Les Siècles morts/Consolation à Séréna

Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.III. L’Orient chrétien (p. 183-186).

 
Honoratus, évêque, à Séréna, salut :

Enfant prédestinée aux épreuves divines,
Ma fille, s’il est vrai que le Seigneur se plut
A couronner ton front d’innocentes épines,
Si tes pleurs ont coulé sur le sein maternel,
Si ton cœur virginal, troublé des premiers rêves,
Nourrit de longs espoirs ses félicités brèves
Et d’un terrestre amour fit un deuil éternel,
Pleure comme Rachel et comme Magdeleine.
Mais que tes pleurs, pareils aux pleurs légers des nuits,
Soient comme la rosée aux plantes de la plaine ;
Que ton âme, émergeant du fond des noirs ennuis,
Résignée et rendue à sa clarté première,

Brille, comme un trésor qu’un laboureur hâtif
Dans le sillon béant révèle à la lumière.

Oui, le guerrier chrétien, frappé d’un trait furtif,
L’époux futur, promis à ton amour pudique,
Sans prière et sans nom gît au désert d’Afrique.
Messager du Très-Haut, l’obéissant destin
A tranché d’un seul coup avec l’arbre robuste
La tige où s’enlaçait la (leur de ton matin.
Jamais l’anneau mystique, où la croix d’or s’incruste,
D’un cercle étincelant ne chargera ton doigt ;
Et tu n’entendras pas, ô Vierge déjà veuve !
Le rire des enfants charmer ton triste toit.
Mais le Seigneur Jésus sourit à ton épreuve
Et fait aux yeux des Saints, dans le ciel enchanté,
S’épanouir le lys de ta virginité.
Telle que la colombe errante et menacée,
Ton âme eût-elle en vain affronté les périls ?
Voix flatteuses, splendeurs d’une cour insensée,
Tentations, désirs sans frein, exemples vils,
Voluptueux regrets des Dieux qu’Hellas honore,
Peut-être, j’en frémis, dans ce cœur qui s’ignore
Eussiez-vous goutte à goutte et sourdement filtré,
Comme un ruisseau fangeux en un bassin limpide !

Sur quel mensonge amer, ma fille, as-tu pleuré ?
Des choses d’ici-bas la fuite est plus rapide
Que le vol inquiet de l’oiseau vers son nid.
Midi flambe et déjà le soir marche dans l’ombre,

Tout pâlit, tout s’efface, hélas ! et tout finit ;
Le plus joyeux vaisseau se heurte au rocher sombre ;
Rien n’est vrai, rien n’est beau de ce qui doit périr.
On aime ; l’univers s’illumine ; on espère,
On oublie, et, debout au seuil du noir repaire,
La Mort camuse attend, ricane et vient ouvrir
Au fantôme chéri la porte sépulcrale.
Mais toi, fille du Christ, lève le front ; reçois
Le baptême des pleurs ainsi qu’une eau lustrale.
Pieusement soumise aux redoutables lois,
Du mépris de la terre emplis ton cœur sublime ;
Foule aux pieds ta douleur comme un haillon jeté
Et viens, ô Séréna, viens, sereine victime,
Puiser aux flots bénis d’un immortel Léthé
L’oubli consolateur et l’éternelle ivresse.

Viens ! Suis Jésus sanglant sous la croix qui l’oppresse.
L’Église est le bercail infranchissable et sûr
Où vit et meurt en paix le blanc troupeau des Vierges.
Il t’invite ; il t’accueille ; entre et vois dans l’azur,
Propice et rayonnante à la clarté des cierges,
La Panagia tendre en souriant les bras
Vers ta langueur, vers ta pâleur, vers ta jeunesse.
Viens ! Au pied de l’autel, qu’une diaconesse,
Parmi ses graves sœurs, pose sur ton front ras
L’inviolable lin des divines épouses,
Tandis qu’au bruit des chants, dans les hauteurs des cieux,
Les Veuves du Seigneur et les Vierges jalouses
Lentement fileront de fils mystérieux

Ta robe nuptiale et ton voile invisible.

Adieu ! Que l’oraison, comme un baume paisible,
Épande ses parfums sur ta blessure ! Adieu.
Chéris la solitude où le cœur fructifie ;
Vis et meurs en priant. Honoratus confie
Tes jours au sanctuaire et ta mémoire à Dieu.