Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.II. L’Orient grec (p. 119-126).


 
Les astres pâlissaient au fond des cieux sublimes ;
L’aube d’un doux rayon charmait déjà les cimes
          Des montagnes à l’Orient ;
Des souffles parfumés erraient, et c’était l’heure
Où l’homme, avec le jour, l’âme fraîche et meilleure,
          L’esprit clair, s’éveille en priant.

La parole du Maître embellissait l’étude.
Dans une studieuse et calme solitude,
          Les disciples silencieux
Recueillaient les discours et l’enseignement grave
Que révéla Mosché, que la Loi sainte grave
          Sur les tables des cœurs pieux.


Et le vieillard, assis sous un haut sycomore,
Parlait. Sa voix profonde et bénissant l’aurore,
          O Sagesse, guidait vers toi !
Les Prophètes en chœur chantaient à son oreille,
Et sa doctrine était comme une belle treille,
          Lourde des grappes de la Loi :

— La Sagesse éternelle au sein de Dieu repose,
Comme un vin précieux dans une amphore close,
          Que seul, au milieu du festin,
Le maître hospitalier distribue aux convives.
Le Seigneur a créé la terre et les eaux vives
          Et les lampes du ciel lointain.

La Sagesse, ô mes fils ! riche, éclatante, auguste,
Brille immortellement sur une tête juste
          Comme une couronne d’honneur.
Elle est comme un palmier planté dans un sol ferme,
Comme un enclos fertile où pour récolte germe
          La crainte austère du Seigneur.

Malheur aux cœurs durcis que seule exalte et touche
Une parole fausse en une double bouche !
          Insensé qui, loin de l’azur,
S’avance, plein d’orgueil, dans une double voie !
Fou qui dans le sentier d’une coupable joie
          Vers la nuit marche d’un pied sûr !


Béni qui, vénérant les vieux jours de son père,
Se bâtit à soi-même une maison prospère
          Dans sa longue postérité ;
Qui, vêtant l’orphelin d’une tunique neuve,
Réserve pour le pauvre et l’infirme et la veuve
          Le froment qu’il a récolté !

Laissez les épis lourds tomber pour les glaneuses !
Aux buissons acérés si vos brebis laineuses
          Accrochent leur laine en passant,
Laissez les blancs flocons pendre aux branches. Peut-être
Une main tentera, que Dieu seul peut connaître,
          D’en tisser un manteau décent.

Rongé par une plaie horrible et corrompue,
L’avare inassouvi, l’âme jamais repue,
          Se nourrit d’un acre poison,
Et, louche trafiquant de son cœur mis en vente,
Compte son or maudit, se couché et s’épouvante
          Au bruit des pas dans sa maison.

La mort, qui fauche tout, le saisit et partage
Entre ses fils joyeux le tardif héritage ;
          Et lui, hors du tombeau jeté,
Pourrit, en proie aux vers, dans une ombre muette,
Sans que la pitié même en se détournant jette
          Un haillon sur sa nudité.


Ne dis pas : — Aujourd’hui la peine est inutile,
Mon bien suffit. — Qui sait ? demain ton champ fertile
          Sera désert et dévasté.
Heureux, tu vis sans croire aux jours de l’infortune ;
Mais le bonheur passé te blesse et t’importune
          Aux heures de l’adversité.

Redoute le puissant : sa gloire est ta dépouille.
Fuis l’impie et le riche, enfant ! La main se souille
          Qui touche à la gluante poix.
Ne tente pas, mon fils, humble coupe fragile,
Au lourd vase d’airain d’opposer ton argile
          Et ton flanc grêle à tout son poids.

Mieux vaut loin des banquets manger un pain modeste ;
Mais si, roi du festin, tu sièges sans conteste,
          Vieillard, au trône du milieu,
Ne fais pas avant l’heure éteindre un lampadaire,
Ne trouble pas la joie et les chants ; considère
          Que l’allégresse vient de Dieu.

