Les Siècles morts/Les Louanges d’Ardvi-çoûra-Anâhita

Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.I. L’Orient antique (p. 223-226).

 
J’honore Ardvi-çoûra-Anâhita, l’Eau pure,
L’Eau salutaire, fraîche, errante et sans souillure,
Qui jaillit au sommet du mont Hukâirya.
Ses mille réservoirs, tels que des sources pleines,
S’épanchent largement sur les champs et les plaines
Par les mille canaux que Mazda leur fraya.

J’honore Ardvi-çoûra, selon l’ordre et le rite.
J’offre le sacrifice en la forme prescrite,
Les cent vases, la viande et le Hôma divin,
Les chevaux, le bétail, les brebis consacrées,
Afin que le méchant, aux dents démesurées,
Au coucher du soleil, ne l’offre pas en vain.


J’honore Ardvi-çoûra, bienfaisante et féconde,
Qui se divise au loin, se multiplie et gronde
Et va purifiant les troupeaux vagabonds,
La semence de l’homme et le lait des nourrices,
La sainte Ardvi-çoûra dont les eaux créatrices
Comme un fleuve éternel baignent le cœur des Bons.

Par mes vœux, par mes chants, par mon culte, j’honore
La Vierge aux bras dorés, au flot large et sonore
Qui bouillonne et remplit la mer Vourukasha ;
Celle qui, s’avançant sur un char de lumière,
S’interroge en secret, songe, et voit la première
Se lever le Très-Saint que son amour chercha.

C’est Elle qui descend des cieux semés d’étoiles.
Les femmes et les chefs, les vierges sous leurs voiles,
Lorsque paraît l’Époux au seuil de la maison,
Les Maîtres des Pays, les guerriers, et tout homme
Qui, devant les troupeaux et les bêtes de somme,
Marche, les yeux fixés sur le vague horizon ;

Les sages Atharvans, gardiens des choses saintes,
Pareils à des pasteurs surveillant les enceintes
Où ruminent les bœufs près du fourrage épais,
Tout être ceint du glaive ou porteur de la Tige
Implore Ardvi-çoûra qui protège et dirige
Le Mazdéen pieux dans la règle et la paix.


Quand Ahoûra-Mazdâ, dans la Terre parfaite,
Dit : — Prépare et conduis le cœur de mon Prophète,
Le Saint Zarathoustra, selon ma volonté. —
Elle entendit le vœu du Créateur antique ;
Et l'âme de l’Élu, comme un rameau mystique,
Fleurit dans le devoir et la sérénité.

Quand le pasteur brillant, Yïma, sur les crêtes
Des monts où l’eau ruisselle, offrit dix mille têtes
De bétail, mille bœufs avec cent étalons,
L’abondance éternelle emplit la terre auguste ;
Et les noirs Karapans, mutilés par le Juste,
D’une bave impuissante ont souillé ses talons.

Devant Ardvi-Çoûra s’enfuit et meurt la Druje ;
Dans l’implacable nuit les Dévas sans refuge,
Comme un peuple effaré, tournent éperdument.
J’honore Ardvi-Çoûra, majestueuse, pure,
A la sandale d’or, à la vaste ceinture,
Dont la mitre divine orne le front charmant.

Le bareçma léger fleurit dans sa main droite ;
Ses deux seins gracieux gonflent sa robe étroite ;
L’émeraude étincelle autour de ses’ colliers,
Et la peau des castors, choisie au temps propice,
Cousue en fils d’argent, resplendissante et lisse,
Sur ses pieds virginaux tombe en plis réguliers.


O vierge Ardvi-Çoûra, Reine des quatre Mâles,
La pluie et le verglas, la nue et les rafales
Sont comme des guerriers rangés autour de Toi.
Que le fleuve sans fin de tes faveurs fécondes,
Plus large et bienfaisant que le cours de tes ondes,
Baigne le Mazdéen priant selon la Loi !

Que son glaive soit clair comme un feu qui s’allume !
Que son cheval de guerre, ardent et blanc d’écume,
Foule, au soir du combat, les ennemis domptés !
Que son camp, défendu comme une citadelle,
Regorge d’aliments, et qu’un guerrier fidèle
Dans son char de bataille attende à ses côtés !

O Très-Sainte, descends ! Descends, ô Salutaire,
De ton trône étoile, fertiliser la terre !
En flots étincelants, tombe des monts sacrés !
O sainte Ardvi-Çoûra, qui bondis et t’épanches
Et laisses sans tarir rouler de tes mains blanches
Le torrent des faveurs et des biens implorés !