Les Singularitez de la France antarctique/13
CHAPITRE XIII.
Après auoir laissé nostre promôtoire à senestre, pour tenir chemin le plus droit qu’il nous estoit possible, faisant le Surouest un quart du Su, feimes enuiron une tournée entiere : Situatiô des isles de cap Verd. mais venans sur les dix ou unze heures, se trouua vent contraire, qui nous ietta sus dextre, vers quelques isles, que lon appelle par noz cartes marines isles de Cap Verd, lesquelles sont distàtes des isles Fortunées ou Canaries, de deux cens lieues, et du cap de soixante par mer, et cent lieues de Budomel en Afrique suyuant la coste de la Guynée vers le pole Antarctique[1]. Ces isles sont dix[2] en nombre, dont il y en deux fort peuplées de Portugais, qui premierement les ont encouuertes, et mis en leur obeissance : Isle S. Iacques. l’une des deux, laquelle ils ont nômée Saint Iaques, sur toutes est la plus habitée : aussi se fait grandes traffiques par les Mores, tant ceux qui demeurent en terre ferme, que les autres qui nauiguent aux Indes, en la Guinée, et à Manicongre, au païs d’Ethiopie. Ceste isle est distante de la ligne equinoctiale de quinze degres : Isle S. Nicolas. Isles Fiera, Plintana, Pinturia et Foyon. une autre pareillement, nommée Saint Nicolas, habitée de mesme côme l’autre. Les autres ne sont si peuplées, côme Flera, Plintana, Pinturia, et Foyon : ausquelles y a bien quelque nobre de gens et d’esclaues, enuoyez par les Portugais pour Foyon cultiuer la guerre[3], en aucûs endroits qui se trouueroyent propres : et principalement pour y faire amas de peaux de cheures, dôt y a grande quàtité, et en font fort grade traffique. Et pour mieux faire, les Portugais deux ou trois fois l'année passent en ces isles auec nauires et munitiôs, menas chiens et filets, pour chasser aux cheures sauuages[4] : desquelles apres estre escorchées reseruent seulement les peaux, qu'ils deseichèt auecques de la terre et du sel, en quelques vaisseaux à ce appropriés, pour les garder de putrefactiô: et les emporter ainsi en leur païs, puis en font leurs marroquins tàt celebrés par l'uniuers. Maroquins d'Espagne. Aussi sont tenu les habitas des isles pour tribut, rendre pour chacun au Roy de Portugal le nôbre de six mille cheures, tàt sauuages que domestiques salées et seichées : lesquelles ils deliurent à ceux, qui de la part d'iceluy Seigneur font le voyage auec ses grands vaisseaux, aux Indes Orientales, comme à Calicut, et autres, passans par ces isles : et est employé ce nôbre de cheures pour les nourrir pédant le voyage, qui est de deux ans, ou plus, pour la distance des lieux, et la grande nauigation qu'il faut faire. Au surplus l'air en ces isles est pestilentieux et malsain[5], tellemêt que les premiers Chrestiens qui ont commêcé à les habiter ont esté par long temps vexez de maladie, tant à mon iugement pour la temperature de l’air qui en tels endroits ne peut estre bône, que pour la mutation. Aussi sont là fort familieres et comûnes les fleures chaudes, aux esclaues specialement, et quelque flux de sang : qui ne peuuent estre ne l’un ne l’autre que d’humeurs excessiuement chaudes et acres, pour leur continuel trauail et mauuaise nourriture, ioint que la temperature chaude de l’air y consent, et l’eau qu’ils ont prochaine : pourquoy reçoiuent l’exces de ces deux elemês.
- ↑ En réalité cet archipel se trouve à 252 lieues au sud-ouest du cap Vert.
- ↑ Les dix îles se nomment : St.-Jacques, St.-Antonio, Fogo, Boavista, St.-Nicolas, St.-Vincent, ilha do Sal, Maïo, Brava, Sainte-Luce. On compte en outre quatre îlots, Razo, Grande, Branco, do Rambo. Sur cet archipel on peut consulter Lopes de Lima. Ensaio sobre a statistica dos ilhas do Cabo Verde. — Avezac. Iles de l’Afrique. P. 171.
- ↑ Sic pour terre.
- ↑ Les chèvres sont encore très-nombreuses dans l'archipel, malgré ce qu'on en tue chaque année pour les peaux, qui sont maintenant exportées non plus en Portugal, mais dans l'Amérique du nord. Ces chèvres ont bonne apparence, leur poil est court et lustré, leurs couleurs variées.
- ↑ Le climat de ces îles est très-chaud, et surtout fort humide. L'influence du climat sur l'état sanitaire varie selon les îles. A Saint-Jacques on meurt avec une déplorable facilité. A Saint-Nicolas la progression des décès ne s'est pas encore arrêtée. Dans ces deux îles, mais surtout dans la première, régnent des fièvres endémiques connues sous le nom de Carneiradas (dyssenteries). L’île de Maïo est sujette aux fièvres de saison. Les autres sont toutes très-saines.