunes enfans, les emouuoir et animer à la guerre, et les enhardir contre leurs ennemis. Coustume des Romains et autres peuples aux funerailles d’aucun citoyen. Les Romains auoyêt quasi semblable manière de faire. Car après le décès d’aucû citoyë qui auoit trauaille beaucoup pour la Republique, ils faisoyent ieux, pôpes, et chats funèbres à la louenee et honneur du defunct, ensemble pour donner exemple aux plus ieunes de s’employer pour la liberté et conseruation du pais. Pline[6] recite qu’un nommé Lycaon fut inuêteur de belles danses, ieux et chats funèbres, pompes et obsèques, que l'on faisoit lors es mortuaires. Pareillement les Argiues, peuple de Grèce, pour la mémoire du furieux liô défait par Hercule faisoiêt des ieux funèbres. Alexandre le Grand. Et Alexâdre le Grâd après auoir veu le sepulchre du vaillant Hector[7], en mémoire de ses prouesses cômanda, et lui feit plusieurs caresses et solennités. le pourrais icy amener plusieurs histoires comme les Anciens ont diuersemêt obserué les sépultures, selô la diuersité des lieux : mais pour euiter prolixité, suffira pour le présent entêdre la coustume de noz Sauuages : pour ce que tant les Anciens, que ceux de nostre temps ont fait plusieurs excès[8] en pompes funèbres, plus pour une vaine et mondaine gloire qu'autrement. Mais au contraire doibuent entêdre, que celles qui sont faictes à l'honneur du defunct et pour le regard de son ame, sont louables : la declarans par ce moyen immortelle, et approuuans la resurrection future.

  1. Cf. Plutarque. Lycurgue. § 42.
  2. Ce sont les Perses plutôt que les Parthes qui avaient adopté ce singulier genre de sépulture : Zoroastre, leur législateur, l’avait expressément recommandé. Voir Zend Avesta. Passim. — Les derniers sectateurs de cette religion, les Parsis ou Guèbres, suivent encore cet usage. Voir Tour du Monde. no 328.
  3. Hérodote, IV, 190 : « Les Nasamons enterrent leurs morts assis, prenant bien garde, quand l’âme de l’un d’eux s’échappe, de le mettre sur son séant, et de ne point le laisser mourir étendu sur le dos. »
  4. Sur les coutumes funéraires des Tupinambas, on peut consulter Thevet. Cosm. univ. P. 925-926. « Ils le courbent en un bloc et monceau, dans le lict où il est decedé : tout ainsi que les enfans font au ventre de la mere, puis ainsi enveloppé, lié et garotté de cordes de cotton, ils le mettent dans un grand vase de terre, qu’ils couurent d’un plat aussi de terre où le deffunct vouloit se lauer… Ce fait ils le mettent dans une fosse ronde comme un puits, et profonde de la hauteur d’un homme ou enuiron, auec ung peu de feu et de farine, de peur, disent-ils, que le maling esprit n’en approche, et que si l’ame a faim qu’elle mange. »
  5. Voir plus loin, § 48.
  6. {{|Pline}}. Hist. nat. vii. 57.
  7. Arrien. Anabasis. I. 12. Seulement il s'agit d'Achille et non d'Hector.
  8. M. Baudrillart a consacré de curieux articles au faste funéraire. Voir Revue des deux Mondes. Avril 1877.