Les Siècles morts/L’Autel

Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.III. L’Orient chrétien (p. 169-171).

 
Khirîna, de Hidil, a recueilli les restes
Du vieux temple gisant sur le sol paternel
Et, la nuit, à l’écart, a de ses mains modestes
Pour la Dame des eaux rebâti cet autel.

Déesse Anâhita qu’un siècle ingrat exile,
O Vierge ruisselante au flot jamais tari,
O Pure ! Khirîna t’offre cet humble asile
Où ta source peut naître et chanter à l’abri.

La forme en est grossière, et si la brique est terne,
C’est que le feu chrétien en lécha les morceaux.
Mais la frise est intacte où sur l’émail alterne
Le bareçma mystique avec la fleur des eaux.


Est-ce un autel ? Hélas ! un tertre bas à peine,
Caché par les roseaux courbés au vent du soir.
C’est ton dernier refuge où, près de la fontaine,
Ta dernière prêtresse aime encore à s’asseoir.

Elle y revient songer aux époques fécondes
Où, reflétant l’azur, limpide et sans limons,
Le torrent adoré de tes célestes ondes
S’épanchait librement de la hauteur des monts.

Et tu transparaissais dans la mouvante écume
Comme la lune blanche en un ciel nuageux,
Légère, éblouissante et semant dans la brume
Les diamants épars sur tes deux seins neigeux.

Et c’est toi qui fuyais et qui versais ton urne
Dans mille ruisseaux bleus, fils des lacs assoupis,
Et qui venais suspendre, invisible et nocturne,
Des perles de rosée aux pointes des épis.

L’homme d’un cœur pieux honorait le mystère
De tes larmes d’azur filtrant du sol sacré
Et puisait chaque jour dans ton cours salutaire
La virile vigueur d’un corps régénéré.

Maintenant l’ombre triste éteint tes clartés fraîches
Et le culte est fini des sources et des flots
Que Mithra matinal criblait de roses flèches.
Les eaux ne baisent plus le bord des bassins clos.


Mais tu vivras ici, toujours utile et pure,
O Très-Sainte, ô Maîtresse, ô Reine aux yeux changeants,
Fluide, inépuisable et bonne et sans souillure
Et chère à Khirîna, prompte aux soins diligents.

D’un murmure plus doux charmant la jeune aurore.
Près du rustique autel caché par les roseaux,
Des vertes profondeurs tu jailliras encore
Dans la coupe en ruine où boivent les oiseaux.

Et quand la nuit royale enfin tendra ses voiles.
Dérobant les joyaux du ciel splendide et noir,
Tu feras dans ton sein ruisseler les étoiles
Et les astres divins fleurir dans ton miroir.