Éditions des Cahiers vaudois (p. 90-92).

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J’ai cinq enfants à nourrir ; mon mari gagne 7 francs par jour.

Le pain, même pour nous qui l’avons à prix réduit, coûte 50 centimes le kilog.

Le lait, même pour nous qui l’avons à prix réduit, coûte 30 centimes le litre.

Les pommes de terre coûtent 30 francs les cent kilos, au lieu de 7 ; la viande, on n’en parle pas.

Le litre d’huile, 5 francs.

On n’a pas assez de fromage ; comment est-ce qu’on se chauffera cet hiver, quand on vous demande 75 centimes d’une fascine qui en valait 20 ou 25, et 40 francs du stère de bois, et le charbon coûte quatre fois ce qu’il coûtait ?

Comment est-ce qu’on s’habillera cet hiver, quand il faut payer les étoffes 10 et 15 francs le mètre, la toile 9 francs, 10 francs, 11 francs et elle ne vaut rien ; le fil cinq fois son prix d’avant la guerre, et il casse ?

Et comment est-ce qu’on se chaussera cet hiver, quand le cordonnier me demande pour un simple ressemelage 9 francs, pour un retalonnage 4, et que maintenant les souliers d’enfants les meilleur marché sont à 15 francs ?

On les avait pour 5 francs.

15 francs divisés par 5 ça fait 3 : on avait trois paires pour une qu’on a, alors, s’il y avait une justice, il faudrait que mon mari soit payé trois fois ce qu’il l’était : c’est-à-dire qu’au lieu de 5 francs, il devrait gagner 15 francs par jour, et, comme j’ai dit, il en gagne 7.

Croyez-vous qu’on puisse forcer les enfants à manger trois fois moins ? croyez-vous qu’on puisse faire durer leurs chaussures, leurs chemises, leurs habits trois fois plus ? On a toujours été économe ; il faut pourtant qu’ils vivent ; ils bougent, ils courent, ils ont grandi ; il faut davantage de toile, il faut davantage de drap ; l’aîné chausse déjà du 40 ; on me dit : « Faites-les travailler, » je ne peux pas les faire travailler tout nus ; on me dit : « Vous avez un jardin, » je n’ai pas de graisse.

Avec quoi faire cuire les choux, ou bien s’il faudra les manger à l’eau, comme les cochons, croyez-vous que ça nourrisse ?

Je n’ai pas assez de graisse, pas assez de fromage, pas assez de macaronis. On a vendu au village des jambons jusqu’à 100 francs ; c’est tout dire.

Et les belles toupines de saindoux qu’ils cachent, mais c’est 15 francs le kilo, deux jours de travail ; il me faudrait une jupe, eh bien, j’ai compté.

5 jours de travail.