Qui boit un vin prudent, ô jeune homme, est sans blâme.
Le vin, propice au corps, vivant, allégeant L’âme,
          Prépare des songes dorés,
Mais si l’ivresse chaude et mère des blessures
Fait trébucher ton pied sur les portes obscures,
          Sois chassé des seuils honorés !


Combien, le cœur sans force et la chair engluée
Dans les pièges d’amour de la prostituée,
          Ont appris les honteux trafics !
Les yeux peints, les bras lourds d’anneaux, toujours en quête,
Elle va par la ville, attend sa proie et guette
          Aux angles des marchés publics.

Demi-nue, elle tord ses hanches en cadence,
Et découvre en riant dans le vol de la danse
          Les fleurs mobiles de ses seins.
Ton or, il est fondu, morte ta renommée,
O toi qui t’accoudas sur la couche embaumée
          De l’étrangère aux noirs desseins !

Sois béni dans l’amour d’une pudique épouse
Dont la beauté robuste et la fierté jalouse
          Sont les parures, dont les yeux
Dépassent la splendeur de la Lampe à sept branches.
Sa fidélité brille en ses prunelles franches
          Comme l’aube sur les hauts-lieux.

Ouvrez l’oreille, enfants de ma sollicitude !
La Sagesse en mon âme est dans sa plénitude
          Comme la lune au fond du ciel.
Le premier je me lève et le dernier je veille.
Mes fils, comme le lys et la rose vermeille,
          Fleurissez devant l’Éternel !


Fumez comme l’encens qui vers Dieu s’évapore !
Vibrez comme une harpe à la corde sonore
          Aux mains agiles des chanteurs !
Chantez vers le Très-Haut ! Chantez un nouveau psaume !
Car le Seigneur est grand, la terre est son royaume,
          Son œuvre est bonne, ô serviteurs !

Le Seigneur a béni le scribe qui médite
Et consacre humblement sa pensée érudite
          Aux énigmes des Aggadas.
La mémoire du juste est le parfum des sages.
Seigneur, fais se dresser, hors du tombeau des âges,
          Les Ancêtres que tu guidas !

Enoch fut saint ; Noah, sortant du noir refuge,
Ressuscita la vie aux fanges du Déluge ;
          Abraham a scellé sa chair,
Et fidèle en ses jours à la marque sanglante,
Multiplia sa race immense et pullulante
          D’une mer jusqu’à l’autre mer.

Tel que la graisse fine aussitôt enlevée,
David en Israël fut la part réservée.
          C’est lui qui d’un bras glorieux
Brisa du Pelischthi la corne audacieuse ;
Lui qui, joignant les voix à la harpe pieuse,
          Régla les chants religieux.


Que, pareils aux rosiers s’enlaçant jusqu’aux faîtes,
Refleurissent l’esprit et les os des Prophètes !
          Un autre germe dans les temps :
Il sort du Sanctuaire et, soulevant le voile,
Simôn-bèn-Onias paraît, comme une étoile
          Entre deux nuages flottants.

Héritier d’Aarôn, il est le Grand-Gohène ;
Comme le lys des eaux ou la fleur du troène,
          Il parfume le saint Autel.
Des clochettes, tintant sur le méhil sonore,
Annoncent sa venue, et l’éphod tricolore
          L’habille dans un arc-en-ciel.

Est-il de plus auguste et de plus beau spectacle
Que de voir resplendir les Pierres de l’Oracle
          Au Pectoral du Jugement ?
Le Cohène se dresse en sa gloire isolée,
Elève les deux mains et bénit l’assemblée
          Au nom caché du Dieu clément.

Que votre âme, ô mon fils ! limpide, humble et constante,
Dans le champ du savoir fixe à jamais sa tente,
          Loin du traître et du suborneur.
J’ai semé la semence, et voici la récolte :
Cherchez, priez, aimez, et vivez sans révolte
          De longs jours devant le Seigneur. —


Et le vieillard se tut. Et c’était l’heure ardente
Où le soleil s’arrête en sa course ascendante.
          Les disciples pour se nourrir,
Autour du Maître, assis sur le gazon déclive,
En un repas frugal offraient l’orge et l’olive
          À Celui qui les fait mûrir